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De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia

Après avoir été très enthousiaste lorsque j’ai découvert Jean-Michel Guenassia il y a quelques années avec son Club des Incorrigibles Optimistes, je me réjouissais de voir débarquer les suivants. Il y a eu La vie rêvée d’Ernesto G., pas mal, Trompe-la-Mort, qui m’a laissée perplexe, et La valse des arbres et du ciel que je ne me rappelle même plus avoir lu (et pourtant si).
Avec De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, j’ai été tout de suite sceptique. Le titre… La mode est aux titres à rallonge, mais est-ce vraiment bien de succomber à la mode ? Et puis, évoquer David Bowie, même pas deux ans après sa mort, comme par hasard…

Bref, ce dernier opus se lit très vite, car Jean-Michel Guenassia a toujours cette écriture sympathique et agréable que j’aime à retrouver. Mais là n’est pas le problème. Le problème, c’est le fond, pas la forme.
Le protagoniste du roman est un jeune homme, Paul, 17 ans, tellement efféminé qu’on le prend souvent pour une fille. Il ne cherche pas à lever l’ambiguïté, au contraire, il adore ça.
Il vit avec ses deux mères, Léna, tatoueuse professionnelle et nana au franc-parler, qui ne s’en laisse pas compter et Stella, tenancière d’un bar-restaurant branché, réservé exclusivement aux lesbiennes.
Paul a arrêté ses études, il écume les petits boulots de testeurs de restaurant et pianiste au bar de sa mère le soir. Une vie pleine d’interrogations mais qui lui convient comme ça. Pour le moment.

Et puis… et puis je ne sais plus l’élément qui fait que le roman se met en marche. Il y a des personnages qui surgissent d’un peu partout, qu’on retrouve à un moment ou non, Alex, Yamina, Hilda, la famille de Léna… Ça vient de nulle part et ça manque d’approfondissement, l’histoire est bancale, la fin aberrante et j’enrage.

J’enrage parce que Guenassia a un don pour donner vie à ses personnages. Il sait les faire parler, les faire évoluer et on sent qu’il aime ses héros. Mais l’histoire dans laquelle ils évoluent est inexistante. On referme le livre en se disant « tout ça pour ça ? »
Quel dommage, vraiment, quel dommage. Je rêve que M. Guenassia reprenne le temps d’écrire un roman où l’histoire nous touche tout autant que les héros. J’espère qu’il y parviendra dans son prochain livre !

De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia
Éditions Albin Michel, 2017
ISBN 978-2-226-39913-7
327 p., 20€

Un article de Clarice Darling.

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A première vue : la rentrée Albin Michel 2017

La maison Albin Michel fait partie de ces éditeurs chez qui la production dérape quelque peu : quinze romans sont en effet alignés pour cette rentrée 2017, douze français pour trois étrangers. Un menu d’autant plus étouffe-chrétien que tous les plats ne semblent pas spécialement raffinés… Alors, comme votre temps est précieux (et le nôtre aussi), on va essayer d’aller à l’essentiel – en toute subjectivité, comme d’habitude.
(Allez au bout de l’article quand même, on finira en causant de littérature étrangère et ça ira un peu mieux.)

Nothomb - Frappe-toi le coeurCRUELLA : Frappe-toi le coeur, d’Amélie Nothomb (lu)
Une jeune fille d’une beauté renversante se délecte de l’admiration haineuse qu’elle provoque chez ses rivales. Jusqu’au jour où elle tombe amoureuse d’un garçon et rapidement enceinte de lui. Elle a dix-neuf ans et pense que sa vie est déjà finie. L’indifférence et la jalousie qu’elle voue à sa fille, dont on découvre très vite qu’elle est encore plus jolie que sa mère, vont bouleverser bien des existences…
Si elle ne nous épargne pas certaines facilités ou niaiseries occasionnelles, Nothomb surprend avec cette intrigue beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, se déroulant sur plusieurs décennies et abordant des thèmes approchés au début de son œuvre : la malédiction de la beauté, la jalousie maladive, mais aussi l’égoïsme de l’ambition, les déceptions amoureuses, filiales ou amicales… Plutôt un bon cru – bien plus intéressant que celui de l’année dernière, et de loin.

