À première vue : la rentrée Stock 2020

Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.
Intérêt global :
Sabre, d’Emmanuel Ruben
Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.
Le Monde du vivant, de Florent Marchet
Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.
Erika Sattler, d’Hervé Bel
Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.
La Société des belles personnes, de Tobie Nathan
« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.
Aria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)
Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.
Le Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim
La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.
La Grande épreuve, d’Étienne de Montety
L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.
La colère, d’Alexandra Dezzi
Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.
Dernière cartouche, de Caroline de Bodinat
Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)
Les démons, de Simon Liberati
« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?
BILAN
Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.
A première vue : la rentrée Liana Levi 2016
Pour être une « petite » maison d’édition, Liana Levi n’en participe pas moins chaque année à la rentrée littéraire, avec un souci renouvelé de découvrir de nouvelles voix. C’est encore le cas cette année avec le roman francophone qu’elle propose, première œuvre d’une auteure d’origine iranienne déjà bien soutenue par les libraires qui ont pu le lire en avant-première.
(DÉ)BOUSSOLE : Désorientale, de Négar Djavadi
Arrivée à Paris à l’âge de dix ans, Kimiâ n’a pas toujours fait grand cas de ses origines iraniennes. Mais celles-ci vont bientôt la rattraper, plongeant la jeune femme dans un tourbillon des origines où s’entrechoquent la longue histoire familiale et celle d’un pays à (re)découvrir, sur fond de rock et de passion… Cinéaste et scénariste, Négar Djavadi s’inspire de son propre parcours pour ce premier roman qui devrait faire souffler un joli vent de liberté sur le raout automnal.
DÉLIVRANCE : Le Naturaliste, d’Alissa York
En 1867, un naturaliste monte le projet d’une expédition audacieuse sur l’Amazone et le Rio Negro, au cœur de la jungle, à la rencontre des tribus indiennes. Mais la mort l’emporte brusquement, et c’est sa femme et son fils (né d’un premier mariage de son père avec une Indienne) qui décident de mener l’aventure avec l’aide d’une jeune dame de compagnie. Tandis que les deux femmes font l’expérience d’une liberté inédite, le jeune homme se confronte non sans mal à ses racines… Quatrième traduction française pour Alissa York, auparavant publiée par Joëlle Losfeld.
Je ne suis pas celle que je suis de Chahdortt Djavann
Comme toujours, le titre m’a interpellé. La première page et notamment cette phrase aussi : « Ma première grande faiblesse fut de vouloir devenir une héroïne, épique et stoïque, ma deuxième faiblesse fut d’échouer, et la troisième de recommencer sans cesse ; mon opiniâtreté refusait l’abandon d’un tel projet. C’est ainsi que je devins une insubmersible héroïne déchue. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le roman de Chahdortt Djavann est étrange. Le sous-titre indique Psychanalyse 1 et il est spécifié en dessous, roman. Pour qu’on n’oublie pas qu’il s’agit avant tout d’un roman, même si on sent au fil de la lecture (et l’auteur l’explique à la fin) que certaines choses sont vraies et d’autres pures fictions.
Deux récits se trouvent emmêlés. Tout d’abord, la narratrice iranienne (dont je ne me souviens pas que son prénom ait été mentionné) fait des comptes-rendus de chacune de ses séances chez le psychanalyste, tout au long de l’année 1994, à Paris. Imbriqué entre ces courts récits, on suit les aventures de Dounya, belle et intrépide étudiante iranienne, dans les rues de Téhéran, de Bandar Abbas et Ispahan (et ailleurs), dans l’Iran de 1990.
Je vais être honnête avec vous. J’ai lu l’ouvrage sur une centaine de pages avant de m’apercevoir que les comptes-rendus chez le psy ne m’intéressaient pas du tout. Désolée Madame Djavann. Au début, c’était intéressant, savoir comment évoluer chez un psychanalyste en connaissant à peine la langue, ses hésitations langagières, ses soirées passées à engloutir le dictionnaire pour pouvoir s’exprimer correctement devant son médecin. Et puis… et puis je me suis lassée.
J’ai donc totalement arrêté de lire les chapitres intitulés « séances » pour me consacrer à la vie de Dounya, la rebelle. Cette partie du récit est formidablement bien écrite. Comment une jeune femme peut se rebeller contre le régime tyrannique de la république islamiste? En épousant un riche Iranien vivant à l’étranger? En tentant de fuir le pays? En s’alliant avec des personnes à la tête d’un réseau de résistants? Peut-on vraiment parler d’une résistance en Iran?
Ce récit est vraiment captivant, on se prend d’affection pour Dounya qui tente par tous les moyens d’échapper à sa condition de femme, déjà difficile en soi, mais plus encore dans un pays comme le sien. J’ai dévoré ces pages et j’attends avec impatience le tome 2, pour connaître la suite de ses aventures. Vite, Madame Djavann, vite!
Donc encore une fois, un résultat très mitigé. D’un côté, des séances chez le psy qui durent, qui durent… et de l’autre, une histoire touchante, presque haletante. J’imagine que je suis passée totalement à côté du livre en évitant de lire les parties concernant le psy et la narratrice, mais c’était trop long, trop lent, trop répétitif surtout. Alors que la vie de Dounya est on ne peut plus captivante.
Au final, un livre intriguant, qui aura peut-être son petit succès en librairie pour la rentrée, auquel cas, je m’efforcerai de lire les chapitres avec le psy et vous referai un autre décryptage.
Je ne suis pas celle que je suis, Psychanalyse 1 de Chahdortt Djavann
Editions Flammarion, 2011
ISBN 9782081227545
533 pages, 21 €