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Bonne nuit, Maman, de Seo Mi-Ae

Seon-gyeong, criminologue, est sollicitée par le pire serial-killer de Corée qui attend son jugement en prison. Cet homme qui a assassiné une douzaine de femmes veut lui parler, à elle et à personne d’autre. Intelligent, manipulateur, ses motivations restent floues, mais tous s’accordent à dire que Seon-gyeong devra faire preuve de la plus grande prudence face à ce criminel hors normes.
Dans le même temps, son mari se voit contraint de faire venir chez eux sa famille issue d’un précédent mariage. Une petite fille de onze ans bouleversée par les décès de sa mère et de ses grands-parents maternels. Des morts pour le moins suspectes, d’ailleurs…

Traduit du coréen par Kwon Ji-hyun et Rémi Delmas


« Le Silence des agneaux coréen ».
Bordel, il fallait l’oser en couverture, ce blurb. Il n’y a quand même pas grand-monde qui peut se comparer au Thomas Harris de la grande époque (Le Silence des agneaux, bien sûr, mais surtout Dragon Rouge, mamma mia, quel bouquin !), et ce n’est certainement Seo Mi-Ae, aussi sympathique soit-elle par ailleurs, qui va lui faire de l’ombre.
D’où sort cette comparaison plus qu’hasardeuse, d’ailleurs ? Hé bien du livre lui-même, tout simplement. Parce qu’elle a fait un stage à Quantico, l’héroïne est surnommée Clarice Starling par ses élèves en criminologie. Voilà, ça ne va pas chercher plus loin – et surtout, il ne faut pas, car rien dans ce polar n’effleure la force, l’intelligence et la finesse des livres de Harris. Autant comparer la carte d’un restaurant gastronomique avec le menu Filet O’Fish de MacDonald’s.

Commençons par la protagoniste. Tout aussi débutante que son « modèle », Seon-gyeong s’avère en revanche beaucoup moins douée que Clarice. Pas seulement face au serial-killer en prison (on y revient tout de suite, à celui-là), mais tout le temps. Notamment dans sa vie privée où, disons-le clairement, elle entrave que dalle. Même quand le mal, le vrai, le pur, danse la zumba sous son nez, rien à faire, elle passe à côté. Et ses relations avec son mari, bonjour. Criminologue peut-être, mais psychologue, jamais. Pour le résumer en quelques mots, le personnage ne tient pas la route une seconde, et pour un thriller psychologique, c’est un peu dommage.

Quant au serial-killer, si l’idée est de le calquer sur Hannibal Lecter, autant tuer le suspense : en tête-à-tête, le gars n’aurait aucune chance, et finirait le crâne ouvert à se faire déguster le cerveau vivant par notre Cannibale préféré. Tellement archétypal qu’il en devient cliché, ce supposé « grand méchant » est trahi dès sa première apparition par des dialogues affligeants et des motivations ridicules. Rien ne viendra le sauver par la suite, pas même la fin du roman pourtant un poil plus tendu que le reste.

En réalité, le caractère le plus intéressant est celui de Ha-yeong, la fillette de douze ans. Difficile hélas d’en dire plus sans déflorer l’élément le plus riche et surprenant de l’intrigue, mais sachez qu’elle est le véritable point d’accroche de ce roman et de ses deux suites, car il s’agit d’une trilogie.
C’est la mieux construite, celle qui fascine et inquiète le plus, celle dont le comportement et les motivations sont les plus étonnants. Et qui contribue largement à ridiculiser encore davantage la pauvre Seon-gyeong, à l’insu sans doute de l’auteure.

Pour le reste, je ne retiens pas grand-chose. Le livre fait moins de 300 pages, et j’ai quand même trouvé le moyen de m’ennuyer. Jamais réveillé par un style sans intérêt (problème de traduction ?) Souvent horripilé par l’ensemble des personnages, leurs attitudes, leurs pensées et leurs actes, que j’ai trouvés désolants et incohérents (problème peut-être de compréhension de ma part des codes culturels et sociaux coréens).