Estienne d'Orves - La Gloire des mauditsSECRETS ET MENSONGES : La Gloire des maudits, de Nicolas d’Estienne d’Orves
Brillant mais dilettante, Nicolas d’Estienne d’Orves est capable du meilleur comme du pire. Avec ce nouveau roman, proche dans l’esprit des Fidélités successives, on l’espère du bon côté de la barrière. Il raconte ici l’histoire de Gabrielle Valoria, fille d’un collabo exécuté sous ses yeux à la Libération, qui se prépare à écrire la biographie de Sidonie Porel, grande romancière et figure fascinante de cet après-guerre agité. En enquêtant sur son sujet, Gabrielle plonge dans un monde de manipulations et de trahisons…

Guenassia - De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes fillesZIGGY : De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia
Guenassia n’arrête plus. Après avoir laissé passer vingt-trois ans entre ses deux premiers romans, puis encore trois entre le deuxième et le troisième, le voici qui enchaîne les titres au rythme d’un par rentrée littéraire depuis 2015. Cette fois, il nous présente Paul, jeune homme de 17 ans au look androgyne qui se plaît à brouiller les frontières tout en cultivant son amour exclusif des femmes. Bientôt, c’était inévitable, sa route croise celle d’un certain David Bowie… Opportuniste, Guenassia ? On peut se poser la question.

Olmi - BakhitaAMISTAD : Bakhita, de Véronique Olmi
Habituée des textes courts, Véronique Olmi se lâche : 464 pages pour raconter le destin de Bakhita, enlevée à sept ans dans son village du Darfour, réduite en esclavage, avant d’être rachetée par le Consul d’Italie et d’être ensuite affranchie. Elle décide ensuite de devenir religieuse et de se consacrer aux enfants pauvres. Albin Michel y croit beaucoup et annonce un grand livre. A voir.

Delsaux - SangliersSEUL CONTRE TOUS : Sangliers, d’Aurélien Delsaux
Entre l’Isère et le Dauphiné, Les Feuges est un village où le loyer dans la zone pavillonnaire est moins élevé qu’ailleurs, où la chasse aux sangliers fédère les hommes qui passent leur temps dans le seul bistrot du coin, où les enfants subissent la violence paternelle en toute impunité. C’est là que survient la première tuerie raciste dans un lycée français (résumé Electre).

Mordillat - La Tour abolieTHE DARK TOWER : La Tour abolie, de Gérard Mordillat
Au coeur de la Défense s’élève la tour Magister. Au sommet, l’état-major, qui lutte pour ses profits. Dans ses sous-sols, un petit peuple misérable, qui lutte pour sa survie. Quand les damnés du progrès décident d’investir la tour et d’atteindre ses hauteurs, tout est remis en cause et la violence explose au grand jour. Homme de gauche jusqu’à la caricature, Mordillat creuse son sillon de révolté social et politique. Pas forcément avec finesse sur ce coup.

Favier - Le courage qu'il faut aux rivièresLA PARITÉ, C’EST PAS GAGNÉ : Le Courage qu’il faut aux rivières, d’Emmanuelle Favier
Dans son village des Balkans, Manushe est « vierge jurée ». Elle a renoncé à sa condition de femme pour jouir des mêmes droits que les hommes. Sa rencontre avec Adrian, homme énigmatique et ardent, bouscule ses certitudes et met en péril son serment. Premier roman.

Guenyveau - Un dissidentMARKETING VIRAL : Un dissident, de François-Régis Guenyveau
Un jeune scientifique rejoint une entreprise américaine très mystérieuse, dont le projet est de façonner l’homme de demain grâce à tous les moyens offerts par la science et les nouvelles technologies. D’abord enthousiaste, ce qu’il découvre sur place et les doutes sur sa propre personnalité remettent en question son engagement initial. Premier roman également.

