A première vue : la rentrée Gallimard 2017
Pour ceux parmi vous qui découvrent ce blog et la rubrique « à première vue » (pour les autres, ce sera un énième rappel), il faut que vous sachiez que, de tous les programmes de rentrée littéraire, celui des éditions Gallimard est définitivement un cas à part. Cette année comme les précédentes, c’est le plus énorme de tous : 19 titres, 15 français pour 4 étrangers, à paraître durant la deuxième quinzaine d’août. Et cette année comme les précédentes, c’est la rentrée la plus médiocre pour ce qui est du rapport qualité/quantité.
En gros, Gallimard, c’est Goliath. C’est gros, ça gueule, ça montre les muscles, mais quand il s’agit d’éviter de se prendre un petit caillou envoyé dans la tronche par un petit David de rien du tout, il n’y a plus grand-monde.
Bon, j’exagère un peu bien sûr ; cette année comme les précédentes, on devrait trouver une poignée de lectures potentiellement intéressantes, et c’est de celles-ci que je vais entreprendre de vous parler en détail, pour ne laisser que quelques miettes au reste. Et on commence par la littérature étrangère, parce que c’est plus souvent de ce côté-là que viennent les pépites chez Gallimard.
RESTENT NOS RÊVES ET NOS ESPOIRS : Cette chose étrange en moi, d’Orhan Pamuk
(traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy)
Prix Nobel de littérature en 2006, Pamuk est évidemment le très grand nom de la rentrée Gallimard (en attendant les deux Prix Nobel français en octobre, Le Clézio et Modiano). Avec ce roman de presque 700 pages, il nous replonge dans les rues d’Istanbul, entre 1969 et 2012, à la suite de Mevlut, qui vend de la boza (une boisson fermentée appréciée des Turcs) dans les rues. Son métier ambulant lui permet de saisir les profondes mutations de la ville durant les décennies où il l’arpente inlassablement, tandis qu’il s’efforce de trouver le bonheur et de donner un sens à sa vie.
DE VRAIS OUBLIS, DE FAUX SOUVENIRS : Les fantômes du vieux pays, de Nathan Hill
(traduit de l’américain par Mathilde Bach)
Là aussi, voici venir un pavé de 720 pages, premier roman de Nathan Hill qui débute par l’agression du gouverneur Packer, candidat à l’élection présidentielle américaine, par une certaine Faye Andresen-Anderson. Très vite surnommée Calamity Packer par la presse, elle fascine et intrigue tout le monde – sauf Samuel Anderson, un romancier et professeur d’anglais à l’université de Chicago qui noie son temps libre dans un jeu vidéo en ligne. Rappelé à l’ordre par son éditeur, qui lui a versé une avance pour un roman qu’il n’a jamais écrit, Samuel propose alors d’écrire un livre sur Calamity Packer, promettant d’en faire un document choc qui la détruira. Pourquoi tant de haine ? Parce que Faye Andresen-Anderson est sa mère et qu’elle l’a abandonné quand il était enfant. Pourtant, en se lançant dans une vaste enquête pour documenter son travail, Samuel agite tant de poussière qu’il réveille nombre de vieux fantômes inattendus…
UNE VIE DE PEINE ET SI PEU DE PLAISIR : La Salle de bal, d’Anna Hope
(traduit de l’anglais par Élodie Leplat)
Début du XXème siècle, asile d’aliénés de Sharston, Yorkshire. Les hommes et les femmes qui y sont enfermés y vivent et y travaillent séparément. Ils se réunissent pourtant chaque vendredi soir dans la salle de bal de l’asile, où ils peuvent danser librement sous la conduite et la surveillance étroite du docteur Fuller. Ce dernier entend mener de grands projets révolutionnaires pour guérir ses malades – des projets où l’eugénisme entre en ligne de compte, et qui pourraient menacer la vie des patients…
LA VIE COULAIT COMME DE L’EAU : La Rivière, d’Esther Kinsky
(traduit de l’allemand par Olivier Le Lay)
Une femme s’installe provisoirement dans la banlieue de Londres, au bord d’une rivière. Là, elle se promène, fait des rencontres et évoque des souvenirs en lien avec des paysages, principalement des fleuves.
