Les embrouillaminis, de Pierre Raufast

Éditions Aux Forges de Vulcain, 2021

ISBN 9782373051063

350 p.

20 €


Un petit garçon prénommé Lorenzo habite avec ses parents dans une maison de la vallée de Chantebrie. Un jour, la maison voisine est mise en vente. Qui va venir y habiter ? Le jour de la visite, quel temps fera-t-il ? Et que va-t-il se passer ensuite ? Ce jour-là aura-t-il une influence sur le destin d’adulte de Lorenzo ?
La vie est faite de choix et de circonstances qui, souvent, nous échappent. En général, dans un roman, l’auteur impose ces conditions. Cette contrainte, Pierre Raufast décide de s’y dérober, et d’inviter le lecteur à collaborer à l’évolution du récit.
La vie de Lorenzo est entre vos mains. À vous de jouer.


Dans La Grande Librairie du 2 juin, en présentant le nouveau livre de Pierre Raufast, François Busnel a décrété que ce roman « ne ressemble à rien ». Ce n’est pas tout à fait exact. Un grand nombre de lecteurs ayant grandi dans les années 80 et 90 et ayant pratiqué la collection des Livres dont vous êtes le héros seront familiers du dispositif narratif proposé ici par le romancier. (Du reste, l’auteur en parle dans l’émission, et Busnel en présente un exemplaire.)
Ce qui est vrai, en revanche, c’est que ce n’est pas le genre de choses qu’on a l’habitude de croiser en littérature « adulte ». Et ça, c’est drôlement chouette.

Le principe est simple : à la fin de chaque chapitre ou presque, un choix vous est proposé, qui va décider de la suite des aventures de Lorenzo et vous balancer, soit au chapitre suivant, soit cent pages plus loin ou cinquante pages avant. Soit au fin fond du Mexique, soit dans la cathédrale de Chartres, ou au creux de la vallée de Chantebrie ou dans les couloirs d’une prison.
Véritable régalade de déconstruction narrative, Les embrouillaminis rafraîchit le plaisir de la lecture en en brisant le naturel linéaire, et en vous baladant aux quatre coins du livre à l’aide d’allers-retours de plus en plus jouissifs. De la sorte, impossible de savoir si vous êtes proche de la fin (ou plutôt d’une fin) de l’histoire, et encore plus comment quelques conséquences vont solder vos choix.

Si Les embrouillaminis s’avère un roman extrêmement ludique, il n’est pas pour autant superficiel. La vie… non, les vies de Lorenzo sont à l’image de n’importe quelle existence, et répondent en creux à la question qui nous a tous taraudés un jour : que se serait-il passé si, tel jour, j’avais fait tel autre choix plutôt que celui qui m’a amené à mon existence actuelle ?
Pierre Raufast étoffe le parcours de son héros de nombreuses péripéties romanesques, mais au fond, les différentes trajectoires de Lorenzo, aussi fantasques qu’elles puissent être à l’occasion, sont riches des mêmes étapes que n’importe quelle existence ordinaire. Il y a des rencontres, des passions, des déceptions, des trahisons, des amitiés, de l’amour et des ruptures. Il y a la vie, dans toute son habituelle humanité. De telle sorte que, dans les choix de Lorenzo, on reconnaît parfois les siens, de près ou de loin.

C’est aussi, bien sûr, une réflexion sur l’écriture, et sur les choix qui président à l’acte de raconter une histoire. Pourquoi tel personnage plutôt qu’un autre ? Pourquoi tel rebondissement ? L’histoire telle qu’elle est racontée est-elle la meilleure, aurait-il été possible de faire mieux, ou d’une manière totalement différente pour, finalement, raconter la même chose ?
Pour quiconque a déjà écrit, ou simplement réfléchi sur les coulisses de l’écriture, sur les mystères de la narration, c’est évidemment une confrontation excitante à cette magie insaisissable consistant à inventer des histoires – qui n’a pas plus de réponse toute faite qu’il n’y a de meilleur récit qu’un autre dans Les embrouillaminis.

Roman festif et stimulant, Les embrouillaminis est l’un des rares livres dont on a envie de reprendre la lecture juste après avoir touché le mot « fin », histoire de découvrir les nombreuses autres surprises qu’il recèle. J’ai exploré différentes variations avant de le reposer pour passer à ma lecture suivante (c’est que la rentrée littéraire commence à se bousculer au portillon), mais il est certain que j’y retournerai à l’occasion, pour le plaisir de me laisser à nouveau mener par le bout du nez, avec ma totale complicité.
Une superbe réussite qui me donne envie en outre d’approcher les livres précédents de Pierre Raufast, dont les titres (La Fractale des raviolis, La Baleine thébaïde, La Variante chilienne…) sont autant de promesses d’autres moments joyeux de littérature.


