À première vue : la rentrée Belfond 2021
Intérêt global :
Première apparition des éditions Belfond dans la rubrique « à première vue » !
Je dois admettre que c’est un éditeur dont je lis assez peu les parutions, en dépit d’un catalogue sérieux et assez varié pour susciter la curiosité. Ne me demandez pas d’explication, je n’en ai pas d’autre que : « on ne peut pas être partout », même avec la meilleure volonté du monde. (J’ai déjà du mal à suivre les sorties de mes maisons favorites, alors…)
Néanmoins, il était temps de faire une place à cette maison importante, pour ne pas dire incontournable dans le paysage éditorial français.
En 2021, Belfond s’avance avec quatre titres, dont un français et un dans la collection Vintage, qui (re)met à l’honneur des livres et des auteurs souvent oubliés, alors même qu’ils ont souvent marqué leur époque.
Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, de Lionel Shriver
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Gibert)

Un couple solide de sexagénaires. Si elle est une sportive accomplie, lui est plutôt du genre à imprimer la marque de son corps dans son fauteuil préféré. La retraite arrivée, il décide pourtant de se préparer pour courir un marathon. Ce qui ressemble à une passade tourne à l’addiction, et le voici qui entreprend de se préparer pour un Iron Man. Une métamorphose physique qui se double d’un changement de caractère si radical qu’il met en péril son couple.
Mrs Lionel Shriver (oui, c’est une dame, comme son prénom masculin en France ne l’indique pas) est célèbre pour son terrible Il faut qu’on parle de Kevin, où elle démontrait une finesse ahurissante dans l’analyse psychologique. Une qualité que ce nouveau sujet lui permettra sans doute de développer.
Le Chat, le Général et la Corneille, de Nino Haratischwili
(traduit de l’allemand par Rose Labourie)

Après des passages chez Buchet-Chastel et les défuntes éditions Piranha, c’est le troisième roman de Nino Haratischwili traduit en France. Il débute en décembre 1994, dans le Caucase. Un jeune homme enrôlé dans l’armée russe par dépit amoureux s’éprend de Nura, une adolescente fière et rebelle. Mais la jeune femme est arrêtée, et le soldat acteur malgré lui de terribles actes de violence.
Des années plus tard, le jeune soldat est devenu « le Général », un homme impitoyable. Ce qui n’empêche nullement une journaliste tenace, la Corneille, de tenter d’exhumer ses sinistres secrets de son passé. Quand le Général rencontre le Chat, une jeune comédienne sosie de Nura, l’heure des comptes semble enfin avoir sonné…
Basculer, de Florian Forestier
Le titre français de la rentrée est un premier roman, en prise directe avec la société contemporaine.
Lors d’une randonnée dans le massif des Écrins, un haut fonctionnaire chute dans une crevasse. Il déroule alors sa mémoire fracturée, évoquant le monde contemporain, la fermeture des frontières, la valse des acteurs politiques et les alertes d’une association menée par un célèbre mathématicien sur les risques de l’effondrement.
Un sujet risqué, d’autant que je ne suis pas certain de l’envie des lecteurs de se confronter à une actualité trop récente et désagréable. Mais il faut bien aussi parler du monde tel qu’il va, et s’il y a du talent…
Au bord de la nuit, de Friedo Lampe
(traduit de l’allemand par Eugène Badoux)
La vie du port de Brême à travers une suite de portraits intimistes de ses habitants. Mais, peu à peu, les ténèbres s’abattent sur la ville…
Publié en 1933, ce roman a été interdit par le régime nazi. On devine pourquoi à la lecture de ce résumé.
BILAN
Lectures hypothétiques :
Au bord de la nuit, de Friedo Lampe
Le Chat, le Général et la Corneille, de Nino Haratischwili
À première vue : la rentrée Stock 2020

Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.
Intérêt global :
Sabre, d’Emmanuel Ruben
Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.
Le Monde du vivant, de Florent Marchet
Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.
Erika Sattler, d’Hervé Bel
Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.
La Société des belles personnes, de Tobie Nathan
« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.
Aria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)
Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.
Le Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim
La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.
La Grande épreuve, d’Étienne de Montety
L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.
