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À première vue : la rentrée Manufacture de Livres 2021


Intérêt global :


Longtemps cantonnée à la littérature noire – qui, déjà, tendait à se jouer des codes et des frontières du genre -, la Manufacture de Livres s’affirme de plus en plus comme un éditeur tous terrains. Et avec succès, si l’on en croit le succès l’année dernière du livre de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, ou encore la démonstration éprouvante mais magistrale proposée par Carine Joaquim début 2021 avec Nos corps étrangers.
De ces réussites probantes, la Manuf’ gagne une assise qui lui vaut une place légitime dans la rentrée d’automne – place offerte cette année à trois romans, dont deux premiers.


Villebasse, d’Anna de Sandre

Auteure de poésie et de nouvelles, Anna de Sandre s’essaie pour la première fois au roman, et avec une certaine audace sur le papier, puisqu’elle emprunte au réalisme magique, un genre toujours risqué car susceptible de décontenancer le lecteur trop cartésien.
Nous sommes donc à Villebasse, entrelacs de vieilles bâtisses et de rues ancestrales qu’éclaire une étrange lune bleue et que les habitants ne quittent jamais. Un jour d’hiver débarque le Chien, qui va traverser la vie des uns et des autres et, peut-être, tout changer…
Pour en savoir plus, il faudra lire !

Le Fils du professeur, de Luc Chomarat

Ces derniers temps, le nom de Luc Chomarat était plutôt synonyme d’amusement et de folie douce, au fil de polars parodiques plutôt réjouissants (Le Dernier thriller norvégien, Le Polar de l’été), ou de polar tout court (Un trou dans la Toile, Grand Prix de Littérature Policière 2016).
Ce nouveau livre, d’inspiration autobiographique, prend le contre-pied total de ces veines, en racontant une enfance dans la France des années 1960-70. Des batailles de cowboys dans la cour de l’école à la découverte fascinée des femmes, c’est toute une jeunesse qui se dévoile.
Pas très original à première vue, mais voir Chomarat tenter ce pas de côté est intrigant, surtout quand on apprécie sa plume piquante et sa verve. Donc, pourquoi pas.

Poudre blanche, sable d’or, de Matthieu Luzak

Premier roman également, qui suit deux amis, un journaliste de seconde zone englué dans une vie de famille compliquée et un voyou tout juste sorti de prison, partant pour quelques jours entre hommes à Malaga. Le cadre ne fait pas rêver mais c’est justement là que le second, Farid, a monté un coup il y a quelques années.
Au fil de leur virée, s’expriment les rêves et les drames des désillusionnés du XXIe siècle.


BILAN


Lecture probable :
Villebasse, d’Anna de Sandre

Lecture potentielle :
Le Fils du professeur, de Luc Chomarat

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À première vue : la rentrée Iconoclaste 2021


Intérêt global :


On ne change pas une méthode qui marche plutôt bien. Cette année encore, les éditions de l’Iconoclaste n’alignent que trois titres pour leur rentrée littéraire, misant comme toujours sur la singularité et la diversité des voix et des styles pour mettre en avant une certaine idée de la littérature francophone contemporaine.
Fidèles à leurs habitudes, elles laissent également une place à un premier roman, tout en comptant sur la (de plus en plus) populaire Cécile Coulon pour tracter leur joli petit train.


Seule en sa demeure, de Cécile Coulon

La jeune mais très prolifique romancière (31 ans et déjà 14 livres au compteur) poursuit l’aventure Iconoclaste (où elle co-dirige également la collection Iconopop’) après le beau succès rencontré il y a deux ans grâce à Une bête au Paradis. Et comme elle aime bien tenter toujours des choses nouvelles, la voici qui propose… un roman gothique.
Tout y est : le XIXème siècle, une grande demeure hantée par l’esprit d’une femme, un mariage pesant et arrangé entre une très jeune femme et un riche propriétaire terrien, une servante terrifiante, des secrets inquiétants… jusqu’au jour où l’irruption d’une professeure de flûte vient tout bouleverser.
À première vue, pour l’audace, l’aventure, le pari de la littérature de genre, c’est un grand oui. Lecture incontournable pour moi.

Mon mari, de Maud Ventura

Vu de l’extérieur, c’est un couple sans histoire. Quarantenaires, quinze ans de vie commune, deux enfants, une vie sociale et professionnelle réussie. Mais de l’intérieur, le tableau est moins glorieux. Pour elle en tout cas, qui se persuade que son mari ne l’aime plus, et entreprend de tout faire pour le prouver.
Tendre des pièges, noter les faux pas, concevoir des peines à infliger, et bien sûr guetter les rivales – toutes les autres femmes, à qui elle entend prouver qu’elle est toujours la meilleure, la plus belle, la plus parfaite des épouses : tout est bon pour se prouver qu’elle a raison. Même le pire.
Un premier roman de tourbillon psychologique qui pourrait valoir le coup d’œil.

Ne t’arrête pas de courir, de Mathieu Palain

C’est une histoire vraie, mais tellement fascinante et romanesque qu’elle a convaincu Mathieu Palain d’en faire son deuxième livre (après Sale gosse, 2019).
Cette histoire, c’est celle de Toumany Coulibaly, athlète français spécialiste du 400 mètres, champion de France de la discipline en 2015… et cambrioleur multi-récidiviste, condamné à plusieurs peines de prison. Durant plusieurs mois, l’écrivain rend visite au sportif. Au parloir, une amitié se noue, consolidée par le fait que les deux hommes ont sensiblement le même âge et grandi au même endroit.
En parallèle, Palain mène l’enquête, interroge des proches, pour tenter de comprendre comment un même individu a pu afficher deux visages aussi antagonistes, et briser une carrière prometteuse pour des petits crimes sans lendemain.


BILAN


Lecture certaine :
Seule en sa demeure, de Cécile Coulon

Lectures potentielles :
Mon mari, de Maud Ventura
Ne t’arrête pas de courir, de Mathieu Palain


Toucher le noir (collectif dirigé par Yvan Fauth)

Éditions Belfond, 2021

ISBN 9782714494337

336 p.

21 €

Un recueil de nouvelles signées Solène Bakowski, Eric Cherrière, Ghislain Gilberti, Maud Mayeras, Michaël Mention, Valentin Musso, Benoît Philippon, Jacques Saussey, Danielle Thiery, Laurent Scalese & Franck Thilliez.
Sous la direction d’Yvan Fauth.


Onze grands noms du thriller français nous font toucher le noir, jusqu’au creux de l’âme…
Ces onze auteurs prestigieux, maîtres incontestés du frisson, nous entraînent dans une exploration sensorielle inédite autour du toucher. Avec eux, vous plongerez dans les plus sombres abysses, effleurerez la grâce et l’enfer d’un même geste, tutoierez l’horreur du bout des doigts…
Dix nouvelles inédites pour autant d’expériences tactiles, éclectiques, terrifiantes et toujours surprenantes.
Oserez-vous frôler le noir d’aussi près ?


