Rapport d’enquête #1 : Goldorak, Alma t.2, Robin Hood t.1
Comme vous l’aurez deviné à la baisse d’activité du blog ces dernières semaines, je manque à nouveau clairement de temps pour faire vivre cet espace. Reprise du travail à plein régime (après deux ans de congé parental… pas le même rythme de vie !), vie de famille, projets personnels et autres péripéties additionnelles m’empêchent de m’investir comme avant. Sans parler d’un certain manque d’envie de continuer à le faire avec autant d’intensité que par le passé.
Pour autant, après avoir bien réfléchi à la question, je n’ai pas envie de laisser tomber tout à fait (même si l’idée m’a sérieusement traversé l’esprit). Et comme je ne manque pas de lectures à évoquer, j’inaugure un nouveau format, intitulé « Rapport d’enquête », dont l’idée est de proposer des chroniques rapides, saisies à grands traits.
Ce sera le format d’articles le plus courant dans les semaines à venir, même s’il n’est pas exclu de laisser la place à de véritables chroniques unitaires, en cas d’inspiration subite de ma part.
Par ailleurs, je travaille sur un autre type de billets, sur un sujet qui me tient à cœur… On en reparle sans doute prochainement, une fois que j’aurai trouvé le temps d’avancer.
En attendant, voici le rapport d’enquête #1, consacré à la B.D. et à la littérature jeunesse.

Goldorak
Scénario : Xavier Dorison & Denis Bajram
Dessin : Denis Bajram, Brice Cossu & Alexis Sentenac
Couleurs : Yoann Guillo
D’après l’œuvre originale de Gô Nagai
Éditions Kana, 2021
ISBN 9782505078463
168 p.
24,90 €
La guerre entre les forces de Véga et Goldorak est un lointain souvenir. Actarus et sa sœur sont repartis sur Euphor tandis qu’Alcor et Vénusia tentent de mener une vie normale. Jusqu’au jour où, issu des confins de l’espace, surgit le plus puissant des golgoths de la division ruine : Hydragon.
Les armées terriennes sont balayées et les exigences de la dernière division de Véga sidèrent la planète ; sous peine d’annihilation totale, tous les habitants du Japon ont sept jours pour quitter leur pays et laisser les forces de Véga coloniser l’archipel.
Face à cet ultimatum impossible, il ne reste qu’un dernier espoir, le plus grand des géants… Goldorak.
En bon quarantenaire nourri des dessins animés mythiques des années 70 et 80, je place Goldorak en pièce angulaire de mon enfance télévisuelle. S’attaquer à ce monument, c’était menacer le fondement de mes rêves de gamin. Mais Dorison et ses acolytes sont faits du même métal, et c’est avec le plus grand sérieux qu’ils ont entrepris ce qui est plus qu’un hommage à Goldorak : une véritable suite de l’anime, voire une deuxième fin parfaitement honorable.
Cela leur a pris quatre ans de travail acharné, mais leurs efforts et leur profond respect pour l’œuvre originale de Gô Nagai rayonnent sur chacune des 168 pages de cette bande dessinée exceptionnelle. Tout y est : le design, à la fois respecté et d’une modernité éblouissante ; le caractère complexe des personnages ; des scènes d’action à couper le souffle ; de l’humour pour lier le tout ; et, surtout, une magnifique réflexion sur l’héroïsme, ses grandeurs, ses périls et ses conséquences parfois funestes.
Une réussite totale, qui réjouira les connaisseurs de Goldorak tout en s’ouvrant à ceux qui n’ont pas grandi avec le robot géant, grâce à une remise en contexte parfaitement réussie au début de l’album, et une composition scénaristique impeccable.

Alma t.2 : l’Enchanteuse
Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2021
ISBN 9782075160612
432 p.
19 €
Illustrations de François Place
À partir de 12 ans
1787. Alma et Joseph ont rejoint Saint-Domingue sur les traces du navire La Douce Amélie et de son insaisissable trésor. Mais Alma n’a qu’un seul but : retrouver Lam, son petit frère.
Dans les plantations de canne à sucre, les champs de coton de Louisiane, parmi les milliers d’esclaves qui se battent pour survivre, la jeune fille poursuit sa quête tandis que Joseph traverse à nouveau l’Atlantique.
On parle d’abolition à Londres. En France, le pouvoir de Versailles commence à vaciller.
En se séparant, les chemins d’Alma et Joseph leur rappellent à chaque instant tout ce qui les unit.
J’ai déjà parlé sur ce blog de la difficulté d’évoquer le deuxième tome d’une trilogie, par essence coincé entre un premier volume dont on doit prendre soin de ne pas trop déflorer l’intrigue et les mystères, et un troisième qui viendra conclure en beauté (ou pas…) l’ensemble de sa vaste histoire.
Je ne vais donc pas trop m’étendre sur cette suite d’Alma, la première trilogie de Timothée de Fombelle, sinon pour dire que le romancier reste à la hauteur de son très ambitieux projet – même si, à l’occasion, et pour la première fois dans l’œuvre admirable de cet écrivain que j’adule, j’ai senti passer quelques petites longueurs. Peut-être est-ce parce que j’avais relu le premier tome juste avant de me plonger dans celui-ci, et que cela faisait beaucoup d’Alma d’un coup…
Peut-être, aussi, est-ce la « faute » de cette narration au présent de l’indicatif que Timothée a décidé de retenir cette fois, et qui me semble affaiblir légèrement le souffle et la puissance naturelle de son écriture. Ceci doit être considéré comme une réserve particulièrement subjective : j’ai un problème global avec le présent de l’indicatif dans les romans, qui me semble nécessiter un redoublement d’effort et d’intensité de la part de l’auteur pour sublimer la narration.
Rien de rédhibitoire, néanmoins, et certains passages sont éblouissants, tandis que la quête des différents héros de cette fresque aussi courageuse que nécessaire sur l’esclavage (et le combat pour l’abolition de cette dernière) prend de plus en plus de force et d’épaisseur.
Nul doute que les jeunes lecteurs, à qui cette œuvre s’adresse en priorité, apprendront beaucoup de cette sinistre page d’Histoire de l’humanité, et qu’ils en tireront, entraînés par la conviction et l’empathie de Timothée de Fombelle, les meilleures leçons pour tracer leur propre chemin vers la compréhension et le respect des autres, quels que soient leurs origines, leurs couleurs de peau et leurs croyances.
On attend, bien entendu, la suite et la fin d’Alma avec la plus grande impatience… Rendez-vous en 2023 !

Robin Hood t.1 : hacking, braquage et rébellion
Robert Muchamore
Éditions Casterman, 2021
ISBN 9782203218215
288 p.
12,90 €
Traduit de l’anglais par Faustina Fiore
À partir de 11 ans
Robin a douze ans lorsque son père est emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis, piégé par Guy Gisborne, un mafieux aussi puissant que véreux. Devenu lui aussi la cible du terrible malfrat, Robin s’échappe de justesse et trouve refuge dans la dangereuse forêt de Sherwood.