La colère, d’Alexandra Dezzi
Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.
Dernière cartouche, de Caroline de Bodinat
Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)
Les démons, de Simon Liberati
« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?
BILAN
Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.
L’effroi de François Garde
Scandale à l’Opéra. Pour la première de Cosi fan tutte, retransmis en direct à la télé, l’immense chef d’orchestre, Louis Craon, le Karajan de nos jours, entre dans la fosse et fait un salut nazi. C’est la stupéfaction générale mais pour le violoniste Sébastien Armant, c’est une vague d’effroi qui le submerge. Sans réfléchir, il se lève, son instrument sous le bras et tourne le dos au chef, pour ne plus avoir à regarder cet homme qui vient de faire entrer l’horreur à l’Opéra.
En quelques minutes, Sébastien Armant est érigé en héros. Craon s’enfuit et disparait totalement de la sphère médiatique et laisse sa place à un Sébastien Armant médusé d’être, tout à coup, le centre d’intérêt d’une nation entière. Il se laisse emporter par la folie des médias qui s’empare de lui. Interviews, documentaires, journaux de 20h. Armant se plie de bonne grâce au jeu des caméras. Mais c’est toute sa vie qui bascule.
François Garde écrit bien, indéniablement. J’avais adoré Ce qu’il advint du sauvage blanc et j’avais apprécié Pour trois couronnes. Avec L’effroi, je reste sur ma faim. J’ai été immédiatement interpellée par le thème, par les personnages, par l’histoire. L’auteur a cette facilité déconcertante a rendre ses personnages vivants, intéressants. Mais si le début est parfaitement orchestré, la fin me laisse perplexe. Le fin mot de l’histoire est expédié en quelques lignes et je suis un peu dubitative quant à la réponse apportée. Tout ça pour ça pourrait-on dire. J’ai comme le sentiment que François Garde ne savait pas comment terminer son livre. Et je suis déçue. Déçue, car j’ai tourné les 250 premières pages avec avidité pour finir sur des questions sans vraiment de réponses. C’est peut-être au lecteur de se faire sa propre opinion, mais j’aime quand l’auteur m’emmène jusqu’au bout de son développement. Et là, clairement, pour moi, il me manque une fin.
Vivement le prochain roman de cet auteur que j’apprécie beaucoup pour me remonter le moral et oublier cet Effroi.
L’effroi de François Garde
Editions Gallimard
9782070149520
304 p., 20€
Un article de Clarice Darling.
Avenue Nationale, de Jaroslav Rudis
Signé Bookfalo Kill
À première vue, on pourrait croire que Vandam est juste un gros con bien épais du bulbe, grand admirateur de l’acteur belge lui ayant valu son surnom, qui passe des heures au bistrot à écluser de la bière en ressassant des souvenirs de vieille gloire mal digérée. En l’occurrence, Vandam se targue d’être celui qui a donné le premier coup lors de la Révolution de Velours à Prague en 1989, événement fondateur ayant entraîné la chute du communisme tchèque.
Sauf que c’était il y a longtemps. Depuis, Vandam joue des muscles quand il est témoin d’une injustice ou d’une impolitesse, drague plus ou moins Lucka, la serveuse du rade où il échoue chaque soir, se gargarise d’histoire militaire et assure ses deux cents pompes par jour, moyen pour lui d’être à la hauteur de la vie telle qu’elle va. Suffisant ? Pas sûr.
Drôle de roman ! Pas aimable, ça non. Rugueux, mais fascinant. Au fil d’un monologue violent et hypnotique, le Tchèque Jaroslav Rudis donne la parole à une brute épaisse, loser pathétique dont on comprend que l’errance et les discours xénophobes ne sont finalement que le produit d’un broyage social dans les règles de l’art. Vandam, c’est la lie du peuple, l’opinion au ras du caniveau, la mélasse des frustrations, des échecs et des dérives. C’est le cri de rage d’un nazillon naze qui a conscience de sa crasse mais tente de sauver ce qui peut l’être – en l’occurrence, son mystérieux interlocuteur, à qui il balance ses leçons de vie viriles noyées dans des vomissures extrémistes.
