À première vue : la rentrée littéraire d’automne 2021 !
Juillet est là, et qui dit juillet dit rentrée. Plus précisément, rentrée littéraire. Et plus précisément encore, le moment est venu de faire place à la désormais traditionnelle présentation de rentrée littéraire sur Cannibales Lecteurs.
Bref, c’est l’heure de la rubrique « à première vue ».
Comme chaque année, j’en rappelle brièvement le principe : il s’agit d’une présentation subjective et non exhaustive de l’habituelle déferlante de parutions littéraires qui nous inonde grosso modo du 15 août au 15 septembre (521 titres annoncés cette année, contre 511 l’année dernière).
Subjective : si je m’efforce de rester aussi neutre que possible, il peut arriver que je mordille un peu à l’évocation de tel résumé déjà lu déjà vu, quand je ne râle pas carrément en abordant le programme des mastodontes, aussi obèse que prétentieux et souvent vain en grande partie.
Non exhaustive : si la diffusion et la distribution des livres font ces derniers temps l’objet de grandes manœuvres tirant vers une concentration inquiétante (pour aller vite, les gros groupes sont de plus en plus gros et voraces, mettant en péril la qualité de la diffusion auprès des libraires – tâche essentielle assurée par les représentants, et qui nous permettent de détecter en amont nombre de perles et de succès inattendus -, voire la variété de l’offre), il y a toujours autant d’éditeurs. Voire de plus en plus, puisque de nombreuses maisons sont apparues ces derniers mois.
En 2020, j’avais déjà bien commencé à étoffer la liste des éditeurs évoqués ici. Cette année, je poursuis l’élargissement du panel, notamment pour parler des petites maisons – ce qui va de pair avec ma propre volonté de chercher des nouvelles voix, des nouvelles pistes de lectures, de nouveaux univers.
On parlera donc, par exemple, de la Peuplade, des Avrils, de Dalva ou d’Emmanuelle Collas – tout en continuant, bien sûr, à parcourir le programme des autres éditeurs, y compris les mammouths (Gallimard, Flammarion, Seuil et compagnie), car il est impossible d’en faire l’économie, à moins d’en faire une question de principe. Mais ce n’est pas le propos ici.
J’en oublierai forcément certains. N’y voyez aucun snobisme ni mépris de ma part. Juste un manque de temps et, sans doute, de curiosité et d’attraits pour les éditeurs en question, vers lesquels je n’ai pas l’habitude de me tourner, à tort ou à raison.
N’oublions pas que la lecture est avant tout affaire d’intuition, de goût, de plaisir, d’identification. Plus on lit, plus on s’accroche à certaines lignes éditoriales plutôt qu’à d’autres. C’est naturel, mais cela ne ferme aucune porte par principe. Si une jolie découverte doit surgir d’ailleurs, elle sera la bienvenue sur ce blog.
Enfin, dernier point, que je copie-colle de mon article de présentation de l’année dernière, parce qu’il n’y rien à en retrancher.
Ces présentations sont l’expression de ma plus profonde subjectivité, et n’hésitent pas à véhiculer, quand l’occasion se présente, une bonne dose de mauvaise foi, d’ironie ou d’agacement.
Je vous en prie, chers amis, relevez-le si cela vous sied, mais ne prenez pas la mouche. Non, je n’aurai lu pratiquement aucun des livres dont je parlerai au moment où je les présenterai. Ces articles ne sont pas des critiques. Ils peuvent, en revanche, devenir parfois des billets d’humeur, l’humeur en question étant plus ou moins mauvaise suivant la qualité apparente de ce qu’on me présente. C’est le jeu de la rubrique « à première vue », et il faut faire avec.
N’hésitez pas à discuter, à commenter, à contester, à m’ouvrir des horizons que je croyais à tort sans intérêt. Mais ne vous énervez pas, je vous en conjure.
Tout ayant été dit, il n’y a plus qu’à commencer : découvrez ci-dessous en images le programme de notre première semaine de présentation, qui débutera lundi matin par les éditions Actes Sud.
Et, d’avance, bonnes lectures à tous !
À première vue : la rentrée Stock 2020

Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.
Intérêt global :
Sabre, d’Emmanuel Ruben
Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.
Le Monde du vivant, de Florent Marchet
Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.
Erika Sattler, d’Hervé Bel
Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.
La Société des belles personnes, de Tobie Nathan
« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.
Aria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)
Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.
Le Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim
La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.
La Grande épreuve, d’Étienne de Montety
L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.
La colère, d’Alexandra Dezzi
Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.
Dernière cartouche, de Caroline de Bodinat
Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)
Les démons, de Simon Liberati
« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?
BILAN
Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.
À première vue : semaine 5, le programme

Bon, voilà, ça y est, on arrive au bout !
Il nous reste encore à évoquer le programme de six derniers éditeurs :
Ensuite, j’essaierai d’ajouter un article avec certains éditeurs qui ne présentent qu’un seul roman, mais avec lesquels il faudra également compter.
