La Nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin

Éditions Agullo, 2021
ISBN 9782382460030
288 p.
21,50 €
Gênes, juillet 2001.
Les chefs d’État des huit pays les plus riches de la planète se retrouvent lors du G8. Face à eux, en marge du sommet, 500 000 personnes se sont rassemblées pour refuser l’ordre mondial qui doit se dessiner à l’abri des grilles de la zone rouge.
Parmi les contestataires, Wag et Nathalie sont venus de France grossir les rangs du mouvement altermondialiste. Militants d’extrême-gauche, ils ont l’habitude des manifs houleuses et se croient prêts à affronter les forces de l’ordre. Mais la répression policière qui va se déchaîner pendant trois jours dans les rues de la Superbe est d’une brutalité inédite, attisée en coulisses par les manipulations du pouvoir italien. Et de certains responsables français qui jouent aux apprentis-sorciers.
Entre les journalistes encombrants, les manœuvres de deux agents de la DST, et leurs propres tiraillements, Wag et Nathalie vont se perdre dans un maelström de violence…
Frédéric Paulin a solidement installé son nom parmi ceux des grands auteurs français contemporains de polars grâce à son entrée dans le catalogue des éditions Agullo avec la trilogie Benlazar (La Guerre est une ruse, Prémices de la chute, Fabrique de la terreur). Trois romans exceptionnels qui analysent avec finesse et acuité le fonctionnement des extrémismes et leur avènement en tant que forces politiques mondiales au cours des trente dernières années, depuis l’Algérie en guerre civile des années 90 à Daesh en passant par Al-Qaïda – et tous les événements tragiques qui leur ont servi de faits d’armes, des attentats sanglants à Paris en 1995 au Bataclan en 2015.
Avec La Nuit tombée sur nos âmes (superbe titre), Frédéric Paulin conserve la même approche : s’efforcer de comprendre l’évolution du monde contemporain en scrutant à la loupe ses soubresauts les plus marquants.
Il opte en revanche pour une autre dynamique narrative. Fini le temps long, les intrigues étalées sur plusieurs années, l’événement choisi lui permet de recourir à des règles dramatiques plus classiques : unité de lieu (hormis les premières pages qui mettent en place les personnages, tout se déroule à Gênes), unité de temps (quelques jours à peine), unité d’action.
Le souvenir des faits tragiques en marge de ce sommet du G8 à Gênes paraîtra sans doute moins marquant à nombre de lecteurs que celui du 11 septembre 2001 (alors même que ces deux événements sont séparés d’à peine deux mois). Ce qui s’est passé dans la ville italienne n’en est pas moins un moment déterminant de l’Histoire, puisque les manifestations qui s’y sont déroulées – et la terrible violence qui les a émaillées – ont largement contribué à inscrire la lutte populaire contre la mondialisation (autrement dit l’altermondialisation), et le concept même de mondialisation, dans notre chronologie récente.
Et faut reconnaître, c’est du brutal.
Frédéric Paulin sait particulièrement de quoi il parle ici, puisqu’il y était, dans les rangs des altermondialistes. Ce qui ne l’a pas empêché de se documenter avec rigueur pour entourer ses propres perceptions de tous les ingrédients qui ont amené à l’explosion de violence dans les rues de Gênes.
La Nuit tombée sur nos âmes est donc un tableau vivant d’une très grande précision, dont la caméra virevoltante nous conduit tour à tour des camps des manifestants (couvrant un large spectre allant de la LCR aux Black Blocs) aux coulisses du sommet politique en passant par les arrière-boutiques policières et les journalistes, témoins à la fois catastrophés et avides de scoops de l’inévitable tragédie à venir.
Autant d’acteurs tous déterminés à jouer leur propre partition sans se soucier de suivre un seul chef, avec comme résultat inévitable la cacophonie et le chaos. Et la mort, puisqu’il fallut qu’un homme tombe durant cette mêlée, la rendant encore plus inoubliable, pour la pire des raisons.
Comme dans la trilogie Benlazar, le romancier donne à comprendre les événements avec une clarté et une exigence qui font tomber les barrières de l’ignorance.
Parmi les acteurs aux noms connus – les Berlusconi, Chirac, Bush, Poutine – dont il s’amuse à retranscrire l’étrange comédie politique dans laquelle, là aussi, chacun essaie de monopoliser l’avant-scène en bouffant au besoin l’espace des petits camarades, Frédéric Paulin campe une large galerie de personnages fictifs qui nous permettent de nous glisser là où l’observateur lambda n’est pas censé avoir accès.
Le roman alterne ainsi scènes de rencontres et d’explications, au fil de dialogues brut de décoffrage, avec des séquences de suspense et d’action (il faut bien appeler cela ainsi) qui reconstituent presque minute par minute la frénésie effroyable qui embrase Gênes.
L’écriture est violente, directe, oppressante, elle bouscule et frappe autant que les coups qui pleuvent dans les rues. Elle rappelle celle de Marin Ledun, autre grand nom français parmi les auteurs de romans noirs assidus à scruter les dérives du monde.
Peu de répit, aucun angélisme, pas de héros ici (mais pas mal de vrais méchants), les marionnettes de ce théâtre de souffrance sont largement manipulées par des diables.
La Nuit tombée sur nos âmes confirme évidemment l’énorme puissance narrative de Frédéric Paulin, et sa capacité hors normes à faire de la littérature un laboratoire pour disséquer et comprendre cette entité si complexe et mouvante que l’on appelle Histoire, qui constitue aussi notre quotidien.
Un nouveau tour de force qui laisse pantelant, mais un peu mieux armé face à la violence politique et économique de notre planète ultra-connectée.
La Félicité du loup, de Paolo Cognetti

