À première vue : la rentrée Zoé 2021
Intérêt global :
À première vue, j’ai connu des rentrées plus excitantes chez les éditions Zoé. D’un côté, on ne peut pas briller tout le temps (ce que cette excellente maison suisse parvient à faire très régulièrement) ; d’un autre, ces quatre textes auront sans doute plus d’intérêt pour d’autres que moi.
Donc, comme d’habitude, je vous les confie et vous laisse vous faire votre propre idée !
La Patience du serpent, d’Anne Brécart

Christelle et Greg, des amateurs de surf dans la trentaine, sillonnent le monde en minibus avec leurs deux petits garçons, s’installant près des meilleurs spots et vivant de petits boulots.
À San Tiburcio, sur la côte mexicaine, ils s’acclimatent et font la rencontre d’une jeune villageoise. Cette dernière entraîne Christelle dans une relation vertigineuse qui bouleverse leur vie de famille.
C’est le septième roman d’Anne Brécart, publié comme les six précédents par les éditions Zoé.
Je vais ainsi, de Hwang Jungeun
(traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot)
So Ra, la grande sœur douce et rêveuse, Na Na, la cadette déterminée et libre, et Na Ki, le frère de cœur, prennent tour à tour la parole pour raconter leur rencontre et l’enfance dans l’appartement commun, la grossesse de la deuxième et le séjour au Japon du troisième, qui l’a transformé. À travers ces voix à l’imaginaire propre, événements et situations se déploient dans leurs nuances. Première traduction en français.
Reconnaissances, de Catherine Safonoff
Au soir de sa vie, une auteure se relit. Ses livres sont des îlots dans sa mémoire et elle cherche à relier ces repères. Sa relecture est relecture de soi. Grave, mais régulièrement drôle aussi. De ce voyage dans le passé, elle choisit les heures claires, souvenirs inaltérables de lieux propices. Une autofiction évoquant l’amour pour le père et la mère, la difficulté à être soi, à être fille comme à être mère.
Les vies de Chevrolet, de Michel Layaz
Biographie romancée de Louis Chevrolet, né en Suisse en 1878 et qui grandit en Bourgogne où il travaille comme mécanicien pour vélos, avant de gagner l’Amérique en 1900. Il dessine des milliers de moteurs, acquiert une notoriété en tant que pilote, puis devient entrepreneur en fondant la marque qui porte son nom avec William Durant, futur fondateur de la General Motors, qui la lui rachète.
Les embrouillaminis, de Pierre Raufast

Éditions Aux Forges de Vulcain, 2021
ISBN 9782373051063
350 p.
20 €
Un petit garçon prénommé Lorenzo habite avec ses parents dans une maison de la vallée de Chantebrie. Un jour, la maison voisine est mise en vente. Qui va venir y habiter ? Le jour de la visite, quel temps fera-t-il ? Et que va-t-il se passer ensuite ? Ce jour-là aura-t-il une influence sur le destin d’adulte de Lorenzo ?
La vie est faite de choix et de circonstances qui, souvent, nous échappent. En général, dans un roman, l’auteur impose ces conditions. Cette contrainte, Pierre Raufast décide de s’y dérober, et d’inviter le lecteur à collaborer à l’évolution du récit.
La vie de Lorenzo est entre vos mains. À vous de jouer.
Dans La Grande Librairie du 2 juin, en présentant le nouveau livre de Pierre Raufast, François Busnel a décrété que ce roman « ne ressemble à rien ». Ce n’est pas tout à fait exact. Un grand nombre de lecteurs ayant grandi dans les années 80 et 90 et ayant pratiqué la collection des Livres dont vous êtes le héros seront familiers du dispositif narratif proposé ici par le romancier. (Du reste, l’auteur en parle dans l’émission, et Busnel en présente un exemplaire.)
Ce qui est vrai, en revanche, c’est que ce n’est pas le genre de choses qu’on a l’habitude de croiser en littérature « adulte ». Et ça, c’est drôlement chouette.
Le principe est simple : à la fin de chaque chapitre ou presque, un choix vous est proposé, qui va décider de la suite des aventures de Lorenzo et vous balancer, soit au chapitre suivant, soit cent pages plus loin ou cinquante pages avant. Soit au fin fond du Mexique, soit dans la cathédrale de Chartres, ou au creux de la vallée de Chantebrie ou dans les couloirs d’une prison.
Véritable régalade de déconstruction narrative, Les embrouillaminis rafraîchit le plaisir de la lecture en en brisant le naturel linéaire, et en vous baladant aux quatre coins du livre à l’aide d’allers-retours de plus en plus jouissifs. De la sorte, impossible de savoir si vous êtes proche de la fin (ou plutôt d’une fin) de l’histoire, et encore plus comment quelques conséquences vont solder vos choix.
Si Les embrouillaminis s’avère un roman extrêmement ludique, il n’est pas pour autant superficiel. La vie… non, les vies de Lorenzo sont à l’image de n’importe quelle existence, et répondent en creux à la question qui nous a tous taraudés un jour : que se serait-il passé si, tel jour, j’avais fait tel autre choix plutôt que celui qui m’a amené à mon existence actuelle ?
Pierre Raufast étoffe le parcours de son héros de nombreuses péripéties romanesques, mais au fond, les différentes trajectoires de Lorenzo, aussi fantasques qu’elles puissent être à l’occasion, sont riches des mêmes étapes que n’importe quelle existence ordinaire. Il y a des rencontres, des passions, des déceptions, des trahisons, des amitiés, de l’amour et des ruptures. Il y a la vie, dans toute son habituelle humanité. De telle sorte que, dans les choix de Lorenzo, on reconnaît parfois les siens, de près ou de loin.
C’est aussi, bien sûr, une réflexion sur l’écriture, et sur les choix qui président à l’acte de raconter une histoire. Pourquoi tel personnage plutôt qu’un autre ? Pourquoi tel rebondissement ? L’histoire telle qu’elle est racontée est-elle la meilleure, aurait-il été possible de faire mieux, ou d’une manière totalement différente pour, finalement, raconter la même chose ?
Pour quiconque a déjà écrit, ou simplement réfléchi sur les coulisses de l’écriture, sur les mystères de la narration, c’est évidemment une confrontation excitante à cette magie insaisissable consistant à inventer des histoires – qui n’a pas plus de réponse toute faite qu’il n’y a de meilleur récit qu’un autre dans Les embrouillaminis.
Roman festif et stimulant, Les embrouillaminis est l’un des rares livres dont on a envie de reprendre la lecture juste après avoir touché le mot « fin », histoire de découvrir les nombreuses autres surprises qu’il recèle. J’ai exploré différentes variations avant de le reposer pour passer à ma lecture suivante (c’est que la rentrée littéraire commence à se bousculer au portillon), mais il est certain que j’y retournerai à l’occasion, pour le plaisir de me laisser à nouveau mener par le bout du nez, avec ma totale complicité.