Par ailleurs, à mesure que je publiais, j’ai réalisé que j’en avais oublié d’autres qui auraient mérité d’être évoqués ici. Je pense notamment à Buchet-Chastel, à Verticales, à Belfond, au Cherche-Midi, aux éditions de l’Observatoire… Pour être sincère, je ne sais pas si j’aurai le courage de réaliser une session de rattrapage pour eux. Leur absence n’est évidemment pas une marque de mépris ou d’indifférence, mais une simple omission. Rien n’empêchera de les retrouver à la rentrée, voire d’en évoquer certains ici, pourquoi pas !
Bon dimanche à tous, et à demain pour la dernière ligne droite !
À première vue : semaine 4, le programme

Nous attaquerons demain l’avant-dernière semaine de présentation de la rentrée littéraire 2020. Ouf ! Il y a encore de quoi faire, de quoi lire, de quoi découvrir. Même si, de mon côté, j’avoue un peu moins d’attentes et de motifs de curiosité dans le programme des éditeurs qui s’affichent ci-dessous en images.
Je vous recommanderais tout de même un arrêt prolongé sous les branches de l’Olivier (dès demain), et de garder un œil à ce qu’il se passera du côté du Rouergue, de Robert Laffont, voire de P.O.L.…
Bon dimanche à tous, et à demain !
À première vue : la rentrée Lattès 2020

Première occurrence de la maison Lattès dans la rubrique « à première vue ». Fidèle au rendez-vous de la rentrée littéraire, c’est un éditeur dont les parutions m’attirent rarement, d’où ce manque… Même s’il m’arrive d’en apprécier certaines à l’occasion – je garde notamment un souvenir passionné des Gens dans l’enveloppe, d’Isabelle Monnin.
Cette année, Lattès envoie cinq livres sur la ligne de départ. Dont deux Adrien, ce qui n’est sûrement qu’une coïncidence. À première vue, pour être honnête, je n’y vois rien de palpitant, à titre personnel en tout cas. Je vous laisse donc juge de ce programme, qui saura peut-être vous intriguer.
Intérêt global :
Les disparus de Joola, d’Adrien Absolu
Quatre ans après un récit-enquête consacré au virus Ebola, Adrien Absolu récidive dans le même registre, avec une investigation littéraire consacrée au drame du Joola, bateau parti en septembre 2002 avec deux mille personnes à son bord, et qui n’arrivera jamais à destination. Presque tous les passagers périssent lors du naufrage.
Obnubilé par ce drame dont toutes les réponses n’ont sans doute pas encore été livrées, l’auteur se rend à Casamance, et reconstitue heure et heure la journée fatale, tout en enquêtant sur certaines victimes.
Mémoire de soie, d’Adrien Borne
Lorsqu’il part faire son service militaire en juin 1936, Émile n’a aucune idée de la découverte ahurissante qu’il va faire dans le livret de famille, confié par ses parents à l’instant du départ. À côté du prénom de sa mère, le jeune homme découvre en effet celui d’un certain Baptistin. Qui n’est pas celui de son père. C’est le point de départ d’une enquête familiale.
Rien de très original sur le papier, si ce n’est le cadre de l’intrigue, une magnanerie (lieu d’élevage des vers à soie), et son moment, l’entre-deux-guerres. Pas suffisant pour me retenir plus longtemps.
Une piscine dans le désert, de Diane Mazloum
Le refuge d’enfance de Fausta, c’est un village perdu dans les montagnes, à la frontière de trois pays en guerre, dont le sien, le Liban. Dans ce village, elle a fait construire une piscine, sur un terrain qui hélas ne lui appartient pas. Lorsqu’un certain Leo débarque du Canada pour régler la vente du terrain en question, qui appartient à sa famille, tout bascule, l’espace de trois jours dans ce village fascinant, lieu de paix à la croisée des périls…
Adios Cow-Boy, d’Olja Savicevic
(traduit du croate par Chloé Billon)
De retour dans sa ville natale, Dada retrouve sa mère et sa sœur avec l’espoir de libérer sa famille du passé. Telle une cavalière solitaire, elle enfourche sa mobylette pour tenter de faire la lumière sur la mort de son jeune frère, passionné de westerns, disparu quatre ans plus tôt.
Un roman d’apprentissage qui offre le portrait d’une génération perdue, au cœur d’une banlieue croate abîmée par la guerre.
Noces de jasmin, d’Hella Feki
En janvier 2011, à l’aube du Printemps Arabe, un jeune journaliste croupit dans les geôles tunisiennes, dans l’attente de son sort. Dehors, pour tromper l’inquiétude, la femme qui l’aime part sur ses traces, remontant jusqu’à sa ville natale, dans l’espoir de le retrouver, pendant que son père se remémore l’indépendance.