Navré, surtout, qu’on fasse des gorges chaudes avec un thriller aussi quelconque, et qu’un manque de culture et/ou de mémoire autorise à le mettre en miroir avec un authentique chef d’œuvre du genre, sous le seul prétexte sans doute qu’il vient de Corée du Sud et que la production culturelle de ce pays est actuellement à la mode (cf. l’engouement pour ses séries sur Netflix).
Le polar a une histoire longue et riche, ce serait bien de ne pas la dévaloriser.


Bonne nuit, Maman, de Seo Mi-Ae
Éditions Matin Calme, 2020
ISBN 9782491290054
269 p.
19,90 €

Bonne nuit, Maman est également disponible aux éditions Livre de Poche (7,70€).

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Un flic bien trop honnête, de Franz Bartelt

Éditions du Seuil, 2021

ISBN 9782021479348

208 p.

17,90 €


Dans une petite ville de province, un assassin prolifique terrorise les arrêts de bus et les passages piétons : plus de quarante cadavres sont à déplorer. Quatre ans que l’inspecteur Gamelle, dépressif et fraîchement largué, ainsi que le bourrin, son adjoint cul-de-jatte, pataugent dans la semoule. Quatre ans que les astres refusent de s’aligner pour leur donner une piste. Sacré Saturne !
Bien loin de laisser tomber l’affaire, Gamelle sera amené à se poser les mauvaises questions, à se méfier des bonnes personnes et à suivre les idées saugrenues d’un aveugle particulièrement intrusif…


Je suis très loin de bien connaître l’œuvre abondante de Franz Bartelt, grand bonhomme humble, drôle et fichtrement sympathique que j’ai eu le bonheur de côtoyer durant trois jours à l’occasion d’une récente édition des Quais du Polar. Mais je garde un excellent souvenir d’Hôtel du Grand Cerf, du culte Jardin du bossu ou du Fémur de Rimbaud. Aussi attaquais-je ce nouveau roman avec joie et espoir d’un bon moment.
Raté, hélas.

On retrouve dans Un flic bien trop honnête les ingrédients typiques du cocktail Bartelt : des personnages iconoclastes aux noms improbables, une situation de départ invraisemblable qui dégénère dans la bonne humeur, une intrigue tordue dont l’aspect policier passe très vite au second plan, des rebondissements insensés…
Sauf que le tout semble avoir été assemblé par-dessus la jambe – si vous me passez l’expression étant donné qu’un des protagonistes est cul-de-jatte.

Le roman démarre pourtant bien, entre le coup de sang de l’inspecteur qui cogne gratuitement un aveugle, la description hilarante de son bureau arrangé « comme dans un de ces films français qui singent les séries américaines », et l’entrée en scène de personnages tous plus barrés les uns que les autres.
Très vite, cependant, l’intrigue trop ténue peine à faire tenir le tout ensemble, et ne sert qu’à dérouler une suite de dialogues certes brillants, voire réjouissants à l’occasion, mais qui ne suffisent pas à susciter un réel intérêt sur la longueur.

Du reste, le roman, fort bref, souffre d’une conclusion totalement bâclée, à tel point que j’ai cru qu’il manquait des pages dans l’exemplaire numérique que j’ai lu. Le coupable est prévisible, le principal rebondissement final aussi, et la chute donne vraiment l’impression que l’auteur a renoncé lui-même à poursuivre par manque d’intérêt pour sa propre histoire.
A moins qu’il ait réalisé les limites de son exercice, en glissant dans les dernières lignes cet aveu signé de l’assassin :

« Peut-être mes crimes sont-ils un peu trop littéraires…, se navrait-il. Évidemment, c’est le risque quand on ne veut voir que le côté récréatif des choses ! »

Reste un moment de lecture plaisant, grâce au style enlevé et au délicieux humour décalé de Franz Bartelt ; hélas, aussi vite oublié qu’il est terminé.


Qu’en pense-t-on ailleurs sur la blogosphère ? Sonia Boulimique des livres est tout aussi réservée que moi, tout comme L’œil de Sauron, tandis que Clete sur Nyctalopes déclare sa flamme à Franz Bartelt (avec mesure toutefois), ainsi que The Killer inside me, plus enthousiaste.


