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Le Royaume de Pierre d’Angle t.2 : Les Filles de mai, de Pascale Quiviger

COUP DE CŒUR

Un voile sombre s’est posé sur le royaume de Pierre d’Angle et les douces années semblent déjà bien lointaines. Un hiver extrême, une épidémie, des complots et cette ombre qui ne quitte plus les yeux de la reine plongent le tout nouveau roi Thibault et l’ensemble de ses sujets dans l’inquiétude. Tout le monde pressent la même chose : de grands bouleversements approchent et nul n’en ressortira indemne.


J’aurais franchement pu me simplifier la vie et n’écrire qu’une seule chronique pour l’ensemble des quatre tomes du Royaume de Pierre d’Angle. Mais ça aurait été trop facile ; et surtout, cela n’aurait pas rendu justice à l’ampleur, à l’ambition et à la richesse de la saga.
Chaque volume, en effet, fait résonner sa tonalité propre, et mérite d’avoir sa propre bafouille. Je vais donc tâcher d’être à la hauteur, en slalomant le plus possible entre les spoilers.

Un mot, tout d’abord, sur les superbes couvertures des éditions originales (au Rouergue), qui ont été conçues avec le plus grand soin par Patrick Cannon, notamment dans le choix de leurs couleurs dominantes. Le premier tome, qui s’ouvrait en pleine mer et où les flots jouaient un rôle considérable, était logiquement tout bleu ; le deuxième affiche de superbes nuances de vert, une manière d’illustrer, pour le Royaume de Pierre d’Angle en général, et dans le destin des personnages en particulier, l’importance de la Forêt de la Catastrophe qui en mange toute la partie sud.
Cette Catastrophe au nom si éloquent, nous n’y pénétrerons pas dans ce tome, mais elle a déjà démontré l’étendue de son danger à la fin du précédent (je ne dis rien !), et son ombre néfaste plane sur l’existence de Thibault et Ema durant tout ce deuxième opus. D’où ce vert omniprésent, dont l’éclat annonce la puissance de la malédiction. En attendant le rouge du troisième, mais chut…

Après l’insouciance nimbant le début de L’Art du naufrage, Pascale Quiviger avait déjà infléchi le ton de la saga dans la seconde partie du tome inaugural pour l’entraîner vers davantage de noirceur, et le conclure sur un cliffhanger particulièrement inquiétant.
Les Filles de mai reprend exactement là où la romancière nous avait laissés en suspens, soucieux de savoir comment nos héros si attachants vont pouvoir se relever des épreuves récemment encaissées. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’heure n’est plus à l’optimisme forcené, un constat que ce deuxième volume va peu à peu nourrir grâce à de nombreuses intrigues secondaires tout aussi captivantes les unes que les autres.

Car c’est la grande force de Pascale Quiviger dans cette série : se mettre à la tête d’une équipe romanesque extrêmement étendue, complète et complexe, et parvenir à magnifier chacun de ces personnages sans en mépriser ni en amoindrir aucun. Sans jamais, non plus, perdre le lecteur dans ce foisonnement de caractères et d’histoires, grâce à une préparation savamment concoctée depuis les premières pages du premier tome.
Le talent le plus impressionnant de la romancière, outre son sens du rythme et sa maîtrise du suspense, est sûrement de parvenir à camper des personnages inoubliables en quelques traits dominants, presque des archétypes, pour certains à la limite du manichéisme (le prince Jacquard en premier lieu, méchant absolu nanti de tous les défauts des grands méchants de saga… mais, chut… ce ne sera peut-être pas aussi simple que cela !) Puis de se tenir à ces traits marquants qui nous permettent de les reconnaître dès qu’ils apparaissent, tout en les épaississant petit à petit, avec beaucoup de finesse et d’intelligence.
À ce petit jeu, les femmes prennent plus d’espace que dans le premier tome. Si Ema continue à briller de mille feux, on se laisse hanter par la personnalité terrifiante mais ambiguë de la Reine Sidra, envoûter par l’énergie désespérée d’Esmée la coursière, malmener (pour la bonne cause !) par Irma-la-Forte, ensorceler par les prodiges culinaires et par la générosité bourrue de Marthe… entre autres. Entre beaucoup d’autres.