À première vue : la rentrée Liana Levi 2020

À l’instar de nombre de ses confrères et consœurs de taille moyenne, pas de changement de ligne chez Liana Levi, qui présente trois nouveautés en cette rentrée littéraire 2020. Au menu, un premier roman, un deuxième extrêmement attendu, et l’édition inédite du premier roman d’un auteur américain emblématique de la maison. Du très solide, et en même temps une certaine prise de risque, qui suscite de mon côté pas mal de curiosité et d’impatience.
Intérêt global :
Arène, de Négar Djavadi
Son premier roman, Désorientale, a été un triomphe de librairie, aussi bien en grand format qu’en poche. Quatre ans plus tard, le retour de la romancière française d’origine iranienne Négar Djavadi constitue un événement, auquel répondront sans doute nombre de lecteurs envoûtés par son premier opus – à condition, bien sûr, que le deuxième soit à la hauteur. C’est toute la question que posent Arène et son titre énigmatique.
Négar Djavadi y fait le pari d’une plongée sociologique brûlante, puisque l’arène en question, c’est Paris. Les quartiers est de la ville en particulier. Tout commence par un geste presque anodin, le vol d’un téléphone portable dans un bar-tabac de Belleville. Sauf que la victime, Benjamin Grossman, est l’un de ces jeunes cadres dynamiques à qui tout réussit, et qui ne conçoit pas de subir ce genre d’avanie. La suite, c’est un dérapage incontrôlé. Une poursuite, une bagarre, puis une intervention policière qui tourne mal. Le voleur, un adolescent, y laisse la vie. Et tout s’embrase, car la scène a été filmée par une jeune fille…
D’un fait divers mettant le feu aux poudres et projetant sur la scène nombre de personnages qui ne s’y attendaient pas ni ne le souhaitaient, la romancière tire la matière d’une tragédie humaine totalement ancrée dans notre réel. Et lance une sacrée promesse aux lecteurs.
La Cuillère, de Dany Héricourt
Alors qu’elle veille au chevet de son père qui vient de mourir, une jeune fille de 18 ans remarque sur la table de nuit une cuillère. L’objet, qu’elle n’a jamais vu auparavant l’intrigue tant qu’il détourne son attention du chagrin, et va la lancer dans une quête pour le moins inattendue, depuis l’hôtel familial au Pays de Galles jusqu’en Bourgogne…
Voici pour le premier roman de la rentrée Liana Levi, qui promet malice et inattendu, pour peu que la promesse du résumé soit tenue.
Mississippi Solo, d’Eddy L. Harris
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Pascale-Marie Deschamps)
Certes, Mississippi Solo est aussi le premier roman d’Eddy L. Harris, mais ce n’est pas le premier que publie Liana Levi en France. L’auteur américain, qui vit désormais dans notre pays, s’est déjà fait connaître par Harlem, Jupiter et moi (aucun lien avec le gars qui habite à l’Élysée en ce moment), et Paris en noir et black.
Ce livre fondateur est un récit de voyage initiatique, celui que l’auteur a accompli à l’âge de trente ans le long du mythique fleuve américain. Une descente en canoë au cœur de l’Amérique, qui l’amène à se confronter à la puissance de la nature américaine, mais aussi à l’humanité dans toute sa splendeur, faisant au passage l’expérience d’un racisme qu’il n’avait jamais eu à affronter auparavant.
BILAN
Lectures très probables :
Arène, de Négar Djavadi
La Cuillère, de Dany Héricourt
Mississippi Solo, d’Eddy L. Harris
Impossible de les départager, les trois me font envie…
À première vue : la rentrée Globe 2020

Attention, ça va déménager !
Du côté des éditions Globe, la tendance n’est jamais à la tiédeur. Structure atypique et courageuse au sein du groupe École des Loisirs, cette petite maison publie une dizaine de titres par an et compte déjà quelques références extraordinaires à leur catalogue (en ce qui me concerne, La Note américaine de David Grann et Les frères Lehman de Stefano Massini figurent parmi mes lectures les plus stupéfiantes de ces dernières années), toutes ses publications ayant en commun un regard puissant sur le monde, un engagement sans faille et une quête de vérité humaine.
Trois nouveaux livres sont annoncés en cette rentrée 2020 qui, à première vue, promet de sérieusement secouer.
Intérêt global :
Fille, femme, autre, de Bernardine Evaristo
(traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Françoise Adelstain)
Récompensé par le Booker Prize en 2019 (ce qui n’est pas rien, d’autant que l’auteure est la première femme noire à le recevoir), Fille, femme, autre est le premier livre traduit en France de Bernardine Evaristo, auteure anglo-nigériane de 60 ans. Dans ce roman choral, on suit douze personnages en autant de chapitres, douze femmes, noires pour la plupart, âgées de 19 à 93 ans, toutes en quête de bonheur et d’une place dans une société anglaise qui n’a rien prévu pour elles. Choix de narration audacieux (qui rappelle celui des Frères Lehman), leurs voix s’expriment en vers libres. Si le résultat est aussi réussi que le livre de Stefano Massini, cela promet un récit sacrément fort.