COUP DE CŒUR : La République des faibles, de Gwenaël Bulteau

Éditions la Manufacture de Livres, 2021

ISBN 9782358877190

368 p.

19,90 €


Le 1er janvier 1898, un chiffonnier découvre le corps d’un enfant sur les pentes de la Croix Rousse. Très vite, on identifie un gamin des quartiers populaires que ses parents recherchaient depuis plusieurs semaines en vain.
Le commissaire Jules Soubielle est chargé de l’enquête dans ce Lyon soumis à de fortes tensions à la veille des élections. S’élèvent les voix d’un nationalisme déchainé, d’un antisémitisme exacerbé par l’affaire Dreyfus et d’un socialisme naissant.
Dans le bruissement confus de cette fin de siècle, il faudra à la police pénétrer dans l’intimité de ces ouvriers et petits commerçants, entendre la voix de leurs femmes et de leurs enfants pour révéler les failles de cette république qui clame pourtant qu’elle est là pour défendre les faibles.


Attention, pépite. Doublée d’une découverte, puisqu’il s’agit du premier roman de Gwenaël Bulteau.
Encore une superbe trouvaille à mettre à l’actif des éditions de la Manufacture de Livres, qui a déjà publié en janvier le remuant Nos corps étrangers de Carine Joaquim.

Changement de décor entre les deux livres, en revanche, puisque La République des faibles est un polar historique. Ancré à Lyon, dont la géographie et la sociologie de l’époque sont rendues avec précision et acuité, totalement au service de l’intrigue très élaborée qu’imagine par le romancier.
Néo-lyonnais depuis bientôt six ans, cela faisait un moment que je cherchais des romans qui prennent cette ville comme cadre de maière totalement convaincante. Hormis La Part de l’aube d’Éric Marchal, et dans une moindre mesure Le Fleuve guillotine d’Antoine de Meaux, j’ai souvent fait chou blanc.
La République des faibles est, de très loin, le meilleur que j’aie pu lire.

Gwenaël Bulteau frappe très fort, en effet, à tous points de vue. Pour commencer, par son choix de l’époque et l’intelligence avec laquelle il l’utilise.
1898 : à peine vingt ans après la défaite de 1870, guerre dont les traumatismes sont encore patents ; en pleine affaire Dreyfus, qui attise la violence des opinions et exacerbe les passions dans toutes les strates de la société ; et à l’orée d’un siècle nouveau que l’on espère neuf, mais dont tout le contexte laisse craindre qu’il sera tourmenté.
Ces tensions, l’écrivain les donne à voir, en promenant sa plume attentive dans les rues, en surprenant des conversations, en captant à l’improviste altercations, injures, bagarres. Son suspense, il l’installe dans une ville nerveuse, sombre, déchirée, à l’image de la France de l’époque. Le décor est saisissant, et pourtant, jamais déployé avec ostentation. Le tableau est toujours juste, et a le bon goût de ne pas prendre toute la place.

Car de la place, il en faut, pour les personnages et pour la langue du roman.
Les personnages, pour commencer. Flics, voyous, témoins, simples passants, bourgeois, tous jouent des partitions subtiles et complexes, dont les variations ne cessent de surprendre, suivant les tours et détours d’une intrigue remarquablement dense et tourmentée, de bout en bout. Les zones d’ombre sont légion, les bonnes volontés se heurtent à la nécessité de faire parler la force, la menace et la brutalité pour obtenir des résultats.
Surtout, le romancier nous installe de plain-pied dans cette fameuse « République des faibles ». Celle des laissés-pour-compte, des délaissés de la société, des âmes perdues dans la gadoue, la crasse et l’oubli. Dans cette triste armée, les enfants sont en première ligne, qui forment le cœur du bataillon dont Gwenaël Bulteau met en lumière les souffrances.

– Avez-vous déjà entendu parler de la république des faibles ? demanda le commissaire au bout d’un moment.
– Comme tout le monde, répondit-elle en se retournant. C’est une belle idée de mettre le droit au service des individus sans défense. Malheureusement, et croyez-en ma longue expérience de femme, cette conception n’a jamais été d’actualité.