Éditions Stock, 2021
ISBN 9782234092273
216 p.
18,50 €
Traduit de l’italien par Anita Rochedy
Fausto a quarante ans, Silvia en a vingt-sept. Il est écrivain, elle est artiste-peintre. Tous deux sont à la recherche d’un ailleurs, où qu’il soit.
Alors que l’hiver s’installe sur la petite station de ski de Fontana Fredda, au cœur du val d’Aoste, ils se rencontrent dans le restaurant d’altitude Le Festin de Babette. Fausto fait office de cuisinier, Silvia de serveuse. Ils se rapprochent doucement, s’abandonnant petit à petit au corps de l’autre, sans rien se promettre pour autant.
Alors qu’arrive le printemps et que la neige commence à fondre, Silvia quitte Fontana Fredda pour aller toujours plus haut, vers le glacier du Felik, tandis que Fausto doit redescendre en ville rassembler les morceaux de sa vie antérieure. Mais le désir de montagne, l’amitié des hommes et des femmes qui l’habitent et le souvenir de Silvia sont trop forts pour qu’il résiste longtemps à leur appel.
Dans ma présentation de la rentrée littéraire Stock 2021, j’avais placé ce roman en tête de liste de mes attentes chez cet éditeur (pas difficile, le reste du programme ne présentant pratiquement aucun intérêt à mes yeux), tout en m’attendant à ne pas être aussi enthousiaste que pour Les huit montagnes, son magnifique précédent, lauréat mérité du Prix Médicis étranger en 2017.
Sans grande surprise, ma prudence était justifiée. Si La Félicité du loup est une lecture agréable, touchante même, elle ne fait qu’effleurer de loin la justesse, la puissance et la profonde sincérité qui habitaient Les huit montagnes, dont ce nouvel opus n’est qu’une gentille copie.
On retrouve peu ou prou les mêmes ingrédients : des protagonistes en fuite, de leur passé et de la ville, qui viennent cacher leur désarroi en montagne et espérer y retrouver le chemin de leurs existences ; des personnages secondaires, montagnards dans l’âme, qui enjolivent le récit de leurs caractères bruts ; les paysages grandioses, bien sûr, roches, glaciers, forêts, et la faune qui les habite…
La Félicité du loup opère simplement un léger renversement des sentiments : tandis que son prédécesseur plaçait l’amitié au cœur de son intrigue avant d’y ajouter une (belle) histoire d’amour, celui-ci nourrit ses héros d’amour avant de les entourer de belles amitiés. Pas de quoi surprendre, d’autant que Paolo Cognetti se montre plus sage et plus prévisible dans ce récit amoureux largement déjà vu, là où Les huit montagnes écrivaient quelques pages sublimes de la littérature d’amitié.
Cette inévitable réserve mentionnée, il reste à reconnaître que La Félicité du loup est un beau roman, très facile à lire, simple d’accès, y compris pour les lecteurs n’éprouvant aucune passion particulière pour la montagne – puisque, encore une fois, l’intérêt est ailleurs, dans la peinture des sentiments, dans la quête des personnages, dans la manière où, tous, durant les quelques mois qui tiennent l’intrigue, opèrent chacun à leur façon une réévaluation essentielle de leurs vies.
De ce point de vue, Paolo Cognetti vise juste, avec une simplicité dans laquelle tout le monde pourra sans doute se reconnaître. Pour le reste, s’il ne sublime pas son écriture, le romancier italien mène son récit de manière très pure, directe, dépouillée même, transposition en mots et sensations de ce monde minéral que l’écrivain aime tant et dont il s’inspire pour débarrasser son texte de tout superflu.
Loin d’être une déception au final, mais fatalement pas l’extase naïvement espérée, La Félicité du loup est une déclinaison légèrement superficielle des thèmes et du style de Paolo Cognetti, qui charme sans émouvoir en profondeur.
Mahmoud ou la montée des eaux, d’Antoine Wauters

