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La Fille qu’on appelle, de Tanguy Viel

Éditions de Minuit, 2021

ISBN 9782707347329

176 p.

16 €


Quand il n’est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui.
Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l’aider à trouver un logement.


Il y a dans ce résumé sibyllin, parfaitement dans la manière des éditions de Minuit, une volonté de rester évasif sur le sujet du roman – tout en suggérant avec ironie que l’affaire sera autrement plus complexe.
C’est le cas, en effet, et je vais tâcher d’en dire un peu plus sans en dire trop, pour ne pas déflorer ce que les 176 pages à l’os de Tanguy Viel racontent avec brio.

Quand je dis « à l’os », j’évoque la concision du livre, pas son style. Tanguy Viel est tout sauf un écrivain minimaliste. Sa phrase se déploie avec ampleur, habile enchâssement de subordonnées et d’incises dont l’intrication saisit la complexité des pensées, des situations et des destins de ses personnages.
Ce goût de la phrase longue et complexe peut déconcerter au début, surtout aujourd’hui où la phrase courte, la simplification grammaticale et un emploi pas toujours maîtrisé du présent de l’indicatif comme temps de la narration font figure de références. Il faut prendre le temps, donc, de se couler dans ce rythme particulier, d’épouser le cours sinueux d’une écriture dans laquelle, paradoxalement, chaque mot compte et aucun n’est de trop.

C’est ce style, du reste, qui permet à Tanguy Viel d’élever ce roman (comme les autres auparavant) au-dessus de la mêlée, et au-dessus d’un sujet qui, sans cet admirable travail linguistique, paraîtrait convenu, largement déjà lu.
De quoi est-il question, si l’on peut en dire un peu plus que dans la quatrième de couverture ? De ce qui est sans doute la figure la plus classique dans l’histoire de l’humanité. Les forts contre les faibles, les puissants contre les modestes, les tireurs de ficelle contre les marionnettes, les acteurs principaux contre les figurants. Les filles qu’on appelle (en anglais… call-girls) et les hommes qui convoquent, sûrs de leur bon droit et de leur impunité.

La Fille qu’on appelle pourrait composer un diptyque avec Article 353 du Code Pénal, une sorte de revers de la médaille ou de miroir déformant. Car il y est en effet à nouveau question de justice, à la fois au sens technique et moral du terme.
Technique, parce que l’essentiel de la narration est articulé autour d’un interrogatoire de police, celui de Laura, la fille de Max Le Corre, par deux officiers qui enregistrent sa plainte. De la même manière que, dans Article 353…, il s’agissait d’une confrontation entre le protagoniste et un juge d’instruction.
Moral, parce que le livre pose, en creux, la question fondamentale d’une possibilité d’équité dans une société régie par les rapports de force. Et qu’il offre des éléments de réponse sans s’imposer pour autant en roman à thèse, sans démagogie aucune. La fatalité qui conduit la narration fait office de simple constat, et la toute dernière page, froide, distanciée, ne laisse guère de place à l’utopie – évolution notable par rapport à Article 353, d’où l’idée d’un revers de la médaille.

Très subtil, parfaitement maîtrisé, à la fois inéluctable et puissamment réflexif, La Fille qu’on appelle met le brillant exercice de style au service de son sujet, équilibrant fond et forme à un très haut niveau de littérature.
Accessoirement, pour la dernière année d’Irène Lindon à la tête des éditions de Minuit avant le passage de la prestigieuse maison sous la houlette de Gallimard, cela ferait un très beau Goncourt.


À première vue : la rentrée Zoé 2020

index


Intérêt global :

sourire léger


Je n’ai jamais parlé des éditions Zoé par ici. Et, franchement, on n’est pas loin de la faute professionnelle, tant cette maison suisse a su, ces dernières années, renouveler son catalogue et aligner quelques découvertes remarquables. Je pense notamment au romancier canadien Richard Wagamese (dont je n’ai jamais chroniqué les livres sur ce blog, ce qui est carrément honteux tant je le considère comme l’une de mes plus belles découvertes anglo-saxonnes de ces dernières années), ou à la jeune Française d’origine coréenne Elisa Shua Dusapin – qui figure d’ailleurs dans cette rentrée 2020, au côté d’une consœur française qui fait son entrée dans la maison, et d’un auteur sud-africain déjà publié par Zoé.