Pour ceux qui sont familiers avec le petit monde du blog polar, le nom d’Yvan Fauth est devenu ces dernières années l’une de ses institutions les plus respectables. (Il va sans doute détester que je le traite d’institution, mais c’est évidemment un compliment.) Et c’est mérité. Le garçon est humble, totalement passionné, capable de renouveler son enthousiasme sans jamais donner l’impression de s’essouffler, et de porter loin sa curiosité, hors des sentiers battus ou non, selon ses envies.
Son empathie et son sens de l’écoute l’ont conduit à interviewer des dizaines d’auteurs, dont il suit l’œuvre avec une fidélité remarquable. Cette confiance solide qu’il porte à nombre d’écrivains, ces derniers ont décidé de la lui rendre de la plus belle des manières, en participant à tour de rôle à une série de recueils de nouvelles consacrés aux cinq sens.

L’idée était excellente, la réalisation l’est tout autant si j’en juge par ce nouveau livre consacré au toucher, et logiquement intitulé Toucher le noir, qui fait suite à Écouter le noir (2019) et Regarder le noir (2020), tous publiés par les éditions Belfond – avec un certain courage, dois-je le souligner, quand on connaît le manque d’intérêt chronique des Français pour les nouvelles, encore plus sans doute dans le genre policier.
Fort heureusement, le succès est au rendez-vous, ce qui n’est que justice, étant donné l’implication totale des écrivains dans le projet et la qualité des textes proposés.

Sur les onze écrivains réunis cette fois par Yvan, il y en a la moitié dont je n’ai jamais rien lu. Parmi les autres, ceux dont j’ai abordé au moins un livre par le passé, deux au moins ne m’avaient pas ou peu convaincu. (Non, je ne préciserai aucun nom, cela n’a aucun intérêt.)
Qu’à cela ne tienne, je me suis lancé sans arrière-pensée ni a priori d’aucune sorte. Et j’ai bien fait, car les dix nouvelles rassemblées ici forment un ensemble incroyablement homogène, tout en proposant chacune une vision singulière, à la fois différente des autres et représentative de l’univers de leurs auteurs.

Ce qui est amusant de prime abord, c’est de chercher comment chaque écrivain a entrepris d’honorer le sujet du recueil. Certains se sont efforcés d’intégrer l’expression « toucher le noir » dans leur texte, d’autres ont pris le thème imposé au pied de la lettre, d’autres encore ont davantage travaillé de manière métaphorique.
Aucune méthode n’est moins bonne que les autres, et au bout du compte, tous les textes ont leur propre intérêt et leur propre force.

Après, chaque lecteur aura bien sûr ses préférés, en fonction de ses affinités ou de la surprise cueillie à chaque nouveau texte.
Pour ma part, je déclare sans hésitation ma flamme à Michaël Mention, auteur que j’ai déjà pas mal lu, avec des résultats contrastés, mais dont j’admire la capacité à se renouveler sans cesse, à prendre des risques et à inventer des formes neuves, faisant de chacun de ses écrits un nouveau défi.
Sa nouvelle, « No smoking », est la plus longue du recueil. C’est aussi la plus ambitieuse, la plus riche, la plus foisonnante en surprises et en retournements de situation. Jusqu’à la dernière ligne, Mention m’a tenu en haleine et totalement bluffé. C’est mon plus gros coup de cœur du livre.

J’ai beaucoup aimé également « Zeru Zeru », le texte de Maud Mayeras qui, fidèle à ses habitudes, conjugue noirceur absolue et empathie extrême, dans une histoire tragique, qui fend le cœur et bouleverse au plus profond de l’âme.
De manière assez similaire, Solène Bakowski réussit avec « L’Ange de la vallée » une nouvelle déchirante, bizarrement lumineuse et révoltante.
Dans un genre plus ludique, bravo au duo Franck Thilliez & Laurent Scalese, qui signent avec « 8118 » le premier texte en auto-reverse – je vous laisse découvrir de quoi il s’agit ! En tout cas, c’est très réussi et loin d’être un gadget, tout en déroulant un propos pertinent sur le marché sordide des armes à feu.

Je ne vais pas citer toutes les nouvelles du recueil, mais sachez que Valentin Musso (sans doute le plus « dans le thème », avec son histoire se déroulant dans un restaurant où l’on mange dans le noir complet), Benoît Philippon (formidable texte sur les dérives de l’art contemporain), Eric Cherrière (périple jusqu’au-boutiste sur les traces d’un assassin), Danielle Thiery (cruelle histoire de rivalité musicale), Ghislain Gilberti (sanglante escapade dans l’infra-monde horrifique caché dans les ténèbres de notre monde) et Jacques Saussey (cruelle variation prisonnière entre Les évadés et La Ligne verte) sont tous à la hauteur du projet.

Certains de ces textes me hanteront longtemps, preuve que quelques pages suffisent à marquer l’imaginaire. Une nouvelle réussie est un petit monde qui a autant de force et de légitimité littéraire (plus, parfois) qu’un long roman.
Les auteurs de Toucher le noir l’ont bien compris et rendent, tous ensemble, un merveilleux hommage à cette forme brève que, encore une fois, je vous encourage à découvrir en vous délestant de vos éventuels a priori à son encontre.

(Merci à NetGalley et aux éditions Belfond de m’avoir confié la version numérique de Toucher le noir.)


À première vue : la rentrée Rivages 2020

rivages


Intérêt global :

sourire léger


Rarement prolifique, la rentrée des éditions Rivages fait cette année dans le minimalisme. Deux titres, un français et un étranger. Et plutôt deux solides références de la maison. C’est propre, c’est net, c’est équilibré : rien à dire !


Miguel Bonnefoy - HéritageHéritage, de Miguel Bonnefoy

Sucre noir, son précédent roman, était brillant, surprenant et magnifiquement sensoriel. Son nouvel opus s’annonce dans une veine similaire. Héritage est une saga familiale qui met en scène plusieurs générations de la famille Lonsonier au cours du XXe siècle. Des coteaux du Jura jusqu’aux prisons chiliennes en passant par les tranchées de la Somme, Lazare le Poilu, Thérèse l’amoureuse des êtres ailés, Margot l’aviatrice et son fils révolté Ilario Da volent vers leur destinée, liés par la légende mystérieuse d’un oncle disparu.

Barbara Kingsolver - Des vies à découvertDes vies à découvert, de Barbara Kingsolver
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Martine Aubert)

Au XXIe siècle, Willa Knox, une journaliste indépendante, aide son fils à traverser une crise existentielle. Au XIXe siècle, Mary Treat est une scientifique émérite oubliée malgré sa proximité intellectuelle avec Darwin. Des années les séparent mais toutes deux sont liées par un intense besoin de liberté ainsi que par une maison.
Mine de rien, cela faisait sept ans, depuis Dans la lumière, que nous n’avions aucune nouvelle de Barbara Kingsolver, belle voix de la littérature américaine contemporaine, auteure saluée notamment de L’Arbre aux haricots et des Yeux dans les arbres.