Éditions Verdier, 2021
ISBN 9782378561123
131 p.
15,20 €
Syrie.
Un vieil homme rame à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.
Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge – et c’est sa vie entière qu’il revoit, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.
Pour raconter la violence de l’humanité, les lents déchirements de l’Histoire, les blessures inconcevables de ceux qui ont tout perdu pendant une guerre, la littérature offre une infinité de moyens servant tous, sinon de baume, de filtres pour tenter de comprendre comment notre espèce s’emploie à tout détruire avec tant d’acharnement depuis des siècles.
Dans Mahmoud ou la montée des eaux, Antoine Wauters choisit un chemin assez exigeant. En s’appropriant la voix de Mahmoud Elmachi, un vieux poète syrien, le romancier – lui-même poète et éditeur de poésie en Belgique – modèle son texte à la manière d’un chant poétique. Une longue élégie en vers libres, sans rime ni cadence régulière, qui se distingue par des phrases souvent courtes et des retours à la ligne presque à chaque ligne.
Cette manière singulière, qui saute aux yeux dès qu’on ouvre le livre, impose d’emblée le regard fracturé du narrateur, son lent désespoir et son chagrin immense, teintés de nostalgie pour des paysages, des gens et des époques rayés de la carte, noyés sous les flots – réels, ceux du barrage el-Assad sur les berges duquel vit Mahmoud et qui, pour complaire à la mégalomanie de l’ancien Raïs, a englouti des milliers de maisons et détruit autant de vies ; et ceux, métaphoriques, du cours inexorable de l’Histoire et de son cortège de destruction.
Grâce à ce phrasé saccadé et pourtant fluide, Antoine Wauters convoque pêle-mêle les souvenirs amoureux d’un vieil homme, les spectres de sa famille disloquée par la guerre, des odeurs, des couleurs ; mais aussi les soubresauts de l’Histoire de la Syrie, des mirages despotiques d’Hafez el-Assad à l’avènement imprévu de son fils Bachar, appelé au pouvoir après la mort accidentelle de son frère aîné, avec toutes les sinistres conséquences que l’on connaît, en passant par les espoirs déçus du Printemps Arabe, réprimé dans l’horreur.
Mahmoud ou la montée des eaux est un roman dont la prose poétique et le terrible sujet pourront paraître austères à certains, mais dont la mélancolie et les drames poignants sauront toucher les lecteurs à la recherche d’écritures originales autant que d’évocations puissantes.
Pas le livre le plus facile d’Antoine Wauters – pour le découvrir, je vous recommande plutôt la lecture de Pense aux pierres sous tes pas, une merveille enthousiasmante et lumineuse en dépit de sa rugosité. Mahmoud… confirme, en revanche, le grand talent et l’ambition littéraire de l’écrivain belge.
Badroulboudour, de Jean-Baptiste de Froment

