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À première vue : la rentrée Zoé 2021


Intérêt global :


À première vue, j’ai connu des rentrées plus excitantes chez les éditions Zoé. D’un côté, on ne peut pas briller tout le temps (ce que cette excellente maison suisse parvient à faire très régulièrement) ; d’un autre, ces quatre textes auront sans doute plus d’intérêt pour d’autres que moi.
Donc, comme d’habitude, je vous les confie et vous laisse vous faire votre propre idée !


La Patience du serpent, d’Anne Brécart

Christelle et Greg, des amateurs de surf dans la trentaine, sillonnent le monde en minibus avec leurs deux petits garçons, s’installant près des meilleurs spots et vivant de petits boulots.
À San Tiburcio, sur la côte mexicaine, ils s’acclimatent et font la rencontre d’une jeune villageoise. Cette dernière entraîne Christelle dans une relation vertigineuse qui bouleverse leur vie de famille.
C’est le septième roman d’Anne Brécart, publié comme les six précédents par les éditions Zoé.


Je vais ainsi, de Hwang Jungeun
(traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot)

So Ra, la grande sœur douce et rêveuse, Na Na, la cadette déterminée et libre, et Na Ki, le frère de cœur, prennent tour à tour la parole pour raconter leur rencontre et l’enfance dans l’appartement commun, la grossesse de la deuxième et le séjour au Japon du troisième, qui l’a transformé. À travers ces voix à l’imaginaire propre, événements et situations se déploient dans leurs nuances. Première traduction en français.

Reconnaissances, de Catherine Safonoff
Au soir de sa vie, une auteure se relit. Ses livres sont des îlots dans sa mémoire et elle cherche à relier ces repères. Sa relecture est relecture de soi. Grave, mais régulièrement drôle aussi. De ce voyage dans le passé, elle choisit les heures claires, souvenirs inaltérables de lieux propices. Une autofiction évoquant l’amour pour le père et la mère, la difficulté à être soi, à être fille comme à être mère.

Les vies de Chevrolet, de Michel Layaz
Biographie romancée de Louis Chevrolet, né en Suisse en 1878 et qui grandit en Bourgogne où il travaille comme mécanicien pour vélos, avant de gagner l’Amérique en 1900. Il dessine des milliers de moteurs, acquiert une notoriété en tant que pilote, puis devient entrepreneur en fondant la marque qui porte son nom avec William Durant, futur fondateur de la General Motors, qui la lui rachète.

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Pourquoi je n’ai pas dépassé la page 50 : La Vengeance m’appartient, de Marie Ndiaye

Éditions Gallimard, 2021

ISBN 9782072841941

240 p.

19,50 €


Me Susane, quarante-deux ans, avocate récemment installée à Bordeaux, reçoit la visite de Gilles Principaux. Elle croit reconnaître en cet homme celui qu’elle a rencontré quand elle avait dix ans, et lui quatorze — mais elle a tout oublié de ce qui s’est réellement passé ce jour-là dans la chambre du jeune garçon. Seule demeure l’évidence éblouissante d’une passion.
Or Gilles Principaux vient voir Me Susane pour qu’elle prenne la défense de sa femme Marlyne, qui a commis un crime atroce… Qui est, en vérité, Gilles Principaux ?


(En préambule, je rappelle à toutes fins utiles que l’objet de cette rubrique n’est pas (forcément) de dire que le livre en question est si mauvais que je n’ai pas réussi à le terminer. Au contraire, la plupart du temps, il s’agit plutôt d’essayer d’expliquer pourquoi, en dépit de ses qualités – et en raison de ses partis pris -, il ne m’a pas convenu.)

Sans jamais avoir lu une ligne de ses livres, je me suis fait du travail de Marie Ndiaye une image assez respectueuse, voire intimidante. D’abord publiée aux éditions de Minuit (où elle décroche le prix Fémina en 2001 pour Rosie Carpe), puis chez Gallimard, où elle obtient le Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes, elle est, à 53 ans seulement, à la tête d’une œuvre déjà imposante incluant plus d’une dizaine de romans et recueils de nouvelles, autant de pièces de théâtre et quelques textes pour la jeunesse.

Je ne sais pas si La Vengeance m’appartient est à l’image de son travail passé. Mais si c’est le cas, je ne suis pas sûr d’y revenir. (Il est probable que ce ne soit pas le cas. Femme à l’évidence brillante, j’ai le sentiment qu’elle n’est pas du genre à mettre deux fois les pieds dans le même sabot.)

Je ne nie nullement l’intelligence extrême à l’œuvre dans ce livre, évidente dès les premières lignes. Tout, dans le style de Marie Ndiaye, est pensé, pesé ; c’est bien le livre d’une auteure posée, maîtresse d’une écriture qui se déploie en phase avec son propos. En l’occurrence, le portrait d’une femme, simplement désignée sous son nom et l’attribut de sa profession, Me Susane. Avocate quarantenaire, sans envergure, dont les débuts à la tête de son cabinet sont laborieux, et qui s’efforce de composer avec les attentes de tous et toutes autour d’elle, à commencer par ses parents, éperdus d’espoir pour elle mais déçus par son manque de réussite flagrant. Même lorsqu’elle hérite d’un dossier criminel de grande envergure, qui va lui causer plus de soucis que de prestige.

Pour développer ce personnage, Marie Ndiaye avance à reculons et par chausse-trappes. Elle nous donne à lire toutes ses réflexions, en particulier tout ce qu’elle n’ose pas dire aux autres. Ce qui donne de longs passages en italiques, explicitant par le détail une pensée qui ne s’exprime jamais.
Le procédé est intéressant, et permet de concrétiser l’immobilisme de la protagoniste, le blocage essentiellement constitutif de son caractère.

S’y ajoute un recours massif aux adjectifs et aux adverbes, comme autant de signaux incarnant les sentiments mêlés et extrêmes de Me Susane. Un choix qui va à l’encontre d’un des conseils les plus fréquemment adressés aux apprentis littérateurs : proscrivez autant d’adverbes que possible, et méfiez-vous des avalanches d’adjectifs. Il faut du talent pour s’opposer à cette sage remarque, et Marie Ndiaye, évidemment, n’en manque pas. Pour autant, je ne peux pas dire que j’adhère. Face à une telle débauche, j’ai tendance à subir. Ici, ça n’a pas raté.

Si je comprends les partis pris de la romancière, j’avoue m’être très vite ennuyé. Impossible de me passionner pour les tergiversations de cette anti-héroïne, ni de vibrer à l’écriture de Marie Ndiaye, que j’ai trouvé trop chargée, voire invraisemblable dans certains dialogues.
Qui irait dire (au téléphone, en plus) : « Ce garçon, maman, c’est l’enkystement d’une pure joie ! »
(Je ne sais même pas ce que c’est censé signifier, je l’avoue…)
J’imagine que c’est fait exprès. C’est peut-être même censé être drôle, ou ironique, ou que sais-je encore. Ce genre de subtilités me passe au-dessus de la tête, et je n’ai guère de temps à perdre à me mettre sur la pointe des pieds pour tenter de les attraper.

La Vengeance m’appartient est l’exemple même de texte trop cérébral pour moi, où il me semble que le soin apporté à la forme finit par écraser le propos, par le mettre trop à distance. Pas le genre de prose qui me parle ni qui me touche, je la laisse sans remords à ses nombreux amateurs et admirateurs.


La Demoiselle à cœur ouvert, de Lise Charles

Éditions P.O.L., 2020

ISBN 9782818050736

352 p.

21 €


RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020


Octave Milton, un écrivain français réputé, obtient une place de pensionnaire à la Villa Médicis de Rome, sur la foi d’un projet fumeux de roman familial puisant ses racines dans la capitale italienne. Arrivé sur place, il fait la connaissance des autres artistes qui vont, comme lui, résider durant un an dans le prestigieux établissement. Loin de s’investir dans son propre travail, Milton procrastine, ce dont atteste son abondante correspondance électronique avec son agente et ancienne amante, mais aussi avec sa mère, son frère, et différentes personnes sollicitant son attention par mail.
Peu à peu, pourtant, il commence à puiser de l’inspiration dans certaines de ses rencontres, détournant la fascination qu’il exerce en particulier sur la gent féminine pour en tirer une matière littéraire souvent cruelle. Le genre de petit jeu qui, si on ne respecte pas certaines limites, peut avoir des conséquences dramatiques…


Drôle de livre. Très accrocheur d’emblée, pour qui n’est pas rétif à la forme épistolaire. Car La Demoiselle à cœur ouvert est entièrement composé d’échanges de mails entre Octave Milton et ses différents correspondants. Du point de vue stylistique, on est bien sûr très loin de l’élégance et du déploiement de langue des Liaisons dangereuses. L’écriture électronique implique souvent de la brièveté, du pragmatisme, presque une absence de forme, autant de caractéristiques qui pourraient décourager tout déploiement littéraire.