Et puis il y a la langue. Le style. Pas d’approximation chez Gwenaël Bulteau, on sent dès ce premier roman qu’il possède une véritable voix, et qu’il en use avec une belle maîtrise.
Impossible de ne pas penser à Hervé Le Corre, l’un des plus grands maîtres français du genre, surtout quand il s’agit d’explorer l’Histoire (je vous renvoie par exemple à Dans l’ombre du brasier, plongée vertigineuse dans la Commune de Paris, à laquelle on assiste au plus près du bitume, telle que je ne l’avais vue ou lue).
Gwenaël Bulteau n’a pas à rougir de cette comparaison flatteuse, qu’il mérite amplement. Il tient son rythme sans jamais flancher, joue des registres de langue en évitant les clichés ; et si son roman laisse autant de traces en mémoire (je l’ai lu en décembre et il me hante toujours), la puissance des images suggérées par son écriture y est pour beaucoup.

Je pourrais continuer encore longtemps, mais ce serait vous priver de temps pour vous précipiter dans votre librairie et vous plonger dans ce livre, qui vaut autrement le détour que mes bafouilles. Amateurs de bon polar, de bon roman historique, de bons livres tout simplement, vous voilà avertis : La République des faibles est l’un des livres à ne pas rater en ce début d’année.

Grâce à l’État de droit, la république s’enorgueillissait de protéger les faibles, surtout les enfants, et de les aider en cas de malheur. Il s’agissait de leur donner une chance de s’en sortir malgré un mauvais départ dans la vie. ici, tout le contraire, la pauvre Esther s’en prenait plein la gueule. Dans cette république dévoyée, les faibles buvaient le calice jusqu’à la lie.


P.S.: un dernier mot, encore, pour la couverture, que je trouve très réussie. Pas un détail à mes yeux, car quand on aime les livres dans leur version physique, on s’attache forcément un peu à l’objet qui abrite le texte. Ici, c’est la couverture qui m’a fait sauter dans le livre à pieds joints. Bravo supplémentaire à l’éditeur sur ce point !


L’Ange rouge, de François Médéline

Éditions La Manufacture de Livres, 2020

ISBN 9782358876964

512 p.

20,90 €


À la nuit tombée, un radeau entre dans Lyon porté par les eaux noires de la Saône. Sur l’embarcation, des torches enflammées, une croix de bois, un corps mutilé et orné d’un délicat dessin d’orchidée.
Le crucifié de la Sâone, macabre et fantasmatique mise en scène, devient le défi du commandant Alain Dubak et de son équipe de la police criminelle. Six enquêteurs face à l’affaire la plus spectaculaire qu’ait connu la ville, soumis à l’excitation des médias, acculés par leur hiérarchie à trouver des réponses. Vite.
S’engage alors une course contre la montre pour stopper un tueur qui les contraindra à aller à l’encontre de toutes les règles et de leurs convictions les plus profondes.


Quand je lis ici et là qu’on compare François Médéline à James Ellroy ou Dennis Lehane, je tombe des nues. Surtout le deuxième, dont j’adule la finesse, l’intelligence, la maîtrise des personnages et le style puissant – autant de qualités absentes de L’Ange rouge.
Je n’en attendais pas moins avant de commencer ma lecture, mais j’en espérais un peu plus. Surtout que le roman se déroule à Lyon, mon chez-moi depuis cinq ans.
Espoirs déçus.

The French Connection

L’Ange rouge, c’est le fantasme du polar à la française, largement daubé par trop de visionnages de films plus ou moins merdiques. Ça pue l’inspiration mal digérée, le recyclage sans génie.
Le flic solitaire bien qu’il dirige une équipe (dont tous les membres sont aussi déglingués que lui, ça va de soi). Ancien cocaïnomane, toujours sur le fil. Méthodes de voyou, aucun respect pour les procédures, intellect douteux, hanté par le souvenir de son ex et le cerveau perpétuellement tiraillé par le sexe.
Apparemment, selon Médéline en tout cas, pour faire viril, faut coller des « pédés » et des « fellations » partout. C’est un genre. Pas le mien.
On est quelque part entre Jean Reno, Olivier Marchal et Gérard Lanvin. La part mélancolique du premier, le désespoir ombrageux du deuxième et la classe animale du troisième en moins.