Une superbe réussite qui me donne envie en outre d’approcher les livres précédents de Pierre Raufast, dont les titres (La Fractale des raviolis, La Baleine thébaïde, La Variante chilienne…) sont autant de promesses d’autres moments joyeux de littérature.
P.S.: quelque part dans le livre, il y a un chapitre déconnecté des autres. Je ne vous dis pas lequel, histoire de vous laisser le plaisir de tomber dessus par hasard – ou pas… et de découvrir ce qu’il raconte !
P.S.2 : l’une des fins des Embrouillaminis suggère d’aller lire La Baleine thébaïde pour connaître la suite des aventures du narrateur. Pierre Raufast est décidément un petit malin :)
On cause un peu partout des Embrouillaminis, et c’est heureux ! Voyez plutôt chez Cultur’elle, Ma collection de livres, Lilylit, Quintessencelivres, Mémo-émoi…
À première vue : la rentrée Philippe Rey 2020

Intérêt global :
De la saleté, des cafards et la mort : si on la résume à ses titres, la rentrée Philippe Rey semble un condensé de joie et d’optimisme. Vous vous attendez à ce que je démente ? Ben… à première vue, je peux difficilement prétendre le contraire. Ce qui n’empêche pas ce programme d’avancer éventuellement de solides pions littéraires. On ne peut pas rigoler tout le temps, non plus. Surtout pas dans le monde qui est le nôtre.
Ma vie de cafard, de Joyce Carol Oates
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban)
La plus prolifique des auteures américaines est à nouveau au rendez-vous de la rentrée littéraire, avec un roman certes moins gros que l’année dernière, mais qui affiche tout de même ses 500 pages et son ambition de scruter la cellule familiale dans ses moindres recoins, même (surtout ?) les plus sordides. Soit l’histoire de Violette, l’une des sept enfants de la famille Kerrigan, qui se retrouve honnie et bannie par les siens et par sa communauté après avoir dénoncé à 12 ans ses frères, auteurs d’un crime raciste. Un exil qui l’oblige à s’émanciper et à tracer sa propre voie.
Pas forcément de lien direct avec le phénomène « Black Lives Matter », mais un roman qui entre tout de même en résonance avec l’actualité, et sonde plus que jamais la société américaine.
American Dirt, de Jeanine Cummins
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché)
Première traduction pour Jeanine Cummins, qui a déjà publié trois livres aux USA. Celui-ci s’ouvre au Mexique, à Acapulco, où Lydia exerce le métier de libraire et mène une vie paisible avec son mari journaliste et son fils de 8 ans. Tout se dérègle, hélas, le jour où Sebastian dévoile dans un article l’identité du chef d’un cartel, qui n’est autre qu’un excellent client de la librairie de Lydia. Cette dernière est contrainte de prendre la fuite avec son fils, et prend la route du nord, dans l’espoir de se mettre à l’abri aux États-Unis…
Plus de 500 pages pour ce périple en quête de survie, animé par l’amour qui lie inextricablement une mère et son enfant.
Ta mort à moi, de David Goudreault
C’est le troisième roman du Québécois David Goudreault que publie Philippe Rey en France. Celui qui a remporté la Coupe du Monde de poésie en 2011 imagine le parcours hors norme d’une poétesse, auteure d’un seul recueil devenu culte, et femme dont la vie est parsemée de mystères et de zones d’ombre, capable de jouer les trafiquantes d’armes comme de venir en aide aux marginaux.
A première vue : la rentrée Gallmeister 2018

Petite maison devenue grande : Gallmeister, éditeur français de référence en littérature américaine, fait désormais partie du paysage et figure parmi les incontournables de la rentrée. Une tendance qui se vérifie par son propre positionnement par rapport à l’événement, puisqu’il aborde pour la première fois ce passage obligé en essayant de gommer la distinction historique entre polars et romans de littérature générale, et en entourant ses livres de jaquettes colorées, assez semblables à l’habillage des titres de Totem, sa collection de poche. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour lui…
Sinon, après avoir été échaudé à plusieurs reprises récemment par des parutions de la maison (Une histoire des loups d’Emily Fridlund, Idaho d’Emily Ruskovich, My absolute darling de Gabriel Tallent), on attendra d’avoir lu avant de s’exciter.
DOUZE HOMMES EN COLÈRE : Évasion, de Benjamin Whitmer
(traduit de l’américain par Jacques Mailhos)
Depuis Pike, le premier roman de Whitmer, Gallmeister est à fond derrière cet auteur brut de décoffrage, à l’univers noir de chez noir. Ce troisième livre s’annonce épique : le soir du réveillon 1968, douze hommes s’évadent de la prison d’Old Lonesome, en plein Colorado. La traque se met aussitôt en branle, convoquant les gardiens de la prison, un pisteur de génie, des journalistes avides de sensations fortes, et d’autres personnages liés aux évadés… Ajoutez à ce décor une nuit glaciale bientôt balayée par le blizzard, et vous aurez tout ce qu’il faut pour vous agiter le palpitant.
MAX ET LES MAXIMONSTRES : Une maison parmi les arbres, de Julia Glass
(traduit de l’américain par Josette Chicheportiche)
Gallmeister continue d’explorer le catalogue (apparemment plus ou moins abandonné, puisqu’il n’y a plus eu aucune parution depuis octobre 2017) des éditions des Deux Terres. Après Jim Lynch en début d’année, c’est au tour de Julia Glass de rejoindre les rangs, avec l’histoire d’un auteur à succès de livres pour enfants qui, à sa mort, lègue sa propriété et son patrimoine à sa fidèle assistante pendant quarante ans. Tomasina va néanmoins découvrir qu’elle ne connaissait peut-être pas si bien l’homme dont elle a été la confidente pendant si longtemps…
PLUGFORD UNCHAINED : Les spectres de la terre brisée, de S. Craig Zahler
(traduit de l’américain par Janique Jouin-de Laurens)
Mexique, été 1902. Deux sœurs kidnappées sont forcées à la prostitution dans un bordel clandestin au cœur des montagnes. Leur père, John Lawrence Plugforde, se prépare à les chercher et à les venger avec ses deux fils et trois acolytes – un esclave affranchi, un Indien as du tir à l’arc, et le spectral Long Clay, incomparable pro de la gâchette. La confrontation dans les bas-fonds de Catacumbas s’annonce sanglante… Ça sent le bon western qui secoue et qui tache.
