Dans les brumes de Capelans, d’Olivier Norek
Une île de l’Atlantique, battue par les vents, le brouillard et la neige.
Un flic qui a disparu depuis six ans et dont les nouvelles missions sont classées secret défense.
Sa résidence surveillée, forteresse imprenable protégée par des vitres pare-balles.
La jeune femme qu’il y garde enfermée… Et le monstre qui les traque.
Dans les brumes de Capelans, la nouvelle aventure du capitaine Coste se fera à l’aveugle.
Michel Lafon a dégainé le bon résumé qui claque pour le nouveau Norek. Il faut dire que sa superstar du polar n’a pas besoin de beaucoup d’arguments pour emporter l’adhésion de milliers de lecteurs totalement dévoués à sa cause depuis son apparition fracassante sur la scène du genre il y a neuf ans, marquant l’entrée en scène de son capitaine Coste devenu en trois romans (Code 93, Territoires et Surtensions) le héros emblématique de son créateur.
L’ancien policier a ensuite démontré sa capacité à prendre des risques et à varier son style avec le formidable Entre deux mondes, le percutant Impact et le rural (moins convaincant à mon sens) Surface.
Soit, mais quid de Coste ? Qu’il ait entendu les fréquents appels de ses lecteurs à le remettre en selle ou qu’il ait simplement eu envie de renouer avec lui, Olivier Norek a finalement décidé de lui consacrer un quatrième roman. Mais pas n’importe comment. Pas à n’importe quel prix. Sans oublier ce qu’il lui a fait traverser auparavant, notamment dans Surtensions (et je n’en dirai pas plus, parce que si vous n’avez pas lu la trilogie Coste originelle, ce serait criminel).
Il a donc choisi, et c’est la grande idée de ce livre, de le délocaliser et de le reconditionner, le plus loin possible de son territoire et de ses compétences. Soit à Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire français glacial coincé entre le Canada et le Groenland. Et dans une fonction secrète et solitaire de « peseur d’âmes », très éloignée de son boulot de terrain dans le 93.
Là encore, je préfère ne pas m’étendre, pour vous laisser découvrir le scénario concocté par Olivier Norek. Tout ce que je peux dire, c’est que le romancier a formidablement réussi son coup. On est heureux de retrouver un Victor Coste qui, par certains aspects, reste familier aux lecteurs des romans précédents, tout en ayant l’étonnante sensation de découvrir un nouveau personnage, tout entier habité par ses étranges responsabilités et les fantômes de son passé.
Ça aurait pu coincer, ça passe très bien, parce que l’auteur a pris soin de soigner la transition et d’assurer le meilleur équilibre possible sans faire basculer son protagoniste dans une schizophrénie qui aurait été hors sujet.
Ça passe d’autant mieux que l’intrigue est dans l’ensemble remarquablement menée (à l’exception d’une ou deux « tricheries » sur la chronologie, volontaires sans doute pour mieux surprendre le lecteur, mais un peu limite en terme de cohérence narrative).
Norek oscille entre son cher polar d’investigation et le thriller pur et dur, avec son tueur en série redoutable, ses surprises, ses rebondissements – dont deux twists, le premier génialement amené, le deuxième plus prévisible mais efficace tout de même.
Et aussi son atmosphère singulière, liée au cadre géographique – Saint-Pierre-et-Miquelon, dont le phénomène très particulier des brumes de Capelans assure un final spécialement stressant – et enjolivée par le travail particulièrement soigné qu’apporte le romancier à son écriture. Norek prend un peu plus de temps que d’habitude pour décrire les paysages, les décors, et ose davantage jouer avec le style, convoquant des images fortes et des dialogues bien sentis, non dénués d’humour à l’occasion.
Autant d’arguments et de points forts qui font de Dans les brumes de Capelans une nouvelle belle réussite d’Olivier Norek, à la hauteur des trois opus précédents de la série Coste tout en proposant une variation neuve sur le personnage, et qui assure une lecture totalement addictive, un suspense dont l’intensité va crescendo jusqu’à un dernier tiers inexorablement jouissif.
Je ne sais pas si la police a perdu un bon flic lorsque Norek a décidé de troquer le flingue pour le stylo, mais ce dont je suis sûr, c’est que le genre policier a gagné en France un excellent auteur, désormais incontournable. En tout cas, moi, j’en redemande !
Dans les brumes de Capelans, d’Olivier Norek
Éditions Michel Lafon, 2022
ISBN 9782749942285
400 p.
20,95 €
Rapport d’enquête #2 : King, Meyer

Après
Stephen King
Éditions Albin Michel, 2021
ISBN 9782226459763
329 p.
20,90 €
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Marina Boraso
Jamie n’est pas un enfant comme les autres : il a le pouvoir de parler avec les morts. Mais si ce don extraordinaire n’a pas de prix, il peut lui coûter cher.
C’est ce que Jamie va découvrir lorsqu’une inspectrice de la police de New York lui demande son aide pour traquer un tueur qui menace de frapper… depuis sa tombe.
Si ce nouveau roman de Stephen King était un célèbre soda d’outre-Atlantique, ce ne serait certes pas du Zéro, mais du Light. Avec son idée de départ ouvertement pompée sur Sixième Sens de M. Night Shyamalan – un jeune garçon voit des gens qui sont morts -, Bruce Willis et le twist de folie en moins, le septuagénaire n’invente rien de neuf, mais il déroule avec facilité et efficacité une histoire bien dans son style.
Son jeune héros, narrateur de l’intrigue, est très attachant, tout comme sa mère qui l’élève seule. C’est une voix d’enfant comme King sait si bien les camper, avec empathie et tendresse, sans mièvrerie. En face, les méchants sont moches, le suspense tient la route sans excès de vitesse, il y a quelques scènes sanglantes mais pas trop – en dépit de l’insistance, d’ailleurs suspecte au bout d’un moment, avec laquelle notre Jamie affirme qu’il s’agit d’une « histoire d’épouvante »…
Clairement un King mineur – mais comme le disait l’ami Yvan Fauth dans un échange que nous avions récemment, ce qui est mineur chez Master Stephen reste bien souvent au-dessus du lot, et c’est finalement notre seule exigence vis-à-vis de son génie si souvent démontré qui nous rend parfois sévère avec lui.
Bref, un bon moment de lecture, ni plus ni moins, et c’est déjà bien.