Éditions Aux Forges de Vulcain, 2021
ISBN 9782373050929
212 p.
18 €

Antoine Galland se retrouve un jour dans un hall d’aéroport, en partance pour un club de vacances en Égypte. Madeleine, sa femme, l’a quitté et, pour les vacances, lui a confié leurs deux petites filles.
Antoine a bien besoin de vacances. Il reste éprouvé par son divorce, mais aussi par l’agitation de ces derniers mois, où lui, l’homme discret, maladroit, féru de littérature arabe, s’est retrouvé, bien malgré lui, embrigadé dans une grande opération de communication du jeune Président de la République, Célestin Commode, qui, cherchant la synthèse parfaite pour réconcilier villes et banlieues, jeunes et vieux, modernes et réactionnaires, en même temps qu’une astuce pour relancer la diplomatie arabe de la France, a décidé de remettre au goût du jour Antoine Galland, l’illustre homonyme de notre héros, et traducteur des célèbres Mille et une nuits.
Mais notre Antoine, dans ce club de vacances, se retrouve pris dans un jeu mystérieux qui consiste à identifier, cachée parmi les vacanciers, la femme parfaite : Badroulboudour.
Je suis très admiratif des auteurs capables de rassembler en deux cents pages à peine un nombre considérable d’informations, de strates de lecture et de considérations pertinentes sur la vie, tout en donnant l’impression de s’amuser follement – et en transmettant ce plaisir à son lecteur avec la plus grande générosité.
C’est le pari tenté et relevé haut la main par Jean-Baptiste de Froment pour son deuxième roman (après État de nature, paru en 2019 aux Forges de Vulcain). Un pari tout entier contenu dans son titre, à la fois exotique, chantant et énigmatique – en tout cas, pour toute personne qui, comme moi, ne connaît rien ou presque des Mille et une nuits.
Badroulboudour est le véritable nom de la princesse dont s’éprend Aladdin dans le conte éponyme. Badroulboudour, et non Jasmine, ainsi que le fait croire le dessin animé Disney depuis 1993 (le fameux studio aux grandes oreilles n’en étant pas à son coup d’essai lorsqu’il s’agit de simplifier et d’édulcorer des histoires beaucoup plus complexes que leur transcription pour bambins sur grand écran, cf. en vrac Peter Pan, Bambi ou La Reine des neiges, entre autres).
J’avoue sans honte que je l’ignorais. Je savais, en revanche, qu’Aladdin n’était pas un authentique conte des Mille et une nuits, tout comme Ali Baba et les quarante voleurs. Mais j’ignorais – encore – que ces deux histoires, et d’autres du célèbre recueil, étaient l’œuvre de leur découvreur et traducteur français, Antoine Galland.
Après avoir dévoré le roman de Jean-Baptiste de Froment, me voici désormais beaucoup plus savant sur ce sujet, d’autant plus que le romancier nous embarque dans cette grande page de la littérature avec légèreté et simplicité, sans jamais donner l’impression d’étaler sa science.
Il en résulte un roman érudit, ce qui ne signifie pas pour autant pompeux ou ennuyeux, arrogant ou condescendant. Que nenni, mes bons amis ! Au contraire, Jean-Baptiste de Froment ne perd jamais de vue son objectif romanesque : raconter une bonne histoire, et toujours faire en sorte que celle-ci avance dans la bonne humeur, tout en se nourrissant mine de rien de l’intelligence et de la richesse de son contenu.
En concevant cette intrigue d’homonyme contemporain, et en balançant notre pauvre Antoine Galland d’aujourd’hui dans le Kloub, succédané affligeant de club de vacances façon Bronzés, il arrime son intrigue du côté de la comédie, qu’il émaille d’un humour discret mais constant, d’une ironie délicieuse et d’un sens réjouissant de la dérision. Et s’offre le plaisir d’une petite galerie de personnages croquignolets, des petites filles tornades du héros à l’insupportable animateur en chef en passant par le meilleur ami lourdingue.
Jean-Baptiste de Froment y ajoute naturellement :
– une observation sociologique qui ne manque pas de piquant (le cadre du club de vacances est particulièrement bien exploité),
– un regard rapide mais stimulant sur l’orientalisme,
– un ravissant coup de griffe contre l’opportunisme des récupérations politiques (Antoine Galland premier du nom est choisi par le Président de la République pour entrer au Panthéon, dans l’objectif de « rassembler la Nation »),
– ou encore une jolie réflexion sur la porosité entre la réalité et la fiction, mise en abyme dans le roman même puisque certains rebondissements sèment le doute au point qu’on ne sait plus ce qui est vrai ou non sur les conditions dans lesquelles Les Mille et une nuits nous sont parvenues…
Oui, oui, tout ça ! Et en seulement deux cents pages.
Comme quoi, comme dirait une célèbre publicité caféinée, ce n’est pas la peine d’en rajouter.
Bon, donc, si je résume, nous avons : de l’esprit, de l’humour, de l’intelligence, de l’érudition, de la dérision, du mystère, du suspense, un soupçon de machiavélisme, et un joyeux coup de folie en guise de final (je ne vous en dis évidemment pas plus). Le tout s’intitule Badroulboudour, et constitue un véritable graal de librairie : un livre à la fois drôle, léger (au sens le plus pétillant du terme), éclairant et pertinent.
Bref, à ne pas manquer !
P.S. : ah oui, une dernière chose ! Badroulboudour est aussi une jolie histoire d’amour. Même si on ne le comprend pas tout de suite… mais cela ne gâche rien, au contraire !
Premier sang, d’Amélie Nothomb