Quant à l’intrigue, vous aurez remarqué que je ne vous en dis pas un mot ou presque. C’est fait exprès, hein. D’abord parce que c’est une suite, et qu’il est difficile d’évoquer ce qui se passe ici sans risquer de spoiler ce qui s’est passé avant. Ensuite pour vous obliger, si ce n’est déjà fait, à vous plonger dans le premier tome, qui aura toutes les chances de vous donner envie d’enchaîner avec le deuxième.
Une précision tout de même : si le premier jouait la carte de l’aventure, avant de poser les bases géographiques, politiques, culturelles et sociales du Royaume de Pierre d’Angle, le second se plie aux règles du roman politique, avec ses complots, ses bassesses, ses retournements de veste, ses rancunes fatales et ses grandeurs insoupçonnées. Le tout dans un climat – au sens météorologique du terme – qui joue les premiers rôles et qui, d’un hiver glacial à un été caniculaire, contribue à bouleverser les équilibres en place.

Certains lecteurs ont reproché à ce tome 2 d’être un peu trop statique, et de manquer d’action. Ce n’est pas l’impression que j’ai eue, au contraire, même si, effectivement, Les Filles de mai ne se distingue pas par une débauche de péripéties. J’ai été époustouflé par la manière dont Pascale Quiviger, grâce à la vivacité de son écriture, son humour toujours présent, l’économie percutante de son style qui s’évertue à viser le mot juste et à susciter l’émerveillement, anime précisément son texte. Pas le temps de s’ennuyer quand on est embarqué par une machinerie aussi bien huilée !

Bref, pour moi, Les Filles de mai transforme largement l’essai, et pousse tout droit vers un troisième volume au titre particulièrement inquiétant : Les Adieux

À partir de 13 ans.

Le Royaume de Pierre d’Angle t.2 : Les Filles de mai, de Pascale Quiviger
Éditions du Rouergue, 2019
ISBN 9782812618529
464 p., 17,40€

Également disponible en Folio Fantasy :
ISBN 9782072999178
480 p., 9,90€

7 réponses à « Le Royaume de Pierre d’Angle t.2 : Les Filles de mai, de Pascale Quiviger »

  1. Le tome 1 est sur ma table ! Avec une énoorme pile à lire :)

  2. […] sur ce personnage, ça vaut le coup d’œil. Je l’ai déjà dit dans la chronique des Filles de mai, voilà un personnage de méchant pur et dur, archétypal, presque manichéen à force […]

  3. Lu et apprécié ! J’ai chipé le tome 3 ;)

    1. Yeeeeees !!!
      Certain.es ont buté sur le tome 2 en le trouvant trop statique… Si tu as passé ce cap, tu es prête à en prendre plein la tête avec le monstrueux tome 3. Chanceuse, va :D

      1. Oui, un peu statique, mais pas tant que ça, j’y étais bien et je ne me suis pas emmerdée du tout !

        Chanceuse, mais tricheuse aussi : j’ai regardé la fin du 3 et ce que je suspectais arrive bel et bien…. argh !!!

      2. Nooooooooooooon !!!!
        Argh, c’est criminel, ça !!!
        Non, mais la manière où Quiviger articule la montée en puissance de tout le final vaut de toute façon le détour. Il se passe tellement de choses dans ces dernières pages !
        Et puis…

        Qui sait…
        ?
        :)

      3. Oui, je possède le même défaut que Guillaume Lebel et son Elizabeth ;)

        Oui, ça monte en puissance, tout à fait, c’est larvé, vicieux, sadique !! purée, j’ai pris mon pied :)

Répondre à Le Royaume de Pierre d’Angle t.3 : Les Adieux, de Pascale Quiviger | Cannibales Lecteurs Annuler la réponse.