Delicious Foods, de James Hannaham
(traduit de l’américain par Cécile Deniard)
Bienvenue dans le monde merveilleux de l’esclavage moderne. Avec ce livre inspiré de faits réels qui se sont déroulés en 1992, James Hannaham décrypte la manière dont des millions de gens, victimes de drames insurmontables ou d’addictions fatales, se retrouvent enchaînés à des exploiteurs sans pitié qui les transforment en bagnards des temps modernes, au service de l’industrie agro-alimentaire mondiale. Pour exprimer cette horreur, le romancier a choisi trois voix : celle d’une mère asservie, celle d’un fils révolté… et celle de la drogue. La drogue en personne, incarnée, dont on comprend, par les mots que lui procure l’auteur, le pouvoir fatal de séduction.
Roman choc en perspective.
Coupable, de Reginald Dwayne Betts
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié)
Valentine Gay, l’éditrice de Globe, ne se repose jamais sur ses lauriers. Avec Coupable, elle inaugure une nouvelle collection de poésie. Par ses vers et par ses rimes, Reginald Dwayne Betts raconte le système carcéral américain de l’intérieur, notamment du point de vue des innombrables mineurs qui y échouent. Il sait de quoi il parle, lui qui fut emprisonné à l’âge de seize ans, et pendant huit ans, dans un quartier de haute sécurité. Il puise notamment son inspiration dans des documents juridiques qu’il détourne par son travail poétique.
BILAN
Peu importe la forme littéraire, au fond, du moment que l’engagement et la vision du monde sont au rendez-vous. Voilà encore un authentique point de vue d’éditeur, qui mérite d’être salué et soutenu. Penchez-vous sur le travail des éditions Globe, il mérite largement le détour.
Lecture hautement probable :
Delicious Foods, de James Hannaham
Lectures potentielles :
Fille, femme, autre, de Bernardine Evaristo
Coupable, de Reginald Dwayne Betts
À première vue : la rentrée Gallmeister 2020

Fidèle à ses habitudes, Gallmeister affiche une rentrée ramassée (trois titres), entièrement consacrée à la littérature américaine, tout en prenant des risques : autour de Benjamin Whitmer, auteur installé de la maison, on pourra en effet découvrir deux premières traductions.
Du solide, du classique, et la possibilité de belles lectures.
Intérêt global :
Les dynamiteurs, de Benjamin Whitmer
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos)
Quatrième traduction de l’explosif (ah ah) Benjamin Whitmer, après les noirissimes Pike, Cry Father et Évasion. Les deux premiers étaient contemporains, le troisième remontait aux années 60 ; ce nouvel opus nous ramène à la fin du XIXème siècle, du côté de Denver. Sam et Cora, deux jeunes orphelins, règnent sur une bande d’enfants abandonnés, qu’ils protègent des attaques lancées par les clochards des environs, lesquels en veulent à l’usine désaffectée où ils ont élu domicile. Lors d’une bataille, un homme porte secours aux enfants, au risque de sa vie. Tandis que Cora soigne l’étrange colosse muet, Sam commence à s’intéresser au monde violent et mystérieux des bas-fonds – au risque de briser ce qu’il a construit, dont son amitié avec Cora…
400 pages. Qui dit mieux ?
Dans la vallée du soleil, d’Andy Davison
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Laure Manceau)
Attention, premier roman inclassable. Son protagoniste, Travis Stillwell, parcourt les routes du Texas en quête de femmes solitaires. Un soir, le cours d’une de ces rencontres lui échappe. Lorsqu’il se réveille le lendemain, la fille a disparu et il est couvert de sang. Sauf que la fille réapparaît pour le hanter, menaçant de le détruire. Travis se réfugie dans un motel où, contre toute attente, il se lie avec la jeune veuve qui le tient ainsi qu’avec son fils. Mais les fantômes de Travis ne le lâchent pas…
480 pages. Qui dit mieux ?
Betty, de Tiffany McDaniel
(traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe)
Deuxième traduction pour Tiffany McDaniel en France après L’été où tout a fondu, paru l’année dernière chez Joëlle Losfeld.
Sixième des huit enfants d’un père cherokee et d’une mère blanche, Betty « la Petite Indienne » souffre, comme les siens, de difficultés à s’intégrer en raison de son sang mêlé. Pour affronter l’errance, en quête du havre de paix qui doit bien exister quelque part pour enfin les accueillir, et la violence sourde du monde des adultes, Betty écrit. Elle confie au pouvoir des mots la charge de la garder debout. Les pages qu’elle rédige, elle les enterre tout au long de son chemin – en espérant qu’un jour, ces fragments souterrains ne forment plus qu’une seule histoire, la sienne et celle de sa famille…
Bon, allez, 720 pages et on n’en parle plus.
