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À première vue : la rentrée Rivages 2021


Intérêt global :


Après une rentrée 2020 minimaliste de deux titres, Rivages aborde 2021 avec une équipe élargie de cinq auteurs (trois français et deux étrangers) qui feront la part belle au spectaculaire, aux passions et à l’inattendu.
Une offre assez exigeante à première vue, dont toute tiédeur semble en tout cas exclue, ce qui donne envie de tenter quelques paris de lecture.


Bangkok Déluge, de Pitchaya Sudbanthad
traduit de l’anglais (Thaïlande) par Bernard Turle)


Ce premier roman thaïlandais fait de Bangkok le personnage central d’une histoire couvrant deux siècles, du XIXème synonyme de grandes découvertes et de profondes mutations à des années 2070 balayées de désastres climatiques. Pour incarner ce récit ambitieux, l’auteur choisit comme pivot une maison hantée, et une dizaine de personnages-témoins qui gravitent autour.
Grosse curiosité pour ce résumé étonnant.

Plasmas, de Céline Minard

Céline Minard n’est jamais avare en ambition ni en invention, elle qui se fait une règle de changer radicalement de genre, de style et d’approche littéraire à chaque livre – au risque, parfois, de perdre son lecteur.
Ce nouveau roman promet d’atteindre des sommets de curiosité et d’étrangeté, en convoquant pêle-mêle un monstre génétique créé dans une écurie sibérienne, un parallélépipède d’aluminium qui tombe des étoiles et du futur à travers un couloir du temps, des acrobates qui effectuent des mesures sensorielles et la manière dont sera conservée la mémoire de la Terre après son extinction. Le tout en 160 pages.
Ça va déménager – et provoquer sans aucun doute des avis tranchés.


L’Agneau des neiges, de Dimitri Bortnikov
Au nord de la Russie, au bord de la mer Blanche, Maria, une jeune infirme née au lendemain de la révolution russe, s’illustre par son courage. Ballotée de région en région, elle est confrontée à la perte de ses proches et se retrouve à Leningrad face aux forces nazies. Elle met tout en œuvre pour sauver de la famine et de la mort douze jeunes orphelins.

Souvenirs du rivage des morts, de Michaël Prazan
M. Mizuno est un vieil homme doux et affectueux qui cache un lourd passé. De son vrai nom Yasukazu Sanso, il est étudiant dans les années 1960 quand il est recruté comme opérationnel de l’Armée rouge japonaise. Il participe à des massacres et des purges d’une rare violence avant de rejoindre les terroristes internationalistes dans des camps palestiniens du Liban.

Quelques indélicatesses du destin, de Laura Morante
(traduit de l’italien par Hélène Frappat)

Sur les petites et grandes trahisons de la vie, pas juste des histoires mais plusieurs fois « toute une histoire » que se font les personnages de Laura Morante face aux instants qui basculent, aux engrenages détraqués qui s’ébranlent, inexorables, vers les extrémités de l’absurde. Humour vachard, poésie inattendue, ambiguïté rouée, des contes cruels dépourvus de morale qui capturent l’étreinte du doute, le frisson de la précision, le vertige des conséquences.


BILAN


Lectures probables :
Bangkok Déluge, de Pitchaya Sudbanthad
Plasmas, de Céline Minard

Lecture potentielle :
L’Agneau des neiges, de Dimitri Bornikov

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À première vue : la rentrée Plon 2021


Intérêt global :


Je ne vais toujours pas vous mentir, je n’ai pas tellement progressé dans ma connaissance du catalogue des éditions Plon depuis l’année dernière. Ni dans ma volonté de m’y intéresser. Et ce n’est pas leur programme pléthorique (exclusivement francophone) de cette année qui risque de me faire changer d’avis. Huit titres pour une maison de cette dimension, c’est très excessif, même s’il y a trois premiers romans parmi eux.
Néanmoins, la politesse m’oblige pour ainsi dire à leur laisser une place ici – car vous avez le droit, vous, d’être amateurs ou curieux de leur travail. Mais je vais faire simple, si vous me le permettez.


La Riposte, de Jean-François Hardy
Dans un Paris désagrégé par la crise écologique, la misère, la violence d’État, la canicule et la maladie, un mystérieux mouvement prônant la révolution, Absolum, gagne du terrain. Dans ce chaos, Jonas, infirmier à domicile désabusé de 37 ans, s’apprête comme beaucoup d’autres à fuir vers le Nord, en quête d’une vie meilleure. Premier roman.

Mourir au monde, de Claire Conruyt
Sœur Anne ne s’est jamais vraiment adaptée au quotidien du couvent où elle vit pourtant depuis vingt ans. L’arrivée de Jeanne, une jeune postulante dont elle a la charge, réveille en elle des sentiments oubliés. Très vite, la relation entre les deux femmes dépasse le cadre de la formation de la novice et sœur Anne entrevoit la possibilité de se retrouver elle-même. Premier roman.

L’Unique goutte de sang, d’Arnaud Rozan
Sidney quitte son Tennessee natal pour Chicago, où il se lie d’amitié avec Turner, un garçon errant irlandais, tandis que les émeutes de l’été 1919 embrasent le quartier noir de South Side. Il suit cet être révolté contre les siens dans un périple qui le mène de l’Arkansas à Manhattan. Ce voyage les confronte à la mort et les rapproche chaque jour du cœur de Harlem. Premier roman.

Berlin Requiem, de Xavier-Marie Bonnot
En 1934, quand Hitler accède au pouvoir et que le nazisme s’impose en Allemagne, Wilhelm Furtwängler, l’un des plus grands chefs d’orchestre allemands, refusant de choisir entre son art et son pays, se soumet au IIIe Reich. Rodolphe Bruckman, fils d’une célèbre cantatrice, qui rêve de diriger un jour l’Orchestre philharmonique de Berlin, observe les événements avec son regard de jeune garçon.

Le Syndrome de Beyrouth, d’Alexandre Najjar
Confinée dans un hôtel à Saint-Malo, Amira Mitri, ancienne combattante devenue reporter au quotidien libanais An-Nahar, se remémore les vingt ans qui se sont écoulés de son retour au Liban en l’an 2000 à l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Durant cet intervalle, bien des événements ont secoué son pays et sa vie amoureuse a connu de multiples rebondissements.