Et encore, en vrac :

SUR LE FIL : La Nuit des enfants qui dansent, de Franck Pavloff
Un jeune funambule et un vieil Hongrois vivant confit dans son passé décident de partir ensemble à un festival rock à Budapest. (Je fais très court mais je ne sais pas comment vous donner envie, même avec les versions les plus longues des résumés.)

LE CLUB DES INCORRIGIBLES OPTIMISTES II : Le Songe du photographe, de Patricia Reznikov
A Paris, un adolescent en rupture de famille trouve refuge dans une communauté d’artistes d’Europe de l’est. Auprès d’eux, le garçon fait son éducation historique, esthétique et sentimentale. Un hommage à la culture de la Mitteleuropa.

CONNECTING PEOPLE : Vous connaissez peut-être, de Joann Sfar
C’est l’histoire d’un type qui rencontre une fille sur Facebook et qui adopte un chien à qui il essaie d’apprendre à ne pas tuer ses chats. C’est la suite de Comment tu parles à ton père. Que je n’ai pas lu. Donc je ne pourrai pas lire celui-ci. Dommage.

PARDON ? : La Vengeance du pardon, d’Eric-Emmanuel Schmitt
Quatre histoires sur le pardon. Désolé, donc.

*****

Whitehead - Underground RailroadLE P’TIT TRAIN S’EN VA DANS LA CAMPAGNE : Underground Railroad, de Colson Whitehead
(traduit de l’américain par Serge Chauvin)
Attention, voici venir le prix Pulitzer 2017 et le National Book Award 2016 – autant dire qu’on ne boxe plus du tout dans la même catégorie. Whitehead y relate le périple d’une jeune esclave qui parvient à fuir la plantation de coton où elle est asservie, et entreprend de rallier les États libres du nord des États-Unis, un terrifiant chasseur d’esclaves sur ses talons. L’Underground Railroad du titre était le nom donné à un réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite ; le romancier le matérialise sous la forme d’un véritable train souterrain. Rien que pour cette idée, ça donne envie d’embarquer, non ?

Ransmayr - Cox ou la course du tempsTIC-TAC : Cox ou la course du temps, de Christoph Ransmayr
(traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Kreiss)
Grand maître horloger à Londres, au XVIIIème siècle, Alistair Cox est convoqué en Chine par l’empereur tyran Quianlong. Ce dernier lui ordonne de lui confectionner une série d’horloges capables de mesurer les subtiles variations du temps. Cox s’attèle à sa tâche au péril de sa vie, car les humeurs de l’empereur sont changeantes et ses exigences toujours plus élevées…
(C’est marrant, dès qu’on passe en littérature étrangère, proposer un résumé des livres est tout de suite plus intéressant !)

Watkins - Les sables de l'AmargosaMAD MAX : Les sables de l’Amargosa, de Claire Vaye Watkins
(traduit de l’américain par Sarah Gurcel)
Dans une Californie transformée en désert, au cœur de Los Angeles livrée aux pillards et à la menace d’une dune de sable mouvant qui s’apprête à l’engloutir, Ray et Luz trouvent l’espoir d’un avenir meilleur en la personne d’une fillette qu’ils ravissent à un groupe de marginaux. Ils prennent alors la route, à la recherche d’une colonie mystérieuse où ils espèrent refaire leur vie.


La valse des arbres et du ciel de Jean-Michel Guénassia

Guenassia - La Valse des arbres et du cielLa vie des artistes torturés a toujours été source d’inspiration en littérature. Camille Claudel a fait couler beaucoup d’encre mais la palme revient peut-être à Vincent Van Gogh.
Jean-Michel Guenassia s’est emparé de son histoire, avec les toutes dernières théories liées à sa mort, et nous livre un très beau récit, comme il sait si bien faire.