Et vas-y que je balance des clichés à tour de bras. Les flics vulgaires et bas du front, qui voient des « homos » partout (et dans leur bouche, ça sonne tout de suite suspect, limite dérangeant).
On sort à la campagne, c’est forcément pour tomber sur des fins de race limite consanguins, qui t’accueillent à coups de fusil quand ils ne bavent pas à chaque mot qu’ils éructent.

Au chapitre 12, l’irruption d’une psychiatre remet soudain tout d’aplomb – pour mieux mitrailler de nouveaux poncifs à peine plus relevés que les précédents.
On découvre le profil d’un tueur en série tellement vu et revu que même les scénaristes hollywoodiens en mal d’inspiration refuseraient de s’abaisser à un truc pareil – même pour ébaucher une fausse piste. Et on ajoute des symboles religieux bien lourdingues, déjà vus déjà lus qui plus est.

Bon, je me dis qu’on est seulement dans le premier tiers du bouquin.
Et ça s’arrange, après ?
Pas vraiment. Disons qu’on s’habitue. On renonce au réalisme, à la logique, à la cohérence, et on se laisse porter par les pulsions auto-destructrices des protagonistes, en espérant trouver un peu de sens au bout du chemin.

Ellroy pour les nuls

Pour faire polar, Médéline recourt au style élusif. Phrases très courtes, grammaire minimaliste, reprises martelées des pronoms personnels (« elle fait ci. Elle dit ça. Elle sort. Elle revient. »)
Ça peut faire écriture, à condition d’avoir le sens du rythme. Médéline en manque. Au lieu d’être percutant, c’est lancinant, limite chiant. Au moins c’est rapide à lire. Mais pour le plaisir du verbe, on repassera.

Sans parler des tics, des expressions reprises jusqu’à écœurement (« j’ai calibré » pour dire « j’ai regardé » ou « j’ai jaugé », je n’en pouvais plus de lire cette phrase !) Et des répétitions qui, là encore, sont censées faire style, mais qui ne sont que de vagues copies sans âme de tournures et de choix lus chez d’autres.
Ellroy sait faire ça, oui. Ou, chez nous, Jérôme Leroy, par exemple. Ici, ça sonne faux, fabriqué.

Des raisons d’espérer ?

Du côté positif, je retiendrai tout de même la manière dont Médéline assume jusqu’au bout la spirale sombre de son histoire, lui offrant un dénouement violent et explosif, et un final tout en contraste émotionnel, assez réussi.
Je retiendrai également le formidable personnage de Mamy, capitaine et bras droit de Dubak, grande carcasse qui se goinfre de sucreries et est capable de passer de l’inertie totale à la brutalité la plus sauvage en une seconde. Pour reprendre le petit jeu de la comparaison avec les comédiens, l’ombre de Corinne Masiero n’est pas loin, et ça fait du bien.

À souligner aussi, l’excellente utilisation du paysage urbain, de son décor et de son histoire. Jusqu’à présent, Lyon n’avait pas de représentant digne de ce nom parmi les plumes de polar – à la manière d’un Izzo pour Marseille, Léo Malet ou Simenon pour Paris. De sacrées références, auxquelles je ne me risquerais pas à comparer François Médéline, vous l’aurez compris.
Néanmoins, en tant qu’auteur du cru, il se lance avec L’Ange rouge dans une série littéraire dont Lyon devrait être l’héroïne récurrente, et c’est une belle pierre à placer dans son jardin.

Étant donné mes souffrances à la lecture de ce roman, je ne suis pas sûr d’être au rendez-vous du suivant. Pas mon style, pas mon trip.
Néanmoins, je suis peut-être passé à côté de quelque chose, car L’Ange rouge a ses fervents supporters. Pour vous faire une idée, je vous invite donc à parcourir les avis élogieux des blogueurs ci-dessous… et de vous faire votre propre opinion en le lisant !