AMERICAN WAR : Onze jours, de Lea Carpenter
(traduit de l’américain par Anatole Pons)
Pennsylvanie, mai 2011. Susan apprend que Jason, son fils unique engagé dans les forces spéciales en Afghanistan, est porté disparu. Cette femme forte et dynamique, habituée aux hautes sphères politiques, se trouve désemparée face à l’attente interminable de nouvelles. Elle se plonge dans les lettres envoyées par son fils et cherche à comprendre les raisons de son engagement.
On lira sûrement :
Évasion, de Benjamin WhitmerOn lira peut-être :
Les spectres de la terre brisée, de S. Craig Zahler
Une maison parmi les arbres, de Julia Glass
A première vue : la rentrée Actes Sud 2017

La fin des présentations de rentrée littéraire approche, et…
En attendant, causons des éditions Actes Sud, qui abordent leur première rentrée avec leur patronne à la tête du Ministère de la Culture – ce qui n’a aucun rapport, certes. A vrai dire, je glose et tournicote parce que je ne sais pas bien dans quel sens prendre le programme de la maison arlésienne, gros plateau qui fait la part belle à la littérature étrangère (sept titres) et avance quelques auteurs importants – dont deux retours attendus, ceux de Don DeLillo et Kamel Daoud. Bref, l’assiette est bien remplie et présente joliment, reste à savoir si les mets seront de qualité.
SHÉHÉRAZADE : Zabor ou les Psaumes, de Kamel Daoud
Après un recueil de nouvelles salué d’un succès d’estime, Kamel Daoud a fracassé la porte de la littérature francophone avec Meursault, contre-enquête, premier roman choc en forme de réécriture de L’Étranger de Camus du point de vue arabe. Connu pour l’exigence de sa pensée, le journaliste algérien est forcément très attendu avec ce deuxième roman racontant l’histoire d’un homme qui, orphelin de mère et négligé par son père, se réfugie dans les livres et y trouve un sens à sa vie. Depuis, le seul sens qu’il donne à son existence est le geste d’écriture. Jusqu’au jour où son demi-frère, qu’il déteste, l’appelle au chevet de son père mourant…
STARMANIA : Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon
Révélée elle aussi grâce à son précédent roman, La Petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon s’empare d’un fait divers américain qui a défrayé la chronique dans les années 1970 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst (qui avait en son temps inspiré Orson Welles pour son Citizen Kane), par un groupuscule révolutionnaire ; à la surprise générale, la jeune femme a fini par épouser la cause de ses ravisseurs et été arrêtée avec eux. Une professeure américaine, assistée d’une de ses étudiantes, se voit chargée par l’avocat de Patricia de réaliser un dossier sur cette affaire, pour tenter de comprendre le revirement inattendu de l’héritière.
C’EST COMME LES COCHONS : Les Bourgeois, d’Alice Ferney
Les Bourgeois, ce sont dix frères et sœurs nés à Paris entre les deux guerres mondiales. À leur place dans les hautes sphères, ils impriment le cours de l’Histoire de leurs convictions et de leurs actes. En suivant les trajectoires de cette fratrie, Alice Ferney retrace les énormes bouleversements du XXème siècle, des gigantesques conflits planétaires à l’avènement des nouvelles technologies en passant par mai 68 et les décolonisations.
THE CIRCLE : L’Invention des corps, de Pierre Ducrozet
En septembre 2014, une quarantaine d’étudiants mexicains sont enlevés et massacrés par la police. Rescapé du carnage, Alvaro fuit aux États-Unis, où il met ses compétences d’informaticien au service d’un gourou du Net fasciné par le transhumanisme. Une réflexion pointue sur les risques et dérives de notre monde ultra-connecté et amoralisé.
RELAX, DON’T DO IT : Imago, de Cyril Dion
Un jeune Palestinien pacifiste quitte son pays et traverse l’Europe à la poursuite de son frère, parti commettre l’irréparable à Paris, dans l’espoir de l’empêcher de passer à l’acte. Un premier roman qui tutoie l’actualité. Risqué ?
LA VIE PAR PROCURATION : La Beauté des jours, de Claudie Gallay
Heureuse en mariage, mère comblée de deux filles jumelles désormais étudiantes, Jeanne mène une existence paisible. La découverte de l’œuvre de l’artiste Marina Abramovic lui ouvre la porte d’autres possibles où l’imprévu est roi.
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PROMETHEUS : Zéro K, de Don DeLillo
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
Le dernier roman de Don DeLillo, Cosmopolis (adapté au cinéma par Cronenberg avec Robert Pattinson), date en France de 2012. C’est donc le retour attendu d’un auteur américain exigeant, très soucieux de la forme et porteur d’une vision ténébreuse des États-Unis en particulier et du monde en général.
Pas d’exception avec ce nouveau livre : Zéro K y est le nom d’un centre de recherches secret qui propose à ceux qui le souhaitent de s’éteindre provisoirement, de mettre leur vie en stand by en attendant que les progrès de la science permettent de prolonger l’existence et d’éradiquer les maladies. Un homme richissime, actionnaire du centre, décide d’y faire entrer son épouse, condamnée à court terme par la science, et convoque son fils pour qu’il assiste à l’extinction programmée de la jeune femme…
Un sujet déjà abordé en littérature ou au cinéma, mais dont on espère que DeLillo le poussera dans ses derniers retranchements philosophiques.
DU VENT DU BLUFF DES MOTS : Brandebourg, de Julie Zeh
(traduit de l’allemand par Rose Labourie)
Des Berlinois portés par une vision romantique de la campagne débarquent dans un village du Brandebourg, État de l’ex-R.D.A., avec sous le bras un projet de parc éolien qui n’enthousiasme guère les paysans du coin. Une lutte féroce débute entre les deux clans, attisée par une femme qui manipule volontiers les sentiments des uns et des autres pour en tirer profit… La plume mordante et le regard acéré de Julie Zeh devraient s’épanouir au fil des 500 pages de ce concentré d'(in)humanité dans toute sa splendeur.
ALIEN 28 : Polaris, de Fernando Clemot
(traduit de l’espagnol par Claude Bleton)
Océan Arctique, 1960. Dans un vieux rafiot au mouillage devant l’île de Jan Mayen, dans un paysage fermé, glacial et désertique, le médecin de bord est confronté à la folie inexplicable qui a gagné l’équipage (résumé Électre). La mer, le froid, un huis clos flippant sur un bateau… Pitch court, tentation forte !
GOOD MORNING ITALIA : Le Peuple de bois, d’Emanuele Trevi
(traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)
En Calabre, un prêtre défroqué anime une émission de radio où son esprit satirique s’en donne à cœur joie. Si les auditeurs suivent et se réjouissent de sa liberté de ton, les puissants grincent des dents…
L’ANGE DE LA MORT : Mischling, d’Affinity K
(traduit de l’américain par Patrice Repusseau)
Le terme « Mischling » en allemand désigne les sang-mêlé. C’est parce qu’elles en sont que deux sœurs jumelles sont envoyées à Auschwitz et choisies par le docteur Mengele pour mener sur elles ses terrifiantes expériences. Pour résister à l’horreur, les fillettes de douze ans se réfugient dans leur complicité et leur imagination. Peu avant l’arrivée de l’armée russe, l’une des deux disparaît ; une fois libérée, sa sœur part à sa recherche… Terrain très très glissant pour ce roman, tant il est risqué de « jouer » avec certains sujets. Auschwitz et les expériences de Mengele en font partie.