Pourtant, dans le magma alcoolisé, dans l’éructation minable, émerge une pensée plus vive qu’il n’y paraît, le récit de la manière dont l’Europe broie ses millions de petits soldats. Un tank en acier trempé contre une armée dérisoire de hérissons. Ca fait un sacré paquet de cadavres sur l’asphalte, mais attention, les hérissons ça pique, ça s’échappe et ça se reproduit.
Rudis gifle son lecteur à grands coups de phrases sèches au vocabulaire limité, de répétitions épuisantes qui disent à merveille une pensée rance tournant en rond autour d’obsessions misérables. Misérables ? Le mot est lâché. Hugo parviendrait-il aujourd’hui à glorifier les sans-grade, les grouillots du peuple, avec une matière première aussi dégueulasse que ces types bas du front, nostalgiques sans raison des éructations hitlériennes ? Pas sûr. Parce qu’il n’y a pas grand-chose à sauver, même en grattant bien sous la crasse.
Dans Avenue Nationale, Jaroslav Rudis plante un authentique laissé-pour-compte du monde moderne, un Valjean crapoteux, dénué de grandeur mais pas d’un charisme qui finit par sidérer à défaut de charmer. Son phrasé est celui d’un poème de la taverne, à la scansion si obsédante qu’on ne peut lâcher la page, alors même que rester en compagnie d’un type pareil n’a rien d’une partie de plaisir.
« Ils te mettent dans le crâne qu’en Europe on veut tous le bien, qu’on agit tous dans le même sens.
Ils te mettent dans le crâne que nous aussi, on doit aller dans ce sens.
Ca s’appelle de la solidarité.
Pas Rien que la Nation, mais Rien que l’Europe !
Ils te mettent dans le crâne qu’ils savent ce qu’ils font.
Ils te mettent dans le crâne qu’ils sont responsables.
Ils te mettent dans le crâne qu’y aura toujours quelqu’un qui paye.
Mais moi, je sais comment c’est.
Moi, je sais ce qui se passe.
Moi, je sens que ça tremble.
Que c’est fatigué.
Que ça fond comme les glaciers.
Que ça brûle comme les forêts vierges d’Amazonie.
Que ça se hérisse.
Que de nouvelles batailles se préparent.
Le scénario de la crise, c’est rien d’autre qu’un plan de bataille.
Alors entraîne-toi.
Trime.
Tu survivras que comme ça.
La paix n’est qu’une pause entre deux guerres. »
Avenue Nationale est un roman hostile mais envoûtant, qui plonge comme rarement dans le crâne moussu d’un abruti luttant contre ses propres limites, avec un orgueil forçant le respect. Chaque page est une baffe glanée dans la baston piteuse des fins de soirée à la taverne. On n’a pas envie de s’éterniser, on voudrait échapper à la bagarre qui vient inexorablement, mais on s’attarde et on prend sa branlée bien comme il faut. Au final, je ne pourrais pas dire que j’ai aimé ce livre, mais il m’a captivé par sa puissance politique et son absence totale de concessions.
Alors, oui, objectif atteint, monsieur Rudis, mais je ne suis pas pressé que vous me repayiez une tournée. Avoir envie de gerber pendant deux cents pages n’est pas une expérience qu’on a envie de reproduire tous les jours. Même s’il faut reconnaître que c’est une expérience littéraire stimulante !
Avenue Nationale, de Jaroslav Rudis
(Národní Trída, traduit du tchèque par Christine Laferrière)
Éditions Mirobole, 2016
ISBN 978-2-37561-027-5
205 p., 19,50€
A première vue : la rentrée Gallmeister 2016
Un nouvel éditeur fait son apparition dans la rubrique « à première vue » ! Et non des moindres, puisqu’il s’agit de Gallmeister, l’excellente maison exclusivement dédiée à la littérature américaine, fondée et animée par Oliver Gallmeister, l’homme qui a su dénicher David Vann, Craig Johnson, Pete Fromm, Edward Abbey, Jake Hinkson, Benjamin Whitmer, Jim Tenuto (entre beaucoup d’autres) ou redonner leurs lettres de noblesse à Trevanian, Ross MacDonald ou James Crumley.
