Les envolés, d’Étienne Kern

Éditions Gallimard, 2021
ISBN 9782072920820
160 p.
16 €
4 février 1912. Le jour se lève à peine. Entourés d’une petite foule de badauds, deux reporters commencent à filmer. Là-haut, au premier étage de la tour Eiffel, un homme pose le pied sur la rambarde. Il veut essayer son invention, un parachute. On l’a prévenu : il n’a aucune chance. Acte d’amour ? Geste fou, désespéré ? Il a un rêve et nul ne pourra l’arrêter. Sa mort est l’une des premières qu’ait saisies une caméra.
Hanté par les images de cette chute, Étienne Kern mêle à l’histoire vraie de Franz Reichelt, tailleur pour dames venu de Bohême, le souvenir de ses propres disparus.
Très jolie découverte que ce premier roman d’Étienne Kern, déjà auteur d’une demi-douzaine d’essais essentiellement consacrés à la littérature et à la langue française. Son passage de la théorie à la pratique fait preuve d’autant de maîtrise que de sobriété (160 pages seulement, mais c’est tout à fait suffisant), de sentiment et de justesse.
Premier mérite de ce livre : faire connaître le destin tragique et véridique de Franz Reichelt, qu’un petit film muet et en noir et blanc a immortalisé (et que l’on peut trouver sans problème sur la Toile. Je laisse à ceux qui le souhaitent le choix de faire la recherche.) Un drame qui aurait pu demeurer à l’état de fait divers tiraillé entre tristesse et grotesque, mais qu’Étienne Kern sublime en s’emparant corps et âme de cette histoire qu’il enlumine de littérature.
Où s’arrête le vrai, où commence la fiction dans Les envolés ? La question se pose forcément, tant le romancier fait de son protagoniste un véritable héros de roman, un personnage de papier habité d’une vie et d’une authenticité qui dépassent le peu que l’on sait de lui. Et c’est là toute la beauté du geste artistique : donner du sens et du cœur à un geste que le seul fait divers réduirait à qualifier au pire de fou, au mieux d’inconscient.
Pour cela, il fallait réinventer Franz Reichelt. Étienne Kern y parvient à merveille en l’entourant d’autres personnages qui contribuent à éclairer, non seulement son parcours, mais aussi et surtout son humanité, sa volonté de venir en aide aux autres, de rendre justice à l’existence et aux efforts des autres pour rendre la vie meilleure. Sa relation avec son employée Louise et Alice, la petite fille de cette dernière, est particulièrement belle – et tragique, aussi.
Le romancier touche juste également lors de brefs chapitres en italique qui, soit s’adressent directement à Franz Reichelt, soit rattachent l’histoire de l’inventeur-tailleur à des récits personnels de l’auteur – références émouvantes et troublantes à son grand-père ou à son amie M., dont je vous laisse découvrir les destins dans le livre.
Éclairé par une écriture raffinée mais sans ostentation, imprégnée d’une empathie qui contrebalance la tristesse poignante du récit, Les envolés adjoint à la sensibilité et à l’intimité de son auteur une histoire forte, qui interroge avec tact l’attrait fatal des hommes pour l’air et le ciel, ainsi que les douces tempêtes qui soulèvent jusqu’au vertige l’imagination des rêveurs. Un très bel élan qui donne envie de lire davantage de cette belle plume.
Monsieur Kern, rendez-vous au deuxième roman !
À première vue : la rentrée Stock 2020

Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.
Intérêt global :
Sabre, d’Emmanuel Ruben
Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.
Le Monde du vivant, de Florent Marchet
Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.
Erika Sattler, d’Hervé Bel
Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.
La Société des belles personnes, de Tobie Nathan
« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.
Aria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)
Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.
Le Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim
La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.
La Grande épreuve, d’Étienne de Montety
L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.
La colère, d’Alexandra Dezzi
Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.
Dernière cartouche, de Caroline de Bodinat
Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)
Les démons, de Simon Liberati
« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?
BILAN
Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.