BILAN



Lecture très probable :

Héritage, de Miguel Bonnefoy


À première vue : la rentrée Lattès 2020

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Première occurrence de la maison Lattès dans la rubrique « à première vue ». Fidèle au rendez-vous de la rentrée littéraire, c’est un éditeur dont les parutions m’attirent rarement, d’où ce manque… Même s’il m’arrive d’en apprécier certaines à l’occasion – je garde notamment un souvenir passionné des Gens dans l’enveloppe, d’Isabelle Monnin.
Cette année, Lattès envoie cinq livres sur la ligne de départ. Dont deux Adrien, ce qui n’est sûrement qu’une coïncidence. À première vue, pour être honnête, je n’y vois rien de palpitant, à titre personnel en tout cas. Je vous laisse donc juge de ce programme, qui saura peut-être vous intriguer.


Intérêt global :

neutrre


Les disparus de Joola, d’Adrien Absolu

Quatre ans après un récit-enquête consacré au virus Ebola, Adrien Absolu récidive dans le même registre, avec une investigation littéraire consacrée au drame du Joola, bateau parti en septembre 2002 avec deux mille personnes à son bord, et qui n’arrivera jamais à destination. Presque tous les passagers périssent lors du naufrage.
Obnubilé par ce drame dont toutes les réponses n’ont sans doute pas encore été livrées, l’auteur se rend à Casamance, et reconstitue heure et heure la journée fatale, tout en enquêtant sur certaines victimes.

Adrien Borne - Mémoire de soieMémoire de soie, d’Adrien Borne

Lorsqu’il part faire son service militaire en juin 1936, Émile n’a aucune idée de la découverte ahurissante qu’il va faire dans le livret de famille, confié par ses parents à l’instant du départ. À côté du prénom de sa mère, le jeune homme découvre en effet celui d’un certain Baptistin. Qui n’est pas celui de son père. C’est le point de départ d’une enquête familiale.
Rien de très original sur le papier, si ce n’est le cadre de l’intrigue, une magnanerie (lieu d’élevage des vers à soie), et son moment, l’entre-deux-guerres. Pas suffisant pour me retenir plus longtemps.

Diane Mazloum - Une piscine dans le désertUne piscine dans le désert, de Diane Mazloum

Le refuge d’enfance de Fausta, c’est un village perdu dans les montagnes, à la frontière de trois pays en guerre, dont le sien, le Liban. Dans ce village, elle a fait construire une piscine, sur un terrain qui hélas ne lui appartient pas. Lorsqu’un certain Leo débarque du Canada pour régler la vente du terrain en question, qui appartient à sa famille, tout bascule, l’espace de trois jours dans ce village fascinant, lieu de paix à la croisée des périls…

Olja Savicevic - Adios cow-boyAdios Cow-Boy, d’Olja Savicevic
(traduit du croate par Chloé Billon)

De retour dans sa ville natale, Dada retrouve sa mère et sa sœur avec l’espoir de libérer sa famille du passé. Telle une cavalière solitaire, elle enfourche sa mobylette pour tenter de faire la lumière sur la mort de son jeune frère, passionné de westerns, disparu quatre ans plus tôt.
Un roman d’apprentissage qui offre le portrait d’une génération perdue, au cœur d’une banlieue croate abîmée par la guerre.

Hella Feki - Noces de jasminNoces de jasmin, d’Hella Feki

En janvier 2011, à l’aube du Printemps Arabe, un jeune journaliste croupit dans les geôles tunisiennes, dans l’attente de son sort. Dehors, pour tromper l’inquiétude, la femme qui l’aime part sur ses traces, remontant jusqu’à sa ville natale, dans l’espoir de le retrouver, pendant que son père se remémore l’indépendance.


À première vue : la rentrée Globe 2020

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Attention, ça va déménager !
Du côté des éditions Globe, la tendance n’est jamais à la tiédeur. Structure atypique et courageuse au sein du groupe École des Loisirs, cette petite maison publie une dizaine de titres par an et compte déjà quelques références extraordinaires à leur catalogue (en ce qui me concerne, La Note américaine de David Grann et Les frères Lehman de Stefano Massini figurent parmi mes lectures les plus stupéfiantes de ces dernières années), toutes ses publications ayant en commun un regard puissant sur le monde, un engagement sans faille et une quête de vérité humaine.
Trois nouveaux livres sont annoncés en cette rentrée 2020 qui, à première vue, promet de sérieusement secouer.


Intérêt global :

sourire coeur


Bernardine Evaristo - Fille, femme, autreFille, femme, autre, de Bernardine Evaristo
(traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Françoise Adelstain)

Récompensé par le Booker Prize en 2019 (ce qui n’est pas rien, d’autant que l’auteure est la première femme noire à le recevoir), Fille, femme, autre est le premier livre traduit en France de Bernardine Evaristo, auteure anglo-nigériane de 60 ans. Dans ce roman choral, on suit douze personnages en autant de chapitres, douze femmes, noires pour la plupart, âgées de 19 à 93 ans, toutes en quête de bonheur et d’une place dans une société anglaise qui n’a rien prévu pour elles. Choix de narration audacieux (qui rappelle celui des Frères Lehman), leurs voix s’expriment en vers libres. Si le résultat est aussi réussi que le livre de Stefano Massini, cela promet un récit sacrément fort.

James Hannaham - Delicious FoodsDelicious Foods, de James Hannaham
(traduit de l’américain par Cécile Deniard)

Bienvenue dans le monde merveilleux de l’esclavage moderne. Avec ce livre inspiré de faits réels qui se sont déroulés en 1992, James Hannaham décrypte la manière dont des millions de gens, victimes de drames insurmontables ou d’addictions fatales, se retrouvent enchaînés à des exploiteurs sans pitié qui les transforment en bagnards des temps modernes, au service de l’industrie agro-alimentaire mondiale. Pour exprimer cette horreur, le romancier a choisi trois voix : celle d’une mère asservie, celle d’un fils révolté… et celle de la drogue. La drogue en personne, incarnée, dont on comprend, par les mots que lui procure l’auteur, le pouvoir fatal de séduction.
Roman choc en perspective.

Reginald Dwayne Betts - CoupableCoupable, de Reginald Dwayne Betts
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié)

Valentine Gay, l’éditrice de Globe, ne se repose jamais sur ses lauriers. Avec Coupable, elle inaugure une nouvelle collection de poésie. Par ses vers et par ses rimes, Reginald Dwayne Betts raconte le système carcéral américain de l’intérieur, notamment du point de vue des innombrables mineurs qui y échouent. Il sait de quoi il parle, lui qui fut emprisonné à l’âge de seize ans, et pendant huit ans, dans un quartier de haute sécurité. Il puise notamment son inspiration dans des documents juridiques qu’il détourne par son travail poétique.