La Femme au manteau bleu
Deon Meyer
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2021
ISBN 9782072857805
192 p.
14 €
Traduit de l’afrikaans par Georges Lory
Le corps, soigneusement lavé à l’eau de Javel, d’une Américaine experte en peinture de l’âge d’or hollandais a été abandonné sur un muret au panorama du col de Sir Lowry, à soixante kilomètres du Cap.
Benny Griessel et Vaughn Cupido, tandem choc de la brigade criminelle des Hawks, se demandent ce qu’elle était venue faire en Afrique du Sud. Personne, dans son entourage, ne semble au courant. Mais lorsqu’ils découvrent que son travail consistait à localiser des tableaux disparus, et qu’elle avait contacté un professeur d’histoire retraité ainsi qu’un détective privé, des pistes inattendues s’ouvrent à eux…
On ne va pas se mentir ni se voiler la face : pour ce nouveau roman, Deon Meyer assure le service minimum, à tous les étages.
Minimum de personnages, pour un minimum de pistes et d’hypothèses qui débouchent logiquement sur une résolution minimaliste. Doublé d’un minimum de travail sur les personnages, à commencer par les principaux, et en particulier Benny Griessel qu’on a connu plus râpeux, plus fracturé (et donc plus intéressant) lorsque l’alcool faisait de lui sa chose et contribuait à l’égarer dans des enquêtes autrement plus complexes.
Minimum de recherche sur le sujet choisi, également. Si vous cherchez un bon polar sur le monde de l’art, il y a plein d’autres qui vous captiveront davantage que celui-ci, à peine digne de figurer en annexe d’une bibliographie sur le sujet.
Minimum de psychologie, encore – on a droit à un alignement de platitudes analytiques qu’on jugerait indignes chez n’importe quel débutant.
Minimum de style, enfin : narration expéditive, au présent et sans aucun relief, accélérée à grands coups de dialogues charclés à la machette.
Pas de quoi me convaincre de faire plus à mon tour que le strict minimum dans cette chronique.
Hormis vous conseiller, si vous êtes un inconditionnel de Deon Meyer, d’attendre la sortie poche d’ici un an ou deux, histoire de ne pas perdre 14€ pour une lecture, certes potable, mais qui n’en vaut pas autant. Et si vous ne le connaissez pas, ruez-vous toutes affaires cessantes sur L’Année du Lion. Là, vous ne le regretterez pas.
À première vue : la rentrée Sabine Wespieser 2021
Intérêt global :
La vie est un combat perpétuel dont on n’est jamais certain de sortir vainqueur. Tel pourrait être le résumé, un peu rapide certes, de la rentrée littéraire 2021 des éditions Sabine Wespieser. Des violences dont sont encore et toujours victimes les Noirs aux États-Unis à celles qui menacent d’embraser Belfast durant l’été 2014, en passant par la difficulté d’être femme, les trois romans du programme scrutent le monde avec sérieux et placent haut la barre de l’exigence.
Milwaukee Blues, de Louis-Philippe Dalembert

La mort traumatisante de George Floyd n’en finit pas, et c’est compréhensible, de provoquer stupeur, questionnements et profondes remises en question.
Elle inspire à Louis-Philippe Dalembert ce nouveau roman, qui débute par le décès brutal d’Emmett, un jeune homme noir asphyxié sous le genou d’un policier insensible à ses appels de détresse. Mais comment raconter le cheminement qui a conduit ce garçon sans histoire à une mort aussi atroce ?
L’écrivain choisit de reconstituer le portrait d’Emmett sous forme de puzzle, en convoquant tour à tour les voix de tous ceux qui l’ont côtoyé : son institutrice, ses amis les plus proches, mais aussi son entraîneur de football, son ex-femme ou sa mère. Une manière de remettre l’humain au cœur du fait divers, pour en chasser le sensationnalisme et essayer de saisir au mieux l’humain qui continue à vibrer dans une histoire aussi dramatique.
Sages femmes, de Marie Richeux

Parcours de combattantes.
Marie, la narratrice, décide de conjurer d’étranges rêves de chevaux fous et la question obsédante que lui pose sa fille – « Elle est où, la maman ? » en remontant le fil généalogique féminin de sa famille. Elle démêle l’écheveau de son héritage familial, cherchant à en savoir plus sur ses aïeules qui, sur plusieurs générations, depuis le milieu du XIXe siècle, ont accouché de filles sans être mariées et subsisté grâce à des travaux d’aiguille.
Interrogeant ses tantes, sa mère, fouillant les archives, elle remonte le fil de sa lignée, racontant l’histoire sociale des filles-mères.
Les lanceurs de feu, de Jan Carson
(traduit de l’anglais (Irlande) par Dominique Goy-Blanquet)

Belfast, 2014. C’est l’été des Grands Feux. Bien avant les feux de joie traditionnellement élevés à l’occasion de la grande parade orangiste du 12 juillet, de gigantesques foyers illuminent la ville cette année-là, malgré l’interdiction formelle des autorités.
Dans ce climat de forte tension où la fureur n’est jamais loin de s’embraser, deux pères de famille que rien ne lie s’interrogent en miroir sur le risque de transmettre à leurs enfants le germe de la violence que chacun croit porter en lui à sa manière.
À première vue : la rentrée Fayard 2021
Intérêt global :

Place à un éditeur dont, je le rappelle par honnêteté, la production en littérature m’interpelle assez rarement. Mais c’est tout de même un nom très important parmi les maisons françaises, ce qui justifie de lui faire une place dans la rubrique « à première vue ».
Et puis, il y aura au moins une sortie événementielle qui devrait en toute logique faire parler d’elle, ne serait-ce que par la forte médiatisation de son auteur – dont c’est pourtant le premier roman…
Alors, une petite idée ?
(Bon, d’accord, c’est facile, la réponse se trouve juste en-dessous.)
Il était une fois à Hollywood, de Quentin Tarantino
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard)

Non, vous ne rêvez pas, on parle bien ici DU Quentin Tarantino, le seul le vrai.
Et si le titre de son premier roman vous rappelle furieusement celui de son dernier film en date (voire dernier film tout court ?), ce n’est pas un hasard. Il s’agit en effet, non pas d’une novélisation, mais d’une version romanesque (librement inspirée, dixit l’éditeur) de l’histoire déjà racontée sur grand écran par le réalisateur de Pulp Fiction.
On retrouvera donc l’acteur Rick Dalton, sa doublure cascade Cliff Booth, Sharon Tate et Charles Manson – entre autres figures hautes en couleurs de cette plongée sulfureuse dans le Hollywood de 1969.
La Danse de l’eau, de Ta-Nehisi Coates
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty)

Puisqu’on parle de premier roman, voici venir celui de Ta-Nehisi Coates – dont le nom connaît lui aussi une certaine notoriété, grâce à ses essais engagés sur la condition noire aux États-Unis (Une colère noire, Autrement 2016), mais également en tant que scénariste de comics, notamment sur Black Panther.
Sa première fiction littéraire le voit mettre en scène un jeune homme, né dans les fers, et à qui tous les souvenirs de sa mère ont été dérobés le jour où celle-ci a été vendue. Ne lui reste qu’un mystérieux pouvoir, capable de lui sauver la vie.
Il s’engage alors dans un grand périple qui va le conduire du sud au nord des États-Unis.
Olive, enfin, de Elizabeth Strout
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon)

À Crosby, une ville côtière du Maine, la professeure de mathématiques Olive Kitteridge, désormais veuve et retraitée, entame cette nouvelle période de sa vie avec la surprise de trouver un nouveau mari en la personne de l’élégant Jack Kennison.
Au fil des années, elle croise des connaissances, des amis, des voisins et d’anciens élèves, autant de rencontres dont elle tire des leçons de vie.
Retour de l’héroïne rencontrée il y a quelques années dans le livre éponyme.
Feu, de Maria Pourchet