Avec ses talents de hacker et son don pour le tir à l’arc, Robin pourrait gagner la confiance des hors-la-loi peuplant ce territoire hostile… et même se venger du plus grand criminel de Nottingham !
Sans surprise.
Robert fait du Muchamore, il le fait très bien, et ça fonctionne. Sans égaler cependant, et encore moins surpasser l’invraisemblable efficacité de Cherub, la série d’espionnage au très long cours (17 volumes, plus sept volumes du prequel Henderson’s Boys) qui a rassemblé un lectorat aussi large qu’hétérogène en frappant droit dans l’air du temps, avec ses héros à la fois extraordinaires et si proches, par leur langage, leurs erreurs et leurs adolescences compliquées, de leurs jeunes lecteurs.
L’idée de départ avait de quoi exciter autant qu’inquiéter : proposer une réécriture contemporaine de Robin des Bois, en faisant de ce héros si emblématique de la culture anglo-saxonne un jeune garçon, forcé de rejoindre la clandestinité pour tenter de sauver l’honneur de son père injustement emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis.
Tous les ingrédients attendus de l’histoire y sont, à commencer par ses personnages incontournables (Robin bien sûr, mais aussi Marian Maid, Little John, l’infâme Guy Gisborne…), même s’ils sont joyeusement réinventés par le romancier anglais. Lequel ajoute à la recette ses propres petits trucs, dont une connexion avec Cherub (via un gang de motards bien connus des agents du pensionnat secret).
Et donc, ça marche très bien, porté par le sens du rythme et du suspense de Muchamore, son art pour camper des ados crédibles et en même temps capables de se sublimer de manière flamboyante, des scènes d’action qui décoiffent, ce qu’il faut de bons sentiments et d’appels au rejet instinctif de ses lecteurs pour l’injustice.
Rien de nouveau sous le soleil, mais quand c’est bien fait, il y a de quoi se laisser faire. On verra si on tient jusqu’au bout des sept volumes annoncés à suivre…
Le Serment, d’Arttu Tuominen

Éditions de la Martinière, 2021
ISBN 9782732496665
448 p.
22 €
Verivelka
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail
Ils sont trois : un cadavre lardé de coups de couteaux, un suspect errant les mains ensanglantées à l’orée d’un bois et l’inspecteur chargé de l’enquête. Trois hommes qui se connaissaient ; trois hommes qui ne s’étaient pas revus depuis vingt-sept ans.
Dans les prairies sauvages de Finlande ressurgissent les souvenirs d’une enfance féroce, les traumatismes du passé. Entre les courses à vélo et les vengeances à la sortie de l’école, un pacte de sang a été scellé. Un serment qui se rappellera à eux trois décennies plus tard.
Si vous aimez les polars nordiques fidèlement… nordiques, Le Serment pourrait vous contenter, à condition que vous n’ayez pas le sentiment d’avoir fait le tour du registre depuis longtemps.
Tous les ingrédients classiques sont réunis ici : une météo hostile (froid, boue, pluie), des décors bruts et fascinants, une lenteur endémique de la narration, des personnages rugueux et des secrets touffus. Rien de nouveau sous le (rare) soleil du Grand Nord, on connaît tout ceci depuis longtemps – j’allais dire Mankell, référence évidente d’Arttu Tuominen et grand maître incontestable du genre, mais on peut même remonter au duo fondateur Sjöwall & Wahlöö sans craindre de se tromper.
Quel intérêt particulier donc dans ce Serment ? Le fait, pour commencer, qu’il vienne de Finlande, pays sans doute le moins représenté du quintette glacé (avec la Suède, la Norvège, le Danemark et l’Islande). Cela ne bouleverse pas la donne, mais c’est un détail notable.
Non, le plus intéressant, en réalité, c’est le traitement du sujet principal du roman. Le fait de confronter le protagoniste à un dilemme particulièrement difficile à résoudre : choisir entre sa conscience professionnelle – d’autant plus qu’il se retrouve responsable d’enquête pour la première fois – et une part essentielle de son passé, nichée dans son enfance.
En ce sens, le personnage du commissaire Jari Paloviita est particulièrement bien dessiné, et si l’on s’attache avant tout à ses failles, si l’on suit ses choix et ses décisions avec curiosité, voire avec empathie, c’est parce qu’ils permettent de faire tenir l’essentiel du suspense sur le fil ténu des sentiments et des convictions d’enfance – mises en scène dans des flashbacks consistants, au ton très juste, qui deviennent vite plus importants que l’enquête. Et la fin, solide, vient couronner ce cheminement avec un aplomb louable.
Débutant dans l’ombre des plus grands, Le Serment finit sur la longueur pour imposer sa voix, en jouant la carte de l’humanité et de l’émotion avec pudeur et subtilité. Plutôt une bonne surprise, au bout du compte.
À première vue : la rentrée Robert Laffont 2021
Intérêt global :

L’année dernière, j’avais cru déceler plusieurs jolies promesses dans le programme de rentrée des éditions Robert Laffont. Finalement, je n’avais eu le temps de n’en lire qu’un, qui s’était avéré une grosse déception.
Je ne vais donc pas me mouiller cette année, d’autant qu’à première vue, il n’y pas grand-chose dans cette affiche 2021 (pourtant « riche » de sept titres) qui soit susceptible de me détourner de mes déjà nombreuses envies de lecture chez la concurrence.
À un moment, il faut bien faire des choix. Et là, je l’avoue, c’est assez facile.
Châteaux de sable, de Louis-Henri de la Rochefoucauld
Un jeune père de famille un peu paumé, héritier de la noblesse d’épée sans aucune conviction royaliste, il finit par trouver un point d’accroche en s’intéressant à la Révolution française. Et voilà-t-y pas que Louis XVI en personne lui apparaît ! Notre héros s’imagine alors un but tout neuf dans la vie : prendre fait et cause pour le roi guillotiné et lui offrir, enfin, la défense qu’il aurait mérité à son époque…
(Comme quoi, la drogue peut faire des ravages dans toutes les strates de la société.)
Ce qui manque à un clochard, de Nicolas Diat
Mémoires romancées d’un homme bien réel, Marcel Bascoulard, né en 1913 et mort assassiné en 1978, dessinateur de génie et homme excentrique qui vivait dans son camion, ancien paysan devenu travesti, sauvage et misanthrope.
Une certaine raison de vivre, de Philippe Torreton
Le comédien poursuit son œuvre littéraire souvent couronnée de beaux succès publics. Il relate cette fois le retour à la vie civile d’un soldat de 14-18, indemne physiquement mais dévasté intérieurement, qui tente de se raccrocher à son emploi et surtout à son amour pour Alice pour croire qu’une existence ordinaire reste possible.
Un thème qui rappelle un peu Capitaine Conan, film de Bertrand Tavernier dont Torreton était la tête d’affiche.
Le Fils du pêcheur, de Sacha Sperling
Le narrateur s’appelle Sacha. (Ah, tiens.) Il est écrivain, mais là il n’écrit pas. (Oh ben ça.) Il est dévasté par l’échec de sa relation amoureuse avec Mona. (Aïe.) Mais voici qu’il rencontre Léo. (Oh.) Grande passion, qui dure sept mois. Pas plus, parce que Sacha est du genre à tout gâcher et tout détruire. (L’artiste maudit, tout ça tout ça.) C’est moche, mais ça donne de la matière pour écrire des livres.