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Y AURA DU SOLEIL SUR NOS FRONTS : Comme une rivière bleue, de Michèle Audin
A la manière d’Eric Vuillard dans son extraordinaire 14 juillet, Michèle Audin plonge en profondeur dans une page historique, la Commune de Paris, en s’appuyant sur des documents qui témoignent de la vie de nombreux anonymes durant les 72 jours que dura ce conflit utopiste et sanglant. Grâce à cette matière première inédite, la romancière saisit au plus près le quotidien de quelques personnages dont elle tire les fils romanesques, et donne à voir comme jamais ce moment si particulier dans l’Histoire de la capitale.
QUAND LE MONDE DISPARU L’ON EST FACE A SOI : Ils vont tuer Robert Kennedy, de Marc Dugain
Un professeur d’histoire contemporaine américain est persuadé que la mort de ses parents, en 1967 et 1968, est lié à l’assassinat de Robert Kennedy alors que ce dernier était candidat à l’élection présidentielle de 1968. Il se lance dans une enquête ténébreuse qui met en parallèle l’histoire de ses parents, le destin funeste du frère de JFK, et l’Histoire agitée des États-Unis dans les années 60. Après La Malédiction d’Edgar, Dugain se frotte à nouveau à l’histoire américaine et devrait concilier comme à son habitude exigence documentaire et grand roman populaire.
AINSI PASSAIT SA VIE AU MILIEU DE NOS HEURES : Un certain M. Piekielny, de François-Henri Désérable
M. Piekielny avait fait promettre à son jeune voisin, Roman Kacew, de toujours parler de lui lorsqu’il croiserait des gens importants une fois devenu adulte. Devenu l’illustre écrivain Romain Gary, Roman tint parole. Mais qui était ce M. Piekielny ? Ce mystère valait bien une enquête, que François-Henri Désérable (auteur du brillant recueil de nouvelles Tu montreras ma tête au peuple) se charge ici de mener.
ON INTERDIRA LES TIÉDEURS : Tiens ferme ta couronne, de Yannick Haenel
Auteur d’un énorme script sur Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, un scénariste rencontre à New York le cinéaste américain Michael Cimino. C’est le début d’aventures rocambolesques – un genre où l’on n’attend pas forcément Yannick Haenel, auteur de livres exigeants, cérébraux (Cercle), parfois polémiques (Jan Karski). Une possible curiosité, donc.
À NOS ACTES MANQUÉS : Comment vivre en héros ?, de Fabrice Humbert
Élevé par son père, héros de guerre, dans l’idée de toujours se comporter d’une manière exemplaire et courageuse, Tristan Rivière échoue dès l’âge de 16 ans en prenant la fuite sans venir en aide à son professeur de boxe attaqué par plusieurs adversaires. Dix ans plus tard, il est toujours rongé par le remords lorsque le destin lui offre la possibilité de se rattraper : dans le train où il voyage, une jeune femme est agressée par une bande. Comment réagir ? A partir de là, Fabrice Humbert joue au roman à possibilités multiples pour évoquer la fragilité de nos choix et de nos destins. Là aussi, on demande à voir.
SI TU AS LA FORCE ET LA FOI : La Chambre des époux, d’Eric Reinhardt
Un compositeur apprend que sa femme est atteinte d’un grave cancer du sein, qui nécessite chimiothérapie et opération. Alors qu’il est prêt à abandonner la symphonie sur laquelle il travaille pour soutenir pleinement sa compagne, celle-ci lui enjoint au contraire de poursuivre son travail avec autant d’acharnement qu’elle mettra à suivre son traitement et à guérir. En changeant le métier de son héros, le romancier transpose la propre histoire de son couple au moment où il écrivait Cendrillon. Honnêtement, Reinhardt, ce n’est pas ma tasse de thé, mais comme il fera forcément partie des auteurs mis en avant par les médias, il fallait bien lui laisser ici une place importante.
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Et pour le reste, rapidement :
ENVOLE-MOI : Ascension, de Vincent Delecroix
Chaïm Rosenzweig, écrivain sans grand succès qui a publié quelques romans sous le pseudonyme de Vincent Delecroix, est choisi par la Nasa pour faire partie de l’équipage d’une navette spatiale. Après quelques mois passés à préparer la mission à Houston, Chaïm embarque à bord de la navette avec des cosmonautes bigarrés et dubitatifs quant à la réelle utilité de sa présence.
