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La Baleine tatouée, de Witi Ihimaera

Kahu grandit dans une tribu māori de Nouvelle-Zélande. Enfant prodige, elle se confronte très tôt à l’autorité du chef Koro Apirana, son arrière-grand-père, qui refuse l’idée qu’une femme puisse un jour lui succéder. Mais restera-t-il insensible au chant des baleines et à l’intrépidité de Kahu ? Jusqu’à quel point le respect des traditions doit-il rester figé dans une vision du monde qui ne reflète plus la réalité ?


Je suis bien heureux de vous en parler, de celui-là. Parce qu’il fut pour moi autant la découverte d’un très beau texte, d’un auteur, d’une culture lointaine, et d’une maison d’édition.

Commençons par cette dernière, Au vent des îles. Comme son joli nom le suggère, la maison, fondée à Tahiti en 1990, est spécialisée dans la publication de textes venus des îles, plus précisément du Pacifique et de l’Océanie. Pendant longtemps, je suis passé à côté de leur travail, en dépit d’une distribution nationale importante (par Harmonia Mundi), mais aussi en raison, soyons honnêtes, d’un manque de curiosité que des visuels de couverture assez décevants n’aidaient guère à éveiller.

Et puis, voici qu’une nouvelle maquette fut élaborée, beaucoup plus aguichante. Et voici que mon excellent représentant (coucou Thierry), ayant appris à me connaître, insista lourdement pour que je m’intéresse à ce texte (qu’il comparait non sans raison aux romans animaliers de Sepulveda) ; il m’apprit que Witi Ihimaera était considéré en Nouvelle-Zélande comme un immense auteur contemporain, et me fit envoyer un service de presse avec injonction pressante de le lire, parce que sinon, bon, bref, je ne vous fais pas un dessin.
Donc, je lus. Et j’aimai.

La Baleine tatouée est un conte moderne, qui mêle avec art des considérations sur le fait de perpétuer la culture māori dans la Nouvelle-Zélande contemporaine, et l’enchantement propre aux récits merveilleux qui savent s’affranchir du réel sans le renier. C’est un récit délicieux, rayonnant de l’amour sans concession qu’une petite fille porte à un vieil homme qui s’obstine trop longtemps à l’ignorer. C’est un texte plein de drôlerie et ardent d’un bel esprit féministe, où le chef Koro, arc-bouté sur ses certitudes passéistes, se fait rembarrer avec un aplomb insolent par sa femme, dans des scènes malicieuses et réjouissantes.

C’est aussi une fable écologique, qui reconnecte les hommes à la nature, avec d’autant plus de force et de nécessité que ce lien est fondamental dans la culture māori. Ce qui se passe avec les baleines dans le roman est bouleversant, à la fois poétique et déchirant, en donnant presque envie de battre des mains en criant « je crois aux baleines ! » comme on crie « Je crois aux contes de fée ! » dans Peter Pan pour empêcher les fées de mourir.

Si vous aimez l’inattendu, les découvertes, partir à la rencontre de l’autre et de l’ailleurs, si vous aimez encore la fraîcheur réconfortante des textes qui ressuscitent sans complexe l’esprit d’enfance, embarquez-vous au côté de cette superbe Baleine tatouée et de son maître d’oeuvre, Witi Ihimaera, dont plusieurs textes sont disponibles aux éditions Au Vent des îles. C’est un très beau voyage, dont on revient souriant, ébouriffé et content.

La Baleine tatouée, de Witi Ihimaera
(traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol)
Éditions Au vent des îles, 2022
ISBN 9782367344317
164 p., 17€

11 réponses à « La Baleine tatouée, de Witi Ihimaera »

  1. voilà le genre de roman qui pourrait me plaire, merci pour ton ressenti !

    1. De la douceur mêlée d’âpreté, un propos fort et réconfortant, des images inoubliables : oui, il pourrait te séduire !

  2. Merci pour cette chronique qui me fait découvrir un livre qui me donne très envie !!

    1. Alors j’en suis ravi ! Une très belle histoire, en forme d’échappée loin de nos habitudes et de notre culture.

  3. Merci de me rappeler que je voulais le lire et que je ne l’ai pas fait ! Pour ma punition, je vais essayer de le sortir de ma PAL cette année… le dernier livre que je viens de lire y étais depuis 2012, donc, l’espoir est permis :p

    1. 2012, ah oui, pas mal ! Cela dit, depuis que je ne suis plus libraire, j’ausculte ma bibliothèque maison et j’y relève des livres en attente de lecture depuis plus longtemps que ça encore, certains que j’ai depuis vingt ans et jamais lus… Leur tour viendra, un jour (si si) !

