Premier sang, d’Amélie Nothomb

Éditions Albin Michel, 2021
ISBN 9782226465382
180 p.
17,90 €
Un jeune homme de 28 ans fait face à un peloton d’exécution.
Nous sommes en 1964, au Congo, à Stanleyville (ancien nom de Kisangani) tombé sous la coupe de rebelles qui ont pris des centaines d’otages belges et étrangers.
Ce jeune homme est le Consul de Belgique au Congo. Depuis des jours, il fait office de négociateur et s’efforce d’assurer la survie des autres otages en palabrant sans fin avec les différents chefs de la rébellion. Ce jour-là, quelque chose a mal tourné, et le voici aux portes de la mort.
Face aux fusils levés contre lui, respectant le cliché selon lequel on verrait défiler son passé à l’instant de sa mort, il revient sur sa courte vie pour essayer de comprendre ce qui a pu le conduire à une telle extrémité.
Ce jeune homme, c’est Patrick Nothomb. Futur papa d’Amélie. Premier sang est évidemment à prendre avant tout comme un hommage au père, disparu en mars 2020 (et non pas devant le peloton d’exécution en 1964, sans quoi nous n’aurions jamais lu les livres de sa fille).
Ce trentième livre s’inscrit de fait dans la veine intimiste de la romancière belge, qui a donné quelques-uns de ses plus beaux livres (Le Sabotage amoureux, Stupeur et tremblements, La Nostalgie heureuse). En découvrant de quoi il y était question, j’en ai donc attendu beaucoup, espérant l’un de ces bons crus dont Nothomb peut, à l’occasion, nous gratifier.
C’est, hélas, une relative déception.
Passées les premières pages, assorties d’une petite référence à Dostoïevski pour faire bien, le roman rembobine afin de rallier l’enfance de Patrick. Où l’on découvre un petit garçon gracieux et fragile, orphelin très tôt de père, délaissé par sa mère qui confie son éducation à ses parents. Très vite exaspéré par les manières de poupée de porcelaine de l’enfant, le grand-père décide de profiter de vacances scolaires pour l’envoyer s’endurcir du côté de la branche paternelle de la famille : les Nothomb.
S’endurcir n’est pas un vain mot, car cette partie de l’arbre généalogique s’avère un panier d’affreux crabes, une tribu composée d’une tripotée de gamins crasseux et mal élevés, à peine nourris par un patriarche poète à ses heures et totalement allumé le reste du temps.
Voici donc ce que raconte surtout Premier sang : la confrontation initiatique entre un enfant « merveilleux » et une brochette de monstres, dont les vilaines habitudes cachent en réalité, bien sûr, des trésors édifiants pour le petit Patrick, qui va grandir et beaucoup apprendre à leurs contacts, au point d’attendre avec impatience chaque retour en vacances chez eux.
La fragilité des âmes pures et la beauté des monstres (à laquelle répond souvent la monstruosité des beaux), voilà bien encore des thèmes nothombiens, que l’on retrouve beaucoup dans ses textes inspirés des contes (Barbe Bleue, Riquet à la houppe, mais aussi Mercure et Attentat). Et c’est un peu le problème à mon sens.
Premier sang, en consacrant l’essentiel de ses pages à ce récit d’enfance, se cantonne à une énième variation d’Amélie Nothomb sur des sujets rebattus, sans rien leur apporter de neuf. Et ne fait qu’effleurer, dans le dernier quart du livre, l’histoire congolaise de Patrick Nothomb, pourtant plus prometteuse et piquante sur le papier – d’ailleurs savamment mise en avant dans la communication entourant le livre, ce qui prouve qu’elle est son point fort, et qu’elle aurait sans doute mérité plus.
L’hommage au père s’avère donc un roman anodin dans l’œuvre de l’écrivaine. Bien tourné, comme toujours, appuyé sur l’écriture élaborée que Nothomb a adoptée depuis un moment en abusant moins des dialogues au profit d’une véritable narration.
Plaisant et rapide à lire (ce n’est pas non plus une surprise) mais, à mon sens, ou en tout cas selon mes attentes, pas à la hauteur de sa promesse.