OÙ TOUT COMMENCE ET TOUT FINIT : Les femmes de Karantina, de Nael al-Toukhy
(traduit de l’arabe (Égypte) par Khaled Osman)
Saga familiale sur trois générations dans une Alexandrie parallèle et secrète, ce roman offre une galerie de personnages truculents tous plus en délicatesse avec la loi les uns que les autres (résumé éditeur).
CRIME ET CHÂTIMENT : Solovki, de Zakhar Prilepine
(traduit du russe par Joëlle Dublanchet)
Attention, pavé ! L’écrivain russe déploie sur 830 pages une vaste histoire d’amour entre un détenu et sa gardienne, et une intrigue puissamment romanesque pour évoquer l’enfer des îles Solovki, archipel situé dans la Mer Blanche au nord-ouest de la Russie où un camp de prisonniers servit de base et de « laboratoire » pour fonder le système du Goulag.
Gabacho, d’Aura Xilonen
Signé Bookfalo Kill
Après avoir réussi à fuir le Mexique, le jeune Liborio troque sa vie de misère d’alors pour une vie de clandestin à peine plus enviable. Sauf qu’il n’a peur de rien, et surtout pas de se battre – dans tous les sens du terme. Il a le génie de la castagne et la peau dure comme celle d’un crocodile, comme insensible à la douleur. La seule chose qui lui fait perdre ses moyens, ce sont les filles. Surtout Aireen, qui vit en face de la librairie où il a trouvé à se faire embaucher (et où il dévore tout ce qui tombe sous la main)… Aireen, une gisquette tellement jolie qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour elle – et côté n’importe quoi, Liborio ne va pas tarder à être servi.
Quelle folie !!! Oh là là, silence mes agneaux, ce premier roman est totalement renversant. D’autant plus que son auteure, Aura Xilonen, n’avait que 19 ans lorsqu’il est paru… mais peut-être est-ce justement sa jeunesse qui a permis à la romancière mexicaine de signer un livre aussi libre, aussi énergique, aussi hirsute et malpoli.
L’essentiel du plaisir que m’a procuré Gabacho réside dans sa langue, que Xilonen bouscule et malmène avec une irrévérence parfaitement jubilatoire – pour qui n’est pas rétif à la grossièreté, autant le préciser. Fidèle au milieu défavorisé dans lequel elle plante son intrigue, la romancière balance des « fuck » comme des SCUD, on s’insulte comme on respire et le respect dû aux mamans est le dernier cadet des soucis des protagonistes de cette drôle d’histoire. Pourtant, rien de gratuit dans cette brutalité langagière faisant écho à celle des corps et des poings qui fréquemment s’entrechoquent ; Aura Xilonen nous plonge au ras du bitume le plus sale, et ne prend pas de gants car il n’y a pas à en prendre.
La preuve en un extrait :
« [Madame] lâche pas de gros mots non plus, pas comme le Boss avec ses mots introuvables dans l’assomme-crétin, ce fameux dictionnaire que je me suis farci de A à Z parce que je ne comprenais rien à ce que je lisais. Le Boss et ses mots scandaleux qui en disent plus long que les belles paroles, aussi décentes que bariolées, ces petites salopes édulcorées, pleines de chichis, de rhétorique archaïque, désuète, vieillotte, snob. Moi je préfère les pétasses un peu plus culottées, les phrases qui veulent tout dire et vous lâchent pas le sens du bout des dents. »
En gros, vous avez là toute la profession de foi littéraire d’Aura Xilonen, avec laquelle elle trousse un roman initiatique joyeusement déglingué, récit d’aventures foutraques où la réinvention du verbe raconte la réinvention d’une vie, celle du héros narrateur. Liborio, « né-mort » qui n’a « rien à perdre », est un personnage très attachant, drôle, impertinent, dont l’absence d’éducation lui permet de développer sur la vie une clairvoyance de vieux sage revenu de tout. Et il faut saluer le formidable travail de traduction de Julia Chardavoine, qui a dû beaucoup s’amuser avec ce livre, et en même temps s’en voir pour trouver des solutions françaises aux inventions langagières de la jeune romancière. Quoi qu’il en soit, à coup de néologismes ou de mots-valises, elle s’en sort à la perfection.
Gabacho, c’est du Dickens pimenté à la sauce salsa, qui fait pétiller les papilles et brûle joyeusement le gosier. Un roman comme on n’en lit pas souvent, et ça fait un bien fou !
Gabacho, d’Aura Xilonen
(Campéon Gabacho, traduit de l’espagnol par Julia Chardavoine)
Éditions Liana Levi, 2017
ISBN 978-2-86746-880-3
368 p., 22€
Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernàndez Luna
Signé Bookfalo Kill
Autant que le roman d’une histoire, Monarques est l’histoire d’un roman. Celle d’un auteur français, Sébastien Rutés, imaginant un jour de 2008 (ou plutôt un soir bien arrosé) un livre à quatre mains avec son ami mexicain Juan Hernàndez Luna. Comme leurs futurs héros Augusto et Jules, ils entament de chaque côté de l’Atlantique l’écriture d’un roman épistolaire, dont ils achèvent la première partie et commencent la deuxième avant qu’en 2010, la maladie emporte Juan trop tôt, à 48 ans. Le choc et le chagrin absorbés, Sébastien se remet à l’ouvrage et termine seul ce livre au destin singulier, à la fois vivace et triste, ce livre survivant, à l’image des aventures qu’il raconte.
Car Monarques est un roman d’aventures, un vrai, un grand, un beau ! Tout commence pourtant d’une manière presque paisible. Augusto Solis, affichiste mexicain, écrit lettre sur lettre à Loreleï, son grand amour rencontré dans son pays et trop tôt reparti pour d’obscures raisons. La seule adresse dont il dispose est à Paris, mais Loreleï n’y habite plus. C’est un jeune homme, Jules Daumier, coursier pour l’Humanité, qui y vit désormais avec sa mère. Par politesse, Jules répond néanmoins à Augusto pour l’avertir de sa méprise – et se noue alors entre eux, involontairement, une amitié épistolaire nourrie par la recherche de Loreleï.