BILAN


Peu importe la forme littéraire, au fond, du moment que l’engagement et la vision du monde sont au rendez-vous. Voilà encore un authentique point de vue d’éditeur, qui mérite d’être salué et soutenu. Penchez-vous sur le travail des éditions Globe, il mérite largement le détour.

Lecture hautement probable :
Delicious Foods, de James Hannaham

Lectures potentielles :
Fille, femme, autre, de Bernardine Evaristo
Coupable, de Reginald Dwayne Betts


A première vue : la rentrée Stock 2018

L’année dernière, nous avions reproché à Stock de faire partie des éditions se présentant à la rentrée avec un effectif beaucoup trop pléthorique. Pas mieux cette année, puisque la maison bleue aligne pas moins de douze nouveautés pour la seule date du 22 août… Et comme d’habitude, nous n’en retiendrons que deux ou trois, sans trop s’attarder sur le reste. En espérant trouver dans la liste un titre aussi somptueux que Les huit montagnes de Paolo Cognetti !

Bosc - CapitaineOHÉ OHÉ : Capitaine, d’Adrien Bosc
Pour moi, le plus attendu de la bande. Aujourd’hui éditeur au Seuil et aux éditions du Sous-Sol, ce jeune homme doué et pressé qu’est Adrien Bosc avait marqué les esprits avec son premier roman paru en 2014, Constellation. Après cette histoire d’avion, voici qu’il s’intéresse à un bateau, le Capitaine Paul-Lemerle, parti du port de Marseille le 24 mars 1941 avec à son bord André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers et beaucoup d’autres artistes, écrivains, journalistes, fuyant tous le régime de Vichy et la menace nazie. A sa manière kaléidoscopique, Bosc s’attache à relater le long voyage du bateau jusqu’en Amérique. Le sujet a tout pour que le jeune écrivain (32 ans) en fasse quelque chose de brillant.

Boltanski - Le guetteurMOMMY : Le Guetteur, de Christophe Boltanski
Lui aussi sera attendu pour son deuxième roman, car son premier, La Cache, a été très remarqué et apprécié (au point de décrocher le Prix Femina il y a trois ans). Cette fois, il y est question d’un fils qui, découvrant le manuscrit inachevé d’un polar dans les affaires de sa mère, décide d’enquêter sur elle pour essayer de comprendre cette femme mystérieuse. Des investigations qui vont le ramener aux jeunes années de sa mère, alors qu’elle était étudiante à la Sorbonne, en pleine guerre d’Algérie…

Noiville - Confessions d'une cleptomaneTHIEF, BAGGINS ! : Confessions d’une cleptomane, de Florence Noiville
Florence Noiville a de la suite dans les idées. En l’occurrence, celle de placer un désordre psychique majeur au cœur de l’intrigue de ses livres. Après le syndrome de Clérambault dans L’Illusion délirante d’être aimé (2015), la voici donc qui, le titre est parlant, s’intéresse à la manie irrépressible du vol, en mettant en scène une femme, grande bourgeoise, épouse de ministre, qui ne peut s’empêcher de faucher tout ce qui lui passe sous la main. Jusqu’au jour où elle vole un objet qu’elle n’aurait jamais dû non seulement prendre, mais même simplement voir…

Dupont-Monod - La révolteALIÉNOR II, LE RETOUR : La Révolte, de Clara Dupont-Monod
Clara Dupont-Monod a de la suite dans les idées. Après avoir rencontré un succès certain avec Le Roi disait que j’étais diable (Grasset, 2014), elle reprend son « personnage » d’Aliénor d’Aquitaine, racontée cette fois par son fils, Richard Cœur de Lion, au moment où la reine demande à ses enfants de se retourner contre le Roi d’Angleterre, leur père.

Lamberterie - Avec toutes mes sympathiesMON FRÈRE : Avec toutes mes sympathies, d’Olivia de Lamberterie
Célébrité de la critique littéraire française, Olivia de Lamberterie saura sans doute trouver du soutien médiatique chez ses petits camarades, pour faire causer de ce premier livre où elle évoque son frère, à la suite du suicide de ce dernier en 2015. De l’autofiction Stock pure et dure. Pas mon truc, mais enfin…

Estève - SimpleLE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Simple, de Julie Estève
Un simple d’esprit, perché dans un village corse, se raconte et raconte les autres au fil d’un monologue adressé à sa chaise. Il évoque particulièrement ses liens ambigus avec une adolescente retrouvée morte dans les années 80. Deuxième roman.

Razon - EcouteCE QU’IL RESTE DE NOUS : Écoute, de Boris Razon
Deuxième roman encore, après l’un peu remarqué Palladium (2013). Il est question cette fois d’un policier chargé d’espionner les communications des gens alentour, caché dans un van avenue des Gobelins. Il s’intéresse soudain à un homme qui, bizarrement, n’émet aucun signal, ce qui le transforme instantanément en suspect – ou au moins en type curieux…

Sibony - La femme de DieuBOULEVARD : La Femme de Dieu, de Judith Sibony
Et un premier roman pour faire bonne mesure ! Un metteur en scène a pris l’habitude d’associer sur scène sa femme, à qui il réserve toujours le rôle principal, à sa maîtresse du moment. Mais la dernière en date le pousse dans ses retranchements en exigeant de porter son enfant tout en jouant le rôle de l’amante… Une mise en parallèle de la création théâtrale et de la procréation médicale.

Nathan - L'Evangile selon YouriHEAL THE WORLD : L’Évangile selon Youri, de Tobie Nathan
Un psychanalyste désabusé prend sous son aile un gamin tzigane de dix ans, dont on dit qu’il possède des pouvoirs magiques. Imposteur ou vrai magicien des temps modernes ? Tu le sauras, lecteur, en lisant ce livre signé par le célèbre psychanalyste (désabusé ?) Tobie Nathan.

Frèche - Vivre ensembleMAKE IT A BETTER PLACE : Vivre ensemble, d’Émilie Frèche
Ayant échappé de peu aux attentats de Paris le 13 novembre 2015, Pierre et Déborah décident de profiter du temps présent et de consolider leur relation naissante. Ils emménagent donc avec leurs enfants respectifs : Léo, 13 ans et Salomon, 11 ans. Mais les deux fils supportent mal de cohabiter avec des beaux-parents qu’ils n’ont pas choisis.

*****

Kushner - Le Mars ClubFOR YOU AND FOR ME : Le Mars Club, de Rachel Kushner
(traduit de l’américain par Sylvie Schneiter)
Romy Hall, une ancienne strip-teaseuse au Mars Club, est condamnée à la perpétuité pour avoir tué l’homme qui la harcelait. Enfermée à la prison de Stanville, elle apprend que sa mère à qui elle avait confié Jackson, son fils de 7 ans, vient de mourir. Déchue de ses droits parentaux, la jeune femme décide d’agir.