(Qu’on n’est pas obligé de lire.)
Le Cri de la cigogne, de Jean-Charles Chapuzet
C’est l’un des deux titres qui inaugurent L’Incendie, nouvelle collection de littérature dirigée par Glenn Tavennec. Inspiré d’une histoire vraie, ce roman se déroule à Olaszhalom, un village hongrois. 1500 habitants, une station-service, des cigognes, trois églises, les ruines d’une synagogue. Et, en contrebas de la route principale, une rivière dans laquelle chahutent des dizaines de Tsiganes. Une voiture transportant un professeur d’histoire et ses deux enfants passe par là. Une fille surgit devant le véhicule. C’est la porte ouverte à toutes les haines qui tiraillent le pays.
Six pieds sur terre, d’Antoine Dole
Deuxième titre de la collection L’Incendie. Histoire d’amour boiteuse entre deux trentenaires qui s’aiment sans réussir à être heureux. Camille annonce alors qu’elle veut un enfant, ce qui pousse Jérémy à s’interroger sans détour sur le sens qu’il donne à sa propre vie, et sur sa peine à trouver sa place.
Au nom des miens, de Nina Wähä
(traduit du suédois par Anna Postel)
En suédois, Toimi signifie « fonctionnel ». Drôle de nom, donc, pour une famille qui est tout sauf fonctionnelle. Surtout à cause du père, pervers et violent. Alors que Noël approche et que les onze enfants sont appelés à se réunir chez leurs parents, le moment semble venu de mettre fin au mal.
Pourquoi je n’ai pas dépassé la page 50 : La Vengeance m’appartient, de Marie Ndiaye
Éditions Gallimard, 2021
ISBN 9782072841941
240 p.
19,50 €
Me Susane, quarante-deux ans, avocate récemment installée à Bordeaux, reçoit la visite de Gilles Principaux. Elle croit reconnaître en cet homme celui qu’elle a rencontré quand elle avait dix ans, et lui quatorze — mais elle a tout oublié de ce qui s’est réellement passé ce jour-là dans la chambre du jeune garçon. Seule demeure l’évidence éblouissante d’une passion.
Or Gilles Principaux vient voir Me Susane pour qu’elle prenne la défense de sa femme Marlyne, qui a commis un crime atroce… Qui est, en vérité, Gilles Principaux ?
(En préambule, je rappelle à toutes fins utiles que l’objet de cette rubrique n’est pas (forcément) de dire que le livre en question est si mauvais que je n’ai pas réussi à le terminer. Au contraire, la plupart du temps, il s’agit plutôt d’essayer d’expliquer pourquoi, en dépit de ses qualités – et en raison de ses partis pris -, il ne m’a pas convenu.)
Sans jamais avoir lu une ligne de ses livres, je me suis fait du travail de Marie Ndiaye une image assez respectueuse, voire intimidante. D’abord publiée aux éditions de Minuit (où elle décroche le prix Fémina en 2001 pour Rosie Carpe), puis chez Gallimard, où elle obtient le Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes, elle est, à 53 ans seulement, à la tête d’une œuvre déjà imposante incluant plus d’une dizaine de romans et recueils de nouvelles, autant de pièces de théâtre et quelques textes pour la jeunesse.
Je ne sais pas si La Vengeance m’appartient est à l’image de son travail passé. Mais si c’est le cas, je ne suis pas sûr d’y revenir. (Il est probable que ce ne soit pas le cas. Femme à l’évidence brillante, j’ai le sentiment qu’elle n’est pas du genre à mettre deux fois les pieds dans le même sabot.)
Je ne nie nullement l’intelligence extrême à l’œuvre dans ce livre, évidente dès les premières lignes. Tout, dans le style de Marie Ndiaye, est pensé, pesé ; c’est bien le livre d’une auteure posée, maîtresse d’une écriture qui se déploie en phase avec son propos. En l’occurrence, le portrait d’une femme, simplement désignée sous son nom et l’attribut de sa profession, Me Susane. Avocate quarantenaire, sans envergure, dont les débuts à la tête de son cabinet sont laborieux, et qui s’efforce de composer avec les attentes de tous et toutes autour d’elle, à commencer par ses parents, éperdus d’espoir pour elle mais déçus par son manque de réussite flagrant. Même lorsqu’elle hérite d’un dossier criminel de grande envergure, qui va lui causer plus de soucis que de prestige.
Pour développer ce personnage, Marie Ndiaye avance à reculons et par chausse-trappes. Elle nous donne à lire toutes ses réflexions, en particulier tout ce qu’elle n’ose pas dire aux autres. Ce qui donne de longs passages en italiques, explicitant par le détail une pensée qui ne s’exprime jamais.
Le procédé est intéressant, et permet de concrétiser l’immobilisme de la protagoniste, le blocage essentiellement constitutif de son caractère.
S’y ajoute un recours massif aux adjectifs et aux adverbes, comme autant de signaux incarnant les sentiments mêlés et extrêmes de Me Susane. Un choix qui va à l’encontre d’un des conseils les plus fréquemment adressés aux apprentis littérateurs : proscrivez autant d’adverbes que possible, et méfiez-vous des avalanches d’adjectifs. Il faut du talent pour s’opposer à cette sage remarque, et Marie Ndiaye, évidemment, n’en manque pas. Pour autant, je ne peux pas dire que j’adhère. Face à une telle débauche, j’ai tendance à subir. Ici, ça n’a pas raté.
Si je comprends les partis pris de la romancière, j’avoue m’être très vite ennuyé. Impossible de me passionner pour les tergiversations de cette anti-héroïne, ni de vibrer à l’écriture de Marie Ndiaye, que j’ai trouvé trop chargée, voire invraisemblable dans certains dialogues.
Qui irait dire (au téléphone, en plus) : « Ce garçon, maman, c’est l’enkystement d’une pure joie ! »
(Je ne sais même pas ce que c’est censé signifier, je l’avoue…)
J’imagine que c’est fait exprès. C’est peut-être même censé être drôle, ou ironique, ou que sais-je encore. Ce genre de subtilités me passe au-dessus de la tête, et je n’ai guère de temps à perdre à me mettre sur la pointe des pieds pour tenter de les attraper.
La Vengeance m’appartient est l’exemple même de texte trop cérébral pour moi, où il me semble que le soin apporté à la forme finit par écraser le propos, par le mettre trop à distance. Pas le genre de prose qui me parle ni qui me touche, je la laisse sans remords à ses nombreux amateurs et admirateurs.
À première vue : la rentrée Stock 2020

Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.
Intérêt global :
Sabre, d’Emmanuel Ruben
Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.
Le Monde du vivant, de Florent Marchet
Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.
Erika Sattler, d’Hervé Bel
Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.
La Société des belles personnes, de Tobie Nathan
« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.
Aria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)
Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.