P.S.: quelque part dans le livre, il y a un chapitre déconnecté des autres. Je ne vous dis pas lequel, histoire de vous laisser le plaisir de tomber dessus par hasard – ou pas… et de découvrir ce qu’il raconte !
P.S.2 : l’une des fins des Embrouillaminis suggère d’aller lire La Baleine thébaïde pour connaître la suite des aventures du narrateur. Pierre Raufast est décidément un petit malin :)


On cause un peu partout des Embrouillaminis, et c’est heureux ! Voyez plutôt chez Cultur’elle, Ma collection de livres, Lilylit, Quintessencelivres, Mémo-émoi

18 Réponses

  1. ça a l’air surprenant en effet, dans cet océan de conformisme littéraire !

    28 juin 2021 à 07:12

    • Très rafraîchissant, et vraiment bien conçu, loin de tout gadget et de toute facilité. Ça fait du bien !

      28 juin 2021 à 07:19

  2. J’aime beaucoup l’idée :)

    28 juin 2021 à 08:44

  3. Très bel article ! Je recommande vivement la lecture des précédentes œuvres de Pierre Raufast : bien que le procédé narratif ne soit pas le même, ça reste assez peu linéaire et fort divertissant.

    28 juin 2021 à 08:59

    • C’est bien noté ! En fait, je tourne autour de ses livres depuis longtemps, sans jamais m’y mettre, ça arrive… Son passage aux Forges de Vulcain, plus la promesse très particulière de ce roman, m’ont fait passer le cap, et j’en suis fort content.
      Sans aucun doute, je rattraperai prochainement une partie de mon retard en en lisant ses précédents. Et tant mieux s’ils sont différents ! C’est ça qui est amusant, la diversité :)

      29 juin 2021 à 07:33

  4. seulement un chapitre déconnecté ? ;-)

    28 juin 2021 à 19:41

    • Ahah, j’avais plus ou moins prévu de me faire reprendre sur le sujet, mais pas forcément par l’auteur en personne ;-)
      J’aurais dû préciser que je n’en ai trouvé qu’un, en me doutant qu’il devait y en avoir d’autres… Mais sans certitude, j’ai préféré rester évasif :)
      J’espère découvrir le(s) prochaine(s) trappe(s) lors de mes prochaines relectures !

      29 juin 2021 à 07:29

  5. Oh, tu fais bien de me donner un coup de pied aux fesses de ma mémoire, je l’avais noté et puis, j’ai oublié d’aller l’acheter !! C’est tout moi, ça :lol:

    Oui, j’avais suivi sa prestation sur LGL et la partie que l’auteure d’origine américaine n’avait pas comprise (bavasaka), lorsqu’elle en a parlé, ça a tilté de suite puisque je connaissais ce petit exercice vocal pas facile à faire :)

    29 juin 2021 à 18:41

    • Le coup de pied est offert, et administré en douceur – mais avec fermeté : c’est un livre qui mérite une place dans une de tes vingt-quatre PAL :-p

      1 juillet 2021 à 16:58

      • Oui, en douceur, merci :lol:

        1 juillet 2021 à 21:26

  6. Je suis maintenant très curieuse !

    20 juillet 2021 à 04:08

  7. justine

    bonsoir, après moultes relectures, je n’ai pas trouver comment accéder au chapitre 58 ???
    sinon, j’ai adorer découvrir tous ces chemins de vies et tous ces possibles !

    22 octobre 2021 à 22:19

    • Pfiouh ! Je suis allé le relire, et impossible de savoir si j’y suis passé ou non

      24 octobre 2021 à 08:07

    • Pfiouh ! Je viens de le relire, et impossible de me rappeler si j’y suis passé ou non… Pourtant, cela paraît une possibilité plausible, mais en relisant certains chapitres mexicains, j’ai eu l’impression qu’on ne pouvait pas soustraire Lorenzo à sa terrible épreuve…
      Bon, il faudrait le relire, quoi ;-)
      (Et pas de souci pour les fautes, j’en fais moi aussi sur mon téléphone quand j’écris vite et que le correcteur automatique glisse des suggestions pas tout à fait cohérentes dans mes phrases :D )

      24 octobre 2021 à 08:15

  8. justine

    désolée pour les fautes d’orthographe, sur mon téléphone, tard le soir, j’ai du mal !

    22 octobre 2021 à 22:21

  9. Pingback: Toujours + ! (un bilan de 2021) | Cannibales Lecteurs

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