Quelques décennies plus tard, dénichant les lettres de son grand-père Jules, Daniel retrouve et contacte Nieves, petite-fille d’Augusto. Ils renouent le fil d’une correspondance et d’une amitié interrompues par la Seconde Guerre mondiale…
Quelle(s) histoire(s) !!! Nombre d’écrivains auraient tiré 250 pages d’une seule des péripéties qui peuplent Monarques. En bons héritiers de Jules Verne, Garcia Marquez et consorts, Luna et Rutés aiment les intrigues foisonnantes, les personnages hauts en couleur, les rebondissements insensés, les grands méchants et les belles histoires d’amour. Mêlant la France du Front Populaire et l’histoire mexicaine, le Paris bégueule et populaire des années 30 et Hollywood, réservant un drôle de sort au film Blanche-Neige (!!!), mettant en scène Walt Disney, Aragon, Léni Riefenstahl et même Hitler, entre autres personnages réels glissés entre les superbes figures imaginaires créées par les deux auteurs, le roman ne recule devant rien pour lancer ses lecteurs sur la route de l’aventure et de l’évasion, des frissons et des passions.
Les conditions particulières d’écriture du livre font beaucoup pour sa singularité. La première partie est un roman épistolaire, calqué sur les échanges entre Augusto et Jules. La disparition de Juan Hernàndez Luna contraint ensuite Sébastien Rutés à changer le dispositif prévu, optant dans la deuxième partie pour un récit classique qui prend tout à fait des accents verniens, avec quête d’un trésor caché, poursuites en bateau, séquestrations de héros, îles mystérieuses, retrouvailles et pertes éperdues… avant de revenir dans la troisième partie à un échange de missives, cette fois électroniques, modernité oblige, puisque les héritiers de Jules et Augusto sont nos contemporains.
Étonnamment, les deux premiers segments s’enchaînent à merveille. La technique épistolaire est exploitée au maximum ; le retour ensuite à la forme classique du récit permet d’expliquer nombre de mystères et, en changeant de rythme, de relancer la curiosité et l’intérêt du lecteur. Après une telle débauche de péripéties et d’émotions, la troisième partie patine légèrement. Un peu trop bavarde, elle ralentit le récit, avant de se redresser grâce à une fin émouvante, heureusement à la hauteur du reste, ce qui permet de conclure l’ensemble du roman sur une très bonne note.
Brillant par sa construction, Monarques rejoint les plus belles pages littéraires alliant évasion et invention, jouant de l’Histoire pour dérouler une superbe histoire. Ce roman fait souffler sur la rentrée un vent de liberté plus que bienvenu, ne le ratez pas !
Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernandez Luna
Éditions Albin Michel, 2015
ISBN 978-2-226-31810-7
375 p., 21,50€
A première vue : la rentrée de l’Olivier 2015
S’il nous sera impossible d’évoquer tous les éditeurs en lice pour la rentrée littéraire 2015, faute de temps et d’énergie, il nous reste encore quelques maisons à présenter. Et nous nous en voudrions de ne pas parler des éditions de l’Olivier, même si leur rentrée française, porteuse de noms connues, semble à première vue assez fade. Non, l’événement à l’Olivier, c’est la publication d’un roman resté inédit jusqu’à ce jour de David Foster Wallace – et pour cause, l’engin étant particulièrement spectaculaire…
DANTESQUE : L’Infinie Comédie, de David Foster Wallace
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
J’imagine qu’il aura fallu un peu de temps à Francis Kerline pour traduire ce monstre de 1488 pages (!!!), publié en 1996 aux États-Unis, et considéré comme l’un des authentiques chefs d’œuvre de la littérature anglophone contemporaine. David Foster Wallace (qui s’est suicidé en 2008 à 46 ans) y élabore une dystopie dans laquelle les USA, le Canada et le Mexique ont fusionné en une fédération où la société du spectacle est devenue le centre de tout. Inutile de détailler une intrigue infiniment plus foisonnante, qui évoque pêle-mêle les relations familiales, les addictions, le tennis (très important, puisqu’une académie de tennis est au centre de l’histoire), l’Amérique du Nord en tant qu’entité politique… Enrichi de nombreuses notes de bas de page, le texte est une gageure de lecture. Ce sera sûrement l’événement de la rentrée étrangère, on en parlera beaucoup, de nombreuses personnes l’achèteront… mais qui le lira vraiment ?
TEMPÊTUEUX : En toute franchise, de Richard Ford
(traduit de l’américain par Josée Kamoun)
L’auteur de Canada, prix Femina étranger 2013, retrouve son héros récurrent, Frank Bascombe, grâce auquel il sonde l’Amérique contemporaine avec acuité. Cette fois, la toile de fond est triple : la crise économique, la campagne présidentielle opposant Obama à Romney, et l’ouragan Sandy qui a durement frappé la côte est des États-Unis en 2008.
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Après de pareilles références, difficile de revenir à la production française… Mais bon, tâchons tout de même de faire bonne figure et d’essayer de trouver de belles choses dans les quatre romans lancés par l’Olivier en cette rentrée automnale.
RÉPARER LES VIVANTS (I) : Le Cœur du problème, de Christian Oster
En rentrant chez lui, Simon trouve le cadavre d’un inconnu au milieu du salon, visiblement tombé de la mezzanine, et croise sa femme lui annonçant qu’elle s’en va pour ne jamais plus revenir. Resté seul avec le corps, Simon doit prendre les décisions qui s’imposent. Plus tard, il se lie d’amitié avec Henri, un gendarme à la retraite. Soucieux de ne pas se trahir, Simon fait un peu trop attention à ce qu’il dit, et une partie d’échecs souterraine s’engage avec l’ancien enquêteur…
RÉPARER LES VIVANTS (II) : Ce cœur changeant, d’Agnès Desarthe
Avec ce parcours d’une jeune fille franco-danoise arrivée seule à Paris à 17 ans, en quête d’elle-même, Agnès Desarthe donne à voir la capitale au début du XXème siècle, de l’affaire Dreyfus aux années folles en passant par la Première Guerre mondiale, les premières automobiles, la vitalité de Montparnasse, le féminisme naissant…
RACONTER LES VIVANTS : Les amygdales, de Gérard Lefort
Scènes de vie d’une famille fantasque vues par le benjamin des enfants, dont le regard redoutable ne manque rien des dépenses faramineuses de la mère, du père qui préfère ne rien en dire, et du quotidien de tous : amitiés, scolarité compliquée, rêves d’aventures, tendances anarchistes et admirations cinématographiques. Après une enquête du Poulpe en 1997, c’est le premier roman de littérature « blanche » du critique Gérard Lefort.