Les petites reines, de Clémentine Beauvais

Éditions Sarbacane, coll. Exprim’, 2015
ISBN 9782848657684
272 p.
15,50 €
À cause de leur physique ingrat, Mireille, Astrid et Hakima ont gagné le « concours de boudins » de leur collège de Bourg-en-Bresse. Les trois découvrent alors que leurs destins s’entrecroisent en une date et un lieu précis : Paris, l’Élysée, le 14 juillet.
L’été des « trois Boudins » est donc tout tracé : destination la fameuse garden-party de l’Élysée. Et tant qu’à monter à Paris, autant le faire à vélo – comme vendeuses ambulantes de boudin, tiens !
Ce qu’elles n’avaient pas prévu, c’est que leur périple attire l’attention des médias… jusqu’à ce qu’elles deviennent célèbres !!! Entre galères, disputes, rigolades et remises en question, les trois filles dévalent les routes de France, dévorent ses fromages, s’invitent dans ses châteaux et ses bals au fil de leur odyssée. En vie, vraiment.
Après avoir été bluffé par Songe à la douceur, me voici sous le charme des Petites reines.
Clémentine Beauvais réussit ici un roman désopilant sur des sujets pourtant délicats, potentiellement anxiogènes : le harcèlement scolaire, la discrimination sous toutes ses formes (physique, intellectuelle, sociale), le handicap et les traumatismes causés par la guerre.
Autant de thèmes pas forcément Rire & Chansons, mais dont la romancière s’empare sans complexe pour les dédramatiser à grands coups d’humour, de solidarité et d’amitié.
Attention, dédramatiser ne signifie pas minimiser. Clémentine Beauvais aborde ces sujets en profondeur, avec le sérieux requis, mais les rend d’autant plus accessibles et faciles à comprendre qu’ils sont traités avec drôlerie, empathie et sans pathos.
La réussite du livre tient en grande partie à son ton : enchanté par la gouaille et l’auto-dérision féroce qui constituent les armes majeures de Mireille, la narratrice, Les petites reines manipule les émotions les plus extrêmes sans avoir l’air de se soucier qu’elles peuvent lui exploser à la figure à tout instant.
Les personnages sont d’une solidité à toute épreuve, qu’il s’agisse de trois filles, de leur accompagnateur Kader alias le Soleil (grand frère d’Hakima, rescapé de guerre ayant perdu ses jambes et tous ses hommes lors d’un guet-apens, formidable acolyte de nos trois héroïnes), mais aussi de leurs adversaires, adolescents ou adultes, dont Clémentine Beauvais n’oublie jamais de cerner les motivations, qu’elles soient justes ou non.
Au passage, la romancière se joue des réseaux sociaux et de la presse, dont elle stigmatise les (nombreuses) dérives autant que les bienfaits (occasionnels), toujours avec cocasserie, et à l’occasion une ironie mordante qui venge avec jubilation de tant d’avanies médiocres.
Roman initiatique, road trip bourré d’énergie qui offre un joli voyage à travers la France, véritable profession de foi en la capacité des gens à se montrer généreux pour peu qu’on leur montre le bon exemple, Les petites reines est un rayon de soleil dont la lecture fait un bien fou et redonne un peu de foi en l’humanité.
Certains esprits chagrins lui reprocheront peut-être de faire preuve d’un peu trop d’optimisme, mais on les laissera ronchonner dans leur coin. On a trop besoin d’éclaircies dans nos vies, y compris littéraires, pour en bouder une aussi lumineuse lorsqu’elle se présente.
A première vue : la rentrée Actes Sud 2017

La fin des présentations de rentrée littéraire approche, et…
En attendant, causons des éditions Actes Sud, qui abordent leur première rentrée avec leur patronne à la tête du Ministère de la Culture – ce qui n’a aucun rapport, certes. A vrai dire, je glose et tournicote parce que je ne sais pas bien dans quel sens prendre le programme de la maison arlésienne, gros plateau qui fait la part belle à la littérature étrangère (sept titres) et avance quelques auteurs importants – dont deux retours attendus, ceux de Don DeLillo et Kamel Daoud. Bref, l’assiette est bien remplie et présente joliment, reste à savoir si les mets seront de qualité.