Sauf que Lise Charles est maligne. En choisissant un écrivain comme protagoniste, elle dispose d’une voix dont le métier est d’écrire convenablement. Elle peut ainsi jouer de la contrainte du mail, alterner entre messages très brefs, parfois expéditifs, et d’autres plus développés, où la voix de son personnage prend son ampleur. Au fil du livre, on se rend compte que l’architecture d’ensemble est parfaitement pensée, certains messages se répondant par exemple à plusieurs dizaines de pages d’écart, d’autres jouant avec humour du fait que plusieurs correspondances peuvent se croiser au même moment, ce qui crée des décalages drolatiques.
Bref, aucune facilité dans ce choix formel, La Demoiselle à cœur ouvert est au contraire un véritable travail d’écrivain, intelligent et maîtrisé.

Vient le problème du choix du cadre de l’intrigue, et de ses conséquences.
Le délicieux petit monde de l’édition est régulièrement mis en scène dans la littérature française, suscitant chez le lecteur un intérêt souvent inversement proportionnel à la fréquence de ses apparitions. Il faut reconnaître que les préoccupations des acteurs de Saint-Germain-des-Prés peuvent paraître bien éloignées de celles des lecteurs…
Par je ne sais quel miracle, Lise Charles parvient à contourner cet écueil, en dépit du fait qu’elle n’hésite nullement à évoquer des personnalités bien réelles – Muriel Mayette par exemple, ancienne directrice de la Comédie-Française, à la tête de la Villa Médicis de 2015 à 2018 ; ou son mari, sans doute plus connu du grand public qu’elle, puisqu’il s’agit de Gérard Holtz (le récit de la visite de la Villa menée par ce dernier est un délicieux moment du livre !) On n’est pas loin du « name dropping »… et pourtant non. Bizarrement, le dispositif fonctionne sans qu’on ait l’impression d’être exclu du récit, comme d’une blague dont on ne comprendrait pas les ressorts comiques.

La Demoiselle à cœur ouvert échappe d’autant moins à cette problématique que la romancière a choisi de l’inscrire dans une période très particulière de la maison P.O.L.
En effet, Octave Milton se trouve à la Villa Médicis de septembre 2017 à août 2018 (peu ou prou). Or, le 2 janvier 2018, en plein cœur de cette période, Paul Otchakovsky-Laurens, le fondateur de P.O.L., s’est tué en voiture sur une route de Guadeloupe, semant chagrin et consternation chez ses proches, ses fidèles collaborateurs et bien sûr ses auteurs.
Avec beaucoup de pudeur, l’événement est relaté dans le livre, où l’on croise des messages de Jean-Paul Hirsch, directeur commercial de la maison (bien connu et très apprécié des libraires) et de Frédéric Boyer, successeur de Paul Otchakovsky-Laurens à la tête des éditions portant ses initiales, et où Octave Milton se fait bien sûr l’écho de la profonde tristesse ayant frappé Lise Charles et tous ses collègues écrivains.
Quiconque travaille dans le milieu du livre garde un mauvais souvenir de cette effroyable nouvelle, et c’est pourquoi, sans doute, ce passage m’a marqué et touché. Le lectorat moins averti y sera-t-il sensible ?

En même temps, il faut sûrement se poser la question d’une autre manière.
Les lecteurs réguliers des éditions P.O.L. ne seraient-ils pas un peu plus avertis que les autres ?
À quelques exceptions peut-être plus « grand public » ou plus médiatiques que d’autres (Emmanuel Carrère, Martin Winckler), les livres publiés par cette maison ciblent précisément un lectorat un peu plus avisé.
Sans snobisme aucun, simplement parce qu’il en faut pour tous les goûts, toutes les envies, toutes les curiosités, tous les niveaux de lecture. Et qu’on a autant besoin en France, pour sauvegarder la variété et la richesse de la production, d’un P.O.L. que d’un Michel Lafon. (Pas tout le temps, Michel Lafon, non plus, hein. Faut pas déconner.)

Du reste, Lise Charles fait du milieu littéraire un bouillon de cuisine dont elle tire une bonne partie de la saveur de son roman. Par la voix volontiers sardonique de son protagoniste, elle se montre mordante, vacharde, irrévérencieuse. Elle égratigne joyeusement les travers d’acteurs n’ayant souvent de « culturels » que l’horrible prétention et l’insupportable orgueil.
Elle fait de la Villa Médicis une sorte de laboratoire où mijotent l’opportunisme, le cynisme, la méchanceté, l’égoïsme – de quoi se demander ce que va penser la vénérable institution de ce tableau peu flatteur, surtout de la part d’une de ses anciennes pensionnaires…

Cet art du coup de griffe est l’une des forces du livre. Il lui procure de l’humour, une vision sans concession des petits mondes étriqués de la culture, cet univers où circule parfois beaucoup d’argent pour pas grand-chose. On s’amuse donc beaucoup, sans avoir besoin d’être initié.

Contrairement aux apparences, ceci n’est pas une pub

Surtout, La Demoiselle à cœur ouvert ne se limite pas à cet aspect. Passée la mise en place du cadre et des personnages, et à la suite d’Octave Milton qui découvre peu à peu ses nouvelles sources d’inspiration, le roman s’enrichit de scènes et d’échanges superbes, où il va être question de passion amoureuse, et surtout d’enfance et d’adolescence – aspect sur lequel je ne souhaite pas m’étendre, car il survient tardivement dans le récit, mais y joue un rôle déterminant, jusqu’à la chute brutale et cruelle sur lequel se referme le livre.
Sans qu’on sache jamais vraiment où se placer, tant le protagoniste est à la fois manipulateur et humain, en recherche d’idées comme de sentiments, si bien que son parcours sur une corde raide dont il ignore la présence sous ses pieds finit par devenir aussi fascinant qu’inexorable.

J’avais commencé la lecture de ce roman après en avoir parlé avec une collègue et amie (coucou Géraldine) qui avait su trouver les mots justes pour éveiller ma curiosité. Sur le papier, je n’en attendais pas grand-chose. Je n’en ai sans doute que plus apprécié cette lecture inattendue, souvent magnétique, parfois agaçante, mais dans l’ensemble très stimulante – notamment dans sa dernière partie, remarquable. Pour ceux que le résumé interpelle, je conseille !


À première vue : la rentrée Gallmeister 2020

gallmeisterlogo


Fidèle à ses habitudes, Gallmeister affiche une rentrée ramassée (trois titres), entièrement consacrée à la littérature américaine, tout en prenant des risques : autour de Benjamin Whitmer, auteur installé de la maison, on pourra en effet découvrir deux premières traductions.
Du solide, du classique, et la possibilité de belles lectures.


Intérêt global :

joyeux


Benjamin Whitmer - Les dynamiteursLes dynamiteurs, de Benjamin Whitmer
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos)

Quatrième traduction de l’explosif (ah ah) Benjamin Whitmer, après les noirissimes Pike, Cry Father et Évasion. Les deux premiers étaient contemporains, le troisième remontait aux années 60 ; ce nouvel opus nous ramène à la fin du XIXème siècle, du côté de Denver. Sam et Cora, deux jeunes orphelins, règnent sur une bande d’enfants abandonnés, qu’ils protègent des attaques lancées par les clochards des environs, lesquels en veulent à l’usine désaffectée où ils ont élu domicile. Lors d’une bataille, un homme porte secours aux enfants, au risque de sa vie. Tandis que Cora soigne l’étrange colosse muet, Sam commence à s’intéresser au monde violent et mystérieux des bas-fonds – au risque de briser ce qu’il a construit, dont son amitié avec Cora…
400 pages. Qui dit mieux ?