Entre ses différentes collections (Americana, Nature Writing, Néonoir ou les poches chez Totem), Gallmeister figurera largement dans cette rentrée 2016, sans excès comme à son habitude, mais avec toujours autant de variété et de qualité potentielle. Il serait donc dommage de s’en priver !
* Collection Americana *
LE FREAK, C’EST CHIC : Amour monstre, de Katherine Dunn (18 août)
A la tête d’un spectacle itinérant, Al et Lil Binewski mettent tout en oeuvre pour faire de leurs enfants les vedettes du show. Mais quelles vedettes ! En les gavant d’amphétamines et en les faisant pousser sous des radiations peu recommandables, ce sont de véritables monstres de foire qu’ils alignent sur la piste. Mais les Binewski n’en sont pas moins une famille comme les autres, avec ses problèmes et ses rivalités à gérer… Tout un programme pour ce roman culte aux États-Unis depuis longtemps, déjà édité par Pocket dans les années 90 (sous le titre Un amour de monstre) mais passé inaperçu. Retraduit par l’excellent Jacques Mailhos, ce livre se voit offrir une deuxième chance qu’il ne faudrait sans doute pas laisser passer.
* Collection Nature Writing *
ICE STORM : L’Heure de plomb, de Bruce Holbert (1er septembre)
1918, Etat de Washington. A la suite d’une tempête de neige dévastatrice qui emporte son frère et son père, Matt Lawson se retrouve à 14 ans à la tête du ranch familial. Obligé de prendre ses responsabilités, Matt doit poursuivre l’oeuvre familiale, apprendre à connaître la nature qui l’environne, et maintenir la cohésion de ses proches… Par l’auteur d’Animaux solitaires, déjà publié par Gallmeister.
LA VIE PARFOIS FAIT PLOUF : Aquarium, de David Vann (3 octobre)
Après Goat Mountain et Dernier jour sur terre, parus simultanément en France, David Vann a assuré en avoir terminé avec ses histoires terribles de filiation et de paternité où les armes jouaient un rôle fatal. Ce nouveau roman semble confirmer une nouvelle voie, en racontant la rencontre d’une fillette de douze ans et d’un vieil homme à l’Aquarium de Seattle, où leur amour commun des poissons noue leur amitié. Mais lorsque la mère de Caitlin découvre cette relation, elle se voit obligée de dévoiler à sa fille un terrible secret qui les lie à cet homme… Jamais remis du choc Sukkwan Island, je suis donc très curieux et excité de découvrir une autre facette du talent de David Vann.
* Collection Néonoir *
APOCALYPSE NOW : Le Verger de marbre, d’Alex Taylor (18 août)
Mauvaise pioche pour le jeune Beam Sheetmire : obligé de tuer un homme qui l’agressait, il réalise qu’il s’agit du fils d’un caïd local. Avec l’aide de son père, Beam prend la fuite, tandis que le caïd et le shérif se lancent à sa poursuite… Du noir de chez noir, c’est forcément chez Néonoir ! Buzz très positif cet été chez les libraires au sujet de ce roman.
CRIME UNLIMITED : Le Bon fils, de Steve Weddle (3 octobre)
Après dix ans passés en prison, un homme revient chez lui pour réaliser que, dans cette région dévastée par la crise économique, il n’y a pas de meilleur avenir que celui de tueur…
* Collection Totem *
L’ŒIL DE TAUPE : Nuit mère, de Kurt Vonnegut (18 août)
Inédit en français, ce roman rapporte les confessions fictionnelles d’un dramaturge américain, dans l’attente de son procès à Jérusalem pour crime de guerre, accusé d’avoir été l’un des défenseurs les plus zélés du régime nazi. Mais il affirme être innocent et avoir été un agent infiltré des Alliés en Allemagne…
Un coup d’oeil rapide aux autres sorties, parutions en poche de titres de la maison : Animaux solitaires, de Bruce Holbert (1er septembre) ; Impurs, de David Vann (3 octobre) ; Le Gang de la clef à molette, d’Edward Abbey (3 octobre) ; Traité du zen et de la pêche à la mouche, de John Gierach (4 novembre).