Marguerite Gachet est la fille du docteur d’Auvers-sur-Oise. Orpheline de mère jeune, elle est très indépendante et progressiste, au grand dam de son père qui aimerait la marier avec le fils du notable du coin. C’est sans compter sur la demoiselle qui ne se laisse pas faire. Un jour, on sonne à la porte. Un type un peu paumé se présente, envoyé par un autre médecin pour prendre l’air et se faire soigner chez le docteur Gachet. La rencontre entre les deux va être fulgurante. Elle, la jeune fille en fleur, vivra cette expérience comme un coup de foudre. Lui, l’artiste maudit, bien plus âgé qu’elle, verra les choses sous un autre angle. Et si la mort de Van Gogh n’était pas si accidentelle qu’on a bien voulu le faire croire?

Guenassia raconte très bien les histoires de famille, parfois sur plusieurs générations, comme c’était le cas avec La vie rêvée d’Ernesto G. ou d’amitié avec son Club des Incorrigibles Optimistes. Il est passé maître dans l’art des romans choraux (j’ai un petit doute sur le terme) mais cette fois, avec La valse des arbres et du ciel, il y a moins de personnages. Ce qui lui permet certainement de les fouiller plus en détail.

Le dernier ouvrage de cet auteur, Trompe-la-Mort, m’avait laissé un peu dubitative et déçue. Cette fois, je retrouve le Guenassia des débuts où les pages se tournent à un rythme effréné pour ne pas abandonner les personnages trop longtemps jusqu’à la prochaine lecture.
Un très bon roman à offrir aux fêtes de fin d’année, qui plaira à un large public, pas forcément féru d’art, mais qui aime les belles histoires.

La valse des arbres et du ciel de Jean-Michel Guenassia
Éditions Albin Michel, 2016
9782226328755
304 p., 19€50

Un article de Clarice Darling.


A première vue : la rentrée Albin Michel 2016

Ça dérape un peu chez Albin Michel ! Neuf titres français et trois étrangers rien qu’en août, c’est plus que les années précédentes et ce n’est pas forcément pour le meilleur, gare au syndrome Gallimard… Il devrait y avoir tout de même deux ou trois rendez-vous importants, comme souvent avec cette maison, que ce soit du côté des premiers romans comme des auteurs confirmés.

Gros - PossédéesLE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Possédées, de Frédéric Gros
C’est l’un des buzz de l’été chez les libraires, et c’est souvent bon signe. Pour son premier roman, l’essayiste et philosophe Frédéric Gros s’intéresse au cas des possédées de Loudun, sombre histoire de possession et exorcisme de bonnes sœurs soi-disant habitées par Satan réincarné sous la forme du curé Urbain Grandier. Nous sommes en 1632, Richelieu est au pouvoir et entend mener une répression sévère contre la Réforme ; humaniste, amoureux des femmes, Grandier est une cible parfaite… Une réflexion sur le fanatisme qui devrait créer des échos troublants entre passé et présent.

Guenassia - La Valse des arbres et du cielL’HOMME A L’OREILLE COUPÉE : La Valse des arbres et du ciel, de Jean-Michel Guenassia
Après un précédent roman (Trompe-la-mort) moins convaincant, l’auteur du Club des incorrigibles optimistes revient avec un roman historique mettant en scène les derniers jours de Vincent Van Gogh, en particulier sa relation avec Marguerite, une jeune femme avide de liberté, fille du célèbre docteur Gachet, connu comme l’ami des impressionnistes – mais l’était-il tant que ça ? Guenassia s’inspire aussi de recherches récentes sur les conditions de la mort de Van Gogh, fragilisant l’hypothèse de son suicide… On attend forcément de voir ce que ce grand raconteur d’histoire peut faire avec un sujet pareil.