Le Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim
La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.
La Grande épreuve, d’Étienne de Montety
L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.
La colère, d’Alexandra Dezzi
Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.
Dernière cartouche, de Caroline de Bodinat
Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)
Les démons, de Simon Liberati
« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?
BILAN
Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.
À première vue : la rentrée Gallimard 2020

Intérêt global :
Voici venir mon moment préféré lorsque je travaille sur la rubrique « à première vue » : la présentation de la rentrée littéraire Gallimard…
D’ordinaire pléthorique et relativement indigeste, ce qui occasionne de ma part quelques fréquentes poussées d’urticaire critiques, la rentrée 2020 de Tonton Antoine s’inscrit dans la tendance générale à la baisse des gros éditeurs, pour prendre en compte les répercussions de la crise sanitaire du premier semestre. Si, si, je vous assure ! Au lieu d’une vingtaine de titres, le tarif habituel, nous n’aurons droit qu’à… 13 parutions (si j’ai bien compté, parce qu’il n’est pas facile de s’y retrouver dans l’avalanche de sorties estampillées Gallimard, entre les poches, les essais, les livres audio, les polars…)
Et dans ces 13, on retrouve essentiellement de la grosse cavalerie. Pas forcément synonyme de qualité ni d’enthousiasme délirant, hein, je vous rassure. Même si certains auteurs, dans le lot, sont sans doute incontournables. Je vais essayer de leur réserver la meilleure place dans ses lignes.
COMME SON TITRE L’INDIQUE
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
On le connaît surtout en brillant amuseur public, membre de l’OuLiPo, plume virtuose quand il s’agit de jouer avec les mots. Mais c’est aussi un excellent écrivain tout court, qui fait par ailleurs son entrée chez Gallimard avec ce nouveau roman, après être passé chez Lattès et le Castor Astral, entre autres. Un signe ?
En mars 2021, un avion en provenance de Paris atterrit à New York après un vol marqué par de violentes turbulences. Trois mois plus tard, le même avion réapparaît au-dessus de New York, avec le même équipage et les mêmes passagers à son bord – provoquant une crise médiatique, scientifique et politique sans précédent…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce résumé promet une escapade originale, une belle réflexion sur le double et l’identité, et un bousculement salvateur de la logique.
Et puis, comment ne pas accorder du crédit à quelqu’un qui écrit :
« A quarante-trois ans, dont quinze passés dans l’écriture, le petit monde de la littérature lui paraît un train burlesque où des escrocs sans ticket s’installent tapageusement en première avec la complicité de contrôleurs incapables, tandis que restent sur le quai de modestes génies… »
IL CAPO
Impossible, d’Erri De Luca
(traduit de l’italien par Danièle Valin)
La montagne pour décor. Un texte bref (moins de 200 pages), une pensée et un style épurés, une intelligence percutante. On connaît, Erri De Luca nous a déjà fait le coup à plusieurs reprises. Et pourtant, on y retourne à chaque fois, parce que la déception est pratiquement impossible avec cet immense écrivain italien, sensible et engagé.
Cette fois, tout commence par une chute. Un homme dévisse dans les Dolomites, un autre donne l’alerte. Fait troublant, les deux se connaissaient de longue date, compagnons de lutte révolutionnaire quarante ans plus tôt. L’homme tombé avait dénoncé celui qui a signalé sa dégringolade. Le juge chargé de l’affaire refuse d’y voir une coïncidence et suspecte une vengeance savamment agencée. Entre le jeune magistrat et le vieil homme commence alors, sous couvert d’interrogatoire, un dialogue sur l’amitié et la trahison, la justice et l’engagement.
DE LA SAGESSE, DE L’ÉDUCATION ET DES RÊVES
Les caves du Potala, de Dai Sijie
En 2019, L’Évangile selon Yong Sheng a marqué le grand retour de Dai Sijie vers le succès depuis Balzac et la petite tailleuse chinoise. Son nouveau roman sera donc sûrement scruté, au moins par la presse. Le Potala du titre est l’ancien palais du Dalaï-Lama au Tibet. En 1968, après l’avoir investi et forcé le dignitaire religieux à l’exil, les Gardes Rouges emprisonnent le peintre Bstan Pa, et le soumettent à un interrogatoire serré. L’artiste y répond, et y résiste, en opposant à la violence politique la sagesse du bouddhisme et une vie dédiée à l’art.
Fille, de Camille Laurens
Être une femme, assumer son sexe, trouver sa place dans la société en tant que femme, affronter le sexisme ordinaire, ces questionnements sont au cœur du travail de Camille Laurens. Ce nouveau roman au titre révélateur s’ouvre à Rouen, dans la famille Barraqué, dont Laurence est l’une des deux filles. Elle grandit dans la certitude, assénée par l’éducation de ses parents et le contexte social, qu’en toutes choses les hommes décident et dominent. L’expérience de l’âge adulte puis de la maternité, dans les années 90, vont l’amener à reconsidérer cette posture, et à repenser son existence à la lumière du féminisme.
Broadway, de Fabrice Caro
Fabcaro lorsqu’il dessine (Zaï Zaï Zaï Zaï) reprend son nom complet lorsqu’il se fait littéraire. Un domaine où il rencontre également le succès, puisque Le Discours, son précédent roman, a largement rencontré ses lecteurs, et va devenir à la rentrée un spectacle seul en scène adapté et interprété par Simon Astier, ainsi qu’un film réalisé par Laurent Tirard, avec les acteurs à la mode Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau.
Autant dire que son nouvel opus est lui aussi attendu, et que son résumé promet de retrouver son univers si particulier, mêlant humour raffiné, sens de l’absurde et profonde mélancolie existentielle. Axel est un homme qui a réussi. 46 ans, marié, deux enfants, un emploi, une maison, des voisins sympas qui vous invitent à leurs barbecues ou à faire du paddle à Biarritz… que demander de plus ? Hé bien, du rêve, du vrai. Celui des origines. Le rêve scintillant et glorieux d’une carrière pleine de succès sur les planches de Broadway… Et si c’était le moment de franchir le pas ?
DE L’ART
Térébenthine, de Carole Fives
On connaissait Carole Fives en observatrice acide des relations familiales. La voici qui semble faire un pas de côté, et élargir son point de vue – tout en conservant une base autobiographique car, comme son héroïne, elle est passée l’École des Beaux-Arts.
Ce que fait donc sa narratrice, au début des années 2000, alors que la peinture est considérée comme morte. Même dans ce supposé sanctuaire de l’art pictural, rien n’est fait pour encourager les jeunes vocations, qui se heurtent à l’hostilité des professeurs ou des galeries d’exposition.
Il n’en faut pas plus pour que la jeune femme s’obstine, montant notamment avec des amis un groupe clandestin qui œuvre dans les sous-sols de l’école, à l’insu de tous, refusant de baisser les bras et de ne pas croire dans la possibilité de l’art quoi qu’il arrive…
Art Nouveau, de Paul Greveillac
Je serai curieux (un peu, pas trop non plus) d’entendre l’auteur parler de son livre. Parce que, sur le papier, nombre de choses m’intriguent à son sujet. Son héros s’appelle Lajos Ligeti, et est un architecte viennois qui, en 1896, part à Budapest pour tenter de développer en toute liberté, dans une ville où tout est à faire, ses propres conceptions artistiques et architecturales.