907 fois Camille, de Julien Dufresne-Lamy
L’histoire de Camille, fille de Dominique Alderweireld, alias Dodo la Saumure, proxénète. Composant avec l’absence de ce dernier, elle grandit et construit son identité de femme moderne et indépendante qui cherche à donner un sens aux non-dits de son histoire familiale.

La Nuit des aventuriers, de Nicolas Chaudun
Le roman vrai d’un coup d’État presque parfait. Si la conjuration du 2 décembre 1851 a si bien réussi, c’est qu’elle apparaissait inéluctable à ses contemporains ; elle scellait la faillite manifeste des élites. En relatant cet événement historique majeur du XIXème siècle, Nicolas Chaudun tente bien évidemment de tisser un lien avec la situation politique actuelle.

Ma mère avait ce geste, d’Alain Rémond
Alain Rémond poursuit son œuvre autobiographique et livre un récit intime et universel sur l’amour inconditionnel qu’il porte à sa mère. Livre après livre, il retrouve le paradis perdu de son enfance en Bretagne.


À première vue : la rentrée Seuil 2020

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Intérêt global :

ironie


Avec onze titres au programme, les éditions du Seuil font presque jeu égal avec Gallimard en terme de quantité. Pour ce qui est de la qualité, il faudra lire, bien sûr. Cependant, à première vue, le schéma est en dents de scie. Il y aura des trucs dont on va causer, d’autres qui peuvent valoir le coup, et des bricoles sans lesquelles on vivrait tout aussi bien.
Une vraie rentrée littéraire de grosse maison, décidée à continuer comme si de rien n’était.


VIOLENCES DE L’HUMAIN


Sandra Lucbert - Personne ne sort les fusilsPersonne ne sort les fusils, de Sandra Lucbert

On devrait parler de ce livre. Il faudrait qu’on en parle. De mai à juillet 2019, Sandra Lucbert a couvert le procès France Télécom, dont sept dirigeants ont été envoyés devant le tribunal pour des faits de maltraitance, de harcèlement moral, ayant entraîné le suicide de plusieurs employés. Les débats ont permis de faire étalage de l’arrogance sans limite de Didier Lombard et de ses acolytes, de leur cynisme assumé, celui de gens parfaitement conscients qu’ils n’ont pas grand-chose à craindre de la justice, parce que la justice parle la même langue qu’eux. Que peut-on attendre d’un homme qui affirme à la barre, sans trembler : « Finalement, cette histoire de suicides, c’est terrible, ils ont gâché la fête » ?
En 156 pages, Sandra Lucbert ramasse toute la colère légitime que l’on peut (que l’on doit) éprouver à l’encontre de cette barbarie moderne qu’est l’exercice du capitalisme débridé. C’est en écrivain, et non en journaliste, qu’elle empoigne les mots comme des fusils pour tirer en rafale sur l’effroyable machinerie du libéralisme et de la logique économique, négation absolue de l’humain.

Irène Frain - Un crime sans importanceUn crime sans importance, d’Irène Frain

Le mur du silence, Irène Frain s’y heurte sans trêve depuis l’assassinat d’une vieille dame, tuée dans sa maison au fond d’une impasse, en banlieue parisienne, dont on peine à connaître les motivations et encore plus l’auteur. Cette vieille dame, c’était sa sœur. Et le mur, c’est celui de la police, de la justice, qui traitent l’affaire comme un dossier, au mépris de l’humain. C’est aussi le silence de la famille, contre lequel la romancière s’élève dans ce récit-enquête.

Xabi Molia - Des jours sauvagesDes jours sauvages, de Xabi Molia

Les hasards de l’actualité percutent parfois la littérature… Quand on connaît le temps nécessaire à la maturation et à l’écriture d’un roman, on ne pourra pas soupçonner Xabi Molia d’opportunisme avec son nouveau roman, pourtant étrangement en phase avec ce que nous vivons depuis le début de l’année. Il imagine, en effet, qu’une grippe foudroyante ravage l’Europe. Pour fuir l’épidémie, une centaine de personnes embarque à bord d’un ferry, mais une tempête fait naufrager le navire sur une île inconnue. Vient alors le temps des choix. Certains veulent repartir, d’autres profiter de l’aubaine pour construire une société nouvelle sur l’île et en garder jalousement le secret… Un dilemme digne de Sa Majesté des mouches, sauf que les enfants ont grandi.


LA VOIX DES FEMMES


Lucy Ellmann - Les lionnesLes lionnes, de Lucy Ellmann
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro)

C’est une femme, mère au foyer, seule dans sa cuisine. Elle pense aux tâches ménagères qui l’attendent, mais aussi à la folie de la politique qui a conduit un Trump à la présidence du pays, aux fusillades dans les lycées qui deviennent routine, au patriarcat, à la précarité causée par des logiques économiques effarantes, à la maladie… Tous les sujets y passent, ratissant large le monde tel qu’il va, du plus intime au plus large.
Le tout en une seule phrase longue de 1152 pages.
Le bazar est traduit par Claro, qui ne sort plus de sa retraite de traducteur que pour des projets hors norme. Le précédent, c’était Jérusalem, d’Alan Moore. Ça vous donne une idée du livre de Lucy Ellmann, finaliste du Booker Prize et, évidemment, phénomène littéraire chez nos amis anglo-saxons.

Chloé Delaume - Le coeur synthétiqueLe Cœur synthétique, de Chloé Delaume

Rompre à quarante-six ans et entreprendre de refaire sa vie est, pour une femme (beaucoup plus que pour un homme), un parcours du combattant. C’est ce que découvre Adélaïde, l’héroïne du nouveau roman de Chloé Delaume, dont le regard féministe est plus acéré que jamais, en y mêlant l’humour nécessaire pour garder de la hauteur sur le sujet.

Rachid Benzine - Dans les yeux du cielDans les yeux du ciel, de Rachid Benzine

C’est le temps des révolutions. Une femme interpelle le monde. Elle incarne le corps du monde arabe. En elle sont inscrits tous les combats, toutes les mémoires douloureuses, toutes les espérances, toutes les avancées et tous les reculs des sociétés. Plongée lumineuse dans l’univers d’une prostituée qui se raconte, récit d’une femme emportée par les tourments de la grande Histoire, Dans les yeux du ciel pose une question fondamentale : toute révolution mène-t-elle à la liberté ? Et qu’est-ce finalement qu’une révolution réussie ? (résumé de l’éditeur)


EN VRAC (faute d’inspiration…)


Antonio Munoz Molina - Un promeneur solitaire dans la fouleUn promeneur solitaire dans la foule, d’Antonio Muñoz Molina
(Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon)

Grand romancier espagnol, l’auteur se fait cette fois observateur des petites scènes du quotidien, ces détails infimes qui font le monde tel qu’il est. À Paris, New York, Madrid ou Lisbonne, il arpente les rues armé d’un crayon, d’un carnet, d’un enregistreur et d’une paire de ciseaux, et collecte au hasard bruits volés, bouts de papier, affiches…
Un projet original, par un très écrivain espagnol, dont la finesse d’analyse et d’observation pourrait s’épanouir dans cet exercice singulier.