Il y a quelques années, j’avais lu par hasard Champion de Maria Pourchet, et m’étais surpris à beaucoup aimer alors que j’en attendais rien de spécial.
De quoi espérer plus que du résumé de ce nouveau roman ?
Je dois avouer que, sur le papier, je frétille assez peu : une quarantenaire mariée et mère de deux filles, qui s’ennuie dans sa vie pétrie de compromis, rencontre un cinquantenaire qui déprime entre boulot dans la finance, échappées sexuelles sur YouPorn et doutes sur le statut des hommes dans la société. Évidemment, ça fait badaboum. Mais jusqu’où ?
Ben j’en sais rien, mais je ne suis pas sûr d’être assez motivé pour explorer une histoire comme celle-ci. Et vous ?
(Vraie question ouverte, hein !)
Les djihadistes aussi ont des peines de cœur, de Morgan Sportès
Titre choc pour roman social d’aujourd’hui.
Après un jet de grenade dans une épicerie casher de banlieue parisienne, la police identifie l’auteur de l’attaque et, au lieu de l’appréhender tout de suite, le place sous surveillance pour débusquer son réseau. L’occasion de plonger dans le quotidien d’une vingtaine de djihadistes en puissance, dans leurs existences au ras du bitume, leurs origines et leurs vies de famille, pour déterrer les racines de leur choix.
Un pari toujours risqué, celui de chercher à retracer des traces d’humanité derrière le masque réducteur du « monstre ». Mais ce peut être salutaire, à condition que la réflexion soit irréprochable.
Souvenirs de ma vie d’hôtel, de Jacques Fieschi
Dans les années 70, trois jeunes gens, une fille et deux garçons, empêtrés dans un triangle amoureux. La fille aime l’un des garçons, l’un des garçons aime l’autre garçon, et les trois font semblant de croire qu’ils font un petit boulot d’étudiant alors qu’ils participent à une escroquerie. Mais les masques finissent toujours par tomber.
(Et j’aurais peine à exprimer le profond sentiment d’indifférence que ce genre de résumé m’inspire.)
BILAN
Lectures potentielles :
La Danse de l’eau, de Ta-Nehisi Coates
Il était une fois à Hollywood, de Quentin Tarantino
(Je ne suis pas un grand amateur du cinéma de Tarantino, mais je suis curieux de voir ce que son style si particulier peut donner en littérature.)
Un voisin trop discret, de Iain Levison

Éditions Liana Levi, 2021
ISBN 9791034904006
224 p.
19 €
Parallax
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanchita Gonzalez Batlle
Pour que Jim, chauffeur Uber de soixante ans, voie la vie du bon côté, que faudrait-il ? Une petite cure d’antidépresseurs ? Non, c’est plus grave, docteur. De l’argent ? Jim en a suffisamment. Au fond, ce qu’il veut, c’est qu’on lui fiche la paix dans ce monde déglingué. Et avoir affaire le moins possible à son prochain, voire pas du tout.
Alors, quand sa nouvelle voisine, flanquée d’un mari militaire et d’un fils de quatre ans, lui adresse la parole, un grain de sable se glisse dans les rouages bien huilés de sa vie solitaire et monotone. De quoi faire exploser son quota de relations sociales…
À chaque fois que je lis Iain Levison, je suis stupéfait par deux choses : l’énergie fluide avec laquelle il conduit ses intrigues, et sa capacité à stigmatiser aberrations sociales ou politiques et mauvais penchants humains tout en maintenant à flot une suffisante dose d’espoir et d’empathie pour ne pas sombrer.
Ces ingrédients sont à nouveau réunis dans Un voisin trop discret, pour une nouvelle réussite du romancier. On retrouve également la minutie avec laquelle il élabore, mine de rien, des mécanismes narratifs implacables, poussant protagonistes et antagonistes vers des destins aussi inéluctables que parfaitement justifiés.
Voir la machine dévoiler peu à peu les rouages précis de son moteur est un vrai régal, qui pousse à tourner les pages au plus vite pour découvrir où Iain Levison souhaite (et parvient sans coup férir) à nous entraîner.
Le titre original, Parallax – plus risqué que celui choisi par Liana Levi -, renvoie à une notion d’astronomie qui, pour le dire très vite et très simplement, qualifie un déplacement de l’observateur occasionnant une variation de point de vue sur un seul et même objet étudié.
C’est exactement ce que fait Levison pour densifier son propos sans pour autant allonger la sauce ni multiplier en vain les pages : tout en faisant avancer l’intrigue, il change de point de vue sur les mêmes faits en les faisant considérer à tour de rôle par des personnages différents. Une solution narrative remarquable pour réussir un roman brillant et profond en à peine 200 pages – oui, c’est possible, et oui, c’est très bien ainsi.
Sans être hilarant (ce n’est pas le but), le roman fait naître de précieux sourires, par son ironie discrète et son entêtement à offrir à ses personnages le sort qu’ils méritent.
Oui, il y a quelque chose de bizarrement moral dans la conclusion du livre (sans que l’auteur assène quoi que ce soit de définitif pour autant ni ne cède à une horrible démagogie), une manière de punir ou de récompenser les uns et les autres qui, sous d’autres plumes, aurait fait grincer des dents ou lever les yeux au ciel, mais qui, chez Levison, se dégage du piège des bons sentiments et de la facilité pour paraître un juste retour des choses.
En évitant de trop en dire, bien entendu, l’apparition du vieux flic dans le dernier quart de l’histoire, et la manière réjouissante dont l’écrivain exploite ce personnage en jonglant entre les attendus de la figure et son savant détournement, sont un bel exemple du talent de Levison.
Je ne sais pas si, comme le clame son bandeau avec impudence et un rien d’opportunisme, Un voisin trop discret est « le vaccin contre la morosité ». Mais c’est une belle pierre de plus dans le jardin d’un auteur dont je vous recommande chaleureusement la lecture.
Comme souvent, le nouveau roman de Iain Levison est bien accueilli. Voyez plutôt chez Actu du Noir, Encore du noir, The Killer inside me, Diacritik…
COUP DE CŒUR : La République des faibles, de Gwenaël Bulteau
Éditions la Manufacture de Livres, 2021
ISBN 9782358877190
368 p.
19,90 €
Le 1er janvier 1898, un chiffonnier découvre le corps d’un enfant sur les pentes de la Croix Rousse. Très vite, on identifie un gamin des quartiers populaires que ses parents recherchaient depuis plusieurs semaines en vain.
Le commissaire Jules Soubielle est chargé de l’enquête dans ce Lyon soumis à de fortes tensions à la veille des élections. S’élèvent les voix d’un nationalisme déchainé, d’un antisémitisme exacerbé par l’affaire Dreyfus et d’un socialisme naissant.
Dans le bruissement confus de cette fin de siècle, il faudra à la police pénétrer dans l’intimité de ces ouvriers et petits commerçants, entendre la voix de leurs femmes et de leurs enfants pour révéler les failles de cette république qui clame pourtant qu’elle est là pour défendre les faibles.
Attention, pépite. Doublée d’une découverte, puisqu’il s’agit du premier roman de Gwenaël Bulteau.
Encore une superbe trouvaille à mettre à l’actif des éditions de la Manufacture de Livres, qui a déjà publié en janvier le remuant Nos corps étrangers de Carine Joaquim.
Changement de décor entre les deux livres, en revanche, puisque La République des faibles est un polar historique. Ancré à Lyon, dont la géographie et la sociologie de l’époque sont rendues avec précision et acuité, totalement au service de l’intrigue très élaborée qu’imagine par le romancier.
Néo-lyonnais depuis bientôt six ans, cela faisait un moment que je cherchais des romans qui prennent cette ville comme cadre de maière totalement convaincante. Hormis La Part de l’aube d’Éric Marchal, et dans une moindre mesure Le Fleuve guillotine d’Antoine de Meaux, j’ai souvent fait chou blanc.
La République des faibles est, de très loin, le meilleur que j’aie pu lire.
Gwenaël Bulteau frappe très fort, en effet, à tous points de vue. Pour commencer, par son choix de l’époque et l’intelligence avec laquelle il l’utilise.
1898 : à peine vingt ans après la défaite de 1870, guerre dont les traumatismes sont encore patents ; en pleine affaire Dreyfus, qui attise la violence des opinions et exacerbe les passions dans toutes les strates de la société ; et à l’orée d’un siècle nouveau que l’on espère neuf, mais dont tout le contexte laisse craindre qu’il sera tourmenté.
Ces tensions, l’écrivain les donne à voir, en promenant sa plume attentive dans les rues, en surprenant des conversations, en captant à l’improviste altercations, injures, bagarres. Son suspense, il l’installe dans une ville nerveuse, sombre, déchirée, à l’image de la France de l’époque. Le décor est saisissant, et pourtant, jamais déployé avec ostentation. Le tableau est toujours juste, et a le bon goût de ne pas prendre toute la place.
Car de la place, il en faut, pour les personnages et pour la langue du roman.
Les personnages, pour commencer. Flics, voyous, témoins, simples passants, bourgeois, tous jouent des partitions subtiles et complexes, dont les variations ne cessent de surprendre, suivant les tours et détours d’une intrigue remarquablement dense et tourmentée, de bout en bout. Les zones d’ombre sont légion, les bonnes volontés se heurtent à la nécessité de faire parler la force, la menace et la brutalité pour obtenir des résultats.
Surtout, le romancier nous installe de plain-pied dans cette fameuse « République des faibles ». Celle des laissés-pour-compte, des délaissés de la société, des âmes perdues dans la gadoue, la crasse et l’oubli. Dans cette triste armée, les enfants sont en première ligne, qui forment le cœur du bataillon dont Gwenaël Bulteau met en lumière les souffrances.
– Avez-vous déjà entendu parler de la république des faibles ? demanda le commissaire au bout d’un moment.
– Comme tout le monde, répondit-elle en se retournant. C’est une belle idée de mettre le droit au service des individus sans défense. Malheureusement, et croyez-en ma longue expérience de femme, cette conception n’a jamais été d’actualité.
Et puis il y a la langue. Le style. Pas d’approximation chez Gwenaël Bulteau, on sent dès ce premier roman qu’il possède une véritable voix, et qu’il en use avec une belle maîtrise.
Impossible de ne pas penser à Hervé Le Corre, l’un des plus grands maîtres français du genre, surtout quand il s’agit d’explorer l’Histoire (je vous renvoie par exemple à Dans l’ombre du brasier, plongée vertigineuse dans la Commune de Paris, à laquelle on assiste au plus près du bitume, telle que je ne l’avais vue ou lue).
Gwenaël Bulteau n’a pas à rougir de cette comparaison flatteuse, qu’il mérite amplement. Il tient son rythme sans jamais flancher, joue des registres de langue en évitant les clichés ; et si son roman laisse autant de traces en mémoire (je l’ai lu en décembre et il me hante toujours), la puissance des images suggérées par son écriture y est pour beaucoup.
Je pourrais continuer encore longtemps, mais ce serait vous priver de temps pour vous précipiter dans votre librairie et vous plonger dans ce livre, qui vaut autrement le détour que mes bafouilles. Amateurs de bon polar, de bon roman historique, de bons livres tout simplement, vous voilà avertis : La République des faibles est l’un des livres à ne pas rater en ce début d’année.
Grâce à l’État de droit, la république s’enorgueillissait de protéger les faibles, surtout les enfants, et de les aider en cas de malheur. Il s’agissait de leur donner une chance de s’en sortir malgré un mauvais départ dans la vie. ici, tout le contraire, la pauvre Esther s’en prenait plein la gueule. Dans cette république dévoyée, les faibles buvaient le calice jusqu’à la lie.
P.S.: un dernier mot, encore, pour la couverture, que je trouve très réussie. Pas un détail à mes yeux, car quand on aime les livres dans leur version physique, on s’attache forcément un peu à l’objet qui abrite le texte. Ici, c’est la couverture qui m’a fait sauter dans le livre à pieds joints. Bravo supplémentaire à l’éditeur sur ce point !
À première vue : la rentrée Liana Levi 2020