HÉSITER A ÊTRE VIVANT : Les pêchers, de Claire Castillon
Trois femmes : Tamara, femme de Claude, qui n’arrive pas à être l’épouse idéale dont il rêve, mais ne parvient pas non plus à s’émanciper de lui ni à oublier son grand amour précédent ; Aimée, ex-femme de Claude, qui attend trop de l’amour ; et Esther, fille adolescente d’Aimée, qui capte les tourments des adultes avec ce sens de l’observation aigu propre à son âge. Hmpf…
A première vue : la rentrée Albin Michel 2015
Ils sont dix cette année à se présenter sous les couleurs des éditions Albin Michel : sept romans français et trois étrangers. A première vue, pas forcément de quoi bouleverser la rentrée littéraire (comme chez l’ensemble des éditeurs), mais quelques rendez-vous intéressants sont à espérer néanmoins, entre arrivées de transfuges prestigieux, incontournables (coucou Amélie !), projets inattendus et gros morceaux, avec une nette prédominance de sujets de société.
AMÉLIE WILDE : Le Crime du comte Neville, d’Amélie Nothomb (lu)
Vieil aristocrate belge sur le point de vendre son château familial, le comte Neville apprend qu’il va tuer l’un de ses invités au cours de la fête qu’il s’apprête à y donner. Sa fille adolescente, prénommée Sérieuse, lui propose une solution aussi audacieuse que terrible… Inspirée par le Crime de Lord Arthur Savile d’Oscar Wilde, Amélie Nothomb signe une fantaisie pétillante, bien dans son style quoique assez sage au final.
QUATRE-MAINS TRANS-MARITIME : Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernandez Luna
En 1935, Augusto, un affichiste mexicain, entame une correspondance involontaire avec Jules Daumier, jeune Français coursier à L’Humanité. Le second entreprend alors de rechercher Loreleï, jeune femme dont le premier est éperdument amoureux, et qui semble avoir disparu. Quelques dizaines d’années plus tard, les petits-fils d’Augusto et Jules poursuivent l’échange… Après la mort précoce en 2010 de Juan Hernandez Luna, Sébastien Rutés a poursuivi et achevé seul ce projet original de roman épistolaire à quatre mains.
VIOLENCE DES ÉCHANGES EN MILIEU TEMPÉRÉ : Ressources inhumaines, de Frédéric Viguier
Ce premier roman d’un auteur de théâtre suit le parcours d’une jeune femme quelconque au sein d’un hypermarché, qui gravit les échelons de simple stagiaire à chef de secteur, donnant ainsi un sens à sa vie. Jusqu’au jour où son statut est menacé par l’arrivée d’une nouvelle stagiaire…
VIVE LA SOCIALE : La Brigade du rire, de Gérard Mordillat
Une petite bande de chômeurs kidnappe un journaliste de Valeurs françaises pour le forcer à travailler selon ses propres idées extrémistes (semaine de 48h, smic en berne, travail le dimanche…) Transfuge de Calmann-Lévy, Mordillat propose une comédie sociale féroce et engagée, bien dans son style.
PETIT POUCET CHINOIS : Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes, d’Olivier Bleys
En Chine, un homme économise assez d’argent pour racheter la maison familiale, dans le jardin de laquelle sont enterrés ses parents. Mais une compagnie minière essaie de les expulser pour exploiter la richesse du sous-sol.
LIGHT MY FIRE : L’Envers du feu, d’Anne Dufourmontelle
Premier roman d’une psychanalyste réputée, qui met en scène… une psychanalyste (on ne se refait pas). Cette dernière écoute le récit d’un Américain d’origine russe, qui tente de retrouver une femme disparue, tout en luttant contre un rêve obsédant de feu qui parasite ses souvenirs.
NICOLE GARCIA : Méfiez-vous des femmes exceptionnelles, de Claire Delannoy
En découvrant à la mort de son mari que ce dernier avait une fille cachée, une femme s’entoure de ses amies proches pour questionner leurs amitiés et leurs amours. Vous le voyez venir, le film choral avec toutes les actrices françaises qu’on voit toujours à l’affiche dans ce genre d’histoire ?
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DICKENS ITALIEN : Les folles espérances, d’Alessandro Mari
(traduit de l’italien par Anna Colao)
Pour son premier roman, Mari balance un pavé de 1000 pages qui suit quatre personnages, parmi lesquels Garibaldi, dans une quête de liberté et d’amour dans l’Italie du XIXème siècle. On l’attend comme l’une des révélations étrangères de cette rentrée.
TEARS FOR FEARS : Tous nos noms, de Dinaw Mengestu
(traduit de l’américain par Michèle Albaret-Maatsch)
Un jeune Africain fuit l’Ouganda en proie à la guerre civile, y abandonnant son meilleur ami, pour rallier l’Amérique des années 70, où il trouve l’amour. Entre Afrique et Amérique, un roman du déchirement et de la quête d’identité dans des pays qui se cherchent.
INISHOWEN : La Neige noire, de Paul Lynch
(traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso)
Après avoir vécu aux États-Unis, un Irlandais revient s’installer en 1945 dans une ferme de son pays avec femme et enfant. La mort accidentelle d’un ouvrier dans l’incendie de son étable le confronte à l’hostilité des autochtones, qui se confond avec la rudesse de la région.
A première vue : la rentrée de l’Olivier 2014
Petite rentrée encore, aux éditions de l’Olivier cette fois. Quatre romans français rejoignent les tables des librairies fin août, solides mais pas forcément hyper excitants – à première vue du moins. Les lire nous surprendra donc peut-être agréablement. On croise les doigts, car voilà une maison qui est toujours capable de nous révéler de très bonnes choses !
GUERRE ET FAMILLE : Jacob, Jacob, de Valérie Zenatti
Jacob, jeune Juif de Constantine, est enrôlé en juin 1944 pour libérer la France ; il meurt six mois plus tard, à l’âge de 19 ans. Ce roman relate cette courte immersion dans le conflit, mais aussi l’attente angoissée de sa famille, puis l’histoire de cette dernière en Algérie après 1945. Valérie Zenatti, qui s’est inspirée de sa propre famille pour ce livre, brille souvent quand elle aborde la guerre – son célèbre roman jeunesse, Une bouteille dans la mer de Gaza, est devenu un classique souvent lu dans les collèges aujourd’hui.
MILLEFEUILLES : Le Soleil, de Jean-Hubert Gailliot
Alexandre Varlop est chargé de retrouver le manuscrit d’un mystérieux roman intitulé Le Soleil, considéré comme un immense chef d’œuvre méconnu de la littérature mondiale, et qui serait passé entre les mains de nombreuses célébrités, dont Man Ray ou Ezra Pound. Sa quête le mène de Mykonos, où le roman aurait été volé, à Palerme et aux Baléares… Plus qu’un simple roman d’aventure, ce gros livre (plus de 500 pages) joue sur sa construction élaborée, son jeu entre réalité et fantasmes, et ses nombreuses références artistiques pour sortir du lot.