L’autre Simenon de Patrick Roegiers
Simenon et Maigret ont toujours rimé, même si ce n’est pas vrai. Simenon, c’est ce forçat de l’écriture qui a écrit un nombre incalculable de romans, principalement avec son commissaire Maigret, héros impavide. Georges Simenon, ce sont des rayonnages complets sur les étagères de la bibliothèque de ma grand-mère.
Mais il y en a un autre. Christian. Un petit frère peu recommandable qui va très mal tourner pendant la Seconde Guerre Mondiale, condamné par contumace pour une tuerie qu’il a orchestrée, membre actif du réseau nazi Rex et qui aura la bonne idée de s’enfuir avant son procès et de se faire tuer en Indochine. Christian Simenon, c’est un peu l’âme damnée du frère aîné, brillant écrivain, qui traînera toute sa vie, sinon taira, la réputation sulfureuse du petit frère raté.
Patrick Roegiers s’est attaqué à un monument de la littérature belge et… je n’ai pas aimé. Pas le fond, car l’histoire de ce frère grandissant dans l’ombre est intéressante. Non, ce qui m’a profondément agacé ou perturbé, c’est le style. Je n’ai pas du tout accroché au style de Patrick Roegiers (ce qui ne m’a pas empêché de lire le livre jusqu’au bout). Ce livre déroutant est difficile à décrire mais je n’ai pas adhéré aux longues énumérations sur des paragraphes entiers de surnoms suivis d’adjectifs qualificatifs, aux descriptions qui prennent des pages et des pages sans pour autant apprendre quoi que ce soit sur la psychologie des personnages, notamment celles du rexisme et de son leader, Léon Degrelle, les descriptions sans fin du carnage de Courcelles (avec moult détails qui rendent la scène difficile à lire). Il m’a manqué les sentiments, l’atmosphère, l’ambiance. Il m’a manqué l’approfondissement des personnages. Il m’a manqué beaucoup de choses qui auraient pu faire, pour moi en tout cas, un grand roman.
Le moins que l’on puisse dire, dans ces temps où on critique les écrivains à tout bout de champ, c’est que Patrick Roegiers a un style, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, mais qui ne laisse personne indifférent.
L’autre Simenon de Patrick Roegiers
Éditions Grasset, 2015
9782246804611
304 p., 19€
Un article de Clarice Darling.
Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernàndez Luna
Signé Bookfalo Kill
Autant que le roman d’une histoire, Monarques est l’histoire d’un roman. Celle d’un auteur français, Sébastien Rutés, imaginant un jour de 2008 (ou plutôt un soir bien arrosé) un livre à quatre mains avec son ami mexicain Juan Hernàndez Luna. Comme leurs futurs héros Augusto et Jules, ils entament de chaque côté de l’Atlantique l’écriture d’un roman épistolaire, dont ils achèvent la première partie et commencent la deuxième avant qu’en 2010, la maladie emporte Juan trop tôt, à 48 ans. Le choc et le chagrin absorbés, Sébastien se remet à l’ouvrage et termine seul ce livre au destin singulier, à la fois vivace et triste, ce livre survivant, à l’image des aventures qu’il raconte.
Car Monarques est un roman d’aventures, un vrai, un grand, un beau ! Tout commence pourtant d’une manière presque paisible. Augusto Solis, affichiste mexicain, écrit lettre sur lettre à Loreleï, son grand amour rencontré dans son pays et trop tôt reparti pour d’obscures raisons. La seule adresse dont il dispose est à Paris, mais Loreleï n’y habite plus. C’est un jeune homme, Jules Daumier, coursier pour l’Humanité, qui y vit désormais avec sa mère. Par politesse, Jules répond néanmoins à Augusto pour l’avertir de sa méprise – et se noue alors entre eux, involontairement, une amitié épistolaire nourrie par la recherche de Loreleï.