À l’instar de nombre de ses confrères et consœurs de taille moyenne, pas de changement de ligne chez Liana Levi, qui présente trois nouveautés en cette rentrée littéraire 2020. Au menu, un premier roman, un deuxième extrêmement attendu, et l’édition inédite du premier roman d’un auteur américain emblématique de la maison. Du très solide, et en même temps une certaine prise de risque, qui suscite de mon côté pas mal de curiosité et d’impatience.
Intérêt global :
Arène, de Négar Djavadi
Son premier roman, Désorientale, a été un triomphe de librairie, aussi bien en grand format qu’en poche. Quatre ans plus tard, le retour de la romancière française d’origine iranienne Négar Djavadi constitue un événement, auquel répondront sans doute nombre de lecteurs envoûtés par son premier opus – à condition, bien sûr, que le deuxième soit à la hauteur. C’est toute la question que posent Arène et son titre énigmatique.
Négar Djavadi y fait le pari d’une plongée sociologique brûlante, puisque l’arène en question, c’est Paris. Les quartiers est de la ville en particulier. Tout commence par un geste presque anodin, le vol d’un téléphone portable dans un bar-tabac de Belleville. Sauf que la victime, Benjamin Grossman, est l’un de ces jeunes cadres dynamiques à qui tout réussit, et qui ne conçoit pas de subir ce genre d’avanie. La suite, c’est un dérapage incontrôlé. Une poursuite, une bagarre, puis une intervention policière qui tourne mal. Le voleur, un adolescent, y laisse la vie. Et tout s’embrase, car la scène a été filmée par une jeune fille…
D’un fait divers mettant le feu aux poudres et projetant sur la scène nombre de personnages qui ne s’y attendaient pas ni ne le souhaitaient, la romancière tire la matière d’une tragédie humaine totalement ancrée dans notre réel. Et lance une sacrée promesse aux lecteurs.
La Cuillère, de Dany Héricourt
Alors qu’elle veille au chevet de son père qui vient de mourir, une jeune fille de 18 ans remarque sur la table de nuit une cuillère. L’objet, qu’elle n’a jamais vu auparavant l’intrigue tant qu’il détourne son attention du chagrin, et va la lancer dans une quête pour le moins inattendue, depuis l’hôtel familial au Pays de Galles jusqu’en Bourgogne…
Voici pour le premier roman de la rentrée Liana Levi, qui promet malice et inattendu, pour peu que la promesse du résumé soit tenue.
Mississippi Solo, d’Eddy L. Harris
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Pascale-Marie Deschamps)
Certes, Mississippi Solo est aussi le premier roman d’Eddy L. Harris, mais ce n’est pas le premier que publie Liana Levi en France. L’auteur américain, qui vit désormais dans notre pays, s’est déjà fait connaître par Harlem, Jupiter et moi (aucun lien avec le gars qui habite à l’Élysée en ce moment), et Paris en noir et black.
Ce livre fondateur est un récit de voyage initiatique, celui que l’auteur a accompli à l’âge de trente ans le long du mythique fleuve américain. Une descente en canoë au cœur de l’Amérique, qui l’amène à se confronter à la puissance de la nature américaine, mais aussi à l’humanité dans toute sa splendeur, faisant au passage l’expérience d’un racisme qu’il n’avait jamais eu à affronter auparavant.
BILAN
Lectures très probables :
Arène, de Négar Djavadi
La Cuillère, de Dany Héricourt
Mississippi Solo, d’Eddy L. Harris
Impossible de les départager, les trois me font envie…
L’Appât