Elisa Shua Dusapin - Vladivostok CircusVladivostok Circus, d’Elisa Shua Dusapin

C’est un cirque, à Vladivostok. (Oui, le titre du roman a été judicieusement choisi.) À l’abandon entre deux saisons, il accueille trois athlètes qui s’entraînent à la barre russe et se préparent à un concours international, où ils ont l’ambition de réussir quatre sauts périlleux sans descendre de la barre. Le genre de performance qui nécessite un entraînement intensif, et une confiance sans faille entre Anna, la fille du trio, et les deux garçons qui la font voltiger, Nino et Anton.
Romancière pointilliste, qui exprime autant par ses mots choisis avec soin que par les silences et les non-dit qu’elle ménage entre eux, Elisa Shua Dusapin devrait surprendre encore une fois, après son superbe Hiver à Sokcho (qui se déroulait en Corée, pas loin de la frontière entre le nord et le sud) et Les billes du Pachinko, ancré à Tokyo mais encore habité par les racines coréennes de la jeune auteure.

Colombe Boncenne - Vue merVue mer, de Colombe Boncenne

Après une première brique posée chez Stock alors qu’elle avait à peine vingt ans, Colombe Boncenne a œuvré dans le monde de l’édition avant de revenir quatorze ans plus tard chez Buchet-Chastel avec un deuxième roman très remarqué, Comme neige. Il aura donc fallu attendre encore quatre ans pour la voir reprendre la plume, désormais hébergée chez Zoé, et signer Vue mer, un bref texte d’une centaine de pages. Où l’on fait connaissance avec Stefan, un chef d’entreprise décidé à annoncer une grande nouvelle qui va bouleverser la vie de son entreprise. Sauf que, en ce matin décisif, sa voiture ne démarre pas. Et voici le patron, cloîtré dans sa voiture, qui s’adresse tout de même à ses employés – lesquels, on le découvre, tiennent tous un rôle précis dans cette vaste comédie humaine qu’est le quotidien d’une entreprise…

Ivan Vladislavic - DistanceDistance, d’Ivan Vladislavic
(traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Georges Lory)

Branko sait comment on embrasse les filles, rêve de gagner le Tour de France et aime fouiller dans les affaires de son petit frère Joe. Qui, lui, joue aux billes, invente des langages farfelus et rassemble dans des albums les coupures de journaux qu’il lit sur son idole, Mohamed Ali. Même si, dans cette famille sud-africaine blanche des années 1970, leur père refuse d’appeler le mythique boxeur autrement que Cassius Clay.
Quarante ans plus tard, Joe décide de s’inspirer de ses albums pour son nouveau roman. À l’aide de Branko, il va réduire la distance qui les sépare de leur passé commun.


BILAN


Lecture probable :
Vladivostok Circus, d’Elisa Shua Dusapin

Lectures hypothétiques :
Vue mer, de Colombe Boncenne
Distance, d’Ivan Vladislavic


À première vue : la rentrée Stock 2020

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Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.


Intérêt global :

mécontent


Emmanuel Ruben - SabreSabre, d’Emmanuel Ruben

Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.

Florent Marchet - Le monde du vivantLe Monde du vivant, de Florent Marchet

Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.

Hervé Bel - Erika SattlerErika Sattler, d’Hervé Bel

Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.

Tobie Nathan - La société des belles personnesLa Société des belles personnes, de Tobie Nathan

« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.

Nazanine Hozar - AriaAria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)

Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.

Olivia Elkaim - Le Tailleur de RelizaneLe Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim

La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.

Etienne de Montéty - La grande épreuveLa Grande épreuve, d’Étienne de Montety

L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.

Alexandra Dezzi - La colèreLa colère, d’Alexandra Dezzi

Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.

Caroline de Bodinat - Dernière cartoucheDernière cartouche, de Caroline de Bodinat

Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)

Simon Libérati - Les démonsLes démons, de Simon Liberati

« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?


BILAN


Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.