SHÉHÉRAZADE : Zabor ou les Psaumes, de Kamel Daoud
Après un recueil de nouvelles salué d’un succès d’estime, Kamel Daoud a fracassé la porte de la littérature francophone avec Meursault, contre-enquête, premier roman choc en forme de réécriture de L’Étranger de Camus du point de vue arabe. Connu pour l’exigence de sa pensée, le journaliste algérien est forcément très attendu avec ce deuxième roman racontant l’histoire d’un homme qui, orphelin de mère et négligé par son père, se réfugie dans les livres et y trouve un sens à sa vie. Depuis, le seul sens qu’il donne à son existence est le geste d’écriture. Jusqu’au jour où son demi-frère, qu’il déteste, l’appelle au chevet de son père mourant…
STARMANIA : Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon
Révélée elle aussi grâce à son précédent roman, La Petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon s’empare d’un fait divers américain qui a défrayé la chronique dans les années 1970 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst (qui avait en son temps inspiré Orson Welles pour son Citizen Kane), par un groupuscule révolutionnaire ; à la surprise générale, la jeune femme a fini par épouser la cause de ses ravisseurs et été arrêtée avec eux. Une professeure américaine, assistée d’une de ses étudiantes, se voit chargée par l’avocat de Patricia de réaliser un dossier sur cette affaire, pour tenter de comprendre le revirement inattendu de l’héritière.
C’EST COMME LES COCHONS : Les Bourgeois, d’Alice Ferney
Les Bourgeois, ce sont dix frères et sœurs nés à Paris entre les deux guerres mondiales. À leur place dans les hautes sphères, ils impriment le cours de l’Histoire de leurs convictions et de leurs actes. En suivant les trajectoires de cette fratrie, Alice Ferney retrace les énormes bouleversements du XXème siècle, des gigantesques conflits planétaires à l’avènement des nouvelles technologies en passant par mai 68 et les décolonisations.
THE CIRCLE : L’Invention des corps, de Pierre Ducrozet
En septembre 2014, une quarantaine d’étudiants mexicains sont enlevés et massacrés par la police. Rescapé du carnage, Alvaro fuit aux États-Unis, où il met ses compétences d’informaticien au service d’un gourou du Net fasciné par le transhumanisme. Une réflexion pointue sur les risques et dérives de notre monde ultra-connecté et amoralisé.
RELAX, DON’T DO IT : Imago, de Cyril Dion
Un jeune Palestinien pacifiste quitte son pays et traverse l’Europe à la poursuite de son frère, parti commettre l’irréparable à Paris, dans l’espoir de l’empêcher de passer à l’acte. Un premier roman qui tutoie l’actualité. Risqué ?
LA VIE PAR PROCURATION : La Beauté des jours, de Claudie Gallay
Heureuse en mariage, mère comblée de deux filles jumelles désormais étudiantes, Jeanne mène une existence paisible. La découverte de l’œuvre de l’artiste Marina Abramovic lui ouvre la porte d’autres possibles où l’imprévu est roi.
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PROMETHEUS : Zéro K, de Don DeLillo
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
Le dernier roman de Don DeLillo, Cosmopolis (adapté au cinéma par Cronenberg avec Robert Pattinson), date en France de 2012. C’est donc le retour attendu d’un auteur américain exigeant, très soucieux de la forme et porteur d’une vision ténébreuse des États-Unis en particulier et du monde en général.
Pas d’exception avec ce nouveau livre : Zéro K y est le nom d’un centre de recherches secret qui propose à ceux qui le souhaitent de s’éteindre provisoirement, de mettre leur vie en stand by en attendant que les progrès de la science permettent de prolonger l’existence et d’éradiquer les maladies. Un homme richissime, actionnaire du centre, décide d’y faire entrer son épouse, condamnée à court terme par la science, et convoque son fils pour qu’il assiste à l’extinction programmée de la jeune femme…
Un sujet déjà abordé en littérature ou au cinéma, mais dont on espère que DeLillo le poussera dans ses derniers retranchements philosophiques.