Sarah Chiche - SaturneSaturne, de Sarah Chiche

La narratrice reconstitue le portrait d’un père mort si jeune, à 34 ans, qu’elle n’en garde aucun souvenir. En rencontrant une femme qui l’a connu enfant, en Algérie, elle tire un fil noueux qui découvre un homme amoureux des étoiles, exilé d’Algérie au moment de l’indépendance, contribuant à rebâtir l’empire médical que sa famille de médecins avait édifié de l’autre côté de la Méditerranée, puis cédant à une passion furieuse qui va tout faire voler en éclats…

Vinca Van Eecke - Des kilomètres à la rondeDes kilomètres à la ronde, de Vinca Van Eecke

Dans un village perdu de la campagne française, rencontre à 14 ans entre des gamins qui grandissent là tant bien que mal, et une fille qui vient juste y passer ses vacances. Elle, « la bourge », eux, « les autres ». Vient le premier amour, les amitiés brûlantes de l’adolescence, et les tragédies qui les accompagnent inévitablement.
(Voilà voilà.)

Mary Costello - La captureLa Capture, de Mary Costello
(Traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik)

Un professeur de lettres spécialiste de Joyce (forcément, il est irlandais) n’arrive pas à écrire le livre dont il rêve sur son mentor littéraire. Et en plus, il est malheureux en amour. Réfugié au fin fond de la campagne (mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec la campagne ?!?), il a un coup de foudre pour sa voisine. Hélas, lorsqu’il la présente à sa tatie, celle-ci se fâche tout rouge et lui interdit de la revoir. Ah, tiens, il y a anguille sous roche.

Stéphane Malandrin - Je suis le fils de BeethovenJe suis le fils de Beethoven, de Stéphane Malandrin

Confession épique d’un vieil homme enfermé dans sa bibliothèque, d’où il entend révéler qu’il est le fils caché d’un Ludwig qu’on a toujours cru mort sans descendance. Une fantaisie littéraire, hymne à la joie héroïque et pastoral.
(Oui, bon, on fait ce qu’on peut.)


BILAN


Lecture probable :
Personne ne sort les fusils, de Sandra Lucbert

Lecture hypothétique :
Des jours sauvages, de Xabi Molia
Un promeneur solitaire dans la foule, d’Antonio Muñoz Molina


À première vue : la rentrée Agullo 2020

logo agullp


Intérêt global :

joyeux


Voici encore une maison qui a follement du caractère. Une petit éditeur qui se distingue par sa charte graphique à la fois radicale et visible, par sa volonté d’aller chercher des textes originaux aux quatre coins du monde, notamment dans des pays d’Europe peu traduits chez nous, par l’exigence de ses choix et par son amour absolu pour ses textes et ses auteurs.
Ces derniers temps, Agullo a rencontré succès et considération, grâce à Frédéric Paulin et sa formidable trilogie polar sur la montée des extrémismes dans le monde, ainsi que grâce au romancier italien Valerio Varesi, qui œuvre lui aussi dans le genre policier.
À l’occasion des quatre ans de leur maison, Nadège Agullo, Sébastien Wespiser, Estelle Flory et Sean Habig choisissent un nouveau défi : lancer dans la rentrée littéraire leur premier auteur français. Qui sera d’ailleurs une auteure. Un pari à suivre de très près.


Astrid Monet - Soleil de cendresSoleil de cendres, d’Astrid Monet

Trois jours à Berlin. Ces trois jours s’annonçaient déjà délicats pour Marika, qui venait présenter pour la première fois son fils Solal, sept ans, à son père Thomas, un dramaturge allemand qu’elle avait quitté brutalement juste après la naissance du garçon. Mais la situation devient aussi dangereuse que tragique lorsqu’un volcan se réveille dans l’ouest de l’Allemagne, qui recouvre Berlin d’une nuée de cendres noires en quelques heures, puis lorsqu’un tremblement de terre coupe la ville en deux. Dans ce paysage apocalyptique, Marika part à la recherche de Solal et Thomas…
Après plusieurs recueils de nouvelles, c’est le deuxième roman d’Astrid Monet, et donc le premier publié chez Agullo.

Osvalds Zebris - A l'ombre de la Butte-aux-CoqsÀ l’ombre de la Butte-aux-Coqs, d’Osvalds Zebris
(traduit du letton par Nicolas Auzanneau)

Riga, 1905. Alors que l’empire du tsar russe s’effondre un peu plus à chaque nouvelle émeute, un ancien maître d’école s’engage dans la révolution en ignorant ce que cette initiative lui coûtera. L’année suivante, lorsque trois enfants sont enlevés, la ville entre en ébullition.


BILAN


Lecture certaine :
Soleil de cendres, d’Astrid Monet

Lecture potentielle :
À l’ombre de la Butte-aux-Coqs, d’Osvalds Zebris


A première vue : la rentrée Grasset 2017

Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.

Chalandon - Le Jour d'avantAU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.

Le Bris - KongSKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.

Delmaire - Minuit, MontmartreFABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.

Guez - La Disparition de Josef MengeleTODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.

Dreyfus - Le Déjeuner des barricadesSOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.

Rondeau - Mécanique du coeurBABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.

Coulin - Une fille dans la jungleÀ L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.

Ionesco - InnocenceREBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.

Vilain - La Fille à la voiture rougeCRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.

Caron - Tous les âges me diront bienheureuseMAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).

Brault - Les Peaux RougesDUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.

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Evjemo - Vous n'êtes pas venus au monde pour être seulsJE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.

Baird - Demain sans toiSHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.