Quelques décennies plus tard, dénichant les lettres de son grand-père Jules, Daniel retrouve et contacte Nieves, petite-fille d’Augusto. Ils renouent le fil d’une correspondance et d’une amitié interrompues par la Seconde Guerre mondiale…
Quelle(s) histoire(s) !!! Nombre d’écrivains auraient tiré 250 pages d’une seule des péripéties qui peuplent Monarques. En bons héritiers de Jules Verne, Garcia Marquez et consorts, Luna et Rutés aiment les intrigues foisonnantes, les personnages hauts en couleur, les rebondissements insensés, les grands méchants et les belles histoires d’amour. Mêlant la France du Front Populaire et l’histoire mexicaine, le Paris bégueule et populaire des années 30 et Hollywood, réservant un drôle de sort au film Blanche-Neige (!!!), mettant en scène Walt Disney, Aragon, Léni Riefenstahl et même Hitler, entre autres personnages réels glissés entre les superbes figures imaginaires créées par les deux auteurs, le roman ne recule devant rien pour lancer ses lecteurs sur la route de l’aventure et de l’évasion, des frissons et des passions.
Les conditions particulières d’écriture du livre font beaucoup pour sa singularité. La première partie est un roman épistolaire, calqué sur les échanges entre Augusto et Jules. La disparition de Juan Hernàndez Luna contraint ensuite Sébastien Rutés à changer le dispositif prévu, optant dans la deuxième partie pour un récit classique qui prend tout à fait des accents verniens, avec quête d’un trésor caché, poursuites en bateau, séquestrations de héros, îles mystérieuses, retrouvailles et pertes éperdues… avant de revenir dans la troisième partie à un échange de missives, cette fois électroniques, modernité oblige, puisque les héritiers de Jules et Augusto sont nos contemporains.
Étonnamment, les deux premiers segments s’enchaînent à merveille. La technique épistolaire est exploitée au maximum ; le retour ensuite à la forme classique du récit permet d’expliquer nombre de mystères et, en changeant de rythme, de relancer la curiosité et l’intérêt du lecteur. Après une telle débauche de péripéties et d’émotions, la troisième partie patine légèrement. Un peu trop bavarde, elle ralentit le récit, avant de se redresser grâce à une fin émouvante, heureusement à la hauteur du reste, ce qui permet de conclure l’ensemble du roman sur une très bonne note.
Brillant par sa construction, Monarques rejoint les plus belles pages littéraires alliant évasion et invention, jouant de l’Histoire pour dérouler une superbe histoire. Ce roman fait souffler sur la rentrée un vent de liberté plus que bienvenu, ne le ratez pas !
Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernandez Luna
Éditions Albin Michel, 2015
ISBN 978-2-226-31810-7
375 p., 21,50€
Adam et Thomas d’Aharon Appelfeld
C’est l’histoire d’un petit garçon philosophe et débrouillard, Adam. Sa mère va le cacher dans la forêt qu’il connaît par coeur. La guerre fait rage dehors, les Nazis traquent les Juifs. Adam restera sagement caché jusqu’à ce que sa mère revienne le chercher. Et elle reviendra, ça, il en est sûr.
Thomas est le petit rondouillard premier de la classe. Pour échapper aux rafles, sa mère le dépose à la lisière de la forêt, en lui donnant pour ordre de se cacher le plus loin possible. Elle reviendra le chercher demain.
Adam et Thomas vont se rencontrer dans ce bois, ils vont attendre une nuit, puis deux, puis un mois, puis plusieurs. Jusqu’à ce que la guerre s’arrête. Cette histoire, c’est l’histoire vraie de centaines de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Traqués, affamés, certains d’entre eux survivront plusieurs années dans les forêts, se terrant dans des trous, mangeant ce qu’ils peuvent. C’est l’histoire de l’auteur, Aharon Appelfed.
Jusqu’ici, en ce qui concerne le fond du roman, tout va bien. Mais alors la forme…
C’est le premier roman jeunesse d’Aharon Appelfeld. L’intention est louable, mais j’ai vraiment eu l’impression qu’il s’adressait à des demeurés. C’est niais, dégoulinant de bons sentiments, de :
« Tu connais mieux la forêt que moi. »
« Peut-être parce que la forêt a plus à offrir qu’un homme. »
ou encore
« Toi, tu ressens Dieu? »
« Quand je suis avec mes grands-parents oui. »
« Mais toi, tout seul, tu ressens sa présence? »
« J’ai l’impression qu’Il plane au dessus de moi. »
Rassurez-vous, le happy-end est de rigueur dans ce roman d’une fadaise sans nom, même le bon toutou échappe aux Nazis et grimpe aux arbres pour se réfugier dans la cabane improvisée. Ouf!
