Les voleurs de Manhattan, d’Adam Langer
Signé Bookfalo Kill
Comment faire, lorsqu’on est un trentenaire fâlot et qu’on écrit des nouvelles bien tournées mais anecdotiques, pour s’imposer dans le milieu littéraire new yorkais, où tout est affaire de relations, d’ego, de stratégie marketing et surtout de paraître ? Réponse : on ne peut pas. Ian Minot, qui végète comme serveur au Morningside Coffee, en fait l’amère expérience.
Jusqu’au jour où il rencontre Jed Roth, un ancien éditeur lui aussi révulsé par les nouvelles pratiques de l’édition locale. Ensemble, ils mettent au point un plan diabolique : transformer un roman d’aventures épique, écrit plusieurs années auparavant par Roth, en une (fausse) autobiographie signée Ian Minot – une histoire tellement rocambolesque que tout le monde ne pourra faire qu’y croire… Et ainsi, se venger en le dupant d’un petit monde qu’ils exècrent tous les deux.
Au début, je me suis demandé si ce roman pourrait intéresser beaucoup de lecteurs ignorant l’essentiel des moeurs particulières du monde du livre. Certes, le milieu éditorial (ici new yorkais, mais ça marche aussi pour la France et pour d’autres pays, à n’en pas douter) est très bien dépeint, avec ses compromissions, ses productions déshonorantes, ses personnages antipathiques, sa curieuse mentalité dans laquelle l’amour de la littérature n’occupe qu’une place minime. C’est amusant, cruel et bien vu ; et donc, peut valoir le déplacement rien que pour ça, y compris pour les « non-initiés ».
Les lecteurs les plus assidus s’amuseront également des néologismes créés par Langer à partir de noms d’auteurs célèbres ou de références littéraires, et regroupés dans un glossaire à la fin du livre. Comment ne pas sourire en le voyant parler de « cheshire » plutôt que de sourire (cf. Alice au pays des merveilles), de « franzens » pour désigner des lunettes branchées, ou de « gatsby » pour un blazer chic et élégant ? Le roman en est joyeusement truffé, et cela devient presque un jeu de les retrouver et d’essayer de deviner ce qu’ils signifient sans filer en fin de livre pour découvrir la définition.
Mais il fallait davantage pour faire décoller le roman. Après avoir patiemment tissé sa toile, fort bien campé ses caractères, détaillé le mécanisme du piège mis en place par Roth et Ian, Adam Langer sort une jolie surprise de son chapeau : une mise en abyme qui précipite son héros dans les affres de la création incarnée, une sorte de roman dans le roman dans le roman – où quand la réalité s’anime des traits de la fiction pour devenir pire qu’elle.
L’idée est très maligne, excellemment mise en oeuvre, et donne au dernier tiers des Voleurs de Manhattan un souffle inattendu et bienvenu ; du rythme, du suspense, un peu de folie, bref tout ce qu’il faut pour quitter le livre avec un sourire satisfait aux lèvres.
Si ce n’est pas le titre le plus ambitieux qu’ait publié l’excellent Oliver Gallmeister (éditeur français de Craig Johnson, Trevanian, David Vann, Tom Robbins et j’en oublie), c’est sans aucun doute sur le sujet un roman plus abouti que Comment je suis devenu un écrivain célèbre, chroniqué l’année dernière par Clarice ici même.
Un très bon moment de lecture, en somme. A recommander notamment à tous les apprentis écrivains, histoire de les déniaiser si besoin est !
Les voleurs de Manhattan, d’Adam Langer
Editions Gallmeister, 2012
ISBN 978-2-35178-050-3
254 p., 22,90€
On en dit également du bien ici : Là où les livres sont chez eux, Les chroniques d’Alfred Eibel
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