Gougaud - LithiumWERTHER MINUS : Lithium, d’Aurélien Gougaud
Elle refuse de penser au lendemain et se noie dans les fêtes, l’alcool et le sexe sans se soucier du reste ; Il vient de se lancer dans la vie active mais travaille sans passion. Ils sont les enfants d’une nouvelle génération perdue qui reste assez jeune pour tenter de croire à une possibilité de renouveau. Premier roman d’un auteur de 25 ans, qui scrute ses semblables dans un roman annoncé comme sombre et désenchanté.

Hoffmann - Un enfant plein d'angoisse et très sage2ABOUT A BOY : Un enfant plein d’angoisse et très sage, de Stéphane Hoffmann
Ce titre, on dirait un couplet d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, tiens ! (C’est affectueux, hein.) Antoine, 13 ans, aimerait davantage de considération de la part de ses parents, duo d’égoïstes qui préfèrent le confier à un internat suisse ou à sa grand-mère de Chamonix plutôt que de l’élever. Mais le jour où ils s’intéressent enfin à lui, ce n’est peut-être pas une si bonne nouvelle que cela… Une comédie familiale pour traiter avec légèreté du désamour filial.

Lacroix - PechblendeQUAND NOTRE CŒUR FAIT BOUM : Pechblende, de Jean-Yves Lacroix
Deuxième roman d’un libraire parisien spécialisé dans les livres d’occasion – ce qui explique sans doute pourquoi le héros de ce livre est justement libraire dans une librairie de livres anciens (ah). A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le dit libraire tombe amoureux d’une assistante de Frédéric Joliot-Curie, mais se trouve confronté à un dilemme cruel lorsque le conflit éclate et que son patron décide d’entrer dans la clandestinité.

Rault - La Danse des vivants2MEMENTO : La Danse des vivants, d’Antoine Rault
A la fin de la Première Guerre mondiale, un jeune homme se réveille dans un hôpital militaire, amnésique mais parlant couramment aussi le français que l’allemand. Les services secrets français imaginent alors de l’affubler de l’identité d’un Allemand mort et de l’envoyer en infiltration de l’autre côté de la frontière… Après Pierre Lemaitre racontant l’impossible réinsertion des soldats survivants à la fin de la guerre dans Au revoir là-haut, le dramaturge à succès Antoine Rault s’intéresse au début de l’entre-deux-guerres dans l’Allemagne de Weimar. Une démarche intéressante, pour un livre présenté comme un roman d’aventures.

Nothomb - Riquet à la houppe2AMÉLIE MÉLO : Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb
Nothomb n’en finit plus de se recycler, et cette année, la peine est sévère. Je l’annonce tout net, j’ai tenu cinquante pages avant d’abandonner la lecture de ce pensum sans imagination, remake laborieux d’un conte qui rejoue grossièrement Attentat, l’un des premiers livres de la romancière belge. Franchement, si c’est pour se perdre dans ce genre de facilité, Amélie devrait prendre des vacances. Ça nous en ferait.

BATTLEFIELD : Avec la mort en tenue de bataille, de José Alvarez
Le parcours épique d’une femme, respectable mère de famille qui se lance corps et âme dans la lutte contre le franquisme dès 1936, se révélant à elle-même tout en incarnant le déchirement de l’Espagne d’alors.

MON PÈRE CE HÉROS : Comment tu parles de ton père, de Joann Sfar
L’hyperactif Sfar revient au roman, ou plutôt au récit, puisqu’il évoque son père (tiens, quelle surprise). Je le laisse aux aficionados, dont je ne suis pas…

