DÉBUTS D’UN LECTEUR #5
ÉDUCATION D’UN POLARDEUX #1

Bon, c’est vrai ça, à la fin, comment je dois l’appeler, celui-là ??? Ils étaient dix, son titre français depuis 2020, ou l’historique – mais connoté – Dix petits nègres ?
Dans ma tête, il n’y a pas débat, c’est Dix petits nègres. Ce n’est pas une question de principe et, rassurez-vous, je m’efforce au quotidien de lutter contre mes instincts les plus réactionnaires. Simplement, j’ai découvert ce roman sous ce titre, je l’ai lu et relu sous ce titre, et même si cette version est objectivement discutable aujourd’hui – non sans raison, et tant mieux -, c’est sous ce titre qu’il a laissé son empreinte dans mon esprit.
Difficile de revenir en arrière. Ce sera plus évident pour ceux qui le découvrent dorénavant sous son nouveau titre, et là encore, tant mieux.
Le mieux, du reste, reste le titre anglais, Then There Were None, absolument parfait – mais sans doute délicat à transcrire joliment et efficacement en français.
Bref.
Au sujet des Disparus de Saint-Agil, évoqué dans la précédente chronique de cette rubrique, j’ai omis de préciser une chose : c’est indéniablement un roman qui a nourri mon goût précoce pour la littérature policière.
La fréquentation assidue de l’œuvre d’Agatha Christie y est aussi pour beaucoup, ce qui relève de la dernière évidence.
Agatha Christie, la reine du suspense
Quel surnom pourrait-il être plus mérité ? Son influence sur le genre est monumentale. À bien des égards, elle a posé la plupart des jalons auxquels la grande majorité des auteurs de littérature policière va se référer par la suite. Et ils seront nombreux à chercher à l’égaler, ou au moins à l’imiter, sans jamais vraiment y parvenir.
Même si elle reste incontournable, son patronage est sans doute moins flagrant aujourd’hui, le genre du « whodunit » où elle s’est royalement (reinement) illustrée étant tombé en désuétude. Il faut reconnaître qu’élaborer un bon suspense sans se trahir, en jonglant avec les indices et les fausses pistes tout en parvenant à duper le lecteur jusqu’au bout, est un art qui nécessite beaucoup de finesse et de doigté, et ce n’est pas donné à tout le monde.
Comme beaucoup de lecteurs sans doute, je suis donc entré dans l’œuvre d’Agatha Christie par son roman-phare : Dix petits nègres (Ils étaient dix, oui.)
Ils sont dix à avoir reçu l’invitation : des vacances d’été sur l’île du Soldat ! Voilà une proposition à laquelle personne ne saurait résister. Non seulement c’est gratuit, mais l’île a tant fait parler d’elle ! Chacun se demande qui est son nouveau propriétaire – une star d’Hollywood, un milliardaire américain, ou l’Amirauté britannique qui s’y livrerait à des expériences ultrasecrètes ?
Aussi, sans vraiment connaître leur hôte, ils accourent volontiers : le médecin, le play-boy, la jeune prof de gym, le juge à la retraite, le général bardé de décorations, la vieille fille grincheuse, le sémillant capitaine, le majordome et sa femme, et M. Davis qui ne s’appelle pas Davis… Qu’ont-ils donc en commun ?
À l’arrivée, cela dit, un par un, tous connaîtront le même sort…

La première lecture de ce roman fut un choc inouï, de bout en bout. Depuis la mise en place virtuose des personnages jusqu’à la résolution renversante, en passant par les multiples rebondissements qui animent ce huis clos insulaire sans jamais laisser retomber la tension, la moindre page est une leçon – de suspense, d’écriture, de mise en scène, de psychologie.
Imaginez la démonstration qu’un tel chef d’œuvre représente pour le jeune esprit en formation d’un garçon de onze ans ! Ils étaient dix (petits nègres) est la fois une prouesse et une malédiction.
Prouesse de narration, de construction, bien sûr, par laquelle Agatha Christie masque magistralement les intentions de ses personnages jusqu’à la fin, obligeant son lecteur à échafauder de multiples hypothèses qui, toutes, s’avèreront fausses lorsque la révélation finale tombera, dans un épilogue qui provoque un décrochement de mâchoire jubilatoire.
Mais malédiction, parce qu’après avoir lu une telle merveille, bon courage pour revivre un jour des sensations aussi renversantes… À moins de lire d’autres romans de Queen Agatha, bien sûr ! Car ce coup-là, elle l’a réussi plusieurs fois, ce qui est encore plus affolant, quand on y pense.
Deux exemples à la volée : le célèbre Meurtre de Roger Aycrkoyd, et le beaucoup moins connu mais tout aussi virtuose N ou M ?, dans la série d’espionnage des Beresford, qui m’a totalement enrhumé à la première lecture.
Then There Were None reste, pour moi, le mètre étalon du suspense à twist, sorte de test ultime auquel il est impossible de ne pas se référer pour évaluer la réussite d’un retournement d’intrigue. J’ai eu la chance d’en lire un certain nombre depuis, dont certains m’ont sidéré, mais aucun autant que le roman d’Agatha Christie. Parce que c’était le premier, et qu’il a pour ainsi dire tout inventé.
Et vous, avez-vous prêté allégeance à Sa Gracieuse Majesté Agatha ?

Laisser un commentaire