PROSE COMBAT : Dans les yeux des autres, de Geneviève Brisac
Destins croisés de deux sœurs, unis dans leurs combats de jeunesse, depuis leurs premières manifestations à Paris jusqu’à la lutte armée au Mexique, mais qui s’éloignent lorsqu’une d’elle en tire la matière d’un roman. Deux conceptions de l’idéal révolutionnaire s’affrontent, mais aussi des visions différentes de la vie, des hommes, du désir…
CLIC-CLAC KODAC : Photos volées, de Dominique Fabre
Alors qu’il vient de perdre son travail, un homme d’une soixantaine d’années s’emploie à reconstruire sa vie en s’appuyant sur les nombreuses photographies qu’il a réalisées plus jeune. L’occasion de s’inventer un nouvel avenir en renouant avec son passé ?
A première vue : la rentrée Seuil 2014
Deville, Salvayre, Volodine : sur les seulement six romans présentés par les éditions du Seuil pour cette rentrée littéraire 2014, trois sont de solides références dont on est en droit d’attendre beaucoup. Comme quoi, ne pas s’éparpiller et resserrer sa production peut être une bonne solution (n’est-ce pas, Gallimard ?)…
MEXICO, MEXICO-OOO : Viva, de Patrick Deville
Il y a deux ans, Peste & Choléra n’avait pu que frôler le prix Goncourt, mais il avait rencontré un large public. Désormais bien installé dans le cœur des lecteurs, Patrick Deville revient avec un nouveau roman documentaire (un peu dans le même esprit que ceux d’Eric Vuillard d’ailleurs, même si leurs styles diffèrent) qui nous emmène cette fois dans le Mexique des années 30, à la suite de deux personnages historiques principaux : Léon Trotsky et Malcolm Lowry. L’esprit révolutionnaire de l’époque devrait faire bouillonner ce livre très attendu.
NA ZDOROVE : Terminus radieux, d’Antoine Volodine
Inclassable, c’est le terme qui revient volontiers pour qualifier Volodine, et ce n’est pas avec ce nouveau roman que les choses vont changer. Après l’écroulement de la deuxième Union Soviétique et l’irradiation nucléaire de la Sibérie, une petite troupe d’étranges résistants continue d’essayer de faire vivre l’utopie soviétique dans le village de Terminus Radieux, sous la coupe du président Solovieï et de l’immortelle Mémé Oudgoul. (Et là, je vous fais la version simple.)
QUE VIVA ESPANA : Pas pleurer, de Lydie Salvayre
La guerre civile espagnole est au cœur du nouveau roman de l’auteure de La Compagnie des spectres, en s’appuyant sur deux voix distinctes : celle de l’écrivain Georges Bernanos, qui en fut le témoin direct et en tira un pamphlet polémique, et celle de Montse qui, 75 ans après les faits, se souvient de son adolescence exaltée, pleine d’espoir que l’esprit libertaire soufflant sur l’insurrection débouche sur des lendemains qui chantent.
PREMIER ROMAN : Un été en famille, d’Arnaud Delrue
Après le suicide de sa sœur, Philippe, le narrateur, reprend sa vie. Normalement ? En apparence seulement, et on sait que, dans les affaires de famille, les apparences sont souvent plus que trompeuses. Au fil d’une confession qu’il adresse à Marie, son autre sœur encore collégienne, le malaise s’installe insidieusement…
TRAFIC TRÈS PERTURBÉ : Incident voyageurs, de Dalibor Frioux
Cela fait des jours, ou des semaines, on ne sait plus, on perd le fil, que la rame du RER A est immobilisée sous ce tunnel. A son bord, deux mille voyageurs, qui se demandent ce qui se passe. Paris a-t-elle été ravagée par une catastrophe dont ils seraient les rescapés involontaires ? Est-ce un exercice, un test ? Un roman à ne pas lire dans les transports sous peine de sombrer dans une paranoïa aigüe au moindre arrêt !
KEY WEST : Aux Jardins des Acacias, de Marie-Claire Blais
Une œuvre polyphonique par l’une des grandes romancières québécoises contemporaines. Tandis que le travesti Petites Cendres court le long de l’océan Atlantique, différents personnages malades du sida s’évertuent à vivre leurs vies aux Jardins des Acacias, un refuge médicalisé dirigé par le docteur Dieudonné. Pas le sujet le plus fendard sur le papier, c’est sûr, mais l’éditeur promet de l’espoir et de la rédemption.
Avant la chute, de Fabrice Humbert
Signé Bookfalo Kill
Je tiens à l’annoncer d’emblée : Avant la chute est mon grand coup de coeur de la rentrée littéraire française, et de loin. Je vous ai déjà dit récemment tout le bien que je pensais du deuxième roman de Fabrice Humbert, Biographie d’un inconnu, et Clarice a également partagé ici son admiration pour son troisième, L’Origine de la violence. Vous mesurerez encore davantage le chemin parcouru par cet auteur en découvrant la puissance phénoménale de son cinquième opus.
Rien que par son sujet, Avant la chute détonne dans notre production littéraire nombrilo-centrée : voici un roman qui traite de la mondialisation.
Je vous sens vous raidir, faire la moue, prêt à renoncer à lire la suite de cette chronique… La vie quotidienne n’est déjà pas drôle, alors pourquoi se farcir en plus un bouquin sur un sujet aussi ennuyeux, dont on nous rebat en plus les oreilles aux infos ? Hé bien, d’abord, parce que très peu d’auteurs s’y risquent. Ensuite, parce que Fabrice Humbert le fait avec une véritable intelligence narrative, et dispose du souffle romanesque nécessaire pour vous confronter au thème de son livre en vous emportant avant tout dans une histoire forte, prenante et humaine.
En fait, je devrais plutôt parler d’histoires, au pluriel, car Avant la chute fait le récit de trois trajectoires distinctes : celle de deux sœurs colombiennes qui se lancent, après l’assassinat de leur père cultivateur de coca, dans un long et périlleux périple vers l’Eldorado fantasmé des États-Unis ; celle d’un sénateur mexicain, despote moderne qui tente de se protéger de la violence de son pays dans son immense domaine ; et celle d’un collégien qui, au cœur d’une banlieue parisienne « pourrie » où ses frères aînés s’illustrent en caïds, tente de s’en sortir par ses qualités scolaires et son intelligence.
Une grande part de l’efficacité du roman réside dans cette construction quasi polardesque. En développant en alternance ces trois récits, Humbert accroche immédiatement l’intérêt du lecteur et le maintient en éveil jusqu’au bout, tant est grande notre envie de savoir ce qui va arriver à ces différents personnages.