Meurtre sensationnel à New York : un cadavre atrocement mutilé est suspendu entre les piles du pont de Brooklyn.
Plus incroyable encore, le corps de son meurtrier gît à ses pieds.
Sur le corps de la victime, un mot : « APPÂT ».
Sur le corps du meurtrier, un mot : « MARIONNETTE ».
Un dernier détail, et non des moindres : la victime s’appelle William Fawkes.
Il n’en faut pas plus aux agents du F.B.I. Eliot Curtis et Damien Rouche, chargés de l’enquête, pour prendre contact avec Emily Baxter, devenue inspectrice principale à New Scotland Yard après l’affaire Ragdoll.
Et découvrir que tout ceci n’est que le début d’une nouvelle longue série…
Comme je le disais dans mon article précédent, L’Appât est la suite directe de Ragdoll. Les deux romans sont étroitement liés, interdépendants, tout comme l’est le troisième, Les Loups. Impossible donc de ne pas avoir lu le premier opus, auquel sont faits de nombreux renvois, avant d’attaquer celui-ci.
Ceci mis à part, encore une fois, quel pied !
Pourtant, je m’attendais à être déçu, ou au moins pas convaincu par cette suite. Avoir adoré Ragdoll m’avait tant surpris que j’imaginais mal reprendre un plaisir similaire. Pour moi, aimer Ragdoll était une aberration personnelle, étant donné le mal que j’ai maintenant à apprécier les thrillers purs et durs.
Mais quand c’est bien fait, comment résister ? C’est exactement le petit miracle que Daniel Cole est parvenu à reproduire avec L’Appât. Le scénario est pourtant encore plus aberrant que celui de Ragdoll, le tempo encore plus échevelé, l’esprit criminel à la manœuvre encore plus dingue – à un point, évidemment, où l’on quitte allègrement les rives du vraisemblable en plusieurs moments du roman.
Hé bien, malgré cette restriction qui aurait dû constituer un défaut majeur pour moi, je crois que j’ai encore plus aimé L’Appât que Ragdoll. Aberrant, je vous dis !
Mais Daniel Cole est follement doué, tout simplement. Maître du rythme, distillateur de rebondissements insoutenables, concepteur de scènes hallucinantes, extrêmement visuelles, le jeune romancier m’a baladé dans tous les coins de son intrigue sans que je trouve seulement le temps de me poser pour protester.
Du côté des personnages, William Fawkes ayant disparu de la circulation depuis la fin de Ragdoll, j’ai aimé suivre la redoutable Emily Baxter en première ligne, ambivalente, parfois exaspérante, et pourtant follement attachante. Edmunds, toujours aussi juste, mériterait davantage d’espace. Quant aux petits nouveaux, notamment les Américains, ils apportent leur mélodie personnelle sans fausse note – avec une mention spéciale pour Damien Rouche, dont le côté décalé et lunaire apporte un contrepoint efficace à Baxter.
Bref, j’ai encore couru comme un lapin, j’ai adoré ça, et je persiste à recommander l’ami Daniel Cole avec le plus grand enthousiasme. En attendant de lire Les Loups, dont je n’ai fait que commencer les premières pages par manque de temps jusqu’à présent… Verdict final dans quelque temps, donc !
Pour services rendus, de Iain Levison

À soixante-dix ans passés, Freemantle est encore chef de la police de Kearns, Michigan, et ça lui convient, en dépit des restrictions budgétaires qui le contraignent à des sacrifices quotidiens, aussi bien humains que matériels, pour mener à bien cette mission. Cette tranquillité est néanmoins ébranlée le jour où le sénateur Billy Drake, en campagne pour sa réélection au Nouveau-Mexique, fait appel à lui.
Pendant la guerre du Vietnam, Drake était soldat dans l’unité dirigée par celui qui était alors le sergent Freemantle ; c’est au nom de ce passé commun – que Freemantle n’évoque jamais, le classant au rayon des souvenirs douloureux et peu glorieux – que Drake requiert l’assistance de son ancien supérieur. En effet, pendant un meeting, le sénateur a raconté une anecdote du Vietnam où il se pose en figure héroïque. Problème : un autre vétéran affirme que Drake a menti. Respectable et respecté, Freemantle doit venir devant la presse pour soutenir officiellement la version de son ancien subordonné. Autre problème : Drake a effectivement menti et Freemantle le sait très bien…
Ainsi débute une histoire d’engrenage implacable comme Iain Levison aime et brille à les élaborer. A l’origine, un fait presque anodin. Dans Arrêtez-moi là !, c’était une course en taxi et une fenêtre effleurée d’une main qui provoquaient une terrifiante réaction en chaîne. Ici, c’est un mensonge, oh ! un petit mensonge de rien du tout… Mais on est en politique, on est aux États-Unis, et là-bas sans doute plus que partout ailleurs, la chaîne des emmerdements semble sans limite lorsque la machinerie se met en route.
Car, chez nos amis américains, pour réussir en politique, pas besoin d’un bon bilan, encore moins d’être honnête. Non, il suffit de savoir manipuler les faits et de mentir avec autant de conviction que de sincérité – au point parfois de ne plus savoir distinguer la frontière entre fantasmes et réalité. Telle est la démonstration que Iain Levison déroule avec une force et une clairvoyance cruelles.
L’humour sarcastique qui est souvent la signature du romancier est moins présent ici, au profit d’un récit maîtrisé dans ses moindres rouages, au service de personnages ambigus, complexés, et d’une analyse sans concession des dessous de la vie politique aux États-Unis – genre en soi outre-Atlantique qui a donné notamment quelques films et séries très réussis (entre autres : Bob Roberts de Tim Robbins, Monsieur Smith au Sénat de Frank Capra, Des hommes d’influence de Barry Levinson, Les marches du pouvoir de George Clooney, et bien sûr House of Cards).
Énergique, provocateur, salvateur aussi dans ses conclusions, Pour services rendus est un roman puissant qui consacre l’art de Iain Levison à passer au crible les dérives et travers d’un pays qui n’est pas vraiment le sien (il est né en Écosse) mais qu’il connaît par cœur. Une superbe réussite.
Pour services rendus, de Iain Levison
(Version of Events, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle)
Éditions Liana Levi, 2018
ISBN 9791034900213
224 p., 18€
A première vue : la rentrée Actes Sud 2017