BILAN
Pour apprécier cette rentrée Gallmeister, il faudra avoir un peu de temps devant soi.
Potentiellement, tout m’intéresse, mais il sera difficile de tout lire.
Donc, pour l’instant, je ne tranche pas… On verra le moment venu !
À première vue : la rentrée Gallimard 2020

Intérêt global :
Voici venir mon moment préféré lorsque je travaille sur la rubrique « à première vue » : la présentation de la rentrée littéraire Gallimard…
D’ordinaire pléthorique et relativement indigeste, ce qui occasionne de ma part quelques fréquentes poussées d’urticaire critiques, la rentrée 2020 de Tonton Antoine s’inscrit dans la tendance générale à la baisse des gros éditeurs, pour prendre en compte les répercussions de la crise sanitaire du premier semestre. Si, si, je vous assure ! Au lieu d’une vingtaine de titres, le tarif habituel, nous n’aurons droit qu’à… 13 parutions (si j’ai bien compté, parce qu’il n’est pas facile de s’y retrouver dans l’avalanche de sorties estampillées Gallimard, entre les poches, les essais, les livres audio, les polars…)
Et dans ces 13, on retrouve essentiellement de la grosse cavalerie. Pas forcément synonyme de qualité ni d’enthousiasme délirant, hein, je vous rassure. Même si certains auteurs, dans le lot, sont sans doute incontournables. Je vais essayer de leur réserver la meilleure place dans ses lignes.
COMME SON TITRE L’INDIQUE
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
On le connaît surtout en brillant amuseur public, membre de l’OuLiPo, plume virtuose quand il s’agit de jouer avec les mots. Mais c’est aussi un excellent écrivain tout court, qui fait par ailleurs son entrée chez Gallimard avec ce nouveau roman, après être passé chez Lattès et le Castor Astral, entre autres. Un signe ?
En mars 2021, un avion en provenance de Paris atterrit à New York après un vol marqué par de violentes turbulences. Trois mois plus tard, le même avion réapparaît au-dessus de New York, avec le même équipage et les mêmes passagers à son bord – provoquant une crise médiatique, scientifique et politique sans précédent…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce résumé promet une escapade originale, une belle réflexion sur le double et l’identité, et un bousculement salvateur de la logique.
Et puis, comment ne pas accorder du crédit à quelqu’un qui écrit :
« A quarante-trois ans, dont quinze passés dans l’écriture, le petit monde de la littérature lui paraît un train burlesque où des escrocs sans ticket s’installent tapageusement en première avec la complicité de contrôleurs incapables, tandis que restent sur le quai de modestes génies… »
IL CAPO
Impossible, d’Erri De Luca
(traduit de l’italien par Danièle Valin)
La montagne pour décor. Un texte bref (moins de 200 pages), une pensée et un style épurés, une intelligence percutante. On connaît, Erri De Luca nous a déjà fait le coup à plusieurs reprises. Et pourtant, on y retourne à chaque fois, parce que la déception est pratiquement impossible avec cet immense écrivain italien, sensible et engagé.
Cette fois, tout commence par une chute. Un homme dévisse dans les Dolomites, un autre donne l’alerte. Fait troublant, les deux se connaissaient de longue date, compagnons de lutte révolutionnaire quarante ans plus tôt. L’homme tombé avait dénoncé celui qui a signalé sa dégringolade. Le juge chargé de l’affaire refuse d’y voir une coïncidence et suspecte une vengeance savamment agencée. Entre le jeune magistrat et le vieil homme commence alors, sous couvert d’interrogatoire, un dialogue sur l’amitié et la trahison, la justice et l’engagement.
DE LA SAGESSE, DE L’ÉDUCATION ET DES RÊVES
Les caves du Potala, de Dai Sijie
En 2019, L’Évangile selon Yong Sheng a marqué le grand retour de Dai Sijie vers le succès depuis Balzac et la petite tailleuse chinoise. Son nouveau roman sera donc sûrement scruté, au moins par la presse. Le Potala du titre est l’ancien palais du Dalaï-Lama au Tibet. En 1968, après l’avoir investi et forcé le dignitaire religieux à l’exil, les Gardes Rouges emprisonnent le peintre Bstan Pa, et le soumettent à un interrogatoire serré. L’artiste y répond, et y résiste, en opposant à la violence politique la sagesse du bouddhisme et une vie dédiée à l’art.
Fille, de Camille Laurens
Être une femme, assumer son sexe, trouver sa place dans la société en tant que femme, affronter le sexisme ordinaire, ces questionnements sont au cœur du travail de Camille Laurens. Ce nouveau roman au titre révélateur s’ouvre à Rouen, dans la famille Barraqué, dont Laurence est l’une des deux filles. Elle grandit dans la certitude, assénée par l’éducation de ses parents et le contexte social, qu’en toutes choses les hommes décident et dominent. L’expérience de l’âge adulte puis de la maternité, dans les années 90, vont l’amener à reconsidérer cette posture, et à repenser son existence à la lumière du féminisme.