DU VENT DU BLUFF DES MOTS : Brandebourg, de Julie Zeh
(traduit de l’allemand par Rose Labourie)
Des Berlinois portés par une vision romantique de la campagne débarquent dans un village du Brandebourg, État de l’ex-R.D.A., avec sous le bras un projet de parc éolien qui n’enthousiasme guère les paysans du coin. Une lutte féroce débute entre les deux clans, attisée par une femme qui manipule volontiers les sentiments des uns et des autres pour en tirer profit… La plume mordante et le regard acéré de Julie Zeh devraient s’épanouir au fil des 500 pages de ce concentré d'(in)humanité dans toute sa splendeur.
ALIEN 28 : Polaris, de Fernando Clemot
(traduit de l’espagnol par Claude Bleton)
Océan Arctique, 1960. Dans un vieux rafiot au mouillage devant l’île de Jan Mayen, dans un paysage fermé, glacial et désertique, le médecin de bord est confronté à la folie inexplicable qui a gagné l’équipage (résumé Électre). La mer, le froid, un huis clos flippant sur un bateau… Pitch court, tentation forte !
GOOD MORNING ITALIA : Le Peuple de bois, d’Emanuele Trevi
(traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)
En Calabre, un prêtre défroqué anime une émission de radio où son esprit satirique s’en donne à cœur joie. Si les auditeurs suivent et se réjouissent de sa liberté de ton, les puissants grincent des dents…
L’ANGE DE LA MORT : Mischling, d’Affinity K
(traduit de l’américain par Patrice Repusseau)
Le terme « Mischling » en allemand désigne les sang-mêlé. C’est parce qu’elles en sont que deux sœurs jumelles sont envoyées à Auschwitz et choisies par le docteur Mengele pour mener sur elles ses terrifiantes expériences. Pour résister à l’horreur, les fillettes de douze ans se réfugient dans leur complicité et leur imagination. Peu avant l’arrivée de l’armée russe, l’une des deux disparaît ; une fois libérée, sa sœur part à sa recherche… Terrain très très glissant pour ce roman, tant il est risqué de « jouer » avec certains sujets. Auschwitz et les expériences de Mengele en font partie.
OÙ TOUT COMMENCE ET TOUT FINIT : Les femmes de Karantina, de Nael al-Toukhy
(traduit de l’arabe (Égypte) par Khaled Osman)
Saga familiale sur trois générations dans une Alexandrie parallèle et secrète, ce roman offre une galerie de personnages truculents tous plus en délicatesse avec la loi les uns que les autres (résumé éditeur).
CRIME ET CHÂTIMENT : Solovki, de Zakhar Prilepine
(traduit du russe par Joëlle Dublanchet)
Attention, pavé ! L’écrivain russe déploie sur 830 pages une vaste histoire d’amour entre un détenu et sa gardienne, et une intrigue puissamment romanesque pour évoquer l’enfer des îles Solovki, archipel situé dans la Mer Blanche au nord-ouest de la Russie où un camp de prisonniers servit de base et de « laboratoire » pour fonder le système du Goulag.
Pourquoi je n’ai pas dépassé la page 50 : Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb
Signé Bookfalo Kill
Vous le savez, j’ai souvent fait preuve d’une certaine indulgence à l’égard d’Amélie Nothomb sur ce blog. Indulgence coupable, me direz-vous peut-être, et je ne pourrais vous en vouloir ; mais c’est ainsi, l’excentrique romancière belge me fascine depuis longtemps et m’amuse assez souvent pour que je lui passe ses mauvaises manies.
Il faut néanmoins savoir lever le pied sur la complaisance et se montrer parfois plus rude – ou plus objectif. Vous l’aurez compris, ce sera le cas cette année, avec cet opus dont je n’ai vraiment pas pu dépasser la page 50 tant la perspective d’une purge se dessinait au fil des premiers chapitres. N’ayant pas de temps à perdre, j’ai préféré couper court.