Andy Davidson - Dans la vallée du soleilDans la vallée du soleil, d’Andy Davison
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Laure Manceau)

Attention, premier roman inclassable. Son protagoniste, Travis Stillwell, parcourt les routes du Texas en quête de femmes solitaires. Un soir, le cours d’une de ces rencontres lui échappe. Lorsqu’il se réveille le lendemain, la fille a disparu et il est couvert de sang. Sauf que la fille réapparaît pour le hanter, menaçant de le détruire. Travis se réfugie dans un motel où, contre toute attente, il se lie avec la jeune veuve qui le tient ainsi qu’avec son fils. Mais les fantômes de Travis ne le lâchent pas…
480 pages. Qui dit mieux ?

Tiffany McDaniel - BettyBetty, de Tiffany McDaniel
(traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe)

Deuxième traduction pour Tiffany McDaniel en France après L’été où tout a fondu, paru l’année dernière chez Joëlle Losfeld.
Sixième des huit enfants d’un père cherokee et d’une mère blanche, Betty « la Petite Indienne » souffre, comme les siens, de difficultés à s’intégrer en raison de son sang mêlé. Pour affronter l’errance, en quête du havre de paix qui doit bien exister quelque part pour enfin les accueillir, et la violence sourde du monde des adultes, Betty écrit. Elle confie au pouvoir des mots la charge de la garder debout. Les pages qu’elle rédige, elle les enterre tout au long de son chemin – en espérant qu’un jour, ces fragments souterrains ne forment plus qu’une seule histoire, la sienne et celle de sa famille…
Bon, allez, 720 pages et on n’en parle plus.


BILAN


Pour apprécier cette rentrée Gallmeister, il faudra avoir un peu de temps devant soi.
Potentiellement, tout m’intéresse, mais il sera difficile de tout lire.
Donc, pour l’instant, je ne tranche pas… On verra le moment venu !


À première vue : la rentrée Actes Sud 2020

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Intérêt global :

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Choix de l’ordre alphabétique oblige, honneur donc à la petite maison arlésienne devenue très grande. J’ai dénombré neuf nouveautés à paraître dans cette rentrée, ce qui est encore beaucoup mais plus modéré que les années précédentes (treize en 2018, par exemple).
Du côté des petits événements du monde éditorial, Actes Sud enregistre l’arrivée de Muriel Barbery, auteure de L’Élégance du hérisson et transfuge de Gallimard.
Pour le reste, pas de bouleversement à première vue, puisque le programme aligne essentiellement des noms connus de la maison. À tel point qu’on retrouve trois noms déjà présents ensemble lors de la rentrée 2017 (Lafon, Ducrozet, Ferney). On peut déjà dire que cette si particulière rentrée 2020 ne sera pas celle des prises de risque pour Actes Sud.
À suivre tout de même, un premier roman américain particulièrement dans l’air du temps, et qui devrait faire parler de lui.


LA TÊTE D’AFFICHE


Chavirer, de Lola Lafon

Lola Lafon - ChavirerDepuis La Petite communiste qui ne souriait jamais, revisitation romanesque de l’histoire de Nadia Comaneci, Lola Lafon est devenue une valeur sûre d’Actes Sud. Dans ce nouveau roman, elle choisit à nouveau une danseuse comme héroïne – mais une danseuse, non pas de compétition, mais de plateau télé, une artiste qui, par le prisme de la télévision, fait beaucoup pour rendre la danse accessible et populaire auprès du grand public.
Cléo, cependant, cache un terrible secret, ancré dans son adolescence. À l’âge de 13 ans, elle est recrutée par une certaine Fondation de la vocation, qui dissimule une organisation de prédation sexuelle. Victime, elle devient complice et coupable, en convainquant d’autres filles de la suivre dans le piège. Lorsque l’affaire resurgit trente ans plus tard, Cléo doit affronter son passé…
L’écriture précise et exigeante de Lola Lafon, sa finesse et son engagement ont tout pour transcender le sujet et faire de ce livre un jalon de la rentrée.


D’ACTUALITÉ


Margaret Wilkerson Sexton - Un soupçon de libertéUn soupçon de liberté, de Margaret Wilkerson Sexton
(traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laure Mistral)

La saga d’une famille noire de la Nouvelle-Orléans sur trois générations. Les existences d’Evelyn, Jackie et T.C. s’entremêlent et montrent comment, dans une nation en mutation, les maux de la communauté noire américaine restent, eux, les mêmes.
Comme ses personnages, Margaret Wilkerson Sexton est née et a grandi à la Nouvelle-Orléans. Si son premier roman, remarqué aux Etats-Unis lors de sa parution, est de qualité, il devrait occuper l’avancée des tables des libraires et la une de la presse spécialisée en raison de son sujet, évidemment brûlant.


DOMAINE ÉTRANGER


Salman Rushdie - Quichotte (couv FR)Quichotte, de Salman Rushdie
(traduit de l’anglais par Gérard Meudal)

S’il est un romancier contemporain qui a le picaresque dans le sang, c’est bien Salman Rushdie. Rien d’étonnant, donc, à le voir réinventer l’un des personnages les plus emblématiques de la littérature, fleuron de la littérature picaresque né de l’imagination de Cervantes. Histoire de s’amuser un peu, il fait de Quichotte un vieux représentant de commerce qui tombe raide amoureux d’une vedette de la télévision. Il se lance dans une quête épique et amoureuse à travers les États-Unis, accompagné de son fils imaginaire, Sancho.

Enrique Vila-Matas - Cette brume insenséeCette brume insensée, d’Enrique Vila-Matas
(traduit de l’espagnol par André Gabastou)

Deux frères. L’un, Simon, est traducteur de « premiers jets » et fournisseur officiel de citations pour écrivains. L’autre, Rainer, qui vit retiré à New York depuis vingt ans, est devenu un auteur culte, notamment grâce au travail occulte de Simon.
À la mort de leur père, ils se retrouvent pour la première fois à Barcelone, le jour même où la Catalogne proclame son indépendance. Dans une ambiance étrange, tandis que des hélicoptères quadrillent le ciel de la ville, les deux frères se mettent à régler leurs comptes…
Connaissant l’auteur, il faut s’attendre à une réflexion pointue et ludique sur la littérature. Et puis la vie, la mort, tout ça.

Sara Omar - La Laveuse de mortLa Laveuse de mort, de Sara Omar
(traduit du danois par Frédéric Fourreau)

Parce qu’elle est née fille et non garçon, Frmesk est en butte à la violence de son père. Pour la sauver, sa mère décide de la confier à ses propres parents. Lui, colonel à la retraite, est un érudit, éclairé sur tous les sujets, à commencer par l’Islam. Elle est laveuse de mort, qui s’occupe des corps des femmes laissées pour compte. Il faudra toute leur générosité et leur amour pour préserver au mieux la petite fille de la violence et de l’intolérance qui règnent dans leur pays, le Kurdistan…


LA TRANSFUGE


Muriel Barbery - Une rose seuleUne seule rose, de Muriel Barbery

Après quatre romans publiés chez Gallimard, dont son deuxième, L’Élégance du hérisson, fut un triomphe aussi énorme qu’inattendu, Muriel Barbery arrive donc chez Actes Sud.
Dans son nouveau livre, elle raconte l’histoire d’une femme n’ayant jamais connu son père, qui apprend à quarante ans la disparition de ce dernier, et l’existence d’un testament qui la concerne. Elle part au Japon, où vivait ce père inconnu contre lequel elle a élevé un mur de colère. Sur place, guidé par Paul, l’assistant de son père, elle entame un long chemin vers la réconciliation, qui passe aussi par la découverte d’une culture japonaise dont elle va apprendre à se nourrir.


DOMAINE FRANCOPHONE


Alice Ferney - L'intimitéL’Intimité, d’Alice Ferney

Après le beau succès des Bourgeois (2017), une grande saga familiale, Alice Ferney revient avec un roman polyphonique qui suit trois personnages en quête d’amour, de vie de famille, de paternité ou de maternité (ou non). Une réflexion sociétale et éthique, mêlée de considérations philosophiques, qui ausculte notre manière de concevoir la vie intime.