C’est aussi de cette manière que, subtilement, le romancier évoque la mondialisation. Ses quatre héros mènent des vies très différentes, dans différents coins du monde, et ne sont pas appelés à se rencontrer – et même s’il y a une rencontre entre trois d’entre eux (le sénateur et les deux sœurs), elle se produit à la fin du livre, et de manière totalement fortuite. Pourtant, l’imbrication de leurs histoires révèle mieux que tout à quel point leurs destins sont liés – et à quel point, au sens plus large, nos vies à tous sont aujourd’hui interdépendantes, sous la pression d’enjeux qui nous dépassent et menacent à chaque instant de nous écraser.
Le fil rouge d’Avant la chute, c’est la drogue. Depuis la Colombie, haut lieu de culture de la coca, jusqu’aux banlieues où s’écoule la marchandise, en passant par le Mexique, plaque tournante majeure des trafics mondiaux, l’omnipotence de cette économie souterraine révèle sa puissance dévastatrice. Elle est toujours là, en arrière-plan, tendant l’arc narratif du roman – mais encore une fois, sans que jamais Fabrice Humbert ne se livre à une rébarbative leçon de géopolitique. C’est son histoire qui prime, ses personnages, et la manière dont ils se battent, avec une belle énergie, contre ces forces invisibles qui nous gouvernent et mettent en péril notre individualité.
Privilégiant un style élégant mais discret, évocateur mais sans esbroufe, une plume élégante qu’il a solidement mis en place au fil des livres, Fabrice Humbert apparaît comme l’héritier de certains auteurs du XIXe siècle, notamment Émile Zola, celui de L’Assommoir ou de Germinal, qui s’emparait de faits politiques et sociaux pour en tirer des fresques romanesques superbes et écrasantes. Humbert a la même curiosité, le même ancrage dans son époque, et une force d’écrivain similaire, autant de qualités qui rendent ses romans passionnants et marquants.
Même si les prix littéraires majeurs ont tendance à l’oublier, voilà donc, en somme, un auteur à ne pas manquer.
Avant la chute, de Fabrice Humbert
Éditions le Passage, 2012
ISBN 978-2-84742-194-1
277 p., 19€
Triple Crossing, de Sebastian Rotella
Signé Bookfalo Kill
Aujourd’hui, la frontière américano-mexicaine n’a rien à envier au Mur de Berlin de la grande époque. Tous les jours, des dizaines de Mexicains tentent de franchir la Ligne, cette barrière de barbelés, de grillages et de murs qui séparent les deux pays. Et tous les jours – toutes les nuits surtout -, la Patrouille frontalière américaine repousse les aspirants migrants.
Membre de l’équipe de nuit de la Patrouille, Valentin Pescatore tente de faire son travail au mieux, avec autant d’humanité que possible. Mais un soir, sous le coup de la colère, il commet l’irréparable en franchissant la frontière pour poursuivre un passeur jusque chez lui, en territoire mexicain. Passible de sanctions sévères pour ce grave manquement aux règles, il est obligé de collaborer avec Isabel Puente, responsable d’un service américain de lutte contre la corruption, ainsi qu’avec Leo Mendez, chef du groupe Diogène qui tente de mener le même combat au Mexique.
La mission de Valentin : infiltrer une famille de narco-trafiquants particulièrement redoutable. Une tâche d’autant plus dangereuse et complexe quand on est un jeune homme impulsif, susceptible de se laisser tenter par une vie de pouvoir, de violence et de richesses faciles…
Triple Crossing a un défaut, un seul, aussi vais-je l’évacuer tout de suite et on n’en parlera plus : c’est son titre. « Triple Crossing », c’est la « triple frontière » où se rejoignent le Brésil, le Paraguay et l’Argentine, qui tend à devenir un très haut lieu de la criminalité internationale et dont il est largement question dans le roman. Je ne crois pas être un ayatollah de la langue française, au contraire, mais traduire ici le titre lui aurait fait gagner en clarté sans rien lui faire perdre de sa puissance ni de son sens. En revanche, l’expression n’étant pas consacrée, je ne comprends pas pourquoi l’avoir conservée en anglais.
Dommage, mais passons.
Passons, oui, parce que pour le reste, ce premier roman de l’Américain Sebastian Rotella est une immense réussite. Le genre de thriller qui m’enthousiasme, parce qu’il réussit l’amalgame fragile entre action, efficacité et traitement complet de sujets de fond. En bref, Rotella, journaliste expérimenté, spécialiste des questions d’immigration, de crime organisé et de terrorisme, a parfaitement compris comment faire pour emballer ses thèmes de prédilection dans un suspense de haut vol. Citons les références, pour ceux à qui cela parlera : Traffic, le film de Steven Soderbergh, ou la Griffe du chien, monument polardesque du genre signé Don Winslow, auquel Rotella n’a néanmoins pas grand-chose à envier.
L’auteur de Triple Crossing est hyper documenté, inutile d’insister là-dessus. Ce qu’il faut saluer, c’est la réussite romanesque de son entreprise. Être compétent, c’est bien, encore faut-il savoir utiliser la matière dont on dispose. Sebastian Rotella y parvient avec une maestria époustouflante. De bout en bout, on suit l’immersion périlleuse de Valentin Pescatore en partageant les peurs, les doutes, les inquiétudes de ceux qui tentent de manipuler ou d’utiliser ce drôle de pantin récalcitrant – héros tourmenté, hésitant, instinctif et impulsif, sans cesse sur le fil, l’une des grandes réussites de ce roman. Les autres personnages sont aussi crédibles, du charismatique Leo Mendez à Isabel Puente, séduisante et déterminée, du brutal Buffalo, tueur implacable, à son chef Junior Ruiz Caballero, jeune trafiquant aux terrifiantes sautes d’humeur.
Les explications politiques, jamais ennuyeuses car toujours portées dans des passages narratifs très dynamiques – notamment grâce à des dialogues convaincants -, alternent avec des scènes haletantes que le cinéma américain a rendues familières : poursuites, traques, surveillance, fusillades… Certaines séquences sont hallucinantes (la visite au pénitencier, la convocation à la presse d’Araceli Aguirre, le final…) On y croit, on s’y plonge, on participe, on tremble, on a du mal à poser le livre. C’est du thriller, donc, et du meilleur.
On en ressort repu de suspense et enrichi de connaissances édifiantes sur la marche ténébreuse du monde. La littérature noire, parfois, offre ce genre de sensation intéressante. Ne passez pas à côté.
Triple Crossing, de Sebastian Rotella
Éditions Liana Levi, 2012
ISBN 978-2-86746-597-0
440 p., 22,50€
P.S.: un petit message bonus pour saluer la très belle couverture de Triple Crossing, à l’image de l’excellent travail fourni en général par Liana Levi en la matière. Je me plains assez souvent de la laideur de nombre de couvertures pour ne pas féliciter ceux qui adoptent un modèle réussi, sobre et efficace, et qui s’y tiennent ensuite. Bravo donc !