COUP DE COEUR : 14 juillet, d’Eric Vuillard

Signé Bookfalo Kill

Même les plus quiches en histoire savent de quoi on parle lorsqu’on évoque la date du 14 juillet. Événement fondateur de notre histoire contemporaine, pierre angulaire de la Révolution Française, la prise de la Bastille est connue de tous, et même toi, oui toi qui pionçais au fond de la classe contre le radiateur, quand on te dit « 14 juillet », tu penses… oui, bon, d’abord « jour férié ». Mais ensuite tu es capable de te rappeler le discours de Camille Desmoulins qui contribue à enflammer Paris, le peuple en armes massé au pied de la forteresse pour réclamer de la poudre, le siège furieux, la prise éclair de la forteresse, la libération de ses sept pauvres prisonniers (au lieu des dizaines fantasmés), le massacre du gouverneur de Launay dont la tête a été promenée sur une pique dans toute la ville…

Vuillard - 14 juilletComment dès lors proposer un récit original de cette fameuse journée ? Il fallait qu’il y ait une idée neuve dans le projet, et pour cela, on peut faire confiance à Eric Vuillard, dont la spécialité consiste justement à s’emparer d’un fait historique pour en tirer une matière littéraire fulgurante d’intelligence – voir le superbe Tristesse de la terre sur Buffalo Bill, par exemple.
Dans son 14 juillet, le projet de Vuillard est tout simplement de délaisser les manuels d’histoire, l’iconographie usuelle, et de raconter l’événement en se glissant dans la foule. Célébrer les anonymes, nommer et citer les gens du peuple qui ont fait tomber la Bastille. Gratter sa plume au ras du bitume et en tirer la matière la plus viscérale qui soit. Et il y parvient avec un brio confondant.

Vuillard commence en effet par résumer le contexte politique et économique qui constitua le terreau de la Révolution. Quelques pages, pas plus, mais quelles pages ! Il va à l’essentiel sans faire de raccourcis, et parvient au passage à élaborer une chambre d’échos dans laquelle nos actuels temps troublés se réverbèrent avec une précision assourdissante – faisant par exemple du fameux Necker, si apprécié du peuple, une sorte de Jérôme Kerviel de l’époque, un spéculateur sans limite :

« Et puis, ce fut Necker de nouveau, afin de rassurer la Bourse, car c’est à la Bourse, déjà, qu’on prenait la température du monde. (…) Il avait commencé sa belle carrière chez Girardot, une banque d’affaires franco-suisse (…) Il ne se tint pas aux directives qu’on lui avait laissées et prit une position hasardeuse – comme ces traders qui, de nos jours, jettent leurs ordres entre les mâchoires du monstre, en espérant que cela passe. Et cela passa. Il réalisa d’un coup un formidable bénéfice de cinq cent mille livres. On le prit aussitôt pour associé. » (p.39)

S’appuyer sur le passé pour mettre en perspective le présent, la démarche n’est pas neuve mais elle reste intéressante, et Vuillard propose plusieurs parallèles qui frappent et font réfléchir. Mais c’est la suite de sa démarche, sa manière d’isoler à tour de rôle les véritables acteurs de la journée, qui étonne le plus. Jamais on n’a raconté le 14 juillet de cette manière, au plus près des gens, au cœur de l’événement. Paris prend forme et vie, grouillante, furieuse, impatiente, joyeuse, incroyablement diverse. La chaleur intense nous écrase, nous prenons avec enthousiasme la moindre arme qui nous tombe sous la main, nous roulons péniblement des canons dont nous ne savons pas nous servir jusqu’à l’énorme forteresse, nous nous rions des députés pathétiques qui tentent de négocier on ne sait quoi pour contenir l’inévitable violence ; nous voyons tomber les morts, nous tentons de sauver les blessés, debout aux côtés de tous ceux dont Vuillard a retrouvé les noms, lisant les relations que certains ont fait de leur implication.

Eric Vuillard n’est pas historien, 14 juillet n’est pas un livre d’histoire. Dans sa démarche, il ajoute la liberté du romancier, ce qui lui permet de dire au début du chapitre « La foule » :

« Il faut écrire ce qu’on ignore. Au fond, le 14 juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés ou lacunaires. C’est depuis la foule sans nom qu’il faut envisager les choses. Et l’on doit raconter ce qui n’est pas écrit. Il faut le supputer du nombre, de ce qu’on sait de la taverne et du trimard, des fonds de poche et du patois des choses, liards froissés, croûtons de pain. »

Cette appropriation, il l’accomplit dans une langue d’écrivain virtuose, qui se gargarise d’argot, d’un vocabulaire grouillant et d’expressions à l’emporte-pièce pour créer un style gai, percutant, aussi agité que l’immense foule venue faire tomber la Bastille.

Bref, quel livre ! Inclassable, brillant, inspiré, vivant, ce 14 juillet mériterait d’être inscrit dans les programmes scolaires pour démontrer que l’Histoire, quand elle est abordée avec esprit et liberté, peut toujours être passionnante, même quand elle aborde des sujets apparemment rebattus.

14 juillet, d’Eric Vuillard
Éditions Actes Sud, 2016
ISBN 978-2-330-06651-2
200 p., 19€


A première vue : la rentrée Actes Sud 2016

Allez, comme les précédents étés, c’est reparti pour la rubrique À première vue, dans laquelle nous vous présentons rapidement une partie de la rentrée littéraire qui atterrira sur les tables des libraires à partir de la mi-août. 560 romans au programme cette année, soit un peu moins que l’année dernière – mais encore trop, surtout que ce cru 2016 ne part pas forcément gagnant. Il y aura quelques grands rendez-vous, mais d’après le premier panoramique que nous avons pu faire, ils seront rares, égarés au milieu de nombreux titres carrément dispensables…

2015 a été l’année Actes Sud, avec notamment la sortie événement du quatrième tome de Millenium, le triomphe extraordinaire du Charme discret de l’intestin de Giulia Enders, et la consécration de Mathias Enard, couronné du prix Goncourt pour Boussole. Cette année, les éditions arlésiennes présentent une rentrée solide, qui comptent des valeurs sûres aussi bien en littérature française (Gaudé, Vuillard, Goby) qu’étrangère (Salman Rushdie). Pas de folie des grandeurs donc (ouf !), et quelques jolies promesses.