Broadway, de Fabrice Caro
Fabcaro lorsqu’il dessine (Zaï Zaï Zaï Zaï) reprend son nom complet lorsqu’il se fait littéraire. Un domaine où il rencontre également le succès, puisque Le Discours, son précédent roman, a largement rencontré ses lecteurs, et va devenir à la rentrée un spectacle seul en scène adapté et interprété par Simon Astier, ainsi qu’un film réalisé par Laurent Tirard, avec les acteurs à la mode Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau.
Autant dire que son nouvel opus est lui aussi attendu, et que son résumé promet de retrouver son univers si particulier, mêlant humour raffiné, sens de l’absurde et profonde mélancolie existentielle. Axel est un homme qui a réussi. 46 ans, marié, deux enfants, un emploi, une maison, des voisins sympas qui vous invitent à leurs barbecues ou à faire du paddle à Biarritz… que demander de plus ? Hé bien, du rêve, du vrai. Celui des origines. Le rêve scintillant et glorieux d’une carrière pleine de succès sur les planches de Broadway… Et si c’était le moment de franchir le pas ?
DE L’ART
Térébenthine, de Carole Fives
On connaissait Carole Fives en observatrice acide des relations familiales. La voici qui semble faire un pas de côté, et élargir son point de vue – tout en conservant une base autobiographique car, comme son héroïne, elle est passée l’École des Beaux-Arts.
Ce que fait donc sa narratrice, au début des années 2000, alors que la peinture est considérée comme morte. Même dans ce supposé sanctuaire de l’art pictural, rien n’est fait pour encourager les jeunes vocations, qui se heurtent à l’hostilité des professeurs ou des galeries d’exposition.
Il n’en faut pas plus pour que la jeune femme s’obstine, montant notamment avec des amis un groupe clandestin qui œuvre dans les sous-sols de l’école, à l’insu de tous, refusant de baisser les bras et de ne pas croire dans la possibilité de l’art quoi qu’il arrive…
Art Nouveau, de Paul Greveillac
Je serai curieux (un peu, pas trop non plus) d’entendre l’auteur parler de son livre. Parce que, sur le papier, nombre de choses m’intriguent à son sujet. Son héros s’appelle Lajos Ligeti, et est un architecte viennois qui, en 1896, part à Budapest pour tenter de développer en toute liberté, dans une ville où tout est à faire, ses propres conceptions artistiques et architecturales.
Bon.
Réflexe personnel : je fais tout de suite une recherche pour savoir si c’est une fiction inspirée de faits et de personnages réels ou non. Je trouve bien un Lajos Ligeti, mais qui est né à Budapest en 1902, et était orientaliste et philologue.
Du coup, je suis perplexe : pourquoi nommer ainsi son personnage, d’un nom qui n’est tout de même pas anodin ni passe-partout ?
C’est peut-être se prendre la tête pour rien, hein. N’empêche, reconnaissez que c’est troublant. Un romancier qui fait bien son travail ne nomme pas son personnage sur un coup de tête. Un nom, c’est déjà du sens. En tout cas, ça me perturbe. Presque autant que de savoir s’il va réellement être question d’Art Nouveau dans le roman, car le résumé évoque les envies de construction en béton du protagoniste, choix de matériau qui sera plutôt l’apanage du mouvement suivant, l’Art Déco… Cela dit, en 1896, on est en plein Art Nouveau, donc ça se tient.
Bref, tout ceci m’intrigue. Mais ce n’est pas pour autant que je lirai ce livre, pour être honnête.
(Donc, tout ça pour ça, hein ? Ben ouais.)
DES ÉCRIVAINS
Les secrets de ma mère, de Jessie Burton
(traduit de l’anglais par Laura Derajinski)
Rose Simons cherche des informations sur sa mère, disparue peu après sa naissance. En enquêtant, elle découvre que la dernière personne à avoir officiellement vu Élise est une écrivaine, alors au faîte de sa gloire littéraire, qui vit désormais recluse et oubliée…
Par l’une des jeunes romancières anglaises les plus prometteuses de ces dernières années.
La Dernière interview, d’Eshkol Nevo
(traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche)
Un célèbre écrivain répond aux questions de ses internautes, ce qui l’amène à s’interroger sur son couple, ses relations compliquées avec ses enfants, son angoisse pour son meilleur ami atteint d’un cancer…
Je ne connais pas Eshkol Nevo. Je ne l’ai jamais lu, ni ne me suis intéressé de près ou de loin à son parcours. Il semblerait qu’il soit un auteur important en Israël, et à lire des interviews, qu’il ait des choses intéressantes à dire. Pour être honnête, ce n’est pas avec ce nouveau roman que je pense changer la donne.