Christian Garcin - Le Bon, la Brute et le RenardLe Bon, la Brute et le Renard, de Christian Garcin

Un « road-trip taoïste », selon son éditeur. On y suit trois Chinois perdus dans le désert californien, qui cherchent la fille de l’un d’entre eux ; deux policiers américains qui, au même endroit, cherchent un autre disparu ; et un journaliste chinois, auteur de romans noirs, qui enquête à Paris sur la disparition de la fille de son patron. Trois intrigues en miroir, au service d’une comédie existentielle. Deuxième roman de Garcin chez Actes Sud, après des passages chez Gallimard, Verdier et Stock.

Magyd Cherfi - La part du SarrasinLa Part du Sarrasin, de Magyd Cherfi

Suite de Ma part de Gaulois, gros succès de 2016, où l’auteur relatait comment il était devenu le premier bachelier de sa cité. Magyd Cherfi, figure du groupe Zebda, poursuit ici son récit autobiographique en racontant l’après-Bac, sa quête d’identité musicale et d’identité tout court, face à la violence et au racisme, dans la nécessité d’inventer de nouvelles voix, de nouvelles manières de chanter la rage et l’espoir.

Pierre Ducrozet - Le grand vertigeLe Grand vertige, de Pierre Ducrozet

Ce pourrait être un roman purement opportuniste sur un autre sujet d’actualité primordial, l’écologie. Le pitch m’intéresse pourtant et donne envie d’espérer. Adam Thobias, pionnier sincère et iconoclaste de la pensée environnementale, se voit proposer la direction très officielle et très politiquement correcte d’une “Commission Internationale sur le Changement Climatique et pour un Nouveau Contrat Naturel”. Loin d’avoir l’intention de se couler dans le moule, il y voit l’occasion d’imposer sa patte sur le sujet et de secouer les immobilismes…

Ilan Duran Cohen - Le petit polémisteLe Petit polémiste, d’Ilan Duran Cohen

Alain Conlang est polémiste professionnelle, passé maître dans l’art des saillies et autres provocations médiatiques qui le rendent populaire, notamment auprès des jeunes, plus qu’ils ne le font détester. Jusqu’au jour où il dérape en laissant échapper, dans un dîner mondain terrassant d’ennui, une remarque sexiste. Une limite est franchie, qui précipite le provocateur de l’autre côté de la barrière, le mauvais côté, où l’on devient le sujet des polémiques, et d’où il semble impossible de sortir par le haut…


BILAN


Lectures potentielles :
Chavirer, de Lola Lafon
Le Grand vertige, de Pierre Ducrozet

Et :
Un soupçon de liberté, de Margaret Wilkerson Sexton


Par les routes

bannièreprudhomme


Sacha, un écrivain, décide de quitter Paris pour s’installer dans une petite ville du sud-est de la France, afin d’y retrouver le calme qui lui manquait de plus en plus dans la capitale pour travailler en paix. Ses bonnes intentions sont très vite battues en brèche : dans ce coin paisible de France, il a la surprise de retrouver un vieil ami de jeunesse, perdu de vue depuis longtemps. Un éloignement volontaire, car l’amitié de l’autostoppeur était aussi singulière que pesante.
L’autostoppeur ? Ainsi le désigne-t-il, car cet ami étrange avait alors une manie : celle de prendre la route, du jour au lendemain, et de voyager à l’instinct vers une destination hasardeuse en ne faisant que de l’autostop. Aujourd’hui, Sacha le retrouve en couple, père de famille, calme et rangé. En apparence du moins. Car il pratique toujours son art singulier de l’autostop. Et l’arrivée de Sacha semble le pousser à repartir, plus que jamais, laissant son ami prendre soin de Marie, sa compagne, et de son fils Agustín…


opale56620 06Certes, le voyage n’est pas le sujet principal de Par les routes, en dépit de son titre. Hormis à la fin, jamais on ne quitte cette petite ville du sud où Sylvain Prudhomme a installé son narrateur et son intrigue.
Mais cette idée d’autostoppeur compulsif est une merveille, qui autorise le romancier à des escapades par correspondance (dans tous les sens du terme, car l’autostoppeur aime envoyer des cartes depuis les coins où il échoue) souvent poétiques, parfois amusantes, quand le voyageur instinctif s’amuse à collecter les noms de villes et villages originaux, significatifs ou cocasses.

On devrait détester ce personnage en apparence égoïste, capable de délaisser une compagne et un fils attachants pour ces épopées routières sans signification flagrante. On pourrait lui en vouloir, ou en être jaloux. Mais la finesse du romancier nous l’interdit, qui nous laisse nous emparer du mystère pour mieux aimer ses personnages, s’interroger avec eux, et sonder leurs failles et leurs passions, leurs doutes et leurs espoirs.

pèrefilsPar les routes aurait pu être un pensum nombriliste, creux et sans âme. C’est au contraire un livre sensible, étonnamment lumineux, en tout cas optimiste ; résolument ouvert sur le monde, sur les autres, sur la nature et ses paysages qui jamais ne se ressemblent. C’est une déclaration d’amour aux gens, à l’humain, à l’aventure ou à son dédain. C’est un roman vibrant de belles choses, sur l’amour, la relation père-fils, l’amitié, la quête de soi, tout ce qui fait l’essentiel de ce que nous sommes.

De prime abord, le style de Sylvain Prudhomme semble pourtant pratiquer une forme de neutralité bienveillante où la langue ne prend pas vraiment parti. Les dialogues ne sont pas mis en valeur de manière usuelle (guillemets et/ou tirets), ils sont intégrés au récit et cherchent à restituer le caractère ordinaire de nos mots lorsque nous discutons.
Toujours se méfier de l’eau qui dort…
autoroutepanneauIl en résulte une forme fluide, comme en retrait, dont la fausse réserve va en réalité constituer une arme pour saisir au plus près la vérité des personnages. Leurs émotions, le cœur de leurs pensées, la valeur de leurs idées et la foi fragile en leurs idéaux. Le phrasé de Prudhomme crée un envoûtement discret, se fait caisse de résonance où vibre en écho l’éveil de nos propres sentiments, avec un mélange d’intime et de pudeur parfaitement dosé.

Très vite, je me suis surpris à marquer des pages, pour en retenir de nombreux passages d’une justesse rare à mes yeux. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué cet exercice. Signe que Par les routes touche juste, souvent, sur des sujets très divers – notamment sur l’écriture, la force des mots et des signes, l’importance vitale de la langue dans la vie de nos esprits. Que le narrateur soit écrivain, et Marie traductrice, est évidemment tout sauf un hasard, et ouvre la porte à ces réflexions d’une pertinence rassurante.

Église_de_Camarade

Église du village de Camarade (Ariège) – Par Paternel 1 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=50186285

Paru en automne dernier, Par les routes fut à l’époque l’un des rares livres de la rentrée à m’intéresser, puis à m’enthousiasmer. Il a reçu le Prix Femina 2019. Une récompense méritée qui aura permis, sans doute, de faire découvrir Sylvain Prudhomme à davantage de lecteurs. En espérant que nombre d’entre eux auront autant adoré que moi partir avec lui par les routes.


A première vue : la rentrée Actes Sud 2017

La fin des présentations de rentrée littéraire approche, et…

En attendant, causons des éditions Actes Sud, qui abordent leur première rentrée avec leur patronne à la tête du Ministère de la Culture – ce qui n’a aucun rapport, certes. A vrai dire, je glose et tournicote parce que je ne sais pas bien dans quel sens prendre le programme de la maison arlésienne, gros plateau qui fait la part belle à la littérature étrangère (sept titres) et avance quelques auteurs importants – dont deux retours attendus, ceux de Don DeLillo et Kamel Daoud. Bref, l’assiette est bien remplie et présente joliment, reste à savoir si les mets seront de qualité.

Daoud - Zabor ou les psaumesSHÉHÉRAZADE : Zabor ou les Psaumes, de Kamel Daoud
Après un recueil de nouvelles salué d’un succès d’estime, Kamel Daoud a fracassé la porte de la littérature francophone avec Meursault, contre-enquête, premier roman choc en forme de réécriture de L’Étranger de Camus du point de vue arabe. Connu pour l’exigence de sa pensée, le journaliste algérien est forcément très attendu avec ce deuxième roman racontant l’histoire d’un homme qui, orphelin de mère et négligé par son père, se réfugie dans les livres et y trouve un sens à sa vie. Depuis, le seul sens qu’il donne à son existence est le geste d’écriture. Jusqu’au jour où son demi-frère, qu’il déteste, l’appelle au chevet de son père mourant…

Lafon - Mercy, Mary, PattySTARMANIA : Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon
Révélée elle aussi grâce à son précédent roman, La Petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon s’empare d’un fait divers américain qui a défrayé la chronique dans les années 1970 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst (qui avait en son temps inspiré Orson Welles pour son Citizen Kane), par un groupuscule révolutionnaire ; à la surprise générale, la jeune femme a fini par épouser la cause de ses ravisseurs et été arrêtée avec eux. Une professeure américaine, assistée d’une de ses étudiantes, se voit chargée par l’avocat de Patricia de réaliser un dossier sur cette affaire, pour tenter de comprendre le revirement inattendu de l’héritière.