Juste avant l’oubli, d’Alice Zeniter

Signé Bookfalo Kill

Franck est fou amoureux d’Émilie ; depuis toutes ces années qu’ils se connaissent et vivent ensemble, ses sentiments pour elle n’ont jamais faibli. Émilie, de son côté, voue une passion dévorante à Galwin Donnell, un auteur de polar culte disparu mystérieusement en 1985 sur l’île de Mirhalay, dans les Hébrides, où il s’était retiré et coupé du monde pendant vingt ans. Terre hostile battue par la mer et le vent, Mirhalay est déserte la plupart du temps, si l’on excepte les phoques, les mouettes et un gardien taciturne qui y réside toute l’année.
Tous les trois ans, les Journées d’Études Internationales sur Galwin Donnell regroupent sur l’île les plus éminents spécialistes du romancier ; et cette année, c’est Émilie, en qualité de thésarde à son sujet, qui est chargée d’organiser l’événement. Juste avant le début du colloque, Franck la rejoint, avec l’intention secrète de la demander en mariage, histoire de reconsolider leur couple ébranlé. Mais rien ne va se passer comme prévu…

Zeniter - Juste avant l'oubliMalgré d’indéniables qualités qui en font un roman agréable à lire, Juste avant l’oubli fait pour moi partie de ces livres porteurs d’une promesse que la lecture n’honore pas tout à fait. Parfois, à la lecture d’un résumé, on imagine une histoire que le livre n’apporte pas au bout du compte. J’attendais donc une comédie féroce sur le petit monde des universitaires, à la manière de David Lodge, doublée peut-être d’un suspense favorisé par le cadre en huis clos du roman. Il y a un peu de cela, mais pas en quantité suffisante pour que j’y trouve mon compte.

Juste avant l’oubli est avant tout le récit d’une histoire d’amour. Compliquée, forcément, sinon ça ne serait pas drôle. En l’occurrence, compliquée par le fantôme d’un homme disparu, un romancier culte qui parasite les sentiments d’Émilie et rend jaloux Franck. Galwin Donnell est le grand personnage invisible du roman. A l’aide de citations de ses œuvres, d’une biographie détaillée, d’une construction élaborée, Alice Zeniter en fait une figure crédible, dont on aurait envie de découvrir les romans. C’est l’une des réussites de Juste avant l’oubli, avec la description de l’île (imaginaire), bout de terre hostile dont la désolation renvoie aux états d’âme de Franck et à l’étiolement de son histoire d’amour avec Émilie.

Pour le reste, le cadre du colloque, qui aurait pu servir d’écrin à une comédie féroce, n’est pas assez exploité. Les personnages qui le composent, ayant chacun une opinion bien arrêtée sur Donnell, restent assez pâlots, à tel point que, bien souvent, j’étais obligé de revenir en arrière, au chapitre les présentant à tour de rôle, pour me souvenir de qui il s’agissait. Là où il aurait pu y avoir des scènes de rivalités gourmandes, sarcastiques, des dialogues savoureux, on se contente d’une suite d’exposés, intéressants par la manière dont ils épaississent la matière Donnell, mais sans aspérités.

Bien vu par ce qu’il raconte sur le couple, finalement assez touchant, Juste avant l’oubli est un roman fluide, mais qui ne va pas assez loin dans son projet à mon goût. Une petite déception.

Juste avant l’oubli, d’Alice Zeniter
Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-0813-3481-6
285 p., 19€


Les assassins, de R.J. Ellory

Signé Bookfalo Kill

New York, la ville qui ne dort jamais. Les crimes y sont nombreux, plusieurs par jour. Rarement le fait d’un tueur en série néanmoins. Pourtant, cette fois, il semblerait que l’un d’entre eux soit à l’oeuvre. C’est en tout cas l’avis de John Costello, un enquêteur très discret du City Herald. Encyclopédie vivante sur le sujet (et pour cause, puisqu’il a survécu lui-même à l’assaut d’un serial killer lorsqu’il était adolescent), lui seul ou presque pouvait faire le lien entre ces meurtres pourtant si différents, commis à des endroits éloignés de la ville, sur des gens et selon des modes opératoires sans rapport entre eux.
Chargé de l’enquête sur deux de ces crimes, Ray Irving est un inspecteur compétent, pragmatique et méthodique avant tout. Il aura donc bien besoin de l’aide de Costello pour cerner et coincer l’un des criminels les plus implacables et insaisissables qui soient…

