Le Crépuscule des guignols, de Chrysostome Gourio

Signé Bookfalo Kill

Parfois, on voudrait juste être là, paisible, à la fraîche, sans emmerder personne. Le problème, c’est qu’il se trouve toujours quelqu’un pour venir vous pourrir la vie. Voyez ce qui arrive à Arthur Saint-Doth : ancien flic, il s’est rangé des voitures au terme d’une enquête particulièrement tordue, et espère juste se la couler douce, avec femme et enfants, dans sa maison perdue au coeur des vignes de Touraine.
Sauf que quelques tordus rescapés de l’enquête susnommée en décident autrement. En dézinguant à coups de bazooka la maison et la famille d’Arthur, ils mettent fin à l’illusion du paradis terrestre et ravivent la flamme de la guerre. Aidé par son ami et ex-collègue Lazare, Arthur part en chasse des empêcheurs de glander en rond.
Et tout ça pour quoi ? Bof, pour rien ou presque. Un banal désaccord idéologique. C’est que tout ce joli petit monde ne peut vivre qu’au rythme de préceptes philosophiques très précis, qu’ils n’ont pas les mêmes maîtres à penser et que, par conséquent, entre le kantien Arthur, Lazare le rabelaisien, David l’héritier de Machiavel, et ces cinglés de heideggeriens, il n’y a guère d’entente possible. Résultat : on sort les flingues et c’est le bordel.

Ce n’est pas nouveau, les éditions Baleine aiment les polars déjantés, hors normes. Après avoir autorisé Sébastien Gendron, pour notre plus grand bonheur, à nous proposer Quelque chose pour le week-end, voici qu’elles permettent à Chrysostome Gourio (si, c’est son vrai nom) d’annoncer le Crépuscule des guignols – soit une bataille pas très rangée entre flics et voyous tous épris de philosophie, qui mitraillent autant à coups de concepts que de revolver.

Si l’intrigue ne s’embarrasse pas trop de crédibilité (on y reviendra), côté philo, c’est du sérieux. Entre deux coups de feu, les références fusent et c’est du haut niveau. Il faut dire que l’ami Gourio s’y connaît, ayant longuement traîné ses culottes soyeuses sur les bancs de la faculté de la discipline – du côté de Tours, tiens, comme on se retrouve.
Alors, Heidegger, Machiavel et compagnie, il les maîtrise aussi bien qu’il sait les rendre accessibles aux lecteurs béotiens en la matière. Et se servir des lignes de force de leur pensée pour caractériser ses personnages est la très belle invention de ce polar. Ainsi, le changement de narrateur à chaque chapitre s’accompagne d’un changement de style flagrant, parfaitement en phase avec l’idéologie du personnage qui prend la parole : sécheresse de la Raison kantienne pour Arthur, gouaille verbale de Rabelais pour Lazare, etc.

Tout ceci est loin d’être anecdotique. Sans cette idée furieusement originale, le Crépuscule des guignols se résumerait à une histoire banale de vendetta (tu butes ma famille, je te traque jusqu’à te rendre la monnaie de ta pièce.)
Quoique. Il faut rendre à César Gourio ce qui fait le talent de Chrysostome : le garçon n’a peur de rien, et surtout pas d’être imaginatif.
Dans ce roman, vous assisterez donc à une attaque nocturne et souterraine de la Sorbonne, à une scène de western en plein jardin du Luxembourg, ou à un assaut militaire en règle de la fac de Nanterre. Rien que du hautement improbable. Mais le mieux, c’est que ça fonctionne. Parce que l’auteur ne se prend pas au sérieux, qu’il aime le polar bourrin à la Dirty Harry et qu’il l’assume totalement.

Des idées, de la pensée, de l’action, du suspense, des poursuites, des explosions, de l’humour et de l’émotion : ça ne fait pas le polar de l’année, mais tout y est généreusement pour passer un moment de lecture original et reposant. Que demander de plus ? Que Michel Onfray en prenne pour son grade ? C’est en bonus, mais vous y aurez droit aussi, alors foncez !

Le Crépuscule des guignols, de Chrysostome Gourio
Editions Baleine, 2012
ISBN 978-2-84219-504-5
264 p., 16€

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4 Réponses

  1. Ca donne envie de le lire…

    2 février 2012 à 08:10

  2. miladiou15

    IMPRESSIONNANT DE NARRATION !!!!

    9 mai 2012 à 14:49

    • Pas mal du tout en effet… Le sieur Gourio a de la puissance et de la technique !
      Merci, à +
      Cannibalement,
      B.K.

      9 mai 2012 à 20:32

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