Vuillard - 14 juilletA LA LANTERNE : 14 juillet, d’Eric Vuillard (lu)
Encore trop méconnu du grand public, Eric Vuillard est pourtant l’un des auteurs français les plus intéressants et talentueux de ces dernières années, dont la spécialité est de mettre en scène des pages d’Histoire dans des récits littéraires de haute volée – nous avions adoré il y a deux ans Tristesse de la terre, récit incroyable autour de Buffalo Bill. Espérons que son nouveau livre lui gagnera les faveurs d’innombrables lecteurs, car il le mérite largement : 14 juillet, comme son titre l’indique, nous fait revivre la prise de la Bastille – mais comme on l’a rarement lu, à hauteur d’homme, parmi les innombrables anonymes qui ont fait de cette journée l’un des plus moments les plus déterminants de l’Histoire de France, au coeur du peuple et non pas du point de vue des notables. Puissant, littérairement virtuose, ce petit livre offre de plus une résonance troublante avec notre époque. L’un des indispensables de la rentrée.

Gaudé - Ecoutez nos défaitesMOURIR POUR SES IDÉES : Écoutez nos défaites, de Laurent Gaudé
Prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta, Laurent Gaudé donne l’impression de faire partie du décor littéraire français depuis très longtemps. Il n’aura pourtant que 44 ans lorsqu’il présentera fin août son nouveau roman, réflexion sur l’absurdité des conquêtes et la nécessité sans cesse renouvelée de se battre pour l’humanité ou la beauté. Écoutez nos défaites met en scène un agent des renseignements français chargé de traquer un membre des commandos d’élite américains soupçonné de trafics divers, et qui rencontre une archéologue irakienne tentant de préserver les œuvres d’art des villes bombardées. Un livre qui paraît aussi ancré dans le réel que l’était Eldorado au milieu des années 2000 sur le drame des migrants.

Goby - Un paquebot dans les arbresTOUSS TOUSS : Un paquebot dans les arbres, de Valentine Goby
Très remarquée pour l’ambitieux et poignant Kinderzimmer il y a trois ans, Valentine Goby change de décor pour nous emmener à la fin des années 50, dans un sanatorium où sont envoyés tour à tour les parents de Mathilde. Livrée à elle-même, sans aucune ressource, la courageuse adolescente entreprend alors tout ce qui est possible pour faire sortir son père et sa mère du « grand paquebot dans les arbres »…

Cherfi - Ma part de GauloisMOTIVÉ : Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi
Le chanteur du groupe Zebda évoque son adolescence au début des années 80, à Toulouse, alors qu’il se fait remarquer simplement parce que lui, petit rebeu de quartier défavorisé, ambitionne de passer et de réussir son bac… Un texte autobiographique qui ne devrait pas manquer de mordant et de poésie, connaissant le bonhomme.

Froger - Sauve qui peut (la révolution)LE CINÉMA, C’EST… : Sauve qui peut (la révolution), de Thierry Froger
Et si Godard avait voulu réaliser un film sur la Révolution française intitulé Quatre-vingt-treize et demi ? C’est le postulat de départ du premier roman de Thierry Froger, pavé de 450 pages qui sera soit étourdissant, soit royalement pompeux – c’est-à-dire, soit révolutionnaire soit godardien. Un gros point d’interrogation sur ce livre.

Py - Les Parisiens(PAS) CAPITALE : Les Parisiens, d’Olivier Py
Une plongée dans la nuit parisienne, dans le sillage d’un jeune provincial, Rastignac des temps modernes, qui rêve de théâtre et de mettre la capitale à ses pieds… Olivier Py devrait encore agacer avec ce nouveau livre au parfum bobo en diable, qui nous laisse penser qu’il devrait se consacrer pleinement au festival d’Avignon et au théâtre plutôt que d’encombrer les tables des libraires avec ses élucubrations littéraires.

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Rushdie - Deux ansUNE BONNE PAIRE DE DJINNS : Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, de Salman Rushdie
Le plus barbu des vieux sages romanciers propose cette fois un conte philosophique, dans lequel des djinns, créatures mythiques et immortelles, décident de se mêler aux humains pour partager leurs vies pleines de folie et de déraison. L’occasion, par le filtre de la fiction fantastique, d’une vaste réflexion sur l’histoire humaine.

SAGA SUÉDÉE : Fermer les yeux (Le Siècle des grandes aventures t.4) – titre incertain
Le romancier suédois poursuit sa vaste geste contemporaine qui explore les bouleversements du XXème siècle, en confrontant Lauritz, l’aîné des frères Lauritzen héros de la saga, au drame de la Seconde Guerre mondiale.

WHEN YOU BELIEVE : Le Roman égyptien, d’Orly Castel-Bloom
A travers les époques et les pays, entre l’Égypte biblique, l’Espagne de l’Inquisition et les kibboutz israéliens, l’errance des Castil, une famille juive. Ce roman a reçu l’équivalent du prix Goncourt égyptien.

Lustiger - Les insatiablesFRANCE-ALLEMAGNE, LE RETOUR : Les Insatiables, de Gila Lustiger
Gila Lustiger est allemande mais vit en France. Son nouveau roman, qui suit l’enquête opiniâtre d’un journaliste sur un meurtre vieux de 27 ans qui vient d’être résolu grâce à l’ADN, dresse un tableau sans concession de la France contemporaine. Grosse Bertha : 1 / Ligne Maginot : 0.

DEUXIÈME ÉTOILE A DROITE ET TOUT DROIT JUSQU’AU MATIN : Phare 23, de Hugh Howey
L’auteur de la trilogie à succès Silo revient avec un nouveau roman de S.F., publié dans la collection Exofictions. Nous sommes au XXIIIème siècle et les phares se trouvent désormais dans l’espace, où ils guident des vaisseaux voyageant à plusieurs fois la vitesse de la lumière. Construits pour être robustes, à toute épreuve, ces phares sont les garants de l’espace stellaire. Mais que se passerait-il en cas de dysfonctionnement ?…


Mathias et la Révolution, de Leslie Kaplan

Signé Bookfalo Kill

Obsédé par la Révolution française, Mathias parcourt les rues de Paris et aborde son sujet de prédilection avec tous ceux qu’il croise. La rumeur court que des émeutes éclatent en banlieue, peut-être à la suite d’un incident dans un hôpital. C’est toute la capitale qui bruit et s’émeut, qui rit et prend peur, attendant, espérant, craignant une nouvelle rébellion du peuple…

Kaplan - Mathias et la RévolutionEn découvrant à la fin que ce roman a d’abord fait l’objet l’année dernière d’une adaptation théâtrale, on ne s’étonne pas outre mesure. Privilégiant les dialogues, au point que la parole déborde parfois les marquages usuels (les tirets) qui la délimitent traditionnellement dans un roman, Mathias et la Révolution est une suite d’échanges vifs et passionnés qui traitent de politique, de société, de révolution, mais aussi de littérature. En ce sens, Leslie Kaplan fait montre d’une énergie communicative, et certains passages sont fort brillants, qui sollicitent l’intelligence et la réflexion du lecteur d’une manière stimulante, et offrent une mise en perspective de notre époque en opposant son reflet tourmenté à celui des tumultueuses dernières années du XVIIIème siècle.