Éditions Albin Michel, 2021
ISBN 9782226465382
180 p.
17,90 €
Un jeune homme de 28 ans fait face à un peloton d’exécution.
Nous sommes en 1964, au Congo, à Stanleyville (ancien nom de Kisangani) tombé sous la coupe de rebelles qui ont pris des centaines d’otages belges et étrangers.
Ce jeune homme est le Consul de Belgique au Congo. Depuis des jours, il fait office de négociateur et s’efforce d’assurer la survie des autres otages en palabrant sans fin avec les différents chefs de la rébellion. Ce jour-là, quelque chose a mal tourné, et le voici aux portes de la mort.
Face aux fusils levés contre lui, respectant le cliché selon lequel on verrait défiler son passé à l’instant de sa mort, il revient sur sa courte vie pour essayer de comprendre ce qui a pu le conduire à une telle extrémité.
Ce jeune homme, c’est Patrick Nothomb. Futur papa d’Amélie. Premier sang est évidemment à prendre avant tout comme un hommage au père, disparu en mars 2020 (et non pas devant le peloton d’exécution en 1964, sans quoi nous n’aurions jamais lu les livres de sa fille).
Ce trentième livre s’inscrit de fait dans la veine intimiste de la romancière belge, qui a donné quelques-uns de ses plus beaux livres (Le Sabotage amoureux, Stupeur et tremblements, La Nostalgie heureuse). En découvrant de quoi il y était question, j’en ai donc attendu beaucoup, espérant l’un de ces bons crus dont Nothomb peut, à l’occasion, nous gratifier.
C’est, hélas, une relative déception.
Passées les premières pages, assorties d’une petite référence à Dostoïevski pour faire bien, le roman rembobine afin de rallier l’enfance de Patrick. Où l’on découvre un petit garçon gracieux et fragile, orphelin très tôt de père, délaissé par sa mère qui confie son éducation à ses parents. Très vite exaspéré par les manières de poupée de porcelaine de l’enfant, le grand-père décide de profiter de vacances scolaires pour l’envoyer s’endurcir du côté de la branche paternelle de la famille : les Nothomb.
S’endurcir n’est pas un vain mot, car cette partie de l’arbre généalogique s’avère un panier d’affreux crabes, une tribu composée d’une tripotée de gamins crasseux et mal élevés, à peine nourris par un patriarche poète à ses heures et totalement allumé le reste du temps.
Voici donc ce que raconte surtout Premier sang : la confrontation initiatique entre un enfant « merveilleux » et une brochette de monstres, dont les vilaines habitudes cachent en réalité, bien sûr, des trésors édifiants pour le petit Patrick, qui va grandir et beaucoup apprendre à leurs contacts, au point d’attendre avec impatience chaque retour en vacances chez eux.
La fragilité des âmes pures et la beauté des monstres (à laquelle répond souvent la monstruosité des beaux), voilà bien encore des thèmes nothombiens, que l’on retrouve beaucoup dans ses textes inspirés des contes (Barbe Bleue, Riquet à la houppe, mais aussi Mercure et Attentat). Et c’est un peu le problème à mon sens.
Premier sang, en consacrant l’essentiel de ses pages à ce récit d’enfance, se cantonne à une énième variation d’Amélie Nothomb sur des sujets rebattus, sans rien leur apporter de neuf. Et ne fait qu’effleurer, dans le dernier quart du livre, l’histoire congolaise de Patrick Nothomb, pourtant plus prometteuse et piquante sur le papier – d’ailleurs savamment mise en avant dans la communication entourant le livre, ce qui prouve qu’elle est son point fort, et qu’elle aurait sans doute mérité plus.
L’hommage au père s’avère donc un roman anodin dans l’œuvre de l’écrivaine. Bien tourné, comme toujours, appuyé sur l’écriture élaborée que Nothomb a adoptée depuis un moment en abusant moins des dialogues au profit d’une véritable narration.
Plaisant et rapide à lire (ce n’est pas non plus une surprise) mais, à mon sens, ou en tout cas selon mes attentes, pas à la hauteur de sa promesse.
À première vue : bilan définitif 2021
Comme vous pourrez le constater dans la galerie d’images ci-dessous, les dix derniers jours de présentation viennent étoffer de manière assez importante ma liste de lecture (pour le moment, bien entendu rien n’est figé).
Néanmoins, si je m’essaie à tirer un premier bilan de cette rentrée d’automne 2021, j’ai le sentiment qu’il s’agit d’une édition ouverte, sans titre ni auteur nettement dominateur, sans « superstar » prête à tout écraser médiatiquement ni locomotive surpuissante.
En d’autres termes, il y aura de la place pour la découverte, et de nombreux auteurs pourraient tirer leur épingle du jeu.
On verra bien ce que la presse mettra en avant, mais plus que jamais, il me semble que le travail de prescription des libraires sera prépondérant, ainsi que celui des blogueurs, dont le réseau aussi vaste que mouvant permet de mettre en lumière des écrivains qui seraient passés sous les radars il y a quelques années.
Bref, chères amies, chers amis, au boulot !
On se retrouve ici autour après le 15 août. D’ici là, bon été, en vous souhaitant plein de belles lectures, présentes et à venir.
Déjà lus
(avec une note sur cinq) :
En cours :
ATTENDUS
(dans un ordre d’impatience approximatif et potentiellement soumis à bouleversement) :
À première vue : dernier tour 2021 !
Intérêt global :