La fin des présentations de rentrée littéraire approche, et…
En attendant, causons des éditions Actes Sud, qui abordent leur première rentrée avec leur patronne à la tête du Ministère de la Culture – ce qui n’a aucun rapport, certes. A vrai dire, je glose et tournicote parce que je ne sais pas bien dans quel sens prendre le programme de la maison arlésienne, gros plateau qui fait la part belle à la littérature étrangère (sept titres) et avance quelques auteurs importants – dont deux retours attendus, ceux de Don DeLillo et Kamel Daoud. Bref, l’assiette est bien remplie et présente joliment, reste à savoir si les mets seront de qualité.
SHÉHÉRAZADE : Zabor ou les Psaumes, de Kamel Daoud
Après un recueil de nouvelles salué d’un succès d’estime, Kamel Daoud a fracassé la porte de la littérature francophone avec Meursault, contre-enquête, premier roman choc en forme de réécriture de L’Étranger de Camus du point de vue arabe. Connu pour l’exigence de sa pensée, le journaliste algérien est forcément très attendu avec ce deuxième roman racontant l’histoire d’un homme qui, orphelin de mère et négligé par son père, se réfugie dans les livres et y trouve un sens à sa vie. Depuis, le seul sens qu’il donne à son existence est le geste d’écriture. Jusqu’au jour où son demi-frère, qu’il déteste, l’appelle au chevet de son père mourant…
STARMANIA : Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon
Révélée elle aussi grâce à son précédent roman, La Petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon s’empare d’un fait divers américain qui a défrayé la chronique dans les années 1970 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst (qui avait en son temps inspiré Orson Welles pour son Citizen Kane), par un groupuscule révolutionnaire ; à la surprise générale, la jeune femme a fini par épouser la cause de ses ravisseurs et été arrêtée avec eux. Une professeure américaine, assistée d’une de ses étudiantes, se voit chargée par l’avocat de Patricia de réaliser un dossier sur cette affaire, pour tenter de comprendre le revirement inattendu de l’héritière.
C’EST COMME LES COCHONS : Les Bourgeois, d’Alice Ferney
Les Bourgeois, ce sont dix frères et sœurs nés à Paris entre les deux guerres mondiales. À leur place dans les hautes sphères, ils impriment le cours de l’Histoire de leurs convictions et de leurs actes. En suivant les trajectoires de cette fratrie, Alice Ferney retrace les énormes bouleversements du XXème siècle, des gigantesques conflits planétaires à l’avènement des nouvelles technologies en passant par mai 68 et les décolonisations.
THE CIRCLE : L’Invention des corps, de Pierre Ducrozet
En septembre 2014, une quarantaine d’étudiants mexicains sont enlevés et massacrés par la police. Rescapé du carnage, Alvaro fuit aux États-Unis, où il met ses compétences d’informaticien au service d’un gourou du Net fasciné par le transhumanisme. Une réflexion pointue sur les risques et dérives de notre monde ultra-connecté et amoralisé.
RELAX, DON’T DO IT : Imago, de Cyril Dion
Un jeune Palestinien pacifiste quitte son pays et traverse l’Europe à la poursuite de son frère, parti commettre l’irréparable à Paris, dans l’espoir de l’empêcher de passer à l’acte. Un premier roman qui tutoie l’actualité. Risqué ?
LA VIE PAR PROCURATION : La Beauté des jours, de Claudie Gallay
Heureuse en mariage, mère comblée de deux filles jumelles désormais étudiantes, Jeanne mène une existence paisible. La découverte de l’œuvre de l’artiste Marina Abramovic lui ouvre la porte d’autres possibles où l’imprévu est roi.
*****
PROMETHEUS : Zéro K, de Don DeLillo
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
Le dernier roman de Don DeLillo, Cosmopolis (adapté au cinéma par Cronenberg avec Robert Pattinson), date en France de 2012. C’est donc le retour attendu d’un auteur américain exigeant, très soucieux de la forme et porteur d’une vision ténébreuse des États-Unis en particulier et du monde en général.
Pas d’exception avec ce nouveau livre : Zéro K y est le nom d’un centre de recherches secret qui propose à ceux qui le souhaitent de s’éteindre provisoirement, de mettre leur vie en stand by en attendant que les progrès de la science permettent de prolonger l’existence et d’éradiquer les maladies. Un homme richissime, actionnaire du centre, décide d’y faire entrer son épouse, condamnée à court terme par la science, et convoque son fils pour qu’il assiste à l’extinction programmée de la jeune femme…
Un sujet déjà abordé en littérature ou au cinéma, mais dont on espère que DeLillo le poussera dans ses derniers retranchements philosophiques.
DU VENT DU BLUFF DES MOTS : Brandebourg, de Julie Zeh
(traduit de l’allemand par Rose Labourie)
Des Berlinois portés par une vision romantique de la campagne débarquent dans un village du Brandebourg, État de l’ex-R.D.A., avec sous le bras un projet de parc éolien qui n’enthousiasme guère les paysans du coin. Une lutte féroce débute entre les deux clans, attisée par une femme qui manipule volontiers les sentiments des uns et des autres pour en tirer profit… La plume mordante et le regard acéré de Julie Zeh devraient s’épanouir au fil des 500 pages de ce concentré d'(in)humanité dans toute sa splendeur.
ALIEN 28 : Polaris, de Fernando Clemot
(traduit de l’espagnol par Claude Bleton)
Océan Arctique, 1960. Dans un vieux rafiot au mouillage devant l’île de Jan Mayen, dans un paysage fermé, glacial et désertique, le médecin de bord est confronté à la folie inexplicable qui a gagné l’équipage (résumé Électre). La mer, le froid, un huis clos flippant sur un bateau… Pitch court, tentation forte !
GOOD MORNING ITALIA : Le Peuple de bois, d’Emanuele Trevi
(traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)
En Calabre, un prêtre défroqué anime une émission de radio où son esprit satirique s’en donne à cœur joie. Si les auditeurs suivent et se réjouissent de sa liberté de ton, les puissants grincent des dents…
L’ANGE DE LA MORT : Mischling, d’Affinity K
(traduit de l’américain par Patrice Repusseau)
Le terme « Mischling » en allemand désigne les sang-mêlé. C’est parce qu’elles en sont que deux sœurs jumelles sont envoyées à Auschwitz et choisies par le docteur Mengele pour mener sur elles ses terrifiantes expériences. Pour résister à l’horreur, les fillettes de douze ans se réfugient dans leur complicité et leur imagination. Peu avant l’arrivée de l’armée russe, l’une des deux disparaît ; une fois libérée, sa sœur part à sa recherche… Terrain très très glissant pour ce roman, tant il est risqué de « jouer » avec certains sujets. Auschwitz et les expériences de Mengele en font partie.
OÙ TOUT COMMENCE ET TOUT FINIT : Les femmes de Karantina, de Nael al-Toukhy
(traduit de l’arabe (Égypte) par Khaled Osman)
Saga familiale sur trois générations dans une Alexandrie parallèle et secrète, ce roman offre une galerie de personnages truculents tous plus en délicatesse avec la loi les uns que les autres (résumé éditeur).
CRIME ET CHÂTIMENT : Solovki, de Zakhar Prilepine
(traduit du russe par Joëlle Dublanchet)