Face à une forme aussi singulière, il ne faut évidemment pas s’attendre à un roman « classique », suivant une trame et allant d’un point A à un point Z en tirant tous les traits habituels entre ces deux extrémités. Certains personnages sont en errance, comme Mathias, d’autres surgissent à l’improviste (l’Académicien), et la seule chose qui lie le tout est la relecture des événements de la Révolution et des discours des acteurs de l’époque. De fait, la construction globale de l’ensemble demeure extrêmement floue, au point de paraître artificielle et de questionner l’intérêt de choisir une forme romanesque pour un tel texte. Mais d’ailleurs, est-ce un roman ? La couverture du livre ne le mentionne pas (alors que c’est en général le cas aux éditions P.O.L.), fournissant un élément de réponse à cette interrogation.

Mathias et la Révolution est un livre déconcertant, ce qui peut constituer à lui seul un argument pour s’y frotter, pour peu que l’idée de se confronter à une forme littéraire originale vous paraisse séduisante. Pour ma part, j’ai trouvé l’exercice intéressant, mais je crains de ne pas en conserver un grand souvenir.

Mathias et la Révolution, de Leslie Kaplan
Éditions P.O.L, 2016
ISBN 978-2-8180-3722-5
254 p., 16,90€


Le Fleuve guillotine, d’Antoine de Meaux

Signé Bookfalo Kill

La Révolution française ne s’est pas tenue qu’à Paris, comme l’Histoire telle qu’elle est enseignée en accéléré tend parfois à le laisser penser. De nombreuses provinces l’ont vécue également à leur manière ; c’est le cas de Lyon, qui s’est très vite élevée contre la ligne dure prônée par les Jacobins. Républicaine mais modérée, la Capitale des Gaules ne voulait pas de la Terreur. Elle l’a payée dans le sang et la fureur, violemment réprimée par la Convention.

De Meaux - Le Fleuve guillotineC’est ce que raconte Le Fleuve guillotine, gros roman historique d’une excellente facture, qui dresse avec un luxe de détails la reconstitution dans ces quelques mois, entre le 10 août 1792 (date de la chute de la royauté, pour ceux qui somnolaient contre le radiateur au fond de la classe) et la fin 1793. J’ignorais ainsi totalement que Lyon, après s’être ralliée aux Girondins et avoir éliminé les leaders montagnards envoyés dans la ville par la Convention, avait fait l’objet d’un siège en règle, durant deux mois, d’août à octobre 1793, avant de céder, affamée et pilonnée.

Avec beaucoup d’énergie et une belle verve, notamment dans les dialogues, Antoine de Meaux plonge quelques personnages solidement campés dans ce tourbillon effarant. Il évoque avec autant de précision les batailles de rue et les grands moments historiques (l’ouverture du roman, qui relate la reddition de Louis XVI à Paris, est ainsi une entrée en matière parfaite) que les soubresauts politiques et les errances de ses héros, confrontés à des choix bien trop grands pour eux, mais qui tous affrontent leur destin en affirmant des caractères que le contexte hors norme exacerbe.

Les lecteurs peu familiers de géographie lyonnaise trouveront en fin de volume plusieurs cartes joliment dessinées, qui plantent les grands lieux du récit autant que de la région où il se déroule. Une initiative qui s’avère fort utile, car de la sorte on plonge dans l’intrigue au plus près des pavés, de la superbe place Bellecour – si riche qu’elle sera symboliquement détruite par les Conventionnels après la chute de la ville – à l’Hôtel de Ville, de la Saône au Rhône, le fameux « fleuve guillotine » du titre, ainsi nommé car un certain nombre de condamnés furent exécutés sur le pont Morand, et leurs corps balancés directement dans l’eau… Ah ça, oui, on savait s’amuser à l’époque !

Le Fleuve guillotine, d’Antoine de Meaux
Éditions Phébus, 2015
ISBN 978-2-7529-1031-8
446 p., 23€


A première vue : la rentrée Seuil 2015

Les éditions du Seuil font partie des grosses écuries dont nous n’avons pas encore parlé cette année. Qu’à cela ne tienne, c’est parti ! Néanmoins, pas de quoi sauter au plafond non plus… Du côté des francophones, à part Alain Mabanckou, qu’on voit mal nous décevoir, les titres annoncés ne nous excitent pas plus que cela (constat entièrement personnel, évidemment). Ca pourrait être mieux du côté des étrangers – ça pourrait. Et dans le meilleur des mondes, nous pourrions aussi nous tromper complètement. Réponse(s) à la rentrée.

Mabanckou - Petit PimentÇA PIQUE, ÇA LANCE ET ÇA REPIQUE DERRIÈRE : Petit Piment, d’Alain Mabanckou
Petit Piment est un orphelin de Pointe-Noire dont la vie est pour le moins agitée. Pensionnaire d’une institution catholique dirigée par le tyrannique et corrompu Dieudonné Ngoulmoumako, il profite de la révolution socialiste pour s’évader, faire les quatre cent coups, puis se réfugier dans la maison close de Maman Fiat 500. Il y coule enfin des jours paisibles, jusqu’au au jour où le maire décide de s’attaquer à la prostitution. Ulcéré, Petit Piment passe en mode vengeance…

Desbiolles - Le Beau tempsON EN A GROS : Le Beau temps, de Marilyne Desbiolles (lu)
Roman biographique ou biographie romancée, roman documentaire, exofiction : les noms flous ne manquent pas pour tenter de définir ce genre très (trop ?) à la mode mêlant travail littéraire et personnages ou faits réels. Si Patrick Deville, Jean Echenoz et Eric Vuillard, entre autres, s’y sont brillamment illustrés, Marilyne Desbiolles aurait mieux de s’abstenir. Sa tentative, consacrée à Maurice Jaubert (compositeur de musique de films du début XXème) n’a définitivement rien d’un roman ; pas sublimée par un style, c’est une biographie assez pauvre et sans intérêt, ses rares incursions dans le texte pour ajouter de la matière littéraire s’avérant souvent ratées.