Les funambules, de Mohammed Aïssaoui
Le héros de ce roman exerce la curieuse profession de biographe pour anonymes. Il écrit la vie des gens dont personne ne parle, les glorieux inconnus du quotidien. Depuis quelque temps, il s’intéresse aux bénévoles qui consacrent leur temps et toute leur énergie à aider les plus démunis. Peut-être dans l’espoir de retrouver Nadia, son amour de jeunesse…
VOICI VENU LE TEMPS DES RITES ET DES CHAMPS
Les roses fauves, de Carole Martinez
L’auteure du Cœur cousu s’appuie sur une étonnante tradition espagnole pour nourrir l’intrigue de son nouveau roman (et faire étrangement écho à son premier) : en Andalousie, les femmes qui sentaient la mort approcher cousaient des coussins en forme de cœur, qu’elles bourraient de petits papiers où elles rédigeaient leurs secrets. Après leur disparition, les coussins étaient confiés à leurs filles, avec l’interdiction absolue de les ouvrir.
Lola, l’héroïne du roman, coule des jours paisibles en Bretagne, entre le bureau de poste où elle travaille et son jardin où elle cultive son petit bonheur tranquille. Dans son armoire, elle conserve précieusement les coussins des femmes de sa famille. Jusqu’au jour où l’un d’eux, en se déchirant par accident, révèle les secrets d’une de ses aïeules et bouleverse son existence…
Le Palais des orties, de Marie Nimier
Au fond d’une campagne française à l’abandon, entre des hangars de tôle rouillée et des champs d’ortie, une famille avec deux enfants vivote tant bien que mal, entre débrouille au quotidien et joie tranquille. Un jour, une jeune femme débarque. Frederica fait du woofing : contre le gîte et le couvert, elle offre son aide et ses bras pour la culture des champs. Elle amène aussi une forme de passion à laquelle Nora, la mère, ne va pas rester insensible.
Les orties, ça pique. Et l’amour aussi.
ET SINON…
Comédies françaises, d’Eric Reinhardt
Parce que je ne sais pas sous quelle rubrique le classer, et parce que je n’ai jamais réussi à m’intéresser à son travail (peut-être à tort, hein), voici Eric Reinhardt bon dernier, ce qu’il ne sera probablement pas auprès de la presse qui a l’habitude de le défendre et de le mettre en avant.
Son protagoniste, un jeune journaliste de 27 ans, décide de s’intéresser aux débuts d’Internet. Son enquête l’amène sur les traces d’un ingénieur français dont les recherches révolutionnaires sur le système de transmission des données furent brutalement suspendues par les pouvoirs publics au milieu des années 70. Cette découverte le met sur la piste vers le pouvoir des lobbies, incarné par un puissant industriel dont l’ombre rôde dans les parages.
BILAN
Lecture certaine :
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
Lectures probables :
Impossible, d’Erri De Luca
Broadway, de Fabrice Caro
Lecture éventuelle :
Les caves du Potala, de Dai Sijie
À première vue : la rentrée Flammarion 2020

Intérêt global :
Sept titres. Voici enfin un « gros » éditeur qui semble avoir compris les enjeux de la crise et qui a réellement resserré son programme de rentrée. Par ailleurs, Flammarion envoie ses poids lourds en première ligne – Alice Zeniter, Serge Joncour, Philippe Djian -, histoire d’assurer le coup. Comme souvent avec cette maison, c’est solide, pas forcément clinquant, mais on peut d’ores et déjà être sûr qu’elle tiendra son rang dans les places d’honneur.
TÊTES D’AFFICHE
Comme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter
Il y a trois ans, L’Art de perdre (prix Goncourt des Lycéens) avait enfin propulsé cette jeune romancière prometteuse sous les projecteurs, et à raison. Alice Zeniter se retrouve donc forcément attendue pour son retour, qu’elle a choisi de mener sur une voie plus contemporaine et politique.
Elle y suit en effet le parcours de deux jeunes gens, deux trentenaires qui essaient, chacun à leur manière, de repenser le monde dans lequel nous vivons. L’un, Antoine, est assistant parlementaire, et se demande comment renverser la détestation de l’action politique (et de ses acteurs) qui semble gagner une frange de plus en plus importante de la population. L’autre, L, est hackeuse, et œuvre en coulisses et en toute illégalité pour démolir les privilèges indus, punir les mauvaises pratiques et tenter d’abattre ceux qui creusent chaque jour un peu plus les inégalités. Ils ne sont ni « méchants » ni « gentils ». Parce qu’ils veulent encore croire qu’un autre monde est possible, ils se battent avec leurs petites armes, leur volonté et leur espoir.
J’ai lu les premières pages : l’écriture est puissante, le regard affûté, le ton mordant d’emblée. Alice Zeniter paraît au rendez-vous. Si c’est le cas de bout en bout, bonne nouvelle !