Gabacho, d’Aura Xilonen

Signé Bookfalo Kill

Après avoir réussi à fuir le Mexique, le jeune Liborio troque sa vie de misère d’alors pour une vie de clandestin à peine plus enviable. Sauf qu’il n’a peur de rien, et surtout pas de se battre – dans tous les sens du terme. Il a le génie de la castagne et la peau dure comme celle d’un crocodile, comme insensible à la douleur. La seule chose qui lui fait perdre ses moyens, ce sont les filles. Surtout Aireen, qui vit en face de la librairie où il a trouvé à se faire embaucher (et où il dévore tout ce qui tombe sous la main)… Aireen, une gisquette tellement jolie qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour elle – et côté n’importe quoi, Liborio ne va pas tarder à être servi.

xilonen-gabachoQuelle folie !!! Oh là là, silence mes agneaux, ce premier roman est totalement renversant. D’autant plus que son auteure, Aura Xilonen, n’avait que 19 ans lorsqu’il est paru… mais peut-être est-ce justement sa jeunesse qui a permis à la romancière mexicaine de signer un livre aussi libre, aussi énergique, aussi hirsute et malpoli.
L’essentiel du plaisir que m’a procuré Gabacho réside dans sa langue, que Xilonen bouscule et malmène avec une irrévérence parfaitement jubilatoire – pour qui n’est pas rétif à la grossièreté, autant le préciser. Fidèle au milieu défavorisé dans lequel elle plante son intrigue, la romancière balance des « fuck » comme des SCUD, on s’insulte comme on respire et le respect dû aux mamans est le dernier cadet des soucis des protagonistes de cette drôle d’histoire. Pourtant, rien de gratuit dans cette brutalité langagière faisant écho à celle des corps et des poings qui fréquemment s’entrechoquent ; Aura Xilonen nous plonge au ras du bitume le plus sale, et ne prend pas de gants car il n’y a pas à en prendre.
La preuve en un extrait :

« [Madame] lâche pas de gros mots non plus, pas comme le Boss avec ses mots introuvables dans l’assomme-crétin, ce fameux dictionnaire que je me suis farci de A à Z parce que je ne comprenais rien à ce que je lisais. Le Boss et ses mots scandaleux qui en disent plus long que les belles paroles, aussi décentes que bariolées, ces petites salopes édulcorées, pleines de chichis, de rhétorique archaïque, désuète, vieillotte, snob. Moi je préfère les pétasses un peu plus culottées, les phrases qui veulent tout dire et vous lâchent pas le sens du bout des dents. »

En gros, vous avez là toute la profession de foi littéraire d’Aura Xilonen, avec laquelle elle trousse un roman initiatique joyeusement déglingué, récit d’aventures foutraques où la réinvention du verbe raconte la réinvention d’une vie, celle du héros narrateur. Liborio, « né-mort » qui n’a « rien à perdre », est un personnage très attachant, drôle, impertinent, dont l’absence d’éducation lui permet de développer sur la vie une clairvoyance de vieux sage revenu de tout. Et il faut saluer le formidable travail de traduction de Julia Chardavoine, qui a dû beaucoup s’amuser avec ce livre, et en même temps s’en voir pour trouver des solutions françaises aux inventions langagières de la jeune romancière. Quoi qu’il en soit, à coup de néologismes ou de mots-valises, elle s’en sort à la perfection.

Gabacho, c’est du Dickens pimenté à la sauce salsa, qui fait pétiller les papilles et brûle joyeusement le gosier. Un roman comme on n’en lit pas souvent, et ça fait un bien fou !

Gabacho, d’Aura Xilonen
(Campéon Gabacho, traduit de l’espagnol par Julia Chardavoine)
Éditions Liana Levi, 2017
ISBN 978-2-86746-880-3
368 p., 22€


A première vue : la rentrée Albin Michel 2016

Ça dérape un peu chez Albin Michel ! Neuf titres français et trois étrangers rien qu’en août, c’est plus que les années précédentes et ce n’est pas forcément pour le meilleur, gare au syndrome Gallimard… Il devrait y avoir tout de même deux ou trois rendez-vous importants, comme souvent avec cette maison, que ce soit du côté des premiers romans comme des auteurs confirmés.

Gros - PossédéesLE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Possédées, de Frédéric Gros
C’est l’un des buzz de l’été chez les libraires, et c’est souvent bon signe. Pour son premier roman, l’essayiste et philosophe Frédéric Gros s’intéresse au cas des possédées de Loudun, sombre histoire de possession et exorcisme de bonnes sœurs soi-disant habitées par Satan réincarné sous la forme du curé Urbain Grandier. Nous sommes en 1632, Richelieu est au pouvoir et entend mener une répression sévère contre la Réforme ; humaniste, amoureux des femmes, Grandier est une cible parfaite… Une réflexion sur le fanatisme qui devrait créer des échos troublants entre passé et présent.