Ferney - Les bourgeoisC’EST COMME LES COCHONS : Les Bourgeois, d’Alice Ferney
Les Bourgeois, ce sont dix frères et sœurs nés à Paris entre les deux guerres mondiales. À leur place dans les hautes sphères, ils impriment le cours de l’Histoire de leurs convictions et de leurs actes. En suivant les trajectoires de cette fratrie, Alice Ferney retrace les énormes bouleversements du XXème siècle, des gigantesques conflits planétaires à l’avènement des nouvelles technologies en passant par mai 68 et les décolonisations.

Ducrozet - L'Invention des corpsTHE CIRCLE : L’Invention des corps, de Pierre Ducrozet
En septembre 2014, une quarantaine d’étudiants mexicains sont enlevés et massacrés par la police. Rescapé du carnage, Alvaro fuit aux États-Unis, où il met ses compétences d’informaticien au service d’un gourou du Net fasciné par le transhumanisme. Une réflexion pointue sur les risques et dérives de notre monde ultra-connecté et amoralisé.

Dion - ImagoRELAX, DON’T DO IT : Imago, de Cyril Dion
Un jeune Palestinien pacifiste quitte son pays et traverse l’Europe à la poursuite de son frère, parti commettre l’irréparable à Paris, dans l’espoir de l’empêcher de passer à l’acte. Un premier roman qui tutoie l’actualité. Risqué ?

Gallay - La Beauté des joursLA VIE PAR PROCURATION : La Beauté des jours, de Claudie Gallay
Heureuse en mariage, mère comblée de deux filles jumelles désormais étudiantes, Jeanne mène une existence paisible. La découverte de l’œuvre de l’artiste Marina Abramovic lui ouvre la porte d’autres possibles où l’imprévu est roi.

*****

Delillo - Zéro KPROMETHEUS : Zéro K, de Don DeLillo
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
Le dernier roman de Don DeLillo, Cosmopolis (adapté au cinéma par Cronenberg avec Robert Pattinson), date en France de 2012. C’est donc le retour attendu d’un auteur américain exigeant, très soucieux de la forme et porteur d’une vision ténébreuse des États-Unis en particulier et du monde en général.
Pas d’exception avec ce nouveau livre : Zéro K y est le nom d’un centre de recherches secret qui propose à ceux qui le souhaitent de s’éteindre provisoirement, de mettre leur vie en stand by en attendant que les progrès de la science permettent de prolonger l’existence et d’éradiquer les maladies. Un homme richissime, actionnaire du centre, décide d’y faire entrer son épouse, condamnée à court terme par la science, et convoque son fils pour qu’il assiste à l’extinction programmée de la jeune femme…
Un sujet déjà abordé en littérature ou au cinéma, mais dont on espère que DeLillo le poussera dans ses derniers retranchements philosophiques.

Zeh - BrandebourgDU VENT DU BLUFF DES MOTS : Brandebourg, de Julie Zeh
(traduit de l’allemand par Rose Labourie)
Des Berlinois portés par une vision romantique de la campagne débarquent dans un village du Brandebourg, État de l’ex-R.D.A., avec sous le bras un projet de parc éolien qui n’enthousiasme guère les paysans du coin. Une lutte féroce débute entre les deux clans, attisée par une femme qui manipule volontiers les sentiments des uns et des autres pour en tirer profit… La plume mordante et le regard acéré de Julie Zeh devraient s’épanouir au fil des 500 pages de ce concentré d'(in)humanité dans toute sa splendeur.

Clemot - PolarisALIEN 28 : Polaris, de Fernando Clemot
(traduit de l’espagnol par Claude Bleton)
Océan Arctique, 1960. Dans un vieux rafiot au mouillage devant l’île de Jan Mayen, dans un paysage fermé, glacial et désertique, le médecin de bord est confronté à la folie inexplicable qui a gagné l’équipage (résumé Électre). La mer, le froid, un huis clos flippant sur un bateau… Pitch court, tentation forte !

Trevi - Le Peuple de boisGOOD MORNING ITALIA : Le Peuple de bois, d’Emanuele Trevi
(traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)
En Calabre, un prêtre défroqué anime une émission de radio où son esprit satirique s’en donne à cœur joie. Si les auditeurs suivent et se réjouissent de sa liberté de ton, les puissants grincent des dents…

Affinity K - MischlingL’ANGE DE LA MORT : Mischling, d’Affinity K
(traduit de l’américain par Patrice Repusseau)
Le terme « Mischling » en allemand désigne les sang-mêlé. C’est parce qu’elles en sont que deux sœurs jumelles sont envoyées à Auschwitz et choisies par le docteur Mengele pour mener sur elles ses terrifiantes expériences. Pour résister à l’horreur, les fillettes de douze ans se réfugient dans leur complicité et leur imagination. Peu avant l’arrivée de l’armée russe, l’une des deux disparaît ; une fois libérée, sa sœur part à sa recherche… Terrain très très glissant pour ce roman, tant il est risqué de « jouer » avec certains sujets. Auschwitz et les expériences de Mengele en font partie.

El-Thouky - Les femmes de KarantinaOÙ TOUT COMMENCE ET TOUT FINIT : Les femmes de Karantina, de Nael al-Toukhy
(traduit de l’arabe (Égypte) par Khaled Osman)
Saga familiale sur trois générations dans une Alexandrie parallèle et secrète, ce roman offre une galerie de personnages truculents tous plus en délicatesse avec la loi les uns que les autres (résumé éditeur).

CRIME ET CHÂTIMENT : Solovki, de Zakhar Prilepine
(traduit du russe par Joëlle Dublanchet)
Attention, pavé ! L’écrivain russe déploie sur 830 pages une vaste histoire d’amour entre un détenu et sa gardienne, et une intrigue puissamment romanesque pour évoquer l’enfer des îles Solovki, archipel situé dans la Mer Blanche au nord-ouest de la Russie où un camp de prisonniers servit de base et de « laboratoire » pour fonder le système du Goulag.


A première vue : la rentrée P.O.L. 2016

Chez P.O.L. cette année, on retrouve quelques noms connus de la maison (Amigorena, Boyer, Montalbetti) mais pas de grosse pointure médiatique. On attend donc de découvrir de jolies choses (comme Titus n’aimait pas Bérénice, l’un des succès surprises de l’année dernière signé Nathalie Azoulai), avec comme souvent de l’inattendu et du singulier au menu – même si les espoirs sont assez maigres en cette rentrée 2016, soyons honnêtes, à une exception près. Voire deux, avec un peu de chance.

Montalbetti - La vie est faite de ces toutes petites chosesGRAVITY : La Vie est faite de ces toutes petites choses, de Christine Montalbetti
Dans l’espace, comment dort-on, comment fait-on la cuisine ou du sport ? A quoi pense-t-on avant le décollage de la navette qui doit vous emmener vers les étoiles ? Drôles de questions, n’est-ce pas ! Christine Montalbetti y répond, entre autres, dans ce roman extrêmement original qui nous fera découvrir toute la vie entourant l’aventure spatiale, au fil de petites scènes curieuses, surprenantes, amusantes… Assurément, un OVNI littéraire en perspective !

Bermann - Amours sur mesureLOVE ACTUALLY : Amours sur mesure, de Mathieu Bermann
Ah, l’amour ! Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, ce sera toujours un sujet pour les écrivains. Et c’est donc celui choisi par Mathieu Bermann pour son premier roman, dans lequel il ambitionne d’en cerner toutes les facettes : amitié, plan cul d’un soir, rencontre de hasard, affection, amour durable d’un couple…

Amigorena - Les toutes premières foisVERNISSAGES : Les premières fois, de Santiago H. Amigorena
Avec un titre pareil, vous me voyez venir, il va forcément être question d’amour. Oui, mais pas que – ouf ! Amigorena entreprend d’évoquer l’exaltation infinie que l’on ressent au moment où l’on accomplit en toute conscience quelque chose pour la première fois – tout en sachant que ce sentiment incroyablement puissant ne sera jamais restitué lors de la deuxième, troisième, dixième ou centième fois… Suivant les pas de son adolescence, il raconte donc ses premières fois, les reliant à la littérature et à l’art d’écrire.