Comme l’année dernière, en guise d’ultime article de présentation, je regroupe quelques éditeurs faisant le choix (ou le pari) de ne publier qu’un seul livre en cette rentrée littéraire 2021. Certains, économes par nature, sont coutumiers du fait, comme les éditions de Minuit. D’autres ont décidé de concentrer tous leurs efforts sur un seul texte, une décision aussi louable que courageuse. Et franchement, il y a pas mal de jolies choses, dont la plupart semblent joyeusement sortir de l’ordinaire.
J’en profite aussi pour rattraper certains éditeurs que j’apprécie, dont je n’avais pas encore le programme lorsque j’ai commencé l’édition 2021 de la rubrique « à première vue », et qui peuvent compter plus d’un titre dans leur programme. Exemple avec le premier de la liste ci-dessous.
LA FOSSE AUX OURS

Ubasute, d’Isabel Gutierrez
Mourante, Marie demande à son fils de la porter dans la montagne pour la déposer sous le grand rocher. Ce court premier roman évoque l’ubasute, cette pratique mythique au Japon qui consiste à amener un infirme ou un parent âgé dans un endroit éloigné et désolé pour le laisser mourir.
Un ciel rempli d’oiseaux, d’Antoine Choplin
Lors d’une cérémonie d’hommage à l’artiste rom Ceija Stojka, la narratrice se souvient du parcours singulier de son amie. Déportée à 10 ans, elle survit à trois camps de concentration, passant par Auschwitz, Ravensbrück et Bergen-Belsen. À 55 ans, elle sort du silence et se lance en autodidacte dans un travail de mémoire, au moyen de l’art et de l’écriture. Avec des illustrations de l’artiste.
ÉDITIONS DE MINUIT

La Fille qu’on appelle, de Tanguy Viel
Il y eut des rentrées exclusivement centrées sur Laurent Mauvignier, cette année sera consacrée à un autre grand nom du catalogue contemporain de Minuit : Tanguy Viel.
En 176 pages, celui-ci nous convie aux côtés de Max Le Corre, chauffeur du maire mais aussi père de Laura qui, à vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Max songe alors à solliciter le maire pour l’aider à trouver un logement.
Chez Viel, ce genre de résumé sibyllin a toutes les chances de déboucher sur de l’inattendu. Fera-t-il aussi fort qu’avec Article 353 du Code Pénal ? On en reparle à la rentrée.
ASPHALTE