Qu’est-ce qui cloche dans ce Riquet à la houppe ? Bon, déjà, le fait qu’Amélie Nothomb s’inspire à nouveau d’un texte préexistant pour pondre son roman. Elle avait déjà adapté un conte en 2012 (Barbe Bleue) et un roman d’Oscar Wilde l’année dernière (Le Crime du Comte Neville). En panne d’inspiration ? Étant donné le résultat, la réponse est oui, sans aucun doute.
En effet, non contente de pomper les intrigues des autres pour structurer sa propre histoire, voici que la romancière belge se plagie elle-même. Dès le début de ces cinquante premières pages, j’ai eu le sentiment désagréable de relire sans le vouloir certains de ses livres précédents – en particulier Attentat. Riquet à la houppe s’ouvre en dressant les portraits croisés de Déodat, jeune garçon dont la laideur repoussante est compensée par une intelligence exceptionnelle, et de Trémière, jeune fille au physique aussi délicieux que son esprit est limité. Leur rencontre est bien sûr inévitable…
Bon, que Nothomb ressasse depuis longtemps les mêmes thématiques, ce n’est pas un scoop. Mais qu’elle le fasse d’une manière aussi désinvolte et dénuée d’inspiration, c’est insupportable. Honnêtement, j’imagine que quelqu’un découvrant son œuvre par ce roman pourrait peut-être y trouver de l’intérêt et y prendre du plaisir. Et encore… Car le rythme est poussif, les situations convenues et les personnages finalement superficiels derrière leurs caractères extrêmes. On est loin de la sincérité avec laquelle Amélie Nothomb campait des personnages au-delà des limites dans ses premiers romans ; encore une fois, la romancière déroule sa recette avec les mêmes ingrédients, sans génie ni folie.
Résultat : je me suis ennuyé. Et je suis vite passé à autre chose – en songeant que, de toute façon, je ne passais pas à côté d’une pépite de la rentrée littéraire. Mais en étant bien triste de constater une fois de plus quel gâchis de talent représentait la carrière d’Amélie Nothomb.
Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2016
ISBN 978-2-226-32877-9
198 p., 16,90€
A première vue : la rentrée Albin Michel 2016
Ça dérape un peu chez Albin Michel ! Neuf titres français et trois étrangers rien qu’en août, c’est plus que les années précédentes et ce n’est pas forcément pour le meilleur, gare au syndrome Gallimard… Il devrait y avoir tout de même deux ou trois rendez-vous importants, comme souvent avec cette maison, que ce soit du côté des premiers romans comme des auteurs confirmés.
LE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Possédées, de Frédéric Gros
C’est l’un des buzz de l’été chez les libraires, et c’est souvent bon signe. Pour son premier roman, l’essayiste et philosophe Frédéric Gros s’intéresse au cas des possédées de Loudun, sombre histoire de possession et exorcisme de bonnes sœurs soi-disant habitées par Satan réincarné sous la forme du curé Urbain Grandier. Nous sommes en 1632, Richelieu est au pouvoir et entend mener une répression sévère contre la Réforme ; humaniste, amoureux des femmes, Grandier est une cible parfaite… Une réflexion sur le fanatisme qui devrait créer des échos troublants entre passé et présent.
L’HOMME A L’OREILLE COUPÉE : La Valse des arbres et du ciel, de Jean-Michel Guenassia
Après un précédent roman (Trompe-la-mort) moins convaincant, l’auteur du Club des incorrigibles optimistes revient avec un roman historique mettant en scène les derniers jours de Vincent Van Gogh, en particulier sa relation avec Marguerite, une jeune femme avide de liberté, fille du célèbre docteur Gachet, connu comme l’ami des impressionnistes – mais l’était-il tant que ça ? Guenassia s’inspire aussi de recherches récentes sur les conditions de la mort de Van Gogh, fragilisant l’hypothèse de son suicide… On attend forcément de voir ce que ce grand raconteur d’histoire peut faire avec un sujet pareil.