Yazbek - La marcheuseAND THE ENTIRE HUMAN RACE : La Marcheuse, de Samar Yasbek
(traduit de l’arabe (Syrie) par Khaled Osman)
Rima aime les livres, le dessin et… marcher. La jeune fille, qui ne parle pas, souffre d’une étrange maladie : ses jambes fonctionnent indépendamment de sa volonté, dès qu’elle se met à marcher elle ne peut plus s’arrêter.
Un jour d’août 2013, alors qu’elle traverse Damas en bus, un soldat ouvre le feu à un check-point. Sa mère succombe sous les balles et Rima, blessée, est emmenée dans un hôpital pénitencier avant que son frère ne la conduise dans la zone assiégée de la Ghouta. Et c’est là, dans cet enfer sur terre, que Rima écrit son histoire.
À travers la déambulation vive et poétique de cette adolescente singulière dans l’horreur de la guerre, Samar Yazbek continue son combat pour exposer aux yeux du monde la souffrance du peuple syrien.


On lira sûrement :
Capitaine, d’Adrien Bosc

On lira peut-être :
La Marcheuse, de Samar Yasbek
Le Guetteur, de Christophe Boltanski



A première vue : la rentrée Grasset 2017

Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.

Chalandon - Le Jour d'avantAU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.

Le Bris - KongSKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.

Delmaire - Minuit, MontmartreFABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.

Guez - La Disparition de Josef MengeleTODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.

Dreyfus - Le Déjeuner des barricadesSOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.

Rondeau - Mécanique du coeurBABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.

Coulin - Une fille dans la jungleÀ L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.

Ionesco - InnocenceREBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.

Vilain - La Fille à la voiture rougeCRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.

Caron - Tous les âges me diront bienheureuseMAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).

Brault - Les Peaux RougesDUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.

*****

Evjemo - Vous n'êtes pas venus au monde pour être seulsJE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.

Baird - Demain sans toiSHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.


Nobody : « Soldat inconnu » (Saison 1, Épisode 1), de Christian de Metter

Signé Bookfalo Kill

Montana, 2007. Appelé sur les lieux d’un crime, un officier de police trouve l’assassin couvert de sang, assis à une table, en train de boire tranquillement devant le cadavre de sa victime.
Un an plus tard, la psychologue Beatriz Brennan est chargée de réaliser une nouvelle expertise du meurtrier, qui reconnaît son crime et réclame la peine de mort. Parvenant à le mettre en confiance par sa franchise et son intérêt, elle le convainc de raconter son histoire. Ce qui nous ramène longtemps en arrière…

de-metter-nobody-s01e01Il est toujours difficile de juger une œuvre quand elle n’est qu’une partie d’un tout – et là, en l’occurrence, la toute première partie d’un ensemble qui s’annonce vaste, puisque ce volume est le premier de quatre tomes qui constitueront seulement la première saison de Nobody. Le projet de Christian de Metter paraît donc ambitieux, ce que cette ouverture souligne en s’avérant dense et complexe. Je n’en dis pas plus volontairement, d’abord pour vous laisser le plaisir de suivre le récit proposé par le dessinateur-scénariste, ensuite parce que je ne suis pas certain que ces premières pages ne recèlent pas déjà quelques fausses pistes et autres mensonges savamment orchestrés… Normal, après tout, on est clairement dans une ambiance polar, genre dans lequel l’auteur a déjà brillé.

Ce que je peux affirmer en revanche, c’est le plaisir pris à retrouver le superbe travail graphique de Christian de Metter, que j’avais déjà admiré notamment grâce à son adaptation magistrale de Shutter Island, le roman de Dennis Lehane. Il joue avec un talent fou des nuances et des spectres de couleurs, faisant baigner l’ensemble de la B.D. dans des superbes teintes de vert ou d’ocre, plongeant les scènes de prison dans une semi-obscurité où éclate comme une menace permanente la combinaison orange du criminel. Il fait preuve par ailleurs d’un don tout cinématographique pour le découpage, faisant varier la taille, le nombre et la disposition des cases en fonction de ses besoins de mise en scène (quand il ne vire pas purement et simplement les cases, d’ailleurs), qui lui permettent de glisser de magnifiques plans de coupe ou des gros plans beaucoup plus éloquents que de longs dialogues.

Bref, ce « Soldat inconnu » constitue l’excellent début d’une série au long cours, dont on espère que les prochains tomes se succèderont sans trop tarder, car on brûle de connaître la suite – comme dans toute série qui se respecte, en somme !

Nobody : « Soldat inconnu », saison 1 épisode 1/4, de Christian de Metter
Éditions Soleil, coll. Noctambule, 2016
ISBN 978-2-302-05388-5
74 p., 15,95€


A première vue : la rentrée Gallmeister 2016

Un nouvel éditeur fait son apparition dans la rubrique « à première vue » ! Et non des moindres, puisqu’il s’agit de Gallmeister, l’excellente maison exclusivement dédiée à la littérature américaine, fondée et animée par Oliver Gallmeister, l’homme qui a su dénicher David Vann, Craig Johnson, Pete Fromm, Edward Abbey, Jake Hinkson, Benjamin Whitmer, Jim Tenuto (entre beaucoup d’autres) ou redonner leurs lettres de noblesse à Trevanian, Ross MacDonald ou James Crumley.
Entre ses différentes collections (Americana, Nature Writing, Néonoir ou les poches chez Totem), Gallmeister figurera largement dans cette rentrée 2016, sans excès comme à son habitude, mais avec toujours autant de variété et de qualité potentielle. Il serait donc dommage de s’en priver !

* Collection Americana *

Dunn - Amour monstreLE FREAK, C’EST CHIC : Amour monstre, de Katherine Dunn (18 août)
A la tête d’un spectacle itinérant, Al et Lil Binewski mettent tout en oeuvre pour faire de leurs enfants les vedettes du show. Mais quelles vedettes ! En les gavant d’amphétamines et en les faisant pousser sous des radiations peu recommandables, ce sont de véritables monstres de foire qu’ils alignent sur la piste. Mais les Binewski n’en sont pas moins une famille comme les autres, avec ses problèmes et ses rivalités à gérer… Tout un programme pour ce roman culte aux États-Unis depuis longtemps, déjà édité par Pocket dans les années 90 (sous le titre Un amour de monstre) mais passé inaperçu. Retraduit par l’excellent Jacques Mailhos, ce livre se voit offrir une deuxième chance qu’il ne faudrait sans doute pas laisser passer.