Villa Wexler, de Jean-François Dupont
La veille de la rentrée scolaire, la mystérieuse famille Wexler s’installe dans une villa reculée nichée entre collines et sapins. Le père, charismatique professeur au lycée, fascine ceux qu’il côtoie, adultes comme élèves. L’un d’eux, Mathias, va fréquenter ce clan fusionnel. Cheyenne, qui passe son temps à cheval. Karl, toujours une carabine à l’épaule. Charlotte, avec qui l’adolescent va vivre un premier amour lumineux, pendant qu’une relation plus trouble semble se nouer entre Wexler et la jeune Aurore… Jusqu’au jour où il propose à sa classe de tourner un film en forêt.
Vingt ans plus tard, Mathias revient dans sa ville natale, sur les traces de son passé et de cette famille vénéneuse.
LES AVRILS

Les garçons de la Cité-Jardin, de Dan Nisand
Auteur d’une bizarrerie titrée Morsure aux éditions Naïve en 2007, Dan Nisand reprend la plume chez la toute jeune maison des Avrils et nous invite dans la cité-jardin Hildenbrandt, en Alsace.
C’est là qu’a grandi Melvil, là qu’il vit toujours, en modeste employé de mairie qui s’occupe seul de son père depuis le départ de ses frères aînés – Virgile, engagé dans la Légion, et Jonas, qui a purement et simplement disparu. Au grand soulagement de leurs voisins, qui ont longtemps souffert de leur violence.
Cependant, un jour de printemps, le téléphone. Et la rumeur commence à se répandre dans la cité-jardin…
LE TRIPODE

Mort aux girafes, de Pierre Demarty
Rien que pour le titre, franchement, il aurait été dommage de passer à côté… Bon, après il s’agit d’un texte rédigé en une seule phrase longue de 200 pages, procédé littéraire qui a le don de me faire fuir – j’aime trop les pauses et les silences pour adhérer à ce genre de dispositif certes admirable, mais que je trouve systématiquement épuisant.
Voici comment le présente l’éditeur : « avançant sous le masque de la digression et du coq-à-l’âne poussés dans leurs ultimes retranchements pour mieux aborder des questions graves telles que la mort, l’amour, la cohabitation interethnique en milieu carcéral et l’épépinage des groseilles, Mort aux girafes est un cri d’indignation, un brûlot féministe, un thriller haletant aux résonances écologiques en prise avec l’actualité la plus actuelle – bref, on l’aura compris, un roman coup de poing dont on ne sort pas indemne. »

24 fois la vérité, de Raphaël Meltz
Il y a Gabriel, un opérateur de cinéma qui a parcouru le vingtième siècle l’œil rivé derrière sa caméra : de l’enterrement de Sarah Bernhardt au tournage du Mépris, du défilé de la paix de 1919 au 11 septembre 2001, il aura été le témoin muet d’un monde chaotique, et de certains de ses vertiges. Il y a Adrien, son petit-fils, qui est journaliste spécialisé dans les choses numériques qui envahissent désormais nos vies. Et il y a le roman qu’Adrien a décidé d’écrire sur son grand-père.
En vingt-quatre chapitres, raconter une vie. Vingt-quatre chapitres comme les vingt-quatre images qui font chaque seconde d’un film. Vingt-quatre chapitres pour tenter de saisir la vérité : que reste-t-il de ce qui n’est plus là ? Que connaît-on de ce qu’on a vu sans le vivre ? Que faire, aujourd’hui, de tant d’images ?
FINITUDE