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James - Brève histoire de sept meurtres2BUFFALO SOLDIER : Brève histoire de sept meurtres, de Marlon James (un peu lu)
Cette première traduction mais troisième roman du Jamaïcain Marlon James a reçu le Man Booker Prize en 2015 et arrive en France auréolé d’une réputation impressionnante. Et pour cause, ce livre volumineux (850 pages) affiche clairement son ambition, celle d’un roman choral monumental qui s’articule librement autour d’un fait divers majeur, une tentative d’assassinat dont fut victime Bob Marley en décembre 1976 juste avant un grand concert gratuit à Kingston. En donnant une voix aussi bien à des membres de gang qu’à des hommes politiques, des journalistes, un agent de la CIA, des proches de Marley (rebaptisé le Chanteur) et même des fantômes, Marlon James entreprend une vaste radiographie de son pays.
Une entreprise formidable – peut-être trop pour moi : je viens de caler au bout de cent pages, écrasé par le nombre de personnages, le style volcanique et un paquet de références historiques que je ne maîtrise pas du tout… Ce roman va faire parler de lui, c’est certain, il sera sans doute beaucoup acheté – mais combien le liront vraiment ? Je suis curieux d’avoir d’autres retours.

Enia - Sur cette terre comme au cielRAGING BULL : Sur la terre comme au ciel, de Davide Enia
Une grande fresque campée en Sicile, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 90, qui entrelace le destin de trois générations, dont le petit Davidù, gamin de neuf ans qui fait l’apprentissage de la vie, de l’amour et de la bagarre dans les rues de Palerme. Premier roman de Davide Enia, finaliste du prix Strega, l’équivalent italien du Goncourt.

COLLISION : La Vie nous emportera, de David Treuer
Août 1942. Sur le point de s’engager dans l’U.S. Air Force, un jeune homme se trouve mêlé à un accident tragique qui bouleverse non seulement son existence, mais aussi de ses proches. Une fresque humaine et historique à l’américaine.


Trompe-la-mort de Jean-Michel Guenassia

Trompe-la-mort est peut-être le roman de Guenassia qui m’a le plus déroutée. Je m’explique :

Le Club des Incorrigibles Optimistes retraçait l’histoire d’un garçon puis d’un homme, sur fond de guerre d’Algérie. Le héros cherche à grandir dans une famille qui l’étouffe et trouve en l’amitié de vieux réfugiés des pays de l’Est, le refuge dont il avait besoin.

La vie rêvée d’Ernesto G. retrace un siècle de vie de Joseph Kaplan à travers les méandres de l’Europe et de l’Afrique du Nord, entre une famille encombrante et un ami mystérieux.

Guenassia - Trompe-la-MortPour Trompe-la-mort, peu de famille. Et celle qui reste n’est pas facile à gérer. Trompe-la-mort, c’est l’histoire de Thomas Larch, un jeune homme britannique, né en Inde d’une mère indienne et d’un père anglais qui survit à tous les pires accidents auxquels il est confronté.

Guénassia nous embarque dans des destinations folles : New Delhi, l’Irak, l’Afghanistan… sur les traces de son héros, petit garçon plein d’entrain jusqu’à son départ pour l’Angleterre à 8 ans, à cause de la maladie de sa mère. Et puis vient un drame, un traumatisme qui le poussera à quitter la maison au plus vite pour l’armée britannique et ne plus penser à son passé. Jusqu’au jour où…

Cet auteur a un incroyable talent de conteur. Vraiment, on s’attache immédiatement aux personnages et on a du mal à décoller ses yeux de ces pages. Mais cette fois, j’avoue, j’ai été déçue. En refermant le livre, je me suis dit : « Tout ça pour ça? » J’aurais préféré une autre fin. Après avoir digéré ma lecture, je me dis même que ce roman vibrionnant est peut-être trop brouillon pour moi. La troisième partie surtout, celle du mariage puis du retour aux sources.

Je reste sur un petit goût d’inachevé mais je reste une fidèle de Jean-Michel Guenassia. Hâte de savoir de quoi parlera le prochain, sûrement de voyages, d’un petit garçon devenu grand et d’une vie hors du commun!

Trompe-la-mort de Jean-Michel Guenassia
Éditions Albin Michel
9782226312464
388p., 22€

Un article de Clarice Darling.