* Collection Nature Writing *

Holbert - L'Heure de plombICE STORM : L’Heure de plomb, de Bruce Holbert (1er septembre)
1918, Etat de Washington. A la suite d’une tempête de neige dévastatrice qui emporte son frère et son père, Matt Lawson se retrouve à 14 ans à la tête du ranch familial. Obligé de prendre ses responsabilités, Matt doit poursuivre l’oeuvre familiale, apprendre à connaître la nature qui l’environne, et maintenir la cohésion de ses proches… Par l’auteur d’Animaux solitaires, déjà publié par Gallmeister.

Vann - AquariumLA VIE PARFOIS FAIT PLOUF : Aquarium, de David Vann (3 octobre)
Après Goat Mountain et Dernier jour sur terre, parus simultanément en France, David Vann a assuré en avoir terminé avec ses histoires terribles de filiation et de paternité où les armes jouaient un rôle fatal. Ce nouveau roman semble confirmer une nouvelle voie, en racontant la rencontre d’une fillette de douze ans et d’un vieil homme à l’Aquarium de Seattle, où leur amour commun des poissons noue leur amitié. Mais lorsque la mère de Caitlin découvre cette relation, elle se voit obligée de dévoiler à sa fille un terrible secret qui les lie à cet homme… Jamais remis du choc Sukkwan Island, je suis donc très curieux et excité de découvrir une autre facette du talent de David Vann.

* Collection Néonoir *

Taylor - Le Verger de marbreAPOCALYPSE NOW : Le Verger de marbre, d’Alex Taylor (18 août)
Mauvaise pioche pour le jeune Beam Sheetmire : obligé de tuer un homme qui l’agressait, il réalise qu’il s’agit du fils d’un caïd local. Avec l’aide de son père, Beam prend la fuite, tandis que le caïd et le shérif se lancent à sa poursuite… Du noir de chez noir, c’est forcément chez Néonoir ! Buzz très positif cet été chez les libraires au sujet de ce roman.

CRIME UNLIMITED : Le Bon fils, de Steve Weddle (3 octobre)
Après dix ans passés en prison, un homme revient chez lui pour réaliser que, dans cette région dévastée par la crise économique, il n’y a pas de meilleur avenir que celui de tueur…

* Collection Totem *

Vonnegut - Nuit mèreL’ŒIL DE TAUPE : Nuit mère, de Kurt Vonnegut (18 août)
Inédit en français, ce roman rapporte les confessions fictionnelles d’un dramaturge américain, dans l’attente de son procès à Jérusalem pour crime de guerre, accusé d’avoir été l’un des défenseurs les plus zélés du régime nazi. Mais il affirme être innocent et avoir été un agent infiltré des Alliés en Allemagne…

Un coup d’oeil rapide aux autres sorties, parutions en poche de titres de la maison : Animaux solitaires, de Bruce Holbert (1er septembre) ; Impurs, de David Vann (3 octobre) ; Le Gang de la clef à molette, d’Edward Abbey (3 octobre) ; Traité du zen et de la pêche à la mouche, de John Gierach (4 novembre).


Surtensions, d’Olivier Norek

Signé Bookfalo Kill

Bon, on ne va pas se voiler la face, j’ai un gros faible pour les romans d’Olivier Norek. Code 93 m’avait séduit, Territoires m’avait bluffé. J’attendais donc la suite des enquêtes de Victor Coste et son équipe avec impatience, mais aussi une bonne dose de cette anxiété que l’on accorde, presque comme une faveur, aux auteurs que l’on aime au moment de plonger dans leur nouveau livre, l’espoir d’y prendre autant de plaisir que d’habitude se disputant à la crainte d’être déçu.
Je le répète, Territoires avait pour moi placé la barre très très haut. En voyant débarquer les 500 pages de Surtensions, j’ai craint un instant qu’Olivier Norek se soit un peu laissé aller, grisé par le succès. Ça aurait pu, n’est-ce pas ? Hé bien non. Si Norek a choisi de pavetonner, c’est parce qu’il en avait besoin pour tirer les ficelles d’une intrigue beaucoup plus noueuse et pour conclure en beauté (et en douleur…) sa trilogie consacrée à Coste et les siens.

Norek - SurtensionsJ’aimerais vous convaincre de plonger en dévoilant l’intrigue le moins possible, mais bon, quelques mots tout de même, pour planter le décor – et aussi pour évacuer un cliché qui a commencé à circuler sur Surtensions : non, ce n’est pas un polar carcéral. Certes, une partie du roman se déroule derrière les barreaux, mais c’est loin d’être la totalité du livre.
En revanche, cette immersion effrayante en prison est l’un de ses nombreux points forts, tant Norek réussit à faire ressentir la détresse de l’incarcéré, la perte de repères dans un milieu terrifiant, pour lequel le mot « hostile » est d’une faiblesse insigne, et qui est paradoxalement régi par des codes aussi complexes que cruels. Ce n’est pas un scoop, mais en lisant Surtensions, on comprend à quel point la prison est aujourd’hui le terreau le plus gras possible pour faire prospérer la délinquance, la violence et la récidive. Une confrontation permise, encore une fois, par l’expérience professionnelle d’Olivier Norek – flic de terrain, faut-il le rappeler, qui a su mettre avec une acuité rare ses connaissances des procédures et des hommes – qu’ils soient policiers, juges, avocats, voyous ou simples humains en travers du chemin – au service de son œuvre.

D’accord, mais alors de quoi ça cause, Surtensions ? Pfff… vous voulez vraiment savoir ? Allez, parce que c’est vous, je fais le minimum syndical : disons qu’il va être question d’un braquage aussi audacieux qu’original, qui aura des conséquences tout aussi surprenantes sur le destin d’une famille corse, d’un pédophile, d’un assassin, d’un légionnaire serbe – mais aussi d’un proche du capitaine Coste, dont l’équipe sera exposée comme jamais dans cette affaire…
Et c’est TOUT ce que je vous dirai, non mais !!!

Tout, hormis que Norek fait la démonstration de son savoir-faire immense en matière de maîtrise du suspense, du rythme et de la construction. Il tient ses 500 pages sans temps mort, en nous faisant regretter une fois la dernière page tournée que ce soit déjà fini – et pourtant, quelle fin terrible ! Malmenant ses héros comme jamais, le romancier va au bout de son histoire et de sa logique, sans reculer, mais sans se départir non plus de son humour et d’un peu de légèreté. Tous ses personnages tiennent la route, avec leurs nuances (ou pas… le désespérant commandant Ventura !), leurs zones d’ombre, la manière dont la violence des événements les fait se confronter aux limites qu’ils pensent devoir ou pouvoir dépasser, les poussant aux surtensions promises – et tenues – par le titre du roman.
Au centre du plateau, il y a bien sûr Victor Coste. Flic intègre mais capable de titiller les cadres, surtout quand ceux de son sacerdoce sont plus étroits que ceux des voyous. Coste, usé pourtant, qui voit le monde pour lequel il se bat se déliter un peu plus chaque jour, sans qu’il puisse faire mieux que coller des rustines sur les pneus de la société – qui ne cessent de se percer, y compris dans son camp, celui de la justice, cruellement prise en défaut dans cette enquête. Coste, superbe personnage, fort mais friable, intelligent mais pas super-héroïque, poumon des romans de Norek, regard à la fois chaleureux et un rien désabusé de ce romancier flic vraiment pas comme les autres.