WERTHER MINUS : Lithium, d’Aurélien Gougaud
Elle refuse de penser au lendemain et se noie dans les fêtes, l’alcool et le sexe sans se soucier du reste ; Il vient de se lancer dans la vie active mais travaille sans passion. Ils sont les enfants d’une nouvelle génération perdue qui reste assez jeune pour tenter de croire à une possibilité de renouveau. Premier roman d’un auteur de 25 ans, qui scrute ses semblables dans un roman annoncé comme sombre et désenchanté.
ABOUT A BOY : Un enfant plein d’angoisse et très sage, de Stéphane Hoffmann
Ce titre, on dirait un couplet d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, tiens ! (C’est affectueux, hein.) Antoine, 13 ans, aimerait davantage de considération de la part de ses parents, duo d’égoïstes qui préfèrent le confier à un internat suisse ou à sa grand-mère de Chamonix plutôt que de l’élever. Mais le jour où ils s’intéressent enfin à lui, ce n’est peut-être pas une si bonne nouvelle que cela… Une comédie familiale pour traiter avec légèreté du désamour filial.
QUAND NOTRE CŒUR FAIT BOUM : Pechblende, de Jean-Yves Lacroix
Deuxième roman d’un libraire parisien spécialisé dans les livres d’occasion – ce qui explique sans doute pourquoi le héros de ce livre est justement libraire dans une librairie de livres anciens (ah). A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le dit libraire tombe amoureux d’une assistante de Frédéric Joliot-Curie, mais se trouve confronté à un dilemme cruel lorsque le conflit éclate et que son patron décide d’entrer dans la clandestinité.
MEMENTO : La Danse des vivants, d’Antoine Rault
A la fin de la Première Guerre mondiale, un jeune homme se réveille dans un hôpital militaire, amnésique mais parlant couramment aussi le français que l’allemand. Les services secrets français imaginent alors de l’affubler de l’identité d’un Allemand mort et de l’envoyer en infiltration de l’autre côté de la frontière… Après Pierre Lemaitre racontant l’impossible réinsertion des soldats survivants à la fin de la guerre dans Au revoir là-haut, le dramaturge à succès Antoine Rault s’intéresse au début de l’entre-deux-guerres dans l’Allemagne de Weimar. Une démarche intéressante, pour un livre présenté comme un roman d’aventures.
AMÉLIE MÉLO : Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb
Nothomb n’en finit plus de se recycler, et cette année, la peine est sévère. Je l’annonce tout net, j’ai tenu cinquante pages avant d’abandonner la lecture de ce pensum sans imagination, remake laborieux d’un conte qui rejoue grossièrement Attentat, l’un des premiers livres de la romancière belge. Franchement, si c’est pour se perdre dans ce genre de facilité, Amélie devrait prendre des vacances. Ça nous en ferait.
BATTLEFIELD : Avec la mort en tenue de bataille, de José Alvarez
Le parcours épique d’une femme, respectable mère de famille qui se lance corps et âme dans la lutte contre le franquisme dès 1936, se révélant à elle-même tout en incarnant le déchirement de l’Espagne d’alors.
MON PÈRE CE HÉROS : Comment tu parles de ton père, de Joann Sfar
L’hyperactif Sfar revient au roman, ou plutôt au récit, puisqu’il évoque son père (tiens, quelle surprise). Je le laisse aux aficionados, dont je ne suis pas…
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BUFFALO SOLDIER : Brève histoire de sept meurtres, de Marlon James (un peu lu)
Cette première traduction mais troisième roman du Jamaïcain Marlon James a reçu le Man Booker Prize en 2015 et arrive en France auréolé d’une réputation impressionnante. Et pour cause, ce livre volumineux (850 pages) affiche clairement son ambition, celle d’un roman choral monumental qui s’articule librement autour d’un fait divers majeur, une tentative d’assassinat dont fut victime Bob Marley en décembre 1976 juste avant un grand concert gratuit à Kingston. En donnant une voix aussi bien à des membres de gang qu’à des hommes politiques, des journalistes, un agent de la CIA, des proches de Marley (rebaptisé le Chanteur) et même des fantômes, Marlon James entreprend une vaste radiographie de son pays.