Seul point (très) positif du roman, les magnifiques illustrations de Philippe Dumas.
L’école des loisirs indique qu’Adam et Thomas est fait pour les 12 à 16 ans, je dirai plutôt pour les 8-12 ans bons lecteurs. Mais sincèrement, c’est long, ennuyeux, répétitif et d’un prosélytisme jamais vu pour ma part, dans un roman jeunesse à caractère non religieux. Une grosse déception!
Adam et Thomas d’Aharon Appelfeld
Editions Ecole des Loisirs, 2014
9782211217309
151 p., 15€
Un article de Clarice Darling.
HHhH de Laurent Binet
Quand HHhH est paru en 2010, je me suis jetée dessus. Avant même qu’il ne soit primé au Goncourt du Premier Roman. En effet, dans ce roman, on nous promet :
– du Héros, je cite « deux parachutistes tchécoslovaques envoyés par Londres (…) chargés d’assassiner Reinard Heydrich, chef de la Gestapo, chef des services secrets nazis, planification de la solution finale (…) »
– de l’Horreur, car Heydrich était « le bourreau de Prague, la bête blonde, l’homme le plus dangereux du IIIe Reich »
– de l’Histoire Vraie puisque, je cite, « tous les personnages de ce livre ont existé ou existent encore. »
– un récit qui tient en Haleine, car deux récits s’imbriquent l’un dans l’autre, l’Histoire emboîtée dans le quotidien de l’auteur.
Bref, beaucoup de choses sur la quatrième de couverture qui annonçaient un récit captivant. J’allais voir ce qu’un premier roman pouvait nous livrer sur un passage peu connu de l’Histoire.
Et là, je dois dire que j’ai été très impressionnée. C’est fluide, c’est simple, c’est efficace, pour un peu, je dirais que ce livre se boit comme du petit lait. Laurent Binet découpe son roman selon une alternance de chapitres. D’un côté, on suit la vie et l’apogée de Reinhard Heydrich, la « bête humaine » d’Himmler (Himmler étant lui-même bras droit d’Hitler (vous suivez?)). D’un autre, on découvre Josef Gabcik et Jan Kubis, jeunes soldats tchécoslovaques chargés de l’Opération Anthropoïde et enfin, on suit les angoisses et envies d’un auteur, tiraillé entre son envie de dire la Vérité Historique et la crainte de trop romancer son propos.
Laurent Binet fait de HHhH un petit bijou de narration. Tous les personnages, qu’ils soient nazis ou résistants, sont traités sur le même pied d’égalité. Laurent Binet connaît par coeur ce passage de l’Histoire et nous dévoile ses talents de pédagogue ainsi que d’écrivain. Il nous entraîne dans une histoire presque insensée, son écriture nous tient en haleine et on ne peut se résoudre à refermer l’ouvrage sans savoir comment se termine cette folle équipée. Le seul reproche qui puisse éventuellement lui être fait concerne les chapitres le concernant directement, en tant qu’auteur. Binet se met en scène avec peut-être un peu trop de pathos, du « Ah mon Dieu, comment vais-je faire pour vous raconter tout cela! », mais cela ne gâche rien à la narration et à l’articulation générale du roman.
HHhH ne signifie plus pour moi « Himmler’s Hirn heisst Heydrich » (le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich), mais est désormais synonyme de récit Haletant où rien n’est laissé au Hasard, un Hommage aux êtres Humains disparus pour sauver leur pays. Vraiment, Laurent Binet n’a pas volé son Prix Goncourt de Premier Roman. J’ai hâte de lire son prochain ouvrage.
HHhH de Laurent Binet
éditions Livre de Poche
ISBN 9782253157342
448 pages, 7€ 50
Un article de Clarice Darling