Nature humaine, de Serge Joncour
Fidèle de la rentrée littéraire (un roman tous les deux ans environ) et des listes de meilleures ventes, Serge Joncour est la deuxième locomotive de Flammarion. Il nous ramène sur cette nuit de terrible tempête sur laquelle, comme un signe du destin, s’acheva 1999 et commencèrent les années 2000. Tandis que les éléments se déchaînent à l’extérieur, un homme reste reclus dans sa ferme du Lot. Ce qu’il craint, ce n’est pas la violence du ciel que l’arrivée des gendarmes. Car ils viendraient mettre un point final à son histoire, qui est aussi celle du monde paysan en France, et au-delà, toute une manière de concevoir la société.
Avec ambition, Joncour s’attache à remonter trente ans de l’Histoire récente du pays, et à essayer de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Un socle humain pour sonder le politique, voilà encore un roman qui devrait faire parler de lui.
2030, de Philippe Djian
Mine de rien, c’est un petit événement dans le Landerneau (ou pas). Après avoir été longtemps l’une des plumes phares de Gallimard, Philippe Djian rejoint l’écurie Flammarion avec un titre qui se passe de commentaire.
2030, ça paraît encore loin, non ? C’est demain. C’est presque déjà aujourd’hui. Dans ce roman qui joue d’une légère anticipation pour mieux éclairer le présent, Djian interroge un monde qui continue à courir à sa perte. Greg, son héros, est tiraillé entre son patron, à la tête d’un laboratoire aux pratiques litigieuses (et accessoirement mari de sa sœur), et sa nièce Lucie qui s’engage à fond dans la lutte pour l’écologie – à la manière de de cette jeune filles suédoise qui, à la fin des années 2010, faisait office de Jeanne d’Arc de l’environnement…
SOLEIL DE MINUIT
Une fille de rêve, d’Eric Laurrent
Encore un transfuge, tiens. Mais celui-ci fera moins de bruit que Djian. Eric Laurrent a pourtant publié douze romans aux éditions de Minuit avant d’arriver cette année chez Flammarion. Il y amène Nicky Soxy, figure centrale de son précédent roman, Un beau début, dans lequel il relatait ses origines à la fois modestes et cradingues. En effet, avant d’être cette vedette éphémère dont le seul talent est d’être célèbre pour être célèbre, elle fut Nicole Sauxilange, camarade de classe du narrateur et, accessoirement, fille de son grand-père (oui, beurk). Dans Une fille de rêve, Eric Laurrent s’attache à raconter l’éclosion de la star, ses splendeurs et misères de courtisée moderne la vouant à une disparition aussi brutale que son apparition.
AU CŒUR DES (IM)POSSIBLES
Sexy Summer, de Mathilde Alet
Après avoir parcouru les premières pages de ce roman, je crois qu’il serait judicieux de ne pas le juger trop vite, sur la mauvaise mine de sa couverture bas de gamme et son titre racoleur de bluette pour ados. (De l’importance de l’emballage, encore une fois.)
D’adolescence il est bien question ici, mais pas sous l’angle convenu auquel on pourrait s’attendre. Juliette, la jeune héroïne du troisième roman de Mathilde Alet (après deux premiers publiés en Belgique chez Luce Wilquin), souffre de la « maladie des ondes », ce qui pousse ses parents à quitter Bruxelles pour s’installer à la campagne. Là, ils pensent avoir fait le nécessaire pour préserver leur fille de la douleur. Mais les étendues désertes du plat pays peuvent receler d’autres formes de violence…
En rédigeant cette présentation, je repense à Adeline Dieudonné et son formidable premier roman, La Vraie vie. Méfions-nous des jeunes romancières belges, elles ont tendance à avoir du talent.
Sale bourge, de Nicolas Rodier
Là encore après examen des premières pages, je suis un peu moins convaincu par ce premier roman. Aîné d’une famille nombreuse des milieux aisés où l’on vit ancré dans la certitude qu’on a tous les droits, Pierre a néanmoins grandi dans la violence, sous la coupe notamment d’une mère tyran. Devenu adulte, il finit par reproduire le même schéma et se retrouve en garde à vue après avoir frappé sa femme. L’occasion d’opérer un retour en arrière et de chercher dans son enfance « privilégiée » les racines de son mal…
Le sujet – sonder les origines de la violence dans les milieux bourgeois – est intéressant, même s’il n’est pas neuf. Sur le peu que j’ai lu, toutefois, le style m’a paru manquer un peu de relief. À voir, peut-être, sur la longueur.
Inge en guerre, de Svenja O’Donnell
(traduit de l’anglais par Pierre Guglielmina)
La guerre observée du côté des femmes allemandes. Voilà un point de vue qu’on n’a sans doute pas trop l’habitude de rencontrer, et qui pourrait donner de l’intérêt à ce récit de Svenja O’Donnell. Celle-ci, en remontant vers le passé toujours gardé secret de sa grand-mère Inge, se livre à une quête des origines, de la vérité familiale envers et contre tout.
BILAN
Lecture probable
Comme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter
Lectures envisageables
Sexy Summer, de Mathilde Alet
Nature humaine, de Serge Joncour