COMME JE VOUS AIME, COMME J’AI PEUR DE VOUS : Yeux noirs, de Frédéric Boyer
Le narrateur tente de raconter un souvenir d’enfance perdu, l’histoire d’une rencontre troublante. Et un prétexte pour causer de quoi ? Hé ben, d’amour, tiens. Cf. Ci-dessus…

RIPLEY : Double nationalité, de Nina Yargekov
Le résumé Électre est vraiment rigolo : « Une jeune femme se réveille dans un aéroport, se questionnant à la fois sur son identité et sur sa destination. Dans son sac, elle dispose de deux passeports et d’une lingette rince-doigts. Que doit-elle faire ? » Bon, pas sûr que le roman soit aussi joueur qu’il n’en a l’air…


Papa, tu es fou, de William Saroyan

Signé Bookfalo Kill

En confrontant la liste de mes lectures et celle des articles publiés sur le blog, il m’arrive de réaliser que j’ai oublié de chroniquer certains livres. Parfois, il s’agit d’omissions volontaires, tel titre m’ayant tant déçu ou énervé que je n’ai pas envie de passer du temps à écrire dessus. Dans d’autres cas, il s’agit de coups de coeur si forts que je ressens le besoin de prendre un peu de distance avec mes émotions – à moins de me trouver dans l’incapacité de les transcrire par des mots – : le résultat est le même au final, pas de chronique.

Saroyan - Papa tu es fouUn an après l’avoir lu, impossible néanmoins de me rappeler pourquoi j’ai passé sous silence le magnifique Papa, tu es fou, de William Saroyan. La réédition ces jours-ci de son pendant féminin (Maman, je t’adore, qui fera l’objet d’un prochain article… si si !!!) me permet de corriger cet oubli, et de vous dire à quel point ce petit texte est précieux, délicieux, bref : indispensable.
L’histoire en est assez simple : les parents du narrateur, un jeune garçon d’une dizaine d’années, sont séparés ; tandis que la mère élève le gamin et sa petite soeur, le père, écrivain sans le sou, vit à quelques kilomètres de là dans une bicoque sur la plage de Malibu. Un jour, le paternel propose à son rejeton de venir vivre quelque temps avec lui, avec l’accord de la mère qui pose comme seule condition à son ex de faire manger l’enfant et de l’emmener à l’école.
Si le papa se plie tant bien que mal à ces règles, il en profite pour inviter son fils à une autre école, celle de la vie, où l’on court sur la plage, où l’on observe le ciel et les coquillages avec toute l’attention requise, où l’on apprend à se débrouiller avec presque rien (surtout sans argent), à se réjouir de tout et à penser par soi-même…

Quelle magnifique bouffée d’air frais ! Sous l’apparente naïveté (totalement maîtrisée) du style de Saroyan, on trouve un texte d’une intelligence éblouissante, qui remet bien des choses à leur place, à commencer par la nécessité de s’affranchir des règles absurdes et du prêt-à-penser. Papa, tu es fou est une ode merveilleuse à la plus pure des relations entre un père et son fils, bien sûr (un papa comme ça, même fauché comme les blés et un peu taré, qui n’en rêverait pas ?), mais c’est aussi un éloge de la liberté sous toutes ses formes, celle qui autorise à prendre la route sur un coup de tête comme celle qui oblige à se méfier des idées toutes faites.

De l’humour, une infinie tendresse, de la cocasserie, un peu de gravité bienvenue, le soleil et la mer de Californie, des recettes de cuisine économes, de belles réflexions sur l’écriture… Tout ça dans un si petit livre ? Mais oui, puisqu’on vous le dit !!!

Papa, tu es fou, de William Saroyan
(Papa you’re crazy, traduit de l’américain par Danièle Clément)
Éditions Zulma, 2015
ISBN 978-2-84304-743-5
144 p., 7,95€

P.S.: tu la vois venir, l’idée cadeau pour la prochaine fête des pères ? ;-)


Pourquoi je n’ai pas dépassé la page 50 : L’Imposteur, de Javier Cercas

Pourquoi choisit-on un livre ? Et surtout, pourquoi en abandonne-t-on la lecture au bout de quelques pages ? C’est le but de cette rubrique que d’expliquer un choix aussi radical, qui ne laisse pas toute sa chance à un auteur et risque de faire passer le lecteur à côté d’un roman peut-être extraordinaire au-delà de la page 50…
Bien évidemment, n’ayant pas lu le livre en entier, il s’agit moins d’en faire une critique que de parler d’une expérience défavorable de lecteur. Nous nous efforcerons donc d’être aussi mesurés que possible, sans rien cacher non plus de notre sévérité, de notre agacement ou de notre déception. Un exercice difficile mais, espérons-le, instructif et intéressant !

*****

En fait de page 50, j’ai achevé ma lecture à la page 128. Pourquoi? Comment?

Cercas - L'ImposteurL’imposteur de Javier Cercas avait tout pour me plaire. La guerre, l’histoire et surtout, un mensonge énorme.
Enric Marco est né en 1921 en Espagne, anti-franquiste durant la Guerre d’Espagne, il s’engage ensuite pendant la Seconde Guerre Mondiale et est déporté au camp de Mauthausen. A son retour, il devient un syndicaliste virulent et une icône nationale pour toute une génération d’Espagnols, un héros de la nation.

Sauf que tout ça, c’est du flan. Il a été démontré que Marco n’a probablement jamais combattu pendant la guerre de 1936 et qu’il était un des travailleurs volontaires pour se rendre en Allemagne, afin de se constituer un petit pécule et revenir riche dans son pays. Il a effectivement été un dirigeant de syndicat, dont il a été éjecté.

En 2005, son secret est découvert par un journaliste. Tout n’est que mensonge.

Javier Cercas nous livre ici un ouvrage assez complexe, entre essai historique, interrogation permanente sur le métier d’écrivain et livre de psychologie sur le mensonge. C’est très difficile de se situer par rapport à tout ça.

J’ai été déçue par le style – attention, je vous rappelle que je n’ai lu que 128 pages sur un livre qui en fait 416 – que j’ai trouvé assez lourd (beaucoup de répétitions, notamment plusieurs pages où chaque phrase débute par « Il dit que »). Peut-être qu’ensuite, cela s’améliore, je ne sais pas.

Pour pouvoir lire et comprendre l’ouvrage, il faut bien s’y connaître en histoire, notamment connaître sur le bout des doigts la chronologie de la Guerre d’Espagne. N’y connaissant rien, j’ai été vite noyée par les lieux, les dates, les noms des personnes citées. Aucun renvoi, aucune note de bas de page pour aider le lecteur novice dans sa compréhension.

Enfin, des quelques pages que j’ai lues, je ne retiens pas grand-chose. Javier Cercas est certes obnubilé sur le fait qu’Enric Marco ait menti tout ce temps à tout le monde, même à sa famille, mais on ne sait pas ce qu’il pense au fond de lui même. Peut-être le sait-on à la fin du livre? L’auteur nous explique sa démarche, son procédé d’écriture mais dévoile très peu ses sentiments à propos de son « personnage », pour ne pas fausser le résultat peut-être? A voir sur les 288 pages restantes.

J’ai préféré arrêter ma lecture car je me noyais dans les eaux de la Bidassoa, entre les lignes de Javier Cercas, et j’ai capitulé. Cannibales à peine entamés, cannibales déjà lassés.

L’imposteur, de Javier Cercas
Éditions Actes Sud, 2015
9782330053079
416p., 23€50

Un article de Clarice Darling.