Une entreprise formidable – peut-être trop pour moi : je viens de caler au bout de cent pages, écrasé par le nombre de personnages, le style volcanique et un paquet de références historiques que je ne maîtrise pas du tout… Ce roman va faire parler de lui, c’est certain, il sera sans doute beaucoup acheté – mais combien le liront vraiment ? Je suis curieux d’avoir d’autres retours.
RAGING BULL : Sur la terre comme au ciel, de Davide Enia
Une grande fresque campée en Sicile, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 90, qui entrelace le destin de trois générations, dont le petit Davidù, gamin de neuf ans qui fait l’apprentissage de la vie, de l’amour et de la bagarre dans les rues de Palerme. Premier roman de Davide Enia, finaliste du prix Strega, l’équivalent italien du Goncourt.
COLLISION : La Vie nous emportera, de David Treuer
Août 1942. Sur le point de s’engager dans l’U.S. Air Force, un jeune homme se trouve mêlé à un accident tragique qui bouleverse non seulement son existence, mais aussi de ses proches. Une fresque humaine et historique à l’américaine.
Vivre vite, de Philippe Besson
Signé Bookfalo Kill
Pour jouer brillamment de certaines formes littéraires ambitieuses, il faut en avoir les moyens techniques. Disons-le d’emblée : en ce qui concerne le roman choral, Philippe Besson n’est pas à la hauteur.
Oui, je sais, l’entrée en matière est un peu abrupte, mais elle est à l’image de la déception qui m’a saisi dès les premières pages de Vivre vite. N’étant pas un lecteur assidu de Besson, ni un admirateur transi de James Dean, sujet du livre (la couverture vous l’aura déjà appris), je n’en attendais pourtant rien de spécial. Il me semblait que ce pouvait être l’un des titres importants de cette rentrée de janvier ; étant donné ce que j’ai lu depuis de cette vague de parutions hivernales, il paraîtrait qu’il en est effectivement représentatif, mais par sa médiocrité.
Rangeons (brièvement) les crocs pour entrer dans le roman. Pour raconter la trajectoire de comète de James Dean, Philippe Besson a donc choisi de donner la parole, non seulement au principal intéressé, mais aussi à différents protagonistes de sa vie, proches, amis ou professionnels ayant croisé son chemin.
D’entrée, le ton m’a déplu : larmoyant, sentimental, jouant de grosses ficelles émotionnelles comme les films hollywoodiens les plus putassiers (servez-vous, il n’y a que l’embarras du choix), il s’ouvre en effet sur la voix de la mère de James Dean, morte lorsqu’il avait neuf ans. Et ça donne ceci, dès le deuxième paragraphe :
« Les mères devraient s’efforcer de ne pas mourir quand leurs enfants sont si jeunes. Elles devraient attendre un peu. Pour qu’ils ne soient pas tristes, les enfants. »
Pas très subtil, vous en conviendrez.
Et ça ne s’arrange pas par la suite, dans la mesure où Besson n’est pas capable de faire varier le ton de ses différents intervenants. Tous, qu’ils soient fermiers au fin fond de l’Indiana ou célèbres réalisateurs, hommes ou femmes, ils s’expriment tous avec le même niveau de langue, un peu relâché soit dit en passant, assez oral, comme s’ils étaient interviewés à tour de rôle par un narrateur invisible. Ce qui donne au roman une unité de style que son aspect choral n’aurait pas dû lui donner, et casse tout l’intérêt du procédé.
Pour le reste, Vivre vite éclaire sans doute l’enfance douloureuse et la personnalité tourmentée de James Dean, son charisme et son étrange beauté, le rendant attirant autant aux yeux des femmes que des hommes, son ascension fulgurante et sa mort prématurée ; mais le tout manque trop de nuance et d’élégance littéraire pour porter haut une figure aussi singulière, qui aurait mérité mieux que des banalités psychologiques ou des phrases toutes faites.
Vivre vite, de Philippe Besson
Éditions Julliard, 2015
ISBN 978-2-260-02396-8238 p., 18€