Bon.
Réflexe personnel : je fais tout de suite une recherche pour savoir si c’est une fiction inspirée de faits et de personnages réels ou non. Je trouve bien un Lajos Ligeti, mais qui est né à Budapest en 1902, et était orientaliste et philologue.
Du coup, je suis perplexe : pourquoi nommer ainsi son personnage, d’un nom qui n’est tout de même pas anodin ni passe-partout ?
C’est peut-être se prendre la tête pour rien, hein. N’empêche, reconnaissez que c’est troublant. Un romancier qui fait bien son travail ne nomme pas son personnage sur un coup de tête. Un nom, c’est déjà du sens. En tout cas, ça me perturbe. Presque autant que de savoir s’il va réellement être question d’Art Nouveau dans le roman, car le résumé évoque les envies de construction en béton du protagoniste, choix de matériau qui sera plutôt l’apanage du mouvement suivant, l’Art Déco… Cela dit, en 1896, on est en plein Art Nouveau, donc ça se tient.
Bref, tout ceci m’intrigue. Mais ce n’est pas pour autant que je lirai ce livre, pour être honnête.
(Donc, tout ça pour ça, hein ? Ben ouais.)
DES ÉCRIVAINS
Les secrets de ma mère, de Jessie Burton
(traduit de l’anglais par Laura Derajinski)
Rose Simons cherche des informations sur sa mère, disparue peu après sa naissance. En enquêtant, elle découvre que la dernière personne à avoir officiellement vu Élise est une écrivaine, alors au faîte de sa gloire littéraire, qui vit désormais recluse et oubliée…
Par l’une des jeunes romancières anglaises les plus prometteuses de ces dernières années.
La Dernière interview, d’Eshkol Nevo
(traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche)
Un célèbre écrivain répond aux questions de ses internautes, ce qui l’amène à s’interroger sur son couple, ses relations compliquées avec ses enfants, son angoisse pour son meilleur ami atteint d’un cancer…
Je ne connais pas Eshkol Nevo. Je ne l’ai jamais lu, ni ne me suis intéressé de près ou de loin à son parcours. Il semblerait qu’il soit un auteur important en Israël, et à lire des interviews, qu’il ait des choses intéressantes à dire. Pour être honnête, ce n’est pas avec ce nouveau roman que je pense changer la donne.
Les funambules, de Mohammed Aïssaoui
Le héros de ce roman exerce la curieuse profession de biographe pour anonymes. Il écrit la vie des gens dont personne ne parle, les glorieux inconnus du quotidien. Depuis quelque temps, il s’intéresse aux bénévoles qui consacrent leur temps et toute leur énergie à aider les plus démunis. Peut-être dans l’espoir de retrouver Nadia, son amour de jeunesse…
VOICI VENU LE TEMPS DES RITES ET DES CHAMPS
Les roses fauves, de Carole Martinez
L’auteure du Cœur cousu s’appuie sur une étonnante tradition espagnole pour nourrir l’intrigue de son nouveau roman (et faire étrangement écho à son premier) : en Andalousie, les femmes qui sentaient la mort approcher cousaient des coussins en forme de cœur, qu’elles bourraient de petits papiers où elles rédigeaient leurs secrets. Après leur disparition, les coussins étaient confiés à leurs filles, avec l’interdiction absolue de les ouvrir.
Lola, l’héroïne du roman, coule des jours paisibles en Bretagne, entre le bureau de poste où elle travaille et son jardin où elle cultive son petit bonheur tranquille. Dans son armoire, elle conserve précieusement les coussins des femmes de sa famille. Jusqu’au jour où l’un d’eux, en se déchirant par accident, révèle les secrets d’une de ses aïeules et bouleverse son existence…
Le Palais des orties, de Marie Nimier
Au fond d’une campagne française à l’abandon, entre des hangars de tôle rouillée et des champs d’ortie, une famille avec deux enfants vivote tant bien que mal, entre débrouille au quotidien et joie tranquille. Un jour, une jeune femme débarque. Frederica fait du woofing : contre le gîte et le couvert, elle offre son aide et ses bras pour la culture des champs. Elle amène aussi une forme de passion à laquelle Nora, la mère, ne va pas rester insensible.
Les orties, ça pique. Et l’amour aussi.
ET SINON…
Comédies françaises, d’Eric Reinhardt
Parce que je ne sais pas sous quelle rubrique le classer, et parce que je n’ai jamais réussi à m’intéresser à son travail (peut-être à tort, hein), voici Eric Reinhardt bon dernier, ce qu’il ne sera probablement pas auprès de la presse qui a l’habitude de le défendre et de le mettre en avant.
Son protagoniste, un jeune journaliste de 27 ans, décide de s’intéresser aux débuts d’Internet. Son enquête l’amène sur les traces d’un ingénieur français dont les recherches révolutionnaires sur le système de transmission des données furent brutalement suspendues par les pouvoirs publics au milieu des années 70. Cette découverte le met sur la piste vers le pouvoir des lobbies, incarné par un puissant industriel dont l’ombre rôde dans les parages.
BILAN
Lecture certaine :
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
Lectures probables :
Impossible, d’Erri De Luca
Broadway, de Fabrice Caro
Lecture éventuelle :
Les caves du Potala, de Dai Sijie
L’Année du Lion

Traduit de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert
Photos : Deon Meyer
En deux mots :
thriller total
Après qu’un virus foudroyant a anéanti les neuf dixièmes de la population humaine, les survivants essaient d’envisager l’avenir. Pour Willem Storm, un humaniste nourri de philosophie et décidé à croire en des jours neufs pour l’humanité, la solution passe par l’entraide, la reconstruction d’un modèle social fondé sur les capacités et les forces des uns et des autres. Avec son fils Nico, âgé de 13 ans, il appelle à lui toutes les bonnes volontés, et met sur pied Amanzi, une communauté utopique en plein coeur de l’Afrique du Sud dévastée.
Et ça marche.
Pour un temps.
Car l’homme reste ce qu’il est. Et contre l’obstination de certains à détruire les rêves ou à exploiter les autres, il va falloir se battre. Quitte à prendre les armes.
Deon Meyer est tout sauf un novice. Au fil d’une dizaine de polars haletants, il a scruté son pays, l’Afrique du Sud, en a capté les tourments, les blessures. Sa réputation de raconteur d’histoires n’est plus à faire. Pourtant, quand il décide de faire un pas de côté et de s’essayer au roman post-apocalyptique, l’inquiétude est de mise. Ce genre de pari n’est pas toujours couronné de succès. Sortir de sa zone de confort, prendre des risques, c’est bien, mais le résultat peine souvent à être à la hauteur. (Pensée pour toi, par exemple, Niccolo Ammaniti.)
Sauf ici. Parce que L’Année du Lion, les amis, est pour moi sans conteste son meilleur livre, et de loin.