Guenassia - La Valse des arbres et du cielL’HOMME A L’OREILLE COUPÉE : La Valse des arbres et du ciel, de Jean-Michel Guenassia
Après un précédent roman (Trompe-la-mort) moins convaincant, l’auteur du Club des incorrigibles optimistes revient avec un roman historique mettant en scène les derniers jours de Vincent Van Gogh, en particulier sa relation avec Marguerite, une jeune femme avide de liberté, fille du célèbre docteur Gachet, connu comme l’ami des impressionnistes – mais l’était-il tant que ça ? Guenassia s’inspire aussi de recherches récentes sur les conditions de la mort de Van Gogh, fragilisant l’hypothèse de son suicide… On attend forcément de voir ce que ce grand raconteur d’histoire peut faire avec un sujet pareil.

Gougaud - LithiumWERTHER MINUS : Lithium, d’Aurélien Gougaud
Elle refuse de penser au lendemain et se noie dans les fêtes, l’alcool et le sexe sans se soucier du reste ; Il vient de se lancer dans la vie active mais travaille sans passion. Ils sont les enfants d’une nouvelle génération perdue qui reste assez jeune pour tenter de croire à une possibilité de renouveau. Premier roman d’un auteur de 25 ans, qui scrute ses semblables dans un roman annoncé comme sombre et désenchanté.

Hoffmann - Un enfant plein d'angoisse et très sage2ABOUT A BOY : Un enfant plein d’angoisse et très sage, de Stéphane Hoffmann
Ce titre, on dirait un couplet d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, tiens ! (C’est affectueux, hein.) Antoine, 13 ans, aimerait davantage de considération de la part de ses parents, duo d’égoïstes qui préfèrent le confier à un internat suisse ou à sa grand-mère de Chamonix plutôt que de l’élever. Mais le jour où ils s’intéressent enfin à lui, ce n’est peut-être pas une si bonne nouvelle que cela… Une comédie familiale pour traiter avec légèreté du désamour filial.

Lacroix - PechblendeQUAND NOTRE CŒUR FAIT BOUM : Pechblende, de Jean-Yves Lacroix
Deuxième roman d’un libraire parisien spécialisé dans les livres d’occasion – ce qui explique sans doute pourquoi le héros de ce livre est justement libraire dans une librairie de livres anciens (ah). A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le dit libraire tombe amoureux d’une assistante de Frédéric Joliot-Curie, mais se trouve confronté à un dilemme cruel lorsque le conflit éclate et que son patron décide d’entrer dans la clandestinité.

Rault - La Danse des vivants2MEMENTO : La Danse des vivants, d’Antoine Rault
A la fin de la Première Guerre mondiale, un jeune homme se réveille dans un hôpital militaire, amnésique mais parlant couramment aussi le français que l’allemand. Les services secrets français imaginent alors de l’affubler de l’identité d’un Allemand mort et de l’envoyer en infiltration de l’autre côté de la frontière… Après Pierre Lemaitre racontant l’impossible réinsertion des soldats survivants à la fin de la guerre dans Au revoir là-haut, le dramaturge à succès Antoine Rault s’intéresse au début de l’entre-deux-guerres dans l’Allemagne de Weimar. Une démarche intéressante, pour un livre présenté comme un roman d’aventures.

Nothomb - Riquet à la houppe2AMÉLIE MÉLO : Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb
Nothomb n’en finit plus de se recycler, et cette année, la peine est sévère. Je l’annonce tout net, j’ai tenu cinquante pages avant d’abandonner la lecture de ce pensum sans imagination, remake laborieux d’un conte qui rejoue grossièrement Attentat, l’un des premiers livres de la romancière belge. Franchement, si c’est pour se perdre dans ce genre de facilité, Amélie devrait prendre des vacances. Ça nous en ferait.

BATTLEFIELD : Avec la mort en tenue de bataille, de José Alvarez
Le parcours épique d’une femme, respectable mère de famille qui se lance corps et âme dans la lutte contre le franquisme dès 1936, se révélant à elle-même tout en incarnant le déchirement de l’Espagne d’alors.