Plus foisonnant que Territoires, dont l’intrigue était taillée au cordeau, Surtensions permet à Olivier Norek d’aborder différemment son univers en l’élargissant, de le rendre encore plus romanesque, sans jamais perdre de vue son souci du réalisme qui est sa marque de fabrique. Ce troisième (et donc dernier ?) opus des enquêtes de Victor Coste fait de son auteur un écrivain accompli – dont on attend la suite des aventures littéraires avec impatience. Et une bienveillante anxiété.

Surtensions, d’Olivier Norek
Éditions Michel Lafon, 2016
ISBN 978-2-7499-2816-6
506 p., 19,95€

P.S.: 2016 est vraiment une année de consécration pour Olivier Norek, couronné pendant le festival Quais du Polar du Prix du Polar Européen, et qui accumule les éloges chez les amis blogueurs. Voyez plutôt : notre cousine jumelle The Cannibal Lecteur, l’ami Gruznamur tout plein d’émotions fortes, le brillant Quatre Sans Quatre (quel superbe article !!!), Lucie Merval et Jean-Marc Volant chez Zonelivre, Lilie de Polars & Compagnie qui ne s’en est pas encore remise… et plein d’autres encore !


Dernière donne, de Jean-Michel Guenassia

Signé Bookfalo Kill

En 1986, les éditions Liana Levi (qui ont souvent du flair, notamment en polar) faisaient paraître Pour cent millions, le premier roman de Jean-Michel Guenassia. Couronné par le prix Michel-Lebrun, distinction prestigieuse pour un auteur de roman policier, l’apprenti écrivain avait pourtant disparu ensuite de la circulation littéraire pour se consacrer discrètement au cinéma et au théâtre – avant de réapparaître en 2009, à 59 ans, avec le  Club des incorrigibles optimistes, énorme fresque publiée par les éditions Albin Michel, couronnée par le Prix Goncourt des Lycéens et par un large succès public.

Guenassia - Dernière donneSans doute motivées par les excellents chiffres de vente en poche du club… puis du roman suivant de Guenassia, La Vie rêvée d’Ernesto G., les éditions Livre de Poche font opportunément reparaître ce premier opus. Et, ma foi, toute considération commerciale mise à part, c’est plutôt une bonne idée, car ce polar désormais intitulé Dernière donne, apparemment retravaillé par son auteur, est une belle mécanique de suspense, à peine fragilisée par quelques dialogues un peu trop naïfs – infime faiblesse de jeunesse, guère préjudiciable à l’ensemble.

L’histoire en quelques mots : d’un côté, Baptiste Dupré, jeune avocat brillant, heureux marié et redoutable joueur – à tel point qu’il applique à toute sa vie le goût du risque et la science du bluff qu’il maîtrise à la perfection lorsqu’il s’assied à une table de poker. De l’autre côté, Pierre Delaunay, héritier des boîtes de nuit de son père et piégé par un associé filou, à tel point qu’il se retrouve en prison, accusé de forfaits allant de malversations financières à une complicité de meurtre.
Entre les deux, Moreno, ami indéfectible de Delaunay, qui rencontre Dupré lorsque celui-ci se présente au cercle de jeu huppé qu’il dirige. Frappé par la ressemblance physique entre les deux hommes, Moreno imagine alors un plan diabolique pour tenter de prouver l’innocence de son ami…

Au fil de premiers longs chapitres, Guenassia campe ses personnages à la perfection. Caractère, habitudes, mentalité, relations, il dessine autour ses protagonistes une toile serrée, dont les fils reliés presque sans que l’on s’en aperçoive nouent les drames inattendus qui éclatent dans un final machiavélique.
Stylistiquement, la première partie, davantage tournée vers la psychologie des personnages, est beaucoup plus maîtrisée, alors que la seconde souffre parfois de ces dialogues approximatifs évoqués plus haut, ou d’un abus de monologues intérieurs guère plus réussis ; comme si le romancier avait cherché des expédients narratifs pour accélérer le dénouement, par ailleurs remarquable et intraitable.

En dépit de ses petits défauts, Dernière donne est un premier roman d’une maîtrise remarquable, habile et prenant de bout en bout, grâce à ses personnages très aboutis et une écriture agréable et fluide. Un polar assez classique dans sa trame, mais vraiment réussi. Bonne pioche !

Dernière donne, de Jean-Michel Guenassia
 Éditions Albin Michel / Livre de Poche, 2014
(1e édition : Liana Levi, 1986)
ISBN 978-2-253-00460-8
187 p., 6,10€


Baignade surveillée de Guillaume Guéraud

baignadeIl fait beau, il faut chaud, c’est près de Bordeaux qu’est venu se ressourcer Arnaud. Avec femme et enfant, il espère souffler un peu. Sauf que… sa femme est aussi fermée qu’une huître. La communication entre les deux est impossible. On sent, et Arnaud doit être le seul à ne rien vouloir voir, qu’elle a un amant et qu’elle va quitter son mari avant la fin des vacances.

Sur ces engueulades permanentes déboule Max, le frangin d’Arnaud, un jeune chien fou que personne n’arrive à contrôler. Après plusieurs années de taule, Max décide de faire une formation de grutier pour travailler sur les chantiers. Mais pas pour se ranger, au contraire…

Baignade surveillée, c’est l’histoire d’une vie qui vole en éclat comme les parois d’une vitre de camion blindé. D’une vie qui s’écoule aussi vite que les grains de sable dans la main d’un enfant. D’une envie folle de recoller les morceaux quand on sait pourtant pertinemment qu’on ne peut plus rien faire. Guillaume Guéraud écrit d’une manière incisive, sans répit pour ses personnages. Un roman trop court à mon goût, mais qui se laisse lire avec plaisir.

Baignade surveillée de Guillaume Guéraud
Editions du Rouergue, 2014
9782812606151
125p., 13€80

Un article de Clarice Darling.