Delerm - Les eaux troubles du mojitoY’A DE LA RELANCE SUR LE DEJA-VU : Les eaux troubles du mojito, de Philippe Delerm
Sous-titré « et autres belles raisons d’habiter sur terre », ce petit livre ramène Delerm sur le chemin balisé qu’il avait ouvert avec La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, celui de textes courts et poétiques sur les petites choses qui font le sel de la vie quotidienne. C’était il y a dix-huit ans et rien n’a changé ou presque.

Holder - La Saison des BijouxUN ROI A LA TAVERNE : La Saison des Bijoux, d’Eric Holder
Écrivain de l’intime, Eric Holder revient avec une immersion dans le monde des marchands ambulants. Le temps d’un été, Jeanne, Bruno et leur tribu s’installent dans une petite ville de la côte Atlantique et tiennent un stand sur le marché. Entre les différents artisans et maraîchers présents autour d’eux, Forgeaud, le patron des lieux, est subjugué par Jeanne et se promet de la posséder avant la fin de la saison… Un huis-clos au grand air, passionnel et intimiste, qui sert de prétexte à une galerie de personnages hauts en couleur.

Kebabdjian - Les désoeuvrésUNAGI : Les Désœuvrés, d’Aram Kebabdjian
La Cité est une résidence où se côtoient de nombreux artistes, uniquement préoccupés de créer en ce lieu pensé pour eux. Chaque chapitre de ce long premier roman s’intéresse à une œuvre et à un artiste imaginés de toutes pièces par l’auteur, composant une vision de l’art contemporain. L’idée est intéressante, mais sur 512 pages, j’espère qu’on verra évoluer les personnages et que le livre ne se résumera pas à une longue énumération, sous peine de finir par manquer d’intérêt…

Majdalani - Villa des femmesELLE EST OÙ LA POULETTE ? : Villa des femmes, de Charif Majdalani
Le romancier libanais (qui écrit en français) met en parallèle, dans le Liban des années 60, la guerre de succession suivant le décès de Skandar Hayek, un homme d’affaires prospère dont la famille se déchire, et la guerre civile qui ébranle le pays. L’occasion pour les femmes de la famille de prendre le pouvoir…

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Grossman - Un cheval entre dans un barLA PENTE FATALE : Un cheval entre dans un bar, de David Grossman
(traduit de l’hébreu par Nicolas Weill)
Sous les yeux du juge Avishaï Lazar, un ancien ami d’école, un comédien monte sur la scène d’un club miteux d’Israël, où son numéro de comique vulgaire dérape soudain vers une confession inattendue et terrible. Depuis Une femme fuyant l’annonce, prix Médicis étranger 2011, le romancier israélien est très suivi.

Kapoor - Un mauvais garçonIL TABASSE LE ROUQUIN : Un mauvais garçon, de Deepti Kapoor
(traduit de l’anglais (Inde) par Michèle Albaret-Maatsch)
Sa mère est morte, son père est parti, elle a vingt ans à New Delhi. Elle voudrait brûler sa vie mais se plie aux conventions sociales, pas le choix. Jusqu’au jour où elle rencontre ce mauvais garçon qui l’attire irrésistiblement. Sexe, drogue, alcool, elle plonge corps et âme avec lui dans une ville beaucoup plus dangereuse et palpitante qu’elle ne l’imaginait.

Cuenca Sandoval - Les hémisphèresJ’AI UN PIVERT DANS LA TÊTE, C’EST NORMAL ? : Les hémisphères, de Mario Cuenca Sandoval
(traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon)
En vacances à Ibiza, deux amis s’adonnent à tous les plaisirs, abusant notamment de dantéine, une drogue en forme de poudre orange. Sous son emprise, ils tuent accidentellement une jeune femme au volant de leur voiture. Des années plus tard, ils restent obsédés par l’image de celle qu’ils nomment « la Première Femme », croyant la voir réincarnée dans d’autres silhouettes féminines qu’ils pourchassent sans relâche.

(Merci à Alexandre Astier pour les titres introduisant chaque présentation !)


Temps glaciaires, de Fred Vargas

Signé Bookfalo Kill

Pour le commissaire Bourlin, ce devrait être une affaire de suicide comme une autre : une sexagénaire, gravement malade, a mis fin à ses jours dans sa baignoire, et tout indique qu’elle a agi seule. Mais il y a ce petit symbole énigmatique, presque invisible, dessiné au crayon à maquillage sur le meuble de toilette. En appelant à la rescousse Danglard, le policier qui sait tout sur tout, pour essayer de déterminer ce que signifie ce dessin, il convoque aussi involontairement la curiosité lunaire de son collègue, le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. A qui il ne faut guère que ce dessin minuscule pour décider qu’il s’agit d’un meurtre…

Vargas - Temps glaciairesRouillée, Fred Vargas ? On pourrait le penser, vu que Temps glaciaires met une petite centaine de pages à démarrer. J’ignore si elle n’a rien écrit durant les quatre années qui séparent la parution de ce nouveau roman du précédent, L’Armée Furieuse, mais l’aspect laborieux de ce démarrage, manquant de rythme, à l’humour empesé et dont l’intrigue peine à se mettre en place, peut le laisser croire. Même ses personnages, à commencer par l’inévitable commissaire Adamsberg, tardent à retrouver leurs aises, non parce que la romancière les bouscule, mais parce qu’elle semble avoir quelque peu oublié leur voix et leur caractère.
Néanmoins, une fois les éléments en place, Vargas relance enfin la machine, et l’on retrouve ce que ses fans adorent dans ses livres (et ce que ses détracteurs détestent), à commencer, donc, par ses personnages. Adamsberg suit toujours une logique qui lui est propre et qui échappe à tout le monde, sauf à son adjoint et ami Veyrenc ; Danglard ronchonne, boit comme un trou, fait étalage de son savoir illimité quand il le faut ; Retancourt impose son physique et son instinct inné, le chat La Boule dort toujours sur la photocopieuse…
(On notera par ailleurs une autre confirmation, celle de la disparition totale de Camille, le grand amour compliqué d’Adamsberg, ainsi que de leur fils, dont on se demande bien pourquoi il est né.)