Dernière donne, de Jean-Michel Guenassia

Signé Bookfalo Kill

En 1986, les éditions Liana Levi (qui ont souvent du flair, notamment en polar) faisaient paraître Pour cent millions, le premier roman de Jean-Michel Guenassia. Couronné par le prix Michel-Lebrun, distinction prestigieuse pour un auteur de roman policier, l’apprenti écrivain avait pourtant disparu ensuite de la circulation littéraire pour se consacrer discrètement au cinéma et au théâtre – avant de réapparaître en 2009, à 59 ans, avec le  Club des incorrigibles optimistes, énorme fresque publiée par les éditions Albin Michel, couronnée par le Prix Goncourt des Lycéens et par un large succès public.

Guenassia - Dernière donneSans doute motivées par les excellents chiffres de vente en poche du club… puis du roman suivant de Guenassia, La Vie rêvée d’Ernesto G., les éditions Livre de Poche font opportunément reparaître ce premier opus. Et, ma foi, toute considération commerciale mise à part, c’est plutôt une bonne idée, car ce polar désormais intitulé Dernière donne, apparemment retravaillé par son auteur, est une belle mécanique de suspense, à peine fragilisée par quelques dialogues un peu trop naïfs – infime faiblesse de jeunesse, guère préjudiciable à l’ensemble.

L’histoire en quelques mots : d’un côté, Baptiste Dupré, jeune avocat brillant, heureux marié et redoutable joueur – à tel point qu’il applique à toute sa vie le goût du risque et la science du bluff qu’il maîtrise à la perfection lorsqu’il s’assied à une table de poker. De l’autre côté, Pierre Delaunay, héritier des boîtes de nuit de son père et piégé par un associé filou, à tel point qu’il se retrouve en prison, accusé de forfaits allant de malversations financières à une complicité de meurtre.
Entre les deux, Moreno, ami indéfectible de Delaunay, qui rencontre Dupré lorsque celui-ci se présente au cercle de jeu huppé qu’il dirige. Frappé par la ressemblance physique entre les deux hommes, Moreno imagine alors un plan diabolique pour tenter de prouver l’innocence de son ami…

Au fil de premiers longs chapitres, Guenassia campe ses personnages à la perfection. Caractère, habitudes, mentalité, relations, il dessine autour ses protagonistes une toile serrée, dont les fils reliés presque sans que l’on s’en aperçoive nouent les drames inattendus qui éclatent dans un final machiavélique.
Stylistiquement, la première partie, davantage tournée vers la psychologie des personnages, est beaucoup plus maîtrisée, alors que la seconde souffre parfois de ces dialogues approximatifs évoqués plus haut, ou d’un abus de monologues intérieurs guère plus réussis ; comme si le romancier avait cherché des expédients narratifs pour accélérer le dénouement, par ailleurs remarquable et intraitable.

En dépit de ses petits défauts, Dernière donne est un premier roman d’une maîtrise remarquable, habile et prenant de bout en bout, grâce à ses personnages très aboutis et une écriture agréable et fluide. Un polar assez classique dans sa trame, mais vraiment réussi. Bonne pioche !

Dernière donne, de Jean-Michel Guenassia
 Éditions Albin Michel / Livre de Poche, 2014
(1e édition : Liana Levi, 1986)
ISBN 978-2-253-00460-8
187 p., 6,10€


La vie rêvée d’Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia

Jean-Michel Guenassia ou comment me faire lire des pavés de 534 pages en aussi peu de temps. Si je devais participer aux J.O de la lecture, Guenassia serait mon fidèle entraîneur dans l’épreuve du souffle romanesque. Après Le Club des incorrigibles optimistes, il remet le couvert avec une saga, que dis-je, une fresque! qui s’étale sur un siècle. On voyage, on danse, on aime, on pleure, on s’émeut, on rit. Il y a de tout dans Guenassia. Et même s’il reprend les mêmes ingrédients que son précédent opus, on replonge avec bonheur dans cette recette qui fait son succès. 