Ellory - Les assassinsJ’ai beau connaître R.J. Ellory, savoir de quoi il est capable, il arrive encore à me cueillir, façon uppercut au menton et K.O. pour le compte. Autant dire d’emblée que ses Assassins m’ont envoyé au tapis direct.
Et pourtant, il y avait moyen de se planter avec une histoire pareille. Quel motif est plus rebattu en littérature policière que celui des tueurs en série ? Entre les chefs d’œuvre du genre (Au-delà du mal de Shane Stevens, Le Silence des Agneaux de Thomas Harris, pour n’en citer que deux incontournables) et leurs incalculables avatars plus ou moins inspirés, face à la surenchère de nombreux auteurs ne reculant devant aucune horreur gratuite pour se démarquer des autres, pas facile de s’en sortir avec élégance et finesse.

Sauf qu’on parle de R.J. Ellory, bien sûr. L’Anglais qui connaît l’Amérique mieux que les Américains. Le romancier qui passe au crible les grandes figures et moments emblématiques du pays – CIA, Mafia, guerre du Vietnam, NYPD ou road movie – avec une telle intelligence que chacun de ses livres a des airs de référence absolue sur le sujet.
Pour se confronter à l’un des mythes les plus sombres et fascinants des USA, Ellory a choisi le contre-pied. Pour évoquer l’anormalité et l’amoralité des tueurs en série, il a pris le parti de la normalité et de l’honnêteté. Le cœur du roman, son point de vue central, c’est Ray Irving. Loin des superflics dotés de capacités quasi paranormales ou des héros aussi torturés que ceux qu’ils traquent, Irving est un policier certes dévoué à son métier, mais c’est avant tout un homme banal, dépassé par l’horreur à laquelle il doit mettre fin. Sa simplicité, sa normalité font penser à celles de Kurt Wallander. Et comme dans la série de Mankell, c’est le point fort des Assassins. Nous, lecteurs paisibles, cousins de ce Ray Irving si familier qu’il est un peu notre égal, nous vivons avec d’autant plus de sidération et de violence les actes ignobles et hors normes commis par le meurtrier. Certains passages m’ont angoissé comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps en lisant un roman !
Mais plus admirable encore, Ellory parvient à glisser dans l’ombre de ses pages sanglantes, en contrepoint indispensable, de l’humour, des esquisses de sentiments, d’amitié ou d’amour, qui enveloppent ses personnages d’une fragilité et d’une sincérité plus belles et fortes encore. Voilà un exploit que le romancier anglais reproduit de livre en livre, et qui fait le cœur et la valeur de toute son œuvre. R.J. Ellory, romancier humaniste ? C’est une évidence.

Néanmoins, Les Assassins est aussi un pur thriller, trippant et flippant, hanté par cette page d’histoire américaine si particulière, celle des tueurs en série. Ellory nous y plonge avec son érudition coutumière, grâce à une bonne idée de départ : celle de faire de son meurtrier un fin connaisseur des plus célèbres assassins du pays, dont il reproduit les agissements dans leurs moindres détails. Son Commémorateur n’est donc pas qu’un fou furieux de plus de la littérature policière, mais une sorte de synthèse effroyable de cette singularité criminelle propre aux USA, si difficile à comprendre.

Et il y aurait encore tant à dire… Mais ce serait finalement trop en dire, et faire perdre sa profondeur à un roman qui ne se défendra jamais mieux que par lui-même, porté par l’élégance littéraire et la puissance analytique de son auteur. R.J. Ellory est décidément un écrivain indispensable, et ses Assassins le démontrent une fois encore.