Se libérer des codes et contraintes du roman policier a également libéré Deon Meyer. Dans L’Année du Lion, on retrouve avec jubilation son savoir-faire de maître du suspense. Les scènes d’action sont légion et mettent le feu aux pages qui défilent à toute vitesse. Le rythme reste soutenu de bout en bout. Si le cadre du récit est post-apocalyptique (on y revient dans un instant), la technique du roman reste celle d’un thriller. Avec des mystères à résoudre, des secrets à dévoiler, du danger, des ennemis, des trafics, des armes et des crimes.
D’ailleurs, la première page annonce la couleur, en dévoilant que Willem Storm a été assassiné. Par qui, pourquoi ? C’est que son fils, avide de vengeance, va chercher à découvrir, en se faisant narrateur de l’histoire et en remontant le fil de son périple humaniste au côté de son père. L’Année du Lion est en mode thriller, et fera tout pour ne pas vous lâcher les tripes jusqu’à la fin.
Oui, mais ce n’est pas tout. C’est loin d’être tout, à vrai dire. Si L’Année du Lion est aussi fort, aussi percutant, aussi grandiose, c’est que Deon Meyer exploite pleinement son idée de départ post-apocalyptique pour développer ensuite un très large faisceau d’idées, de problématiques et d’interrogations en tous genres.
Je précise donc, et j’insiste à l’attention de ceux qui se méfient de la S.F. ou pensent que ce n’est décidément pas de la littérature (eurk) : L’Année du Lion, finalement, est tout sauf un roman post-apocalyptique. Il recourt au point de départ archétypal du genre (un virus décime la population mondiale, que font les survivants ?), pour mieux s’en éloigner et étoffer son suspense de profondes réflexions sur ce qui constitue l’humanité aujourd’hui et, au fond, depuis toujours.
Acharné à bousculer son lecteur et à le faire réfléchir entre deux montées d’adrénaline, le romancier sud-africain multiplie alors les questionnements politiques, économiques, sociologiques, éthiques ou religieux.
Pour ce faire, il recourt à un large panel de personnages, à qui il donne régulièrement la parole grâce à une superbe idée formelle. En effet, Meyer imagine que les témoignages des uns et des autres sont enregistrés lorsqu’ils rejoignent la communauté ; ce sont ces archives, intercalées entre les évolutions des différentes intrigues, qui nourrissent le roman et lui donnent autant de matière sur autant de sujets différents.
Surtout, il fait le choix de placer au cœur de son livre l’espoir, l’optimisme, la foi en une humanité meilleure. Sacré pari, quand chaque jour nous apporte les visions tragiques de ce que l’homme peut infliger à la planète, à la nature ou à ses semblables… Mais Deon Meyer s’y tient, en dépit du fait que le roman compte sa part de violence, d’échecs et de désillusions. Ce choix place définitivement L’Année du Lion à part dans le corpus post-apocalyptique, et donne envie d’y croire nous aussi. Un petit peu, au moins. Pour ne pas désespérer totalement…
Par facilité médiatique ou commerciale, on a beaucoup comparé L’Année du Lion à La Route de Cormac McCarthy. Je vais être clair et très tranché : hormis le point de départ (un père et son fils tentent de survivre dans un monde post-apocalyptique),
les deux livres n’ont rien à voir. Et je trouve L’Année du Lion incomparablement plus riche, plus émouvant, plus impressionnant que La Route. En tout cas, L’Année du Lion m’a renversé et, des années après sa lecture, continue de m’habiter ; pas La Route.
Cet avis pas très littérairement correct en fera sûrement bondir plus d’un, mais j’assume. McCarthy est un écrivain plus ambitieux, plus complexe, plus virtuose du point de vue du style, nous sommes d’accord. Mais sa Route, tunnel oppressant qui s’achevait en ébauche de rédemption pas très convaincante et plombée de bondieuserie, avait beaucoup moins de choses à dire sur l’humain que le roman de Deon Meyer.
Bon, après, pas besoin forcément de rentrer dans ce genre de débat. L’Année du Lion est un torrent de lave littéraire, un bouillonnement de suspense et d’intelligence dont l’épaisseur est tout sauf un obstacle. J’ai freiné des quatre fers pour ne pas le terminer, celui-ci – tout en brûlant de connaître le fin mot de l’histoire… que Deon Meyer nous offre dans un twist qui a largement divisé les lecteurs, exaspérant certains, enchantant d’autres.
Je fais partie, comme vous l’imaginez, des enchantés. Et vous incite à vous emparer de ce monument, qui assure un moment de lecture trépidant et enrichissant. Que demander de plus ?
Sur le site de Deon Meyer, la page consacrée à L’Année du Lion (Fever en anglais), avec d’autres photos sur des lieux et détails du roman : https://www.deonmeyer.com/b_fever.html#
Sinon, d’autres avis positifs sur ce roman chez : Émotions – Blog littéraire, Actu du Noir (Jean-Marc Laherrère), Black Novel, Les conseils polar de Pietro, Encore du Noir
Couleurs de l’incendie, de Pierre Lemaitre

Le très respectable Marcel Péricourt, fondateur de la banque du même nom, vient de s’éteindre. Nous sommes en 1927 et sa seule fille, Madeleine, est appelée à lui succéder. Mais un geste insensé de Paul, le fils de Madeleine, le jour des funérailles du patriarche, change radicalement la donne et fragilise la position de l’héritière. A tel point que certains en profitent et, abusant de la faiblesse de Madeleine, la dépouillent de tout ou presque.
Un bon calcul, certes… mais ne faudrait-il pas se méfier plus que tout d’une femme ainsi déclassée et humiliée ?
Lemaitre conteur est de retour !
Pari réussi pour Pierre Lemaitre qui, après un opus post-Goncourt assez moyen (Trois jours et une vie), s’est remis sérieusement au travail pour écrire cette « suite » d’Au revoir là-haut – je guillemette « suite » parce que, si l’on retrouve quelques personnages du précédent, Couleurs de l’incendie a l’intelligence de pouvoir être lu de manière indépendante sans rien perdre en compréhension.
Ni en plaisir, donc, puisque Lemaitre a indéniablement retrouvé l’inspiration pour se replonger dans sa fresque du XXème siècle. Ressuscitant le style vif, inspiré et mordant du premier opus, il raconte cette fois les années 1927-1935, balayant au passage les effets européens de la grande crise de 1929 et la montée inexorable des fascismes en Allemagne et en Italie. Impeccablement maîtrisé, ce contexte permet au romancier de tailler sévèrement nombre de sujets – la corruption politique, l’évasion fiscale, l’éthique très particulière de certains journalistes et les postures de la presse en général, les dérives lamentables d’une société fièrement patriarcale où la femme est une denrée économique (ou pas) parmi d’autres…
Autant dire qu’avec tous ces éléments, Pierre Lemaitre brandit à la face de notre époque un miroir à peine déformant, où l’on constate sans grande surprise que rien n’a changé ni n’a été inventé aujourd’hui. Le parallèle pourrait être lourdingue, mais l’écrivain opère en finesse, sans forcer le trait, grâce notamment à son art intact de l’ironie dévastatrice, dont l’omniprésence est un régal tout au long des cinq cents pages (vite avalées d’ailleurs) de ce roman.