Vous l’aurez compris, rien de révolutionnaire, même si Robespierre joue un rôle majeur dans une intrigue particulièrement tordue, qui mêle mythes islandais et, donc, histoire de la Révolution Française (si si !) Certes, certaines dissensions inhabituellement fortes finissent par naître entre nos héros, donnant des pages de conflit intéressantes à Danglard et Retancourt. Mais Temps glaciaires suit des schémas vargassiens connus et ne surprend pas vraiment, tout en remplissant son office de « rompol » (contraction de roman policier, le terme inventé par Vargas pour désigner son style propre et le style de polar qu’elle écrit) décalé et distrayant, qui ne ressemble à aucun autre livre du genre.
Pour le dire autrement, c’est au bout du compte un bon Vargas mineur. Pour les connaisseurs, à classer plutôt du côté de Dans les bois éternels (très long à démarrer lui aussi) ou Un lieu incertain.

Je relisais à l’instant la chronique que j’avais faite de l’Armée Furieuse (l’une des toutes premières de ce blog, d’ailleurs), et constate que je me m’y montrais plus indulgent que cette fois. Sans doute ne suis-je plus le même lecteur qu’il y a quatre ans. Mais Fred Vargas est tellement douée qu’on aimerait parfois la voir prendre elle-même l’un de ces chemins de traverse qu’elle se plaît à faire emprunter à son héros emblématique, en mettant par exemple de côté ce dernier, pourquoi pas…

Temps glaciaires, de Fred Vargas
  Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-0813-6044-0
490 p., 19,90€


A première vue : la rentrée de l’Olivier 2014

Petite rentrée encore, aux éditions de l’Olivier cette fois. Quatre romans français rejoignent les tables des librairies fin août, solides mais pas forcément hyper excitants – à première vue du moins. Les lire nous surprendra donc peut-être agréablement. On croise les doigts, car voilà une maison qui est toujours capable de nous révéler de très bonnes choses !

Zenatti - Jacob, JacobGUERRE ET FAMILLE : Jacob, Jacob, de Valérie Zenatti
Jacob, jeune Juif de Constantine, est enrôlé en juin 1944 pour libérer la France ; il meurt six mois plus tard, à l’âge de 19 ans. Ce roman relate cette courte immersion dans le conflit, mais aussi l’attente angoissée de sa famille, puis l’histoire de cette dernière en Algérie après 1945. Valérie Zenatti, qui s’est inspirée de sa propre famille pour ce livre, brille souvent quand elle aborde la guerre – son célèbre roman jeunesse, Une bouteille dans la mer de Gaza, est devenu un classique souvent lu dans les collèges aujourd’hui.

Gailliot - Le SoleilMILLEFEUILLES : Le Soleil, de Jean-Hubert Gailliot
Alexandre Varlop est chargé de retrouver le manuscrit d’un mystérieux roman intitulé Le Soleil, considéré comme un immense chef d’œuvre méconnu de la littérature mondiale, et qui serait passé entre les mains de nombreuses célébrités, dont Man Ray ou Ezra Pound. Sa quête le mène de Mykonos, où le roman aurait été volé, à Palerme et aux Baléares… Plus qu’un simple roman d’aventure, ce gros livre (plus de 500 pages) joue sur sa construction élaborée, son jeu entre réalité et fantasmes, et ses nombreuses références artistiques pour sortir du lot.

Brisac - Dans les yeux des autresPROSE COMBAT : Dans les yeux des autres, de Geneviève Brisac
Destins croisés de deux sœurs, unis dans leurs combats de jeunesse, depuis leurs premières manifestations à Paris jusqu’à la lutte armée au Mexique, mais qui s’éloignent lorsqu’une d’elle en tire la matière d’un roman. Deux conceptions de l’idéal révolutionnaire s’affrontent, mais aussi des visions différentes de la vie, des hommes, du désir…

CLIC-CLAC KODAC : Photos volées, de Dominique Fabre
Alors qu’il vient de perdre son travail, un homme d’une soixantaine d’années s’emploie à reconstruire sa vie en s’appuyant sur les nombreuses photographies qu’il a réalisées plus jeune. L’occasion de s’inventer un nouvel avenir en renouant avec son passé ?


Les Renards Pâles, de Yannick Haenel

Signé Bookfalo Kill

Parce qu’il ne s’y retrouve plus, un homme décide de se retrancher de la société. Il renonce à son appartement, ne travaille plus, habite dans sa voiture, passe ses journées à errer dans le XXème arrondissement de Paris et ses soirées en rencontres hasardeuses.
Au fil de ses promenades, il s’intéresse à d’étranges dessins et inscriptions, qui l’amènent sur la piste des Renards Pâles, une organisation souterraine dont les messages entrent en résonance avec ses propres convictions…

Haenel - Les renards pâlesAttention, roman choc. Avec Les Renards Pâles, Yannick Haenel nous jette à la figure un livre dérangeant, asocial et apolitique, sans concession, violemment sincère et engagé.
Le cœur du roman tient dans sa deuxième partie, où la narration passe du « je » à un « nous » englobant et d’une puissance envoûtante, qui entraîne le lecteur (qu’il le veuille ou non) dans la spirale d’une nouvelle révolution. Car c’est de cela qu’il s’agit, ni plus ni moins : Les Renards Pâles sont un chant d’insurrection, un appel au changement radical, par l’action et la violence s’il le faut, partant du constat que le monde dans lequel nous vivons est définitivement perclus d’injustice et de cruauté, et qu’espérer le modifier par les voies pacifistes et politiques est désormais totalement vain.

Avec un sujet pareil, autant dire que ce livre ne peut laisser indifférent. Il sera détesté ou admiré, contesté ou discuté, et nul doute que Yannick Haenel, déjà très présent dans les médias, aura à cœur de le défendre avec toute l’intelligence dont cet auteur atypique, grand lecteur et fin penseur, est capable.
Pour ma part, Les Renards Pâles m’ont sévèrement bougé, parfois subjugué, alors même que je ne veux pas croire en la solution insurrectionnelle pour changer les choses – mais d’un autre côté, si on réfléchit un tant soit peu à l’état de notre société et de notre politique (tous bords confondus, pas de jaloux), on se retrouve vite obligé de considérer cette hypothèse radicale…

Bref, Haenel nous file des grandes claques au cerveau, avec ce texte implacable dont il faut saluer par ailleurs l’écriture économe et précise, dont la fluidité fait couler le récit comme une foule qui envahit les rues et s’avance inexorablement vers la rébellion. L’un des incontournables de la rentrée, à lire au moins pour se confronter sans tricher à ses propres questionnements, quelles que soient les réponses que l’on en tire.

Les Renards Pâles, de Yannick Haenel
Éditions Gallimard, coll. L’Infini, 2013
ISBN 978-2-07-014217-0
175 p., 16,90€