      1. Un jour, j’en avais retrouvé un qui possédait encore un prix en francs belges, donc, datant d’avant janvier 2002 !! En tant que libraire, tu avais sans doute des lectures plus récentes, afin de pouvoir conseiller les clients dans le rayon « sorties nouveautés », non ?

      2. Je n’avais presque que ça, en réalité… Prendre le temps de lire un livre plus ancien, ce qu’on appelle le « fonds », c’était un luxe rare, et je le pratiquais souvent avec culpabilité, parce pendant ce temps-là, je voyais s’accumuler les lectures à faire, les innombrables livres tentants que je n’aurais de toute façon pas le temps de tous parcourir. Ça n’arrêtait jamais ! Je suis vraiment soulagé de m’en « être sorti », pour être tout à fait honnête ;-)
        Je sais qu’en ce moment, mes collègues alignent les rencontres avec les éditeurs pour les présentations de la prochaine rentrée littéraire d’août-septembre. Hé bien, je suis parfaitement ravi de ne pas en être. Tout comme je ne m’intéresse plus que peu à ce qui sort en librairie en ce moment. Je garderai toujours un oeil, bien sûr, notamment pour les auteurs que j’aime, mais la nouveauté à tout bout de champ, c’est terminé !

      3. Comme quoi, exercer le métier en adéquation avec un de ses loisirs n’est pas toujours bon… Tu bossais au milieu des livres (un rêve), mais ça te faisait courir derrière les nouveautés et oublier les autres romans… merde alors, un comble ! Note pour plus tard : ne pas aller bosser en librairie ;)

      4. C’est souvent ce que j’expliquais aux gens qui, très souvent, disaient avec un soupir envieux : « oh mais j’aimerais tellement être libraire / avoir ma propre librairie, c’est mon rêve depuis longtemps, pour moi une librairie c’est le paradis… », etc, etc. C’est très émouvant, sans doute sincère, mais ça relève du fantasme le plus pur – et quelque part tant mieux, puisque cela signifie que, pour nombre de gens, les livres, la lecture, et ceux qui les transmettent, sont essentiels à l’existence.
        Cela dit, je ne veux pas paraître mauvais coucheur, j’ai été très heureux, voire franchement gâté, de baigner dans ce milieu pendant plus de vingt ans. Et de me gaver de nouveautés comme si c’était Noël tous les jours, et de découvrir des auteurs et autrices incroyables (parfois dès leur premier livre, et avoir le privilège de pouvoir les suivre durant des années), et d’avoir toutes ces richesses extraordinaires à portée de main, pour rien, puisque les libraires lisent soit des services de presse (offerts par les éditeurs), soit des livres empruntés dans la librairie (et dans ce cas, manipulés avec le plus grand soin).
        C’est juste que, quand tu finis par te lasser, et que tu te sens prisonnier de ce système, et non plus l’un de ses heureux élus, le plaisir disparaît. Et là, il faut s’arrêter, sinon tu deviens un libraire aigri (il y en a, beaucoup trop), et les contraintes du métier (horaires de commerce, samedis travaillés, vie de famille déséquilibrée, rencontres à préparer et animer, lectures à enquiller sans répit le plus vite possible…) se transforment en boulets trop lourds à tirer.

      5. Oui, si demain j’ai envie de relire les Bab Morane ou les club des cinq, personne ne m’en empêchera, tandis qu’un libraire ne peut pas se permettre de ne plus lire QUE ça, autrement, il ne saurait pas vendre les nouveautés… les lecteurs ont une liberté que n’ont pas les professionnels. Ok, il y a des avantages, en effet, mais je n’aimerais pas lire par contrainte, je préfère lire ce que je veux, quand je veux, sans pression autre que celle que je me mets durant des challenge :)

        TOUTES les médailles ont leurs revers et il faut avoir mis les chaussures d’un autre pour le comprendre. On ne me comprend pas quand je réponds que « non, je ne voudrais pas bosser dans une librairie, au milieu des livres », parce qu’ils ne savent pas que le paradis peut devenir un enfer… j’y ai déjà pensé et j’ai compris très vite que non, ce ne serait pas si fun que ça…

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