Attention, pavé ! L’écrivain russe déploie sur 830 pages une vaste histoire d’amour entre un détenu et sa gardienne, et une intrigue puissamment romanesque pour évoquer l’enfer des îles Solovki, archipel situé dans la Mer Blanche au nord-ouest de la Russie où un camp de prisonniers servit de base et de « laboratoire » pour fonder le système du Goulag.
La Voix secrète, de Michaël Mention
Signé Bookfalo Kill
Paris, 1835. Tandis que le roi Louis-Philippe échappe par mirale à plusieurs tentatives d’assassinat, un tueur en série sème la panique dans les rues de la capitale en massacrant des enfants, dont il rend alternativement la tête ou le corps au gré de ses fantaisies macabres. Allard, le chef de la Surêté, réalise alors que le meurtrier semble s’inspirer des crimes de Pierre-François Lacenaire, le célèbre dandy assassin, qui attend l’heure prochaine de son exécution en recevant ses nombreux admirateurs et en écrivant ses mémoires du fond de sa prison.
Lié par une étrange relation amicale avec lui, Allard entreprend alors de convaincre Lacenaire de l’aider à stopper ce tueur fou…
Touche-à-tout audacieux, capable de faire d’un match de football une tragédie noire au suspense implacable (Jeudi noir) ou de reprendre sans complexe et avec talent l’histoire de l’Éventreur du Yorkshire (dans Sale temps pour le pays et ses suites), pourtant déjà immortalisée par David Peace (1974 et ses suites), Michaël Mention s’aventure avec succès dans la célèbre collection Grands Détectives des éditions 10/18. Il s’en approprie intelligemment les codes tout en faisant œuvre originale, lorsqu’il choisit par exemple l’année 1835 et le règne de Louis-Philippe, rarement évoqués dans les polars historiques.
Faire de Lacenaire, figure naturellement haute en couleurs, l’un des personnages principaux de la Voix secrète, est également une belle idée, dont Mention exploite la verve, la culture et l’élégance, sans dissimuler sa folie criminelle pour autant. Les autres acteurs du roman, qu’ils soient réels ou fictifs, sont à la hauteur de cette démesure.
Pour le reste, Michaël Mention mène son récit tambour battant, s’amuse à l’occasion avec la forme du texte (voir l’enchaînement choc entre la fin du prologue et le premier chapitre !), restitue parfaitement l’atmosphère du Paris d’alors, et tient bon la barre du suspense sans jamais faillir. Petit bonus mais non des moindres, il tisse régulièrement quelques liens discrets avec notre époque, un art de la mise en perspective qui donne toujours une intelligence et une profondeur bienvenues aux romans historiques.
Bref, guère besoin d’en dire plus : La Voix secrète est un excellent polar historique, qui ne souffre pas du caractère parfois empesé du genre grâce à la vista littéraire de son auteur. On recommande sans hésitation !
La Voix secrète, de Michaël Mention
Éditions 10/18, coll. Grands Détectives, 2017
(Roman paru aux éditions le Fantascope en 2011,
intégralement révisé pour la présente édition)
ISBN 978-2-264-06878-1
229 p., 7,10€
Kabukicho, de Dominique Sylvain
Signé Bookfalo Kill
Dominique Sylvain a une immense passion pour le Japon, où elle a vécu longtemps – une influence qui apparaît à intervalles réguliers dans ses romans, dont le premier, Baka !, se déroulait déjà dans ce pays. Kabukicho lui permet d’y retourner une nouvelle fois, à l’occasion d’une plongée étonnante, trouble et sulfureuse, dans le quartier « chaud » de Tokyo qui donne son titre au roman.
Kabukicho, en effet, est le quartier de la nuit de la capitale japonaise. Une sorte de Pigalle puissance mille, où se mêlent les appétits sexuels les plus débridés, des jeux de dupes et de masques vertigineux entre menteurs patentés, et l’emprise des yakuza, les mafieux locaux. Une poignée de personnages taillés au cordeau, comme toujours chez Dominique Sylvain, nous permet de traverser le miroir : Marie, jeune Française venue poursuivre son rêve du Japon et devenue par hasard hôtesse au Club Gaia, salon sélect où la prostitution n’est pas la bienvenue ; Yudai, hôte le plus célèbre du quartier, séduisant et charismatique ; Yamada, policier du commissariat de Shinjuku (l’arrondissement de Tokyo dont fait partie Kabukicho) rondouillard et partiellement amnésique…
Dans la fureur du quartier rouge, tous se cherchent et sont parvenus à un moment charnière de leur existence. Il suffit d’une disparition, celle de Kate Sanders, collègue de Marie au Club Gaia dont elle était la favorite, pour que tout bascule. Alors que Jason, le père de Kate, débarque à Tokyo comme un ouragan désespéré, tous vont tenter de savoir ce qu’est devenue la jeune Anglaise qui avait tout pour elle et aucune raison de s’évaporer ainsi.
Ce roman cache bien son jeu, c’est le moins que l’on puisse dire. De l’intrigue et de ses évolutions, je ne vous dirai bien sûr rien de plus. J’avoue pourtant que j’avais pressenti une partie de la solution – mais à aucun moment que Dominique Sylvain irait si loin dans la noirceur et la violence. Il faut dire que le rythme de Kabukicho est trompeur. A la manière des beaux mensonges dont les acteurs du quartier chaud de Tokyo sont les spécialistes, la romancière prend d’abord soin d’endormir son lecteur – non pas que le livre soit ennuyeux, au contraire ; mais hormis la disparition de Kate, actée dès le début, et le débarquement tonitruant de son père à Tokyo, il ne se passe pas énormément de choses dans les premiers chapitres.
En guide experte, Dominique Sylvain prend en effet le temps d’exposer son décor si particulier, et il y a beaucoup à dire. On est éberlué par la découverte de Kabukicho, ses rites et ses figures, qui mêlent des perversions humaines universelles à des éléments culturels typiquement japonais. Le mélange est détonnant et fascine très vite, d’autant que la romancière le décrit avec précision et sobriété, affûtant encore son style déjà considérablement aiguisé dans son précédent opus, L’Archange du chaos.
Puis, petit à petit, Dominique Sylvain fait tomber les masques, tandis que le tempo s’élève inexorablement et que le ton du roman se durcit. Kabukicho confirme la tendance de son auteure à oser totalement le noir, à assumer une tournure plus cruelle à ses histoires – évolution passionnante que ses précédents livres amorçaient et que ce nouvel opus appuie avec maestria, grâce notamment à une fin effarante (et réjouissante !)
Loin de rester confinée dans son confort de romancière reconnue et ses habitudes, Dominique Sylvain fait évoluer son œuvre, et cette remise en question audacieuse débouche aujourd’hui sur l’un de ses meilleurs livres. On ne peut que la féliciter, et attendre la suite avec une curiosité renouvelée.
Kabukicho, de Dominique Sylvain
Éditions Viviane Hamy, 2016
ISBN 978-2-87858-321-2
277 p., 19€
Numéro 11, de Jonathan Coe
Signé Bookfalo Kill
Certes, Jonathan Coe est plutôt un romancier « classique » d’un point de vue formel, mais il faut se méfier de l’eau qui dort. L’animal est souvent capable de surprendre, voire de déconcerter – ce qui est le cas avec son nouveau roman, dont je me demande bien comment je vais réussir à vous le résumer sans trop en dire.
Numéro 11 est en effet composé de cinq parties qu’on dirait juxtaposées, tant elles traitent de sujets différents et jouent de registres changeants – idée suggérée d’ailleurs par le sous-titre du roman, Quelques contes sur la folie des temps.