MON PÈRE CE HÉROS : Comment tu parles de ton père, de Joann Sfar
L’hyperactif Sfar revient au roman, ou plutôt au récit, puisqu’il évoque son père (tiens, quelle surprise). Je le laisse aux aficionados, dont je ne suis pas…

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James - Brève histoire de sept meurtres2BUFFALO SOLDIER : Brève histoire de sept meurtres, de Marlon James (un peu lu)
Cette première traduction mais troisième roman du Jamaïcain Marlon James a reçu le Man Booker Prize en 2015 et arrive en France auréolé d’une réputation impressionnante. Et pour cause, ce livre volumineux (850 pages) affiche clairement son ambition, celle d’un roman choral monumental qui s’articule librement autour d’un fait divers majeur, une tentative d’assassinat dont fut victime Bob Marley en décembre 1976 juste avant un grand concert gratuit à Kingston. En donnant une voix aussi bien à des membres de gang qu’à des hommes politiques, des journalistes, un agent de la CIA, des proches de Marley (rebaptisé le Chanteur) et même des fantômes, Marlon James entreprend une vaste radiographie de son pays.
Une entreprise formidable – peut-être trop pour moi : je viens de caler au bout de cent pages, écrasé par le nombre de personnages, le style volcanique et un paquet de références historiques que je ne maîtrise pas du tout… Ce roman va faire parler de lui, c’est certain, il sera sans doute beaucoup acheté – mais combien le liront vraiment ? Je suis curieux d’avoir d’autres retours.

Enia - Sur cette terre comme au cielRAGING BULL : Sur la terre comme au ciel, de Davide Enia
Une grande fresque campée en Sicile, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 90, qui entrelace le destin de trois générations, dont le petit Davidù, gamin de neuf ans qui fait l’apprentissage de la vie, de l’amour et de la bagarre dans les rues de Palerme. Premier roman de Davide Enia, finaliste du prix Strega, l’équivalent italien du Goncourt.

COLLISION : La Vie nous emportera, de David Treuer
Août 1942. Sur le point de s’engager dans l’U.S. Air Force, un jeune homme se trouve mêlé à un accident tragique qui bouleverse non seulement son existence, mais aussi de ses proches. Une fresque humaine et historique à l’américaine.


Lastman t.4, de Balak, Sanlaville & Vivès

Signé Bookfalo Kill

Gros retour aux affaires pour l’équipe gagnante de Lastman! Après un tome 3 passablement foutraque, aussi bien par le dessin que par l’histoire, mais nécessaire à la réorientation du récit, ce quatrième volume recadre le tout avec un nouveau grand décor, de nouveaux personnages, de nouveaux enjeux, de nouveaux mystères… et un nouveau tournoi. De quoi nous ramener vers des territoires familiers, tout en rafraîchissant largement l’ensemble de la série.

Balak, Sanlaville & Vivès - LastMan t.4Côté paysages, loin de l’archaïque Vallée des Rois ou de la bordélique Nillipolis, Balak, Sanlaville et Vivès entraînent désormais leurs héros à Paxtown, ville ultra-moderne avec gratte-ciels, stadiums rutilants, violence urbaine omniprésente, trafics de drogue et boîtes de nuit bruyantes. D’où les nouveaux personnages, parmi lesquels, sans tous les citer ni trop déflorer le suspense, un petit journaliste déterminé mais assez inefficace ; Milo Zotis, maître de la ville, grand ordonnateur de ses événements et à qui Richard Aldana doit beaucoup ; ou encore Tomie, star préfabriquée, shootée jusqu’à la moelle, et accessoirement ex-femme de Richard – une information dont il ne s’était pas vanté auprès de la belle Marianne…

Tout ce petit monde se retrouve donc, de près ou de loin, embarqué dans un nouveau tournoi de combat extrêmement spectaculaire. L’occasion de retrouver une vieille connaissance revenue de la Vallée des Rois, d’en apprendre davantage sur le passé peu glorieux d’Aldana, et de revoir à l’œuvre Marianne et Adrian – ce dernier sortant enfin de son rôle de faire-valoir un peu benêt pour prendre de l’assurance et surprendre entourage comme adversaires…

Dans un cadre qui rappelle le début des Chevaliers du Zodiaque, avec des dialogues toujours aussi maîtrisés, de nouvelles intrigues liées à de sombres trafics, et des héros au pied du mur, ce Lastman tome 4 poursuit avec jubilation une série de manga à la française qui n’a vraiment pas à rougir de la comparaison avec ses prestigieux homologues japonais. Du très bon boulot, dont on attend encore et toujours la suite avec plaisir et impatience !