L’Etrange destin de Katherine Carr, de Thomas H. Cook

Signé Bookfalo Kill

George Gates vit à la surface du chagrin depuis l’enlèvement et l’assassinat de son fils Teddy, sept ans plus tôt, crime atroce dont on n’a jamais retrouvé l’auteur. Veuf – sa femme Celeste était morte en couches -, il écrit des portraits sur des personnalités du cru pour le journal local de Winthrop.
Deux rencontres vont subtilement réorienter le cours de sa vie : Alice, une fillette de douze ans atteinte de progéria dont la mort précoce approche à grands pas ; Arlo McBride, un flic à la retraite qui lui parle de Katherine Carr, une poétesse de Winthrop qui s’est évaporée vingt ans plus tôt, en laissant derrière elle un étrange manuscrit où elle met en scène sa propre vie d’une manière ambiguë. Tout en lisant chaque soir ce texte avec Alice, George se met à enquêter sur le mystère de la disparition de Katherine Carr…

Cook - L'Etrange destin de Katherine CarrJ’ai pour Thomas H. Cook une affection particulière. Voilà un écrivain pour qui le genre policier n’est pas un pis aller, et auquel il apporte toute l’élégance de sa plume et la finesse psychologique d’un esprit affûté. Loin du cliché de l’auteur américain efficace, hyper cadré et limite bourrin (il n’y a heureusement pas que ça outre-Atlantique), Cook signe des romans noirs raffinés, extrêmement bien écrits, plutôt lents, atmosphériques, traversés de thématiques obsessionnelles : le doute, la culpabilité, le soupçon…

On retrouve tout cela dans L’Etrange destin de Katherine Carr, assorti d’une réflexion sur l’écriture : où commence et où s’arrête la fiction, à quoi sert d’écrire (et de lire)… Le motif est omniprésent dans le livre, qui fonctionne comme une poupée russe. Tout commence en effet sur un bateau, qui avance lentement sur un fleuve au milieu d’une jungle (clin d’œil à Au cœur des ténèbres, de Conrad ?) ; le narrateur se met à raconter une histoire à un compagnon de traversée. C’est cette histoire qui constitue le récit central du roman, dans lequel viennent s’enchâsser les chapitres successifs du texte écrit par Katherine Carr, qui raconte sa propre histoire sans que l’on sache jamais clairement ce qui est vrai ou non…

Extrêmement lent, triste et mélancolique, L’Étrange destin… est un livre qui ne s’offre pas facilement, d’abord parce qu’il manie des sujets (les meurtres d’enfants, les grands tueurs en série) par nature étouffants – même si le romancier ne cède jamais à la facilité du sordide, ce n’est pas son genre. Ensuite et surtout, parce que Cook, loin d’asséner des vérités toutes faites, joue plutôt sur le non-dit, le « Non-Visible » (notion essentielle souvent évoquée dans le roman), et laisse à son lecteur une bonne marge d’interprétation et d’imagination.
De plus, l’éclatement du texte de Katherine Carr à l’intérieur du récit le rend parfois complexe à appréhender, surtout qu’il est écrit d’une manière mystérieuse, bourré d’allusions et de références qui ne sont pas toujours décryptées de suite. Difficile à affirmer sans comparaison, mais la traduction m’a d’ailleurs paru parfois un peu lourde, présentant des tournures maladroites qui semblent résulter d’une transcription un peu trop littérale pour sonner français. D’un autre côté, la langue de Cook est d’une exigence et d’une sophistication qui ne doivent pas simplifier le travail.

Néanmoins, il se dégage de L’Étrange destin… une atmosphère bien particulière, avec des images si marquantes qu’elles me reviendront sûrement en mémoire dès que je penserai à ce roman – l’une des grandes forces de Thomas H. Cook. Pour résumer, ce n’est pas le meilleur livre pour découvrir cet auteur, mais si vous connaissez et appréciez déjà son œuvre, vous pouvez y aller sans crainte.

L’Étrange destin de Katherine Carr, de Thomas H. Cook
Traduit de l’anglais (USA) par Philipe Loubat-Delranc
Éditions Seuil Policiers, 2013
ISBN 978-2-02-103017-4
296 p., 19,80€

Ils ont déjà lu et apprécié ce roman : Action Suspense, Le Vent Sombre


Méto t.1 : la Maison, d’Yves Grevet

Signé Bookfalo Kill

64 enfants vivent dans la Maison, une gigantesque bâtisse dont ils ne sortent jamais. Placés sous la surveillance d’adultes tous semblables, les César, ils y sont nourris, vêtus, éduqués, punis lorsqu’ils manquent aux règles. Ce sont tous des garçons. Ils n’ont aucun souvenir ou presque de leur passé. Ils ignorent de quoi sera fait leur avenir, une fois qu’ils seront jugés trop grands pour rester dans la Maison.
Méto est un Rouge, c’est-à-dire l’un des pensionnaires les plus âgés de la Maison. Tandis qu’il est nommé tuteur de Crassus, un petit nouveau qui doit tout apprendre du mode de vie local, il commence à s’interroger sur ce qui l’attend – et à fouiner pour en savoir plus sur les mystères de la Maison et de l’Île sur laquelle elle se trouve. Ce qu’il découvre dépasse largement son imagination et pourrait bien tout changer…

Grevet - Méto t.1, la MaisonÉvacuons tout de suite la question qui fâche – ou du moins qui pourrait fâcher, parce qu’en fait il n’y a pas lieu de le faire : celle du style. C’est très simple, il n’y en a pas. L’écriture d’Yves Grevet est purement factuelle, dénuée de tout lyrisme, évacuant la tentation de la métaphore ; c’est presque une écriture blanche tant elle est dépouillée. Sujet, verbe, complément, phrases courtes et sèches, allant à l’essentiel.
Lors de certaines scènes, j’aurais aimé plus d’engagement, plus de sentiment, pouvoir m’inquiéter davantage, être beaucoup plus ému, effrayé ou passionné. Ce que d’autres grands auteurs français contemporains pour la jeunesse – Timothée de Fombelle, Jean-Claude Mourlevat, Marie-Aude Murail, pour ne citer que les plus éminents – savent si bien susciter, par la grâce d’une écriture ambitieuse, pleine de souffle et de caractère.

C’est le choix de l’auteur et il est respectable. Car en-dehors de ça, quelle efficacité ! Grevet mène son histoire tambour battant, avec un souci de clarté qui se met toujours au service de l’intelligence du récit et de ses thématiques.
D’abord, le romancier nous balance illico dans le mystère, sans explication préalable. L’immersion dans l’intrigue est immédiate, l’addiction assurée. On veut comprendre, découvrir qui sont ces enfants reclus dans la Maison, à quoi ils sont destinés, qui sont les César, pourquoi il n’y a pas de filles…
De Méto le narrateur à ses amis, les personnages trouvent tous leur personnalité – détail capital d’autant plus à souligner que Grevet ne leur accorde pratiquement aucune description physique et se limite à quelques traits prédominants de caractère. Bien placés, ils sont largement suffisants pour camper des héros auxquels on s’attache sans problème.

Avec ces ingrédients, Yves Grevet traite pêle-mêle d’éducation, de politique, de manipulation (physique et psychologique), de résistance, de respect, de libre arbitre… Le propos est ambitieux, et nul doute que la limpidité du récit contribue largement à confronter les jeunes lecteurs à ces problématiques fondatrices.
Reste à lire les tomes 2 (L’Île) et 3 (Le Monde), pour découvrir le fin mot de l’histoire… C’est en cours, à suivre donc !

A partir de 11 ans.

Méto t.1 : La Maison, d’Yves Grevet
Éditions Syros, 2008
ISBN 978-2-74-850688-4
247 p., 16€


Sébastien, de Jean-Pierre Spilmont

Signé Bookfalo Kill

Sébastien est l’exemple même du roman qu’on a envie de partager, de faire lire autour de soi, mais dont il est difficile de parler tant sa réussite tient à presque rien : 141 pages, un style qui évoque l’enfance sans tomber dans les travers de l’imitation ratée du parler des “jeunes”, une histoire qui se dévoile peu à peu, à petites touches, et une fin qui vous prend aux tripes, par surprise.