« La Tour Noire » mêle chronique d’enfance et ambiance de conte gothique (avec une ou deux scènes de trouille parfaitement maîtrisées), sur fond de critique politique ; « le Come back » tire à boulets rouges sur la téléréalité et les ravages de la célébrité artificielle ; « le Jardin de Cristal », poétique et mélancolique, s’intéresse à l’université anglaise et à certaines de ses dérives potentielles ; « le Prix Winshaw », aussi violent qu’hilarant, matraque la presse à sensation et la course en avant incontrôlable de la communication décomplexée sur Internet ; et « What a whopper ! » soulève le voile sur la vie hallucinante des super riches, dans un mélange détonnant de réalisme glacé, d’analyse sociale implacable et… de fantastique.
Oui, il y a tout ça dans Numéro 11, dont la continuité est assurée par certains personnages que l’on retrouve d’une partie à l’autre, en particulier Rachel et Alison, deux amies que l’on suit de l’enfance à l’âge adulte au cours de trajectoires dissemblables, pas toujours heureuses mais systématiquement édifiantes. Cette variété impressionnante de tons et de sujets est à la fois la (grande) force et la (petite) faiblesse de ce roman. Gourmand, Jonathan Coe semble ne pas vouloir choisir entre les propos qu’il souhaite aborder, et leur association paraît parfois saugrenue, le passage d’une partie à une autre désarmant.
Mais après tout, pourquoi pas ? En dépit de cette construction – ou peut-être justement grâce à elle -, Numéro 11 est très rapide et agréable à lire, bien aidé par le style toujours aussi fluide du romancier anglais. Coe a le sens du spectacle, des variations et des atmosphères, capable de passer sans effort d’un passage oppressant à une comédie policière réjouissante ou à une réflexion pointue sur la satire en tant que genre littéraire, dans une mise en abyme passionnante – la satire étant précisément l’un des domaines de prédilection de l’écrivain.
D’ailleurs, rappelez-vous de son chef d’œuvre, Testament à l’anglaise, comédie cinglante qui mettait en scène la terrifiante famille Winshaw, incarnation du cynisme flamboyant des années 80. Winshaw… comme dans « le Prix Winshaw », titre de la quatrième partie de Numéro 11 ? Oui, messieurs dames, sans en être une suite (les deux romans peuvent se lire de manière totalement indépendante), Numéro 11 est un peu la réponse contemporaine de Testament à l’anglaise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que rien ne s’est arrangé, comme le prouve dans la fiction la prospérité florissante de la famille emblématique imaginée par Coe il y a plus de vingt ans.
Le tableau social, économique, politique que dresse Jonathan Coe de ce début de XXIème siècle est aussi effroyable que l’on veut bien le penser. Le fossé se creuse inexorablement entre le peu de gens qui ont tout et l’immense majorité qui a peu ; la dernière partie le met en scène dans une vision froide de notre monde qu’un recours habile et mesuré au fantastique rend encore plus terrifiante.
Beaucoup plus audacieux et risqué qu’il n’en a l’air, au point d’en être parfois un peu fragile, Numéro 11 démontre encore une fois que le savoir-faire, l’à-propos et l’intelligence de Jonathan Coe restent d’une actualité brûlante. Un auteur à ne décidément pas sous-estimer, et un roman à tenter !
Numéro 11, de Jonathan Coe
(Number 11, traduit de l’anglais par Josée Kamoun)
Éditions Gallimard, 2016
ISBN 978-2-07-017839-1
444 p., 23€
ƎƆI⅃OԳ, de Hugo Boris
Signé Bookfalo Kill
Trois gardiens de la paix sont mandatés à titre exceptionnel pour reconduire à la frontière un étranger en situation irrégulière – entendre, l’escorter du centre de rétention de Vincennes jusqu’à Roissy, où un avion le ramènera de force dans son pays. Ce sont des flics de terrain, deux hommes et une femme ordinaires, pas des héros, qui doivent aussi composer avec leurs problèmes. Et des soucis, ces trois-là en ont. À commencer par Virginie, qui s’apprête à avorter le lendemain matin ; l’enfant n’est pas de son mari mais d’Aristide, un de ses collègues. Lequel Aristide s’arrange pour faire équipe avec elle sur cette mission particulière. Erik, le chef de groupe, ignore leur histoire. Mais ce n’est pas le moindre des ennuis qu’il va devoir gérer durant cette soirée pas comme les autres…
Dans Trois grands fauves, son précédent roman paru chez Belfond il y a trois ans, Hugo Boris tissait des liens invisibles mais d’une pertinence éblouissante entre Danton, Hugo et Churchill – trois monstres issus de trois siècles différents, faits de voracité, de volonté hors normes et d’une vie marquée par les drames. Son style enflammé faisait de ces portraits un roman grandi par l’Histoire, et de ce projet atypique un livre remarquable.
Le changement de registre est flagrant, forcément, ce qu’on ne saurait reprocher à Hugo Boris, pas plus que de revenir à un cadre romanesque plus classique. D’emblée, il y a ici une volonté de réalisme indéniable, une tentative de se glisser dans les uniformes de ses héros et de se porter à la hauteur de leur quotidien ; une démarche similaire à celle de Bertrand Tavernier dans L.627 ou de Maïwenn dans Polisse (quoi qu’on pense de ces films, ce n’est pas le sujet). Le jeu sur le titre tel qu’il est présenté sur la couverture, qui reproduit le mot POLICE à l’envers tel qu’on le lit sur le capot des voitures tricolores, semble diriger le projet dans cette direction. Et semble suggérer également que c’est l’envers du décor policier que l’on va visiter.
De fait, Boris reste au plus près de ses personnages, dont il fait sa matière première. Leur vie privée, saisie à un moment charnière, conditionne leurs actes, parasite leur travail, oriente leur mission dans une direction inattendue. Dès lors, le réalisme s’effrite un peu pour laisser la place au romanesque – et, me semble-t-il, le roman perd autant en force et en acuité. Je ne vous dévoilerai rien des péripéties de nos trois héros et de leur prisonnier (leur « retenu », selon le terme officiel), mais j’ai achevé la lecture de ƎƆI⅃OԳ sur une question toujours embarrassante au moment du point final : « tout ça pour ça » ?
En même temps, la conclusion paraît logique et respecte le pacte de crédibilité du récit, mais bon… En fait, le problème à mon avis, c’est qu’il y avait là un sujet – le traitement des étrangers en situation irrégulière en France – qui aurait pu donner matière à un roman hautement politique, brûlant, engagé en somme. Mais s’il y a engagement de la part de Hugo Boris, il reste bien timide, manque de percussion, d’acuité ; submergé par les émotions intimes des personnages, il se noie, perd consistance. Et c’est dommage.
Hugo Boris fait néanmoins preuve d’un sens du récit impeccable, le rythme du roman ne faiblit pas, le style s’adapte au sujet et s’attache à restituer au mieux le langage des policiers et les méandres de leurs fragilités psychologiques. ƎƆI⅃OԳ est un roman prenant, mais dénué de cette force qui aurait pu en imprimer la marque dans l’esprit du lecteur.
ƎƆI⅃OԳ, de Hugo Boris
Éditions Grasset, 2016
ISBN 978-2-246-86144-7
189 p., 17,50€