IL SUFFIRA D’UN SIGNE : L’Ombre sur la Lune, d’Agnès Mathieu-Daudé
Le vol d’un tableau de Goya réunit la Giganta, une Chinoise de 2 mètres, le Sicilien Attilio qui a tué sa femme le jour de leur mariage et la discrète Blanche, employée de musée persuadée d’être le sosie d’un footballeur célèbre. Depuis leur rencontre dans les tribunes d’un stade madrilène, la relation mouvementée d’Attilio et de Blanche les mène à fuir en Andalousie.
SUR LES RUINES D’UN CHAMP DE BATAILLE : Les rêveuses, de Frédéric Verger
En 2013, il a frôlé le Goncourt avec son premier roman, Arden. Verger retourne vers la Seconde Guerre mondiale, avec l’histoire d’un soldat allemand engagé dans l’armée française, qui vole les papiers d’un mort pour éviter d’être arrêté et exécuté comme traître par ses compatriotes vainqueurs. Problème : il est rapatrié vers la famille à laquelle il prétend faire partie, et dont il ne sait évidemment rien…
ENSEMBLE TOUT EST PLUS JOLI : La Louve, de Paul-Henry Bizon
Un couple abandonne la boucherie familiale pour se lancer dans l’agriculture bio et créer un réseau régional de petits exploitants. Leur bonne volonté se heurte à l’hostilité des grands producteurs. Premier roman.
Y’A LES CHOSES QU’ON PEUT FAIRE ET PUIS CELLES QU’ON DOIT PAS : Un élément perturbateur, d’Olivier Chantraine
Hostile à toute forme d’engagement, Serge Horowitz vit chez sa sœur et doit son travail à son frère, Ministre des Finances. Hypocondriaque, il fait échouer des négociations avec une entreprise japonaise à cause d’une crise d’aphasie. Le voilà sommé de réparer son erreur, ce qui risque de causer de nouveaux problèmes…
OÙ LES AIGLES RECULENT : Le Cénotaphe de Newton, de Dominique Pagnier
Pour celui-ci, je vous mets l’argumentaire de l’éditeur parce qu’il est vraiment énorme : « Pour la première fois, à l’égal d’un Sebald, d’un Bolaño, un écrivain français investit l’immense champ de l’histoire européenne du XXe siècle, de ses utopies, de son désastre. Du XVIIIe siècle des Lumières au règne sinistre de la Stasi, Le Cénotaphe de Newton offre une métaphore vertigineuse du XXe siècle. L’homme sans qualités de Musil a un successeur. »
C’est bien de ne douter de rien, quand même. Par contre, faudrait arrêter la drogue.
COMPTE PAS SUR MOI : Survivre, de Frederika Amalia Finkelstein
Il y a trois ans, nous avions tellement détesté son premier roman que nous n’avions même pas pu le lire en entier. Autant le dire tout de suite, le pitch de son deuxième ne nous donne pas du tout envie de nous en approcher à moins de dix mètres – soit l’histoire d’une jeune femme que la vue des militaires armés sur le quai du métro parisien, à la suite des attentats de novembre 2015, angoisse profondément. Du coup elle réfléchit à sa génération d’ados mal grandis, ultra-connectés mais tellement solitaires.
COMME UN BATEAU DÉRIVE : Sauver les meubles, de Céline Zufferey
Tiens, puisqu’on cause de solitude contemporaine, voilà un premier roman qui en parle aussi. Ben oui, ça rigole pas en ce moment, qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse. Voilà donc l’histoire d’un photographe qui, ne parvenant pas à percer, accepte de réaliser des photos de meubles pour un catalogue. Évidemment, gâcher son talent le déprime, du coup il accepte de suivre un collègue dans un projet de site porno à prétention artistique.
QUE DES VIES, PAS LES MIEUX, PAS LES PIRES : La Fin de Mame Baby, de Gaël Octavia
Dans une ville de banlieue, le destin croisé de quatre femmes, en particulier Mame Baby, idole du quartier, dont la mort est auréolée de mystère.
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