Couleurs de l’incendie est aussi une superbe démonstration des héritages de Pierre Lemaitre. Héritage littéraire, avec un hommage à peine déguisé à son maître Alexandre Dumas qui transparaît dans cette magnifique histoire de vengeance à la Monte-Cristo ; mais aussi par l’emploi d’un style puissant mais accessible, populaire au plus beau sens du terme, faisant de ce roman un véritable feuilleton à l’ancienne dont on peine à s’évader tant l’envie d’en tirer les différents fils jusqu’au bout est difficile à contenir. Mérite en soit rendu aux personnages, tous parfaits, qui habitent les nombreuses intrigues tissant la toile de Couleurs de l’incendie avec autant de bonheur que dans Au revoir là-haut ; on a envie de tous les suivre, de les soutenir, de les détester, de les mépriser, avec autant (plus ?) d’ardeur que dans la vraie vie.
Héritage de genre également, car Pierre Lemaitre ne s’est pas illustré en polar au début de sa carrière par hasard. Il sait raconter une bonne histoire sans en perdre le fil, tenir le lecteur en haleine, semer les rebondissements aux moments adéquats, faire monter le suspense… Bref, son art de conteur est intact, et c’est un régal de tous les instants.
Excellente surprise, donc, que ce nouveau roman de Pierre Lemaitre, qui renoue avec les ingrédients ayant fait le succès d’Au revoir là-haut tout en renouvelant subtilement la recette. Impeccable !
Couleurs de l’incendie, de Pierre Lemaitre
Éditions Albin Michel, 2018
ISBN 9782226392121
534 p., 22,90€
A première vue : la rentrée polar 2016 – les pointures !
Faute de temps (et sans doute un peu de courage, avouons-le), ces deux dernières années, nous avions omis de consacrer une chronique aux polars dans la rubrique « à première vue ». Et pourtant, le genre policier fait lui aussi sa rentrée ! Pour commencer, petit éclairage sur quelques grands noms attendus entre fin août et novembre – et ça fait déjà du beau monde, sachant que nous avons effectué un premier tri (très subjectif) parmi les très nombreuses parutions annoncées dans les semaines qui viennent…
Bref, attention, il y a du lourd !!!
TRAFFIC : Cartel, de Don Winslow (Seuil, 8/09)
C’est sans doute l’événement polar de la rentrée : près de quinze ans après, Don Winslow donne une suite à son plus grand roman, l’énormissime Griffe du chien. On retrouve l’agent de la DEA, Art Keller, reclus dans un monastère où il essaie d’oublier qu’il a gâché sa vie à poursuivre pendant trente ans le baron de la drogue Adan Barrera, désormais coincé derrière les barreaux grâce à lui. Mais Barrera s’échappe et met à prix la tête de Keller, l’obligeant à reprendre la lutte… 700 pages de violence et de furie pour scruter avec plus d’acuité que jamais l’Amérique d’aujourd’hui. Grosse claque attendue.
MAFIA FLOUZE : Un cœur sombre, de R.J. Ellory (Sonatine, 6/10)
Le romancier anglais qui parle des États-Unis mieux que la plupart des auteurs américains revient avec un héros qui n’a rien pour lui au départ : mauvais père, mauvais mari, Vincent Madigan doit tellement d’argent à Sandia, roi de la pègre d’East Harlem, que sa vie ne tient plus qu’à un fil. Pour s’en sortir, il n’a plus le choix, il doit réussir un gros coup, et pour cela prendre tous les risques…
MURDER BY THE BOOK : Une avalanche de conséquences, d’Elizabeth George (Presses de la Cité, 22/09)
Clare Abbott, féministe et écrivaine, est retrouvée morte par son assistante, Caroline. Cause du décès : arrêt cardiaque. Rory Statham, éditrice et amie de longue date de la défunte, est convaincue que Caroline n’est pas étrangère à la mort de Clare. Elle fait donc appel à l’enquêtrice Barbara Havers. La nouvelle brique (500 pages environ) de la reine américaine du crime.
MISERY : En douce, de Marin Ledun (Ombres Noires, 18/08) (lu)
Un soir de fête, une femme, un homme. Elle danse merveilleusement bien, en dépit de sa prothèse de jambe. Il a bu, elle lui plaît. Il la suit, elle vit dans une caravane au milieu d’un chenil, loin de tout et de tous. Bien sûr, la soirée ne se termine pas comme il l’imaginait. Elle dégaine un flingue et lui tire une balle dans le genou – et ce n’est que le début de ses ennuis. Car elle est très, très en colère. Et elle n’a rien à perdre… Un roman noir, très noir, avec un personnage féminin d’une force inouïe, dont Marin Ledun a la spécialité, qui irradie cette histoire terrible de vengeance et d’impossible rédemption. Magnifique.
SECRET STORY : Sur les hauteurs du Mont Crève-Coeur, de Thomas H. Cook (Seuil, 25/08)
L’abondante bibliographie de Thomas H. Cook n’a pas fini de dévoiler toutes ses pépites ! La preuve avec ce roman paru en 1995 aux Etats-Unis, situé à Choctawn, dans le sud américain. Au lycée, Ben tombe amoureux de Kelli, qui vient d’arriver de Baltimore ; mais Kelli n’a d’yeux que pour Troy… Lorsque le corps de Kelli est retrouvé sur le mont Crève-Coeur, le shérif soupçonne Ben d’en savoir plus qu’il ne le dit. Trente ans plus tard, il décide de révéler la vérité.
GONE GIRL : La Fille dans le brouillard, de Donato Carrisi (Calmann-Lévy, 31/08)
Dans un village des Alpes italiennes, une jeune femme est enlevée. Le très médiatisé commissaire Vogel est chargé de l’enquête. Mais lorsqu’il comprend qu’il ne peut résoudre l’affaire, et pour ne pas être ridiculisé, il décide de créer son coupable idéal et accuse à l’aide de preuves falsifiées, le professeur de l’école du village. Ce dernier perd tout et prépare sa vengeance depuis sa cellule.
L’EMPIRE DES LOUPS : La Mort nomade, de Ian Manook (Albin Michel, 28/09)
Troisième – et dernière ? – enquête de Yeruldelgger, l’explosif commissaire venu de Mongolie. S’il rêve d’une retraite bien méritée, ce n’est pas pour tout de suite : un enlèvement, un charnier, un géologue français assassiné et une empreinte de loup marquée au fer rouge sur les cadavres de quatre agents de sécurité requièrent ses services…
QUANDO SEI NATO NON PUOI PIU NASCONDERTI : Une lame de lumière, d’Andrea Camilleri (Fleuve Noir, 8/09)
Le vétéran du polar italien (91 ans !!!) confronte son emblématique commissaire Montalbano à l’actualité, en l’occurrence le drame des migrants qui affecte particulièrement l’Italie. A la suite d’un énième naufrage mortel au large de Lampedusa, le ministre de l’Intérieur italien décide de se rendre sur place, prévoyant au passage une halte à Vigata, la ville de Montalbano. Mais ce dernier n’a pas très envie de jouer le jeu politique.