Les assassins, de R.J. Ellory
(The Anniversary Man, traduit de l’anglais par Clément Baude)
Éditions Sonatine, 2015
ISBN 978-2-35584-289-4
570 p., 22€


Travail soigné, de Pierre Lemaitre

Signé Bookfalo Kill

Entre les polars de Pierre Lemaitre et moi, c’est une (trop) longue histoire de rendez-vous manqués. Depuis Robe de marié, dont l’auteur avait pourtant eu la gentillesse de m’apporter un exemplaire en main propre avant sa parution, mais dans lequel je n’avais pas réussi à rentrer (il faudra que je réessaye un de ces jours !), jusqu’à Sacrifices, j’ai souvent été tenté de m’y plonger, en vain – souvent par manque de temps, par paresse ou méfiance mal placée aussi, allez savoir.

Puis, l’année dernière, il y eut Au revoir là-haut, la superbe fresque historique de Lemaitre sur l’après-Première Guerre mondiale, que j’ai dévorée dès sa sortie, tout comme un public très largement conquis. Il aura donc fallu un prix Goncourt pour que je retourne aux romans policiers de maître Pierre – et cette fois, plus question de se louper. Ça tombait bien, j’avais le sentiment agaçant de passer à côté de quelque chose d’important, d’un bon auteur du polar français d’aujourd’hui.

Lemaitre - Travail soignéLa morale de tout ceci, c’est qu’il faudrait toujours se fier à son instinct, on éviterait souvent de perdre du temps. En attaquant Travail soigné, premier roman de Pierre Lemaitre, je m’attendais à un coup d’essai intéressant. Caramba, encore raté : c’est tout simplement un polar d’une maîtrise stupéfiante, bluffant tant sur la forme que sur le fond.
L’histoire, tout d’abord : celle de la traque d’un assassin méthodique et cultivé, qui accomplit des crimes effroyables et de plus en plus élaborés, en s’inspirant de scènes mythiques de chefs d’œuvre… du roman policier. Pour ne pas déflorer le suspense, je vous laisse découvrir quels grands classiques ont servi d’inspiration ; mais ce qui est formidable, c’est que Lemaitre ratisse large et parvient toujours à nous surprendre, tout en caressant dans le sens du poil les amateurs de polar qui découvrent avec jubilation l’œuvre d’un amoureux authentique et fin connaisseur du genre.

L’intrigue en soi n’est pas révolutionnaire (en apparence en tout cas…), mais elle est portée au plus haut grâce aux personnages imaginés par le romancier. Je pense surtout à sa formidable équipe de flics, qui évolue quelque part entre les pelleteurs de nuages de Fred Vargas et les besogneux de Mankell. Lemaitre rend merveilleusement le côté méthodique et laborieux du travail d’équipe, à tel point qu’on a l’impression enivrante de prendre notre place dans le processus, tout en accordant une large place aux caractères déglingués de ses protagonistes – Louis l’aristo, Armand le pingre, Maleval le compulsif, et bien sûr Camille Verhoeven, le commandant nain, formidable héros qui n’a rien à envier au commissaire Adamsberg.

Et puis il y a l’écriture de Pierre Lemaitre, énorme point fort d’un auteur surgi tard, mais déjà accompli, en littérature. S’il s’est encore affiné avec le temps, ce style vif et percutant qui fait merveille dans Au revoir là-haut est bien en place dans Travail soigné, incroyablement mature, posé et inventif à la fois. Il enflamme les scènes d’humour, attendrit les moments d’amour (il y en a de beaux), rend tolérables les éclats de violence pourtant terribles, voire insoutenables, qui éclaboussent régulièrement le livre.

Bref, ce Travail soigné qui porte si bien son nom m’a totalement possédé, et convaincu, enfin, qu’il n’y avait pas de temps totalement perdu qu’on ne finisse par rattraper. Ou, pour le dire plus simplement : ne faites pas comme moi, ne tardez pas à lire Pierre Lemaitre !

Travail soigné, de Pierre Lemaitre
Éditions Livre de Poche, 2010
(première édition : Le Masque, 2006)
ISBN 978-2-253-12738-3
408 p., 7,10€