On suit l’histoire du médecin juif Joseph Kaplan (peut-être cela vous évoque-t-il quelque chose?), de sa naissance à Prague, ses études à Paris, sa cachette secrète pendant la Seconde Guerre mondiale en Algérie, son retour en Tchécoslovaquie et sa mort, inexorable, dans la ville qui l’a vu naître. Joseph Kaplan, c’est l’histoire d’un type qui vit dans un siècle tourmenté (mais quel siècle ne l’est pas me direz-vous!) et qui mène sa barque dans les méandres de ce que la vie lui réserve. Une femme, des enfants, des amis à profusion et vers le milieu de sa vie, un météore. Son existence croise celle d’Ernesto G., jamais précisément nommé mais que nous reconnaissons aisément sous le pseudonyme du Che. Mais diable que faisait le chef de la guérilla cubaine en Tchécoslovaquie??? Pourquoi avait-il besoin de Joseph Kaplan? 

C’est un secret que je ne peux bien sûr vous révéler mais croyez-moi, vous adorerez La vie rêvée d’Ernesto G., un livre où l’on ne s’ennuie pas pourvu qu’on aime les grandes sagas familiales. En prime, pour le prix du livre, un voyage en Europe et en Afrique vous est offert à travers ces lignes. Magique non? La vie rêvée d’Ernesto G. nous fait oublier, l’espace de quelques heures, la nôtre. 

La vie rêvée d’Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia
Editions Albin Michel 2012
9782226242952
533p., 22€90

Un article de Clarice Darling.


Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia

Marre de 2011? Marre de vivre dans cette société sans foi ni loi? Vous voulez un retour aux sources?

Lisez Le club des incorrigibles optimistes. Vous arriverez en 1959, époque bénie de la vraie musique, des juke-box, de la gomina dans les cheveux et des blousons de cuir, même à Paris. Vous y croiserez Michel, 12 ans, et vous vous attacherez à lui. Forcément. Parce que ce petit garçon vous amènera à voir la société d’alors comme vous ne la soupçionniez pas.

Michel est intelligent, rêveur et aime profondément sa famille, son frère ainé surtout. Cependant, 12 ans, c’est l’âge des premières rébellions, des quiproquos avec les parents qui ne comprennent rien de toute façon. Michel va donc s’émanciper peu à peu de sa cellule familiale (dont les parents se séparent) pour chercher une autre famille, unie et soudée, une famille qui le comprenne. Ce sera chose faite avec une poignée d’hommes de l’Est, croisés dans un rade parisien, qui ont fui les persécutions staliniennes et les républiques soviétiques pour gagner leur vie. Souvent au détriment de leur propre famille, restée sur place.

Entre Igor, Pavel, Sacha, Léonid (et les autres!) et Michel vont se tisser des liens où les anciens vont montrer à l’enfant qu’il faut toujours avoir confiance en soi même si la vie est dure, avoir confiance en l’avenir et ne jamais désespérer du genre humain. Une magnifique leçon d’humanité sur fond de guerre d’Algérie, de baby-foot et de jeux d’échecs.

Si l’ouvrage est un peu long à s’installer, il se dévore rapidement, malgré le pavé de 729 pages. Jean-Michel Guenassia a écrit un roman délicat, juste, jamais cucul, sur la vie et les sentiments d’un petit garçon de 12 ans face à un monde qu’il ne comprend pas et avec lequel il est obligé de composer. On sent évidemment l’expérience et l’auteur a réussi un sacré pari de ne pas oublier le petit garçon de 12 ans qu’il était.

Moi qui suis née bien après 1959, en me plongeant dans ce livre, c’est comme si j’avais vécu cette période, pleine d’angoisse et d’insouciance. Je pouvais entendre le rock d’Elvis sur les juke-box du quartier Saint-Michel et marcher dans les traces de pas que Michel Marini a laissé sur le bitume des années.

Un livre poignant et délicat. A lire ou à relire absolument.

Le Club des Incorrigibles Optimistes de Jean-Michel Guenassia
Le livre de poche
ISBN 978-2-253-159-643
729p 8€50

Un article de Clarice Darling.