Évoquer l’histoire, c’est déjà courir le risque de trop en révéler. Que dire, donc ? Aussi peu que possible : le narrateur, Sébastien, a treize ans. Le récit commence lorsqu’il entre dans le bureau d’un dénommé Bourgoin. Sébastien vient d’être trouvé, au petit matin, allongé seul sur un banc, à Paris. Bourgoin lui demande de “tout raconter”. Quoi ? Il faudra attendre la fin du roman pour le savoir.
Entre temps, Sébastien va se dévoiler, petit à petit, répondant bon gré mal gré aux questions de Bourgoin qui l’interroge sur sa vie, sa famille, ses amis… Et de se dessiner le portrait d’un jeune garçon (trop) rêveur, ignoré par ses parents commerçants que leur métier accapare et qui lui préfèrent sa petite sœur modèle ; un enfant jugé inadapté socialement et placé dans un établissement spécialisé, abandonné pour le week-end à ses grands-parents qui habitent à proximité de cette école et l’aiment, eux – surtout son grand-père, le seul à l’estimer et à l’appeler par un diminutif affectueux, Seb…

Du déjà lu ? Sans doute, mais rarement aussi bien. On pourrait en dire moins encore, même si ce qui précède ne révèle que peu de choses de la profondeur du livre. Il manque à ce résumé ce qui fait la force majeure du roman : l’écriture de Jean-Pierre Spilmont, à la fois poétique et minimaliste, d’une grande justesse, qui ménage presque sans en avoir l’air une montée en puissance implacable de l’émotion et de la colère de son jeune héros. Ce style, fluide et économe, donne à la voix de Sébastien autant d’impact littéraire que d’authenticité. Une réussite rare dans un exercice – donner la parole à un adolescent – auquel se prêtent nombre de romanciers, sans toujours rencontrer le même bonheur.

Paru initialement à la Fosse aux Ours, un petit éditeur talentueux, Sébastien avait rencontré un premier succès, au moins d’estime. Sa sortie en poche donne l’occasion de le découvrir plus largement. N’hésitez pas.

Sébastien, de Jean-Pierre Spilmont
Éditions J’ai Lu, 2012
ISBN 978-2-290-05657-8
148 p., 5,60€

Pour en savoir plus sur l’auteur, découvrez son site Internet : http://www.jean-pierre-spilmont.fr/


Biographie d’un inconnu, de Fabrice Humbert

Signé Bookfalo Kill

Arrivé à la quarantaine, Thomas d’Entragues s’est fait une raison : aspirant romancier depuis sa prime jeunesse, il n’est désormais plus qu’un écrivain raté, cantonné à mettre sa plume au service de personnalités, dont beaucoup de sportifs, pour écrire leurs autobiographies à leur place. Jusqu’au jour où un projet singulier lui est offert par Victor Dantès, ancien boxeur roumain devenu chef d’entreprise prospère en France. En effet, Dantès lui demande d’écrire pour lui la biographie de Paul Moreira, un fils qu’il a eu avec une autre femme que la sienne, et qui a disparu aux Etats-Unis après avoir tenté de convaincre Hollywood de lui permettre de réaliser une adaptation cinématographique du Voyage au bout de la nuit de Céline.
D’abord sceptique, Thomas est vite intrigué, puis captivé par la trajectoire hors normes de Paul, et il part sur ses traces outre-Atlantique…

C’est un petit flashback que je vous propose aujourd’hui. Alors que le nouveau roman de Fabrice Humbert, Avant la chute, figure parmi les titres marquants de cette rentrée littéraire 2012, j’ai envie de vous dire quelques mots de Biographie d’un inconnu, son deuxième roman paru en 2008.
D’abord, tout simplement, parce que c’est un très beau livre – et que pour un deuxième, il est fichtrement réussi. Le style de Fabrice Humbert est déjà en place, à la fois classique, élégant et évocateur. Une écriture très maîtrisée, sans affect ni surplus, qui donne au récit force, évidence et fluidité. C’est le troisième roman d’Humbert que je lis, et à chaque fois, le même constat s’impose : voilà un auteur qui sait vous embarquer dès les premières lignes dans son histoire, sans pour autant sacrifier le style à l’efficacité. Facile à dire, moins facile à faire.

Bien écrire est une chose, encore faut-il intéresser son lecteur. Au premier degré, le parcours de Thomas d’Entragues, construit comme une enquête, suffit largement à captiver. Au fil des découvertes du narrateur, le personnage fantôme se construit, par strates successives, tandis que Thomas accomplit lui-même une quête personnelle, comme dans une sorte de roman initiatique tardif.
Par-dessus cela, il y a aussi une réflexion de Fabrice Humbert sur l’écriture, d’une maturité et d’une clairvoyance étonnantes chez un jeune auteur. Paul Moreira est un apprenti scénariste, tandis que le narrateur lui-même est un écrivain qui passe à côté de sa carrière. Deux facettes complémentaires pour une même interrogation sur ce qu’est écrire, la crainte de n’être pas compris, pas entendu, pas lu, la peur de ne pas y arriver – et en même temps, la fascination pour le pouvoir des mots, la mystérieuse alchimie du langage.

Et encore au-delà, c’est tout le travail de Fabrice Humbert qui est en gestation, avec ses thématiques et ses obsessions, au premier rang desquelles celle de la chute. Échec personnel, défaite de celui à qui la victoire paraissait promise, errance d’un héros qui semblait n’avoir que la route du triomphe à suivre, décadence du monde : tout est déjà là, dans cette superbe Biographie d’un inconnu qui annonce l’œuvre à venir : L’Origine de la violence, qui le révèle au grand public, La Fortune de Sila, et donc Avant la chute – où tout est dans le titre… On en reparle très vite.

Biographie d’un inconnu, de Fabrice Humbert
Éditions le Passage, 2008
ISBN 978-2-84742-110-1
176 p., 15,20€

Retrouvez ce livre sur le site de Fabrice Humbert : Biographie d’un inconnu
Une autre lecture du roman sur lelitteraire.com


La Vie sans fards de Maryse Condé

Je ne connaissais pas Maryse Condé. Tout juste avais-je vu sur la table de ma librairie préférée, Célanire cou-coupé, mais je n’avais pas passé le cap. Qu’est-ce que j’ai dû rater! La Vie sans fards est une autobiographie comme je n’en avais jamais lue jusqu’à présent. Rousseau, c’est des foutaises. Même Momone (aka Simone de Beauvoir) avait beau jeu de se mettre en scène et de tirer à elle, la couverture. Maryse Condé est bien loin de tout ça. Elle l’annonce elle-même dans la quatrième de couverture, « Il semble que l’être humain soit tellement désireux de se peindre une existence différente de celle qu’il a vécue, qu’il l’embellit, souvent malgré lui. Il faut donc considérer la Vie sans fards comme une tentative de parler vrai, de rejeter les mythes et les idéalisations flatteuses et faciles. » Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la vie de Maryse Condé n’est absolument pas facile ni flatteuse. 

Née en Guadeloupe, au sein du famille qui cherchait à tout prix l’élévation sociale et culturelle de ses enfants, elle est scolarisée au lycée en métropole, avant d’obtenir son bac et d’entrer à l’université. Sa vie s’en trouve chamboulée. Maryse Condé décrit avec une force incomparable, cette vie que rien ne prédestinait à l’écriture. Comment être noire quand on n’a jamais vécu en Afrique? Après une rupture sentimentale, elle embarque, enceinte, son premier né dans les bras pour ce continent qu’elle ne connaît pas. La terre de ses ancêtres lointains. Elle pense pouvoir s’y sentir enfin chez elle. Il n’en est rien. L’apprentissage de ce continent est lourd et difficile. 

Maryse Condé n’a pas franchement eu une belle vie avant ses 30ans. Que de galères! 4 enfants, des ruptures sentimentales, des viols, des privations, des angoisses. Dit comme cela, on pourrait croire que cet ouvrage est misérabiliste. Absolument pas. Elle a su garder en elle la volonté de fer qui est la sienne, sauver ses enfants de la misère. 

Cette autobiographie est la plus… vraie que j’ai jamais lue pour l’instant. Maryse Condé est franche, directe, sans détour, évoquant par exemple, la mouise dans laquelle une nouvelle grossesse la plonge, l’idée de faire adopter l’une de ses filles pour avoir moins de bouches à nourrir, et autres considérations terribles qui peuvent être celles de mères désemparées. 

La Vie sans fards est un ouvrage fort, qui frappe et détonne dans cette nuée d’autobiographies. Un livre qui prouve qu’en attendant le bonheur, on peut le trouver. 

La Vie sans fards de Maryse Condé
Editions JC Lattès, 2012
9782709636858 
334p., 19€

Un article de Clarice Darling.