WOLF : Tels des loups affamés, de Ian Rankin (Editions du Masque, 21/09)
Bien qu’à la retraite, John Rebus est plus que jamais de retour aux affaires. Cette fois, c’est son ancienne protégée, l’inspectrice Siobhan Clarke, qui lui demande d’enquêter sur des menaces de mort visant un caïd et un juge – lequel est d’ailleurs rapidement retrouvé étranglé. Mais Malcolm Fox, le chef du Service des Plaintes, s’en mêle et perturbe leurs investigations… Inoxydable Rankin.
NE LE DIS A PERSONNE : Intimidation, de Harlan Coben (Belfond, 6/10)
Un avocat sans histoires, Adam Price, mène une vie paisible avec sa femme Corinne. Un jour, un inconnu lui fait une révélation si stupéfiante sur Corinne qu’Adam demande aussitôt des comptes à cette dernière, qui refuse de répondre et disparaît. Adam décide malgré de la retrouver, mettant le doigt dans un engrenage redoutable. Mister Best-Seller America est de retour avec un suspense à la mécanique sans doute prévisible mais bien huilée, comme d’habitude.
Et aussi (mais plus rapidement) :
Brunetti en trois actes, de Donna Leon (Calmann-Lévy, 28/09)
C’est un peu du « polar de mamie », certes, mais Donna Leon reste incontournable et continue d’ailleurs à bien figurer dans les meilleures ventes du genre. Cette fois, son commissaire Brunetti retourne à la Fenice (déjà cadre de son roman le plus célèbre, Mort à la Fenice), pour enquêter sur l’agression d’une jeune chanteuse, protégée de la grande diva Flavia Petrelli.
Marconi Park, d’Ake Edwardson (Lattès, 21/09)
Le romancier suédois confirme le retour de son héros emblématique, Erik Winter, confronté cette fois à une série de crimes mettant en scène des cadavres à la tête enfouie dans un sac plastique et couvert d’un carton mentionnant une lettre peinte en noir. Brrr.
Message sans réponse, de Patricia MacDonald (Albin Michel, 3/10)
Une sombre histoire de famille, bien sûr… Neuf ans après avoir plaqué sa famille pour son amant, une mère de famille est retrouvée morte avec son fils handicapé, apparemment à la suite d’un suicide. Sa fille née de son premier mariage enquête sur la deuxième vie de sa mère, dont elle ignorait beaucoup de choses…
Il était une fois l’inspecteur Chen, de Qiu Xiaolong (Liana Levi, 3/10)
Retour sur la jeunesse de l’incontournable inspecteur Chen pendant la Révolution culturelle.
La Main de Dieu, de Philip Kerr (éditions du Masque, 2/11)
Kerr poursuit son escapade dans le milieu du foot, avec cette deuxième enquête de l’entraîneur Scott Manson.
Kabukicho, de Dominique Sylvain (Viviane Hamy, 6/10)
Retour vers son cher Japon pour la romancière Dominique Sylvain, sur les traces d’une jeune Française qui devient hôtesse de club dans le quartier de Kabukicho grâce à son amie Mary. Mais celle-ci disparaît sans laisser d’autre trace qu’une photo inquiétante reçue sur son téléphone par son père…
Rome brûle, de Giancarlo De Cataldo & Carlo Bonini (Métailié, 8/09)
Suite de Suburra, paru en début d’année, qui révèle violemment les trafics et malversations peu glorieuses dont Rome est aujourd’hui le théâtre.
The Whites, de Richard Price
RETROUVEZ RICHARD PRICE AU FESTIVAL QUAIS DU POLAR A LYON, DU 1er AU 3 AVRIL 2016
Signé Bookfalo Kill
Billy Graves est chef d’une équipe de nuit du NYPD – un placard dont il a hérité après une bavure involontaire, qui a ruiné sa carrière de jeune flic prometteur. Il s’efforce depuis de faire au mieux en assurant chaque nuit la sécurité de ses concitoyens, tout en s’occupant de ses deux enfants, de sa femme et de son père qui perd gentiment la boule.
Un soir, un appel fait basculer ce train-train trop paisible : il reconnaît, en une victime poignardée à mort dans le couloir d’un métro, le « white » d’un de ses anciens collègues. Un « white », c’est un individu que l’on sait coupable d’un crime pour lequel on n’a pas réussi à le faire condamner, le laissant vivre depuis dans un état d’impunité qui pèse lourdement sur la conscience du policier désavoué. Hasard ? Lorsque, quelques jours plus tard, un autre « white » de ses collègues est retrouvé mort, Billy comprend que quelque chose se trame… en rapport, peut-être, avec cet individu mystérieux qui se met à suivre de trop près ses proches ?
Œuvrant également comme scénariste (il a signé notamment quelques épisodes de la mythique série The Wire), Richard Price est vraiment un romancier trop rare. En France, sa dernière parution, Frères de sang, remonte à 2010, et encore était-ce la traduction d’un livre paru aux États-Unis en… 1976. Le précédent, le sublime Souvenez-vous de moi, datait de 2009 (2008 aux USA). Autant dire que voir débarquer un nouveau titre est une bonne nouvelle, surtout quand le roman en question est une belle réussite.
Dans The Whites, on retrouve tout ce qui fait la marque de fabrique de Richard Price, en commençant par son habileté prodigieuse à restituer les détails du quotidien, à immerger le lecteur sans l’ennuyer dans la vraie vie des gens ; ici son pivot est un policier, dont il relate non seulement l’enquête principale, celle qui sert d’intrigue centrale au roman (avec cette notion très intéressante de « white », joliment exploitée), mais aussi les autres interventions, avec un souci épatant du réalisme, et un joli mélange d’humour et de désenchantement.
New York est là aussi, poumon de son œuvre, surtout vue de nuit cette fois, spécialité de son enquêteur oblige. On y ajoute la profondeur des personnages, leur humanité tout en contraste (mention spéciale aux membres de la famille de Billy Graves, tous épatants, et à ses anciens collègues, sidérants) ; un suspense qui va crescendo, tendu surtout par l’intrigue parallèle centrée sur Milton Ramos, un autre flic dont les objectifs et le caractère deviennent de plus en plus inquiétants au fil des pages ; et une réflexion aussi clairvoyante que douloureuse sur les choix d’une vie, ainsi que la fidélité à ses convictions…
The Whites est sans aucun doute un très bon cru du romancier new yorkais, qui laisse des traces, impressionnant par son équilibre entre suspense et réalisme quasi documentaire des situations, sa maîtrise l’air de rien (la lecture est très fluide) et son empathie. Espérons que nous n’attendrons pas à nouveau sept ans pour avoir des nouvelles de Richard Price !
The Whites, de Richard Price
(The Whites, traduit de l’américain par Jacques Martinache)
Éditions Presses de la Cité, 2016
ISBN 978-2-258-11799-0
414 p., 22€