Lastman t.4, de Balak, Sanlaville & Vivès
Éditions Casterman, collection KSTR, 2014
ISBN 978-2-203-07848-2
204 p., 12,50€


A première vue : la rentrée littéraire Julliard 2013

Un petit tour rapide chez Julliard, qui se joint à la rentrée 2013 avec trois noms connus de son catalogue. Pas de surprise, mais au moins un projet excitant sur les trois.

Jaenada - SulakGENTLEMAN-CAMBRIOLEUR : Sulak, de Philippe Jaenada
Connu pour ses romans drolatiques et plus ou moins autobiographiques, Philippe Jaenada surprend en s’intéressant à Bruno Sulak, un émule de Spaggiari qui braquait des banques sans arme ni violence, et fascinait les foules au début des années 80 par son charme et son culot. Annoncée comme un roman patchwork, voici la seule curiosité de la rentrée Julliard.

ALGÉRIE : Les anges meurent de nos blessures, de Yasmina Khadra
Le destin d’un homme né dans l’Algérie des années 20, entre son ascension fulgurante dans le monde de la boxe et sa passion des femmes. Du Khadra en mode grande fresque sentimentale, qui devrait trouver son public, comme à son habitude.

LOVE, LOVE, LOVE : Vertiges, de Lionel Duroy
Le narrateur réfléchit à ses échecs sentimentaux, ce qui le fait repenser à son enfance.
Sans commentaire.


Balancé dans les cordes, de Jérémie Guez

Signé Bookfalo Kill

Tony vit en banlieue, du côté d’Aubervilliers, avec sa mère. Comme son pote Moussa, il aurait pu virer caïd, céder au fric facile et à la frime. Surtout avec cette rage qui gronde en lui, tout le temps. Mais son oncle est là, qui veille au grain. Tout en faisant bosser Tony dans son garage, il l’a poussé sur un ring, où le jeune homme s’exprime tout entier. Sans être un boxeur de génie, il s’apprête à passer pro – déjà une consécration pour quelqu’un comme lui.
Le jour où sa mère se fait tabasser par un de ses mecs, tout dérape. Tony veut se venger. Pour retrouver l’agresseur, il connaît la règle : il faut passer par Miguel, l’un des princes de la cité. Un type dangereux, qui peut vous donner ce que vous voulez, mais il faut en payer le prix…

Guez - Balancé dans les cordesSorti en 2012 aux éditions La Tengo, Balancé dans les cordes refait parler de lui, et pas seulement pour sa parution récente en poche. Il vient en effet d’être récompensé du prix SNCF du polar, qui a gagné sa légitimité en couronnant des pointures comme Franck Thilliez, Mo Hayder, Caryl Ferey ou Karine Giebel. Outre le concert quasi unanime de louanges qui a salué ce livre, c’est cette distinction qui m’a finalement décidé à me pencher sur le deuxième roman du jeune Jérémie Guez.

Alors, même si le garçon a un talent intéressant, je sors de cette lecture un peu plus mesuré que d’autres. Côté points forts, il y a la description de la vie en banlieue, sans complaisance d’aucune sorte, qui ne déflore pas la réalité tout en collant aux codes du roman noir moderne. Il y a aussi des personnages forts, typés, qui envahissent la page et l’esprit du lecteur. Il y a le style de Guez enfin, sec, aussi affûté qu’un boxeur prêt au combat, qui crache les mots, la colère, la violence, dans une noirceur globale qui laisse peu de place à la lumière, fin comprise.

D’un autre côté, ces qualités ne permettent pas encore à Jérémie Guez de sortir des cordes. Si elles sont prometteuses, elles le cantonnent pour l’instant à un roman noir classique, un peu déjà lu (ou déjà vu), qui sent bon son David Goodis ou son Martin Scorsese. La boxe, la cité, les deals foireux, les hommes aveuglés de violence et les femmes au tapis, il y a du passage obligé dans tout ça, qui m’empêche de considérer Balancé dans les cordes comme un roman marquant du genre.

Néanmoins Jérémie Guez a quelque chose d’authentique, de puissant, dont je surveillerai l’épanouissement dans ses prochains romans. Jeune talent à surveiller !

Balancé dans les cordes, de Jérémie Guez
Éditions J’ai Lu, 2013
(Première édition : La Tengo, 2012)
ISBN 978-2-290-05435-2
188 p., 5,60€