Ils vivent la nuit, de Dennis Lehane

Signé Bookfalo Kill

Le respect de la justice n’est pas forcément héréditaire. Fils et frère de policier, Joe Coughlin rompt la tradition familiale dès son plus jeune âge et, à vingt ans, il s’efforce de se faire une place dans la pègre de Boston, alors que la Prohibition bat son plein. Malheureusement, s’attaquer au tripot clandestin d’Albert White, l’une des figures du milieu, et séduire Emma Gould, la maîtresse de ce dernier, ne sont pas les meilleurs moyens d’y arriver. Après un braquage qui tourne mal et cause la mort de trois policiers, Joe est balancé et se retrouve en prison.
C’est là, dans l’enfer du pénitencier de Charlestown, que le jeune homme fait une rencontre décisive : Maso Pescatore, vieux truand qui fait sa loi entre les murs et continue à diriger à distance son empire, concurrent de celui de White. En le prenant sous son aile, le caïd va enfin lancer Joe sur la voie dont il rêve – parsemée d’embûches et de menaces, certes, mais aussi promesse d’une vie éclatante, où l’amour va s’inviter par surprise…

Lehane - Ils vivent la nuitPour Dennis Lehane, il y a trois écoles. Soit vous connaissez déjà le bonhomme, vous en êtes donc probablement fan (difficile de faire autrement une fois qu’on y a goûté), et je n’aurai pas besoin de dire grand-chose pour vous convaincre de vous ruer sur son nouvel opus. Soit son nom ne vous dit rien, mais celui de certaines de ses œuvres, adaptées avec éclat au cinéma, si : Mystic River (par Clint Eastwood), Shutter Island (par Martin Scorsese) ou Gone Baby Gone (par Ben Affleck), c’est lui.
Soit, enfin, vous ignorez tout de Lehane, auquel cas laissez-moi vous dire une chose : vous avez la chance de pouvoir découvrir encore l’un des plus grands auteurs américains contemporains de polar.

Ils vivent la nuit est une fausse suite de ce qui est, à mon avis, son plus immense chef d’oeuvre : Un pays à l’aube, paru en 2009 en France. Suite, parce qu’on y poursuit l’histoire de la famille Coughlin – même si Un pays à l’aube était centré sur Danny, le frère aîné de Joe, et que ce dernier n’était alors qu’un gamin de 13 ans et un personnage secondaire. Fausse, parce que hormis ce point de raccord, les histoires des deux livres ne sont pas connectées, et on peut donc lire Ils vivent la nuit de manière indépendante sans aucun problème de compréhension.

Fausse suite également, parce qu’Un pays à l’aube tirait vers le roman historique, alors qu’Ils vivent la nuit ramène Lehane dans le genre noir. C’est même à l’un des canons de la discipline que s’attaque le romancier, puisque ce livre est un pur roman de gangsters, avec tous ses codes et ses ingrédients caractéristiques (femmes fatales ou de caractère, truands hauts en couleur, alcool qui coule à flot, armes en tous genres, trafics, trahisons, alliances, jalousies, et beaucoup de morts semés sur les routes…) Il nous plonge dans une Amérique familière, celle de la Prohibition dans les années 20, mais aussi celle de la crise, après le krach de 1929 – offrant plus d’une fois une résonance troublante avec l’Amérique et le monde d’aujourd’hui.
Bien qu’enchâssé dans ce cadre précis, le talent de Lehane ne se nécrose pas pour autant. Comme avec Mystic River, sommet du roman noir dans les règles de l’art, ou Un pays à l’aube, superbe fresque historique et familiale, vous avez l’impression dès les premières pages d’Ils vivent la nuit de lire un classique instantané. La maîtrise du romancier en terme de narration et de rythme est époustouflante, son sens des dialogues qui tuent intact, son art pour créer des personnages forts, complexes et marquants toujours aussi impressionnant. Entre passages obligés et surprises personnelles à l’auteur, l’histoire déroule son récit avec fluidité, sans temps mort ni baisse de régime, jusqu’à une fin d’une cruauté douce-amère assumée et digne.

Dennis Lehane est sans doute l’un des rares auteurs contemporains à pouvoir signer un roman de gangsters aussi authentique, sans sombrer dans la parodie, en y apposant sa patte et sa modernité. S’il n’a pas la puissance dévastatrice d’Un pays à l’aube (dont le final exceptionnel paraît insurpassable), Ils vivent la nuit aligne tout de même quelques très grandes scènes et, dans son ensemble, ajoute une pièce aussi solide que légitime à l’édifice du genre.
Il entraîne aussi pour la première fois son auteur loin de sa ville de Boston, théâtre de tous ses romans jusqu’à présent. Un changement d’air à Tampa, en Floride, puis à Cuba, plein de chaleur – dans tous les sens du terme -, qui fait aussi beaucoup pour le plaisir renouvelé que l’on prend à dévorer ce nouvel opus.

Fan, vaguement familier ou novice de l’univers de Lehane, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire. Foncez sur ce très bon roman et vivez quelques nuits inoubliables en compagnie de ses sombres héros…

Ils vivent la nuit, de Dennis Lehane
Traduit de l’américain par Isabelle Maillet
Éditions Rivages, coll. Thriller, 2013
ISBN 978-2-7436-2461-3
527 p., 23,50€


Le prisonnier du ciel de Carlos Ruiz Zafon

Après avoir lu La Vérité sur l’Affaire Harry Québert, c’est dur de devoir se replonger dans un autre roman. Tiens! La suite de L’Ombre du vent? Je prends!

cielAmi lecteur, pour apprécier Le Prisonnier du ciel, sache que tu dois avoir lu L’Ombre du vent, sous peine de ne pas tout comprendre. Essayons de faire simple sans tout dévoiler…

On retrouve exactement les mêmes personnages, Daniel, Fermin et les autres empêtrés dans une nouvelle histoire. Un étrange bonhomme entre dans la librairie Sempere, achète l’ouvrage le plus ancien et le plus cher de tout le magasin et l’offre à Fermin. Qui est cet homme? Pourquoi fait-il cela? Ni une, ni deux, Daniel le suit dans les rues barcelonaises pour tenter de percer à jour le passé de Fermin. 

Comme pour L’Ombre du vent, on se promène avec plaisir dans les rues de Barcelone, entre 1939 et 1957, on retrouve avec autant de plaisir Fermin et Daniel, mais la magie n’a pas opéré sur moi. Le Prisonnier du ciel est un ouvrage plaisant à lire, mais sans commune mesure avec L’Ombre du vent, qui reste le chef d’oeuvre de Ruiz Zafon. On dirait d’ailleurs que l’auteur ne s’en remet pas d’avoir écrit un tel roman et tente par dessus tout de faire revivre ses personnages, en écrivant des « préquelles » (Le Jeu de l’ange, que je n’ai pas lu) ou des suites comme Le Prisonnier du ciel. D’ailleurs, cet ouvrage l’affirme très clairement, on va avoir une suite. 

Honnêtement, je pense que c’est bien dommage, L’Ombre du vent se suffisait à lui-même et Carlos Ruiz Zafon devrait se plonger dans un tout autre projet pour nous faire vibrer à nouveau grâce à la beauté de sa plume.

Le Prisonnier du ciel de Carlos Ruiz Zafon
Editions Robert Laffont, 2012
9782221131022
340p., 21€

Un article de Clarice Darling