Le Parfum des cendres, de Marie Mangez
Embaumeur, Sylvain Bragonnard a le don de cerner les personnalités, celles des vivants comme celles de morts, grâce à leurs odeurs. Cette manière insolite de dresser des portraits stupéfie Alice, une jeune thésarde qui, curieuse impénitente, veut percer le mystère de cet homme bourru et taiseux. Peu à peu, elle l’apprivoise et comprend ce qu’il cache.
Premier roman.
LE NOUVEL ATTILA
Tu aimeras ce que tu as tué, de Kevin Lambert
À Chicoutimi, nombre d’enfants connaissent des fins tragiques : viols, accidents ou meurtres violents. Mais la plupart ressuscitent et prennent ainsi leur vengeance. Faldistoire mène la danse des ressuscités et détourne du droit chemin son ami Almanach, en organisant des rodéos de la mort dans son quartier.
Pour que je m’aime encore, de Maryam Madjidi
Une petite fille qui grandit dans la banlieue parisienne vit une épopée tragi-comique, entre le combat avec son corps, sa relation avec ses parents, son évolution à l’école et ses rêves d’une ascension sociale qui lui permettrait de vivre de l’autre côté du périphérique.
BILAN
Lecture certaine :
La Fille qu’on appelle, de Tanguy Viel
Lectures probables :
Un ciel rempli d’oiseaux, d’Antoine Choplin
Villa Wexler, de Jean-François Dupont
24 fois la vérité, de Raphaël Meltz
Tu aimeras ce que tu as tué, de Kevin Lambert
Lectures potentielles :
Les garçons de la Cité-Jardin, de Dan Nisand
Ubasute, d’Isabel Gutierrez
À première vue : la rentrée Zulma 2021
Intérêt global :

Comme d’habitude, le nom des éditions Zulma annonce la quasi fin de la rubrique « à première vue ».
Et comme d’habitude, les quatre titres proposés cette année sont à l’image de la maison : voyageurs, joueurs, érudits et ouverts sur le monde. De quoi embarquer pour des périples inattendus, sous les couvertures chatoyantes qui contribuent à la renommée de la marque dirigée par Laure Leroy.
Les Aventures d’Ibidem Serpicon, de René Haddad

Le monde et le quotidien étant ce qu’ils sont, pas souvent reluisants, mieux vaut les réinventer en les repeignant d’un regard neuf et en les parant de mots inattendus, qui jettent couleurs et cocasserie là où il en manque trop souvent.
Voici la vie d’Ibidem Serpicon, qui fait de Paris son terrain de jeux et d’observation, des bus aux bancs des squares, toujours en quête de rencontres sur lesquels il braquera son drôle de regard toujours en éveil.
« À mi-chemin entre le M. Hulot de Tati et le M. Plume de Michaux », dixit l’éditrice : pourquoi pas !
L’Anarchiste qui s’appelait comme moi, de Pablo Martín Sánchez
(traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu)
co-édition Zulma & La Contre Allée

Pablo Martin Sanchez découvre par hasard sur Internet un homonyme au passé héroïque, un anarchiste condamné à mort en 1924. Né en 1890 à Madrid, il s’exile à Paris où il devient imprimeur typographe puis fréquente des compatriotes anarchistes qui l’enrôlent dans leurs actions militantes.
Épique, virevoltant, joyeusement érudit et à l’imagination foisonnante, ce premier roman espagnol dresse le portrait à la fois réaliste et rêvé des utopies montantes du XXe siècle, dans l’esprit des grands romans populaires où l’amitié, la trahison, l’amour et la peur sont les rouages invisibles qui font tourner le monde.
L’Hôtel du Cygne, de Zhang Yueran

Yu-Ling s’occupe d’un enfant issu d’une famille aisée à Pékin. Dada est fils unique et gâté par ses parents qui sont souvent absents. Un grand pique-nique est organisé au bord du lac par M. Courge qui prévoit de simuler le kidnapping du garçon pour changer de vie grâce à l’argent de la rançon. Mais le plan échoue lorsque la radio annonce l’arrestation du grand-père et du père de Dada.
Ce que Frida m’a donné, de Rosa Maria Unda Souki
(traduit de l’espagnol (Venezuela) par Margot Nguyen Béraud et l’auteure)

Il faudrait relever tous les romans prenant pour sujet Frida Kahlo : je présume que la liste serait impressionnante…
En voici donc un de plus. Teinté d’autobiographie par ailleurs, puisqu’il s’agit d’une sorte de dialogue artistique entre Frida et l’auteure.
Tout commence alors que Rosa Maria Unda Souki attend l’arrivée du Brésil des tableaux destinés à son exposition à venir au Couvent des Récollets. Elle profite de ce temps de latence pour reconstituer le cheminement qui l’a conduit à cet accomplissement, consacrant cinq ans à la figure emblématique de Frida Kahlo en peignant sa célèbre Maison bleue et constituant une œuvre picturale d’une richesse saisissante.
Un livre illustré de dessins au graphite et des tableaux originaux de l’auteure.
BILAN
Lecture probable :
Les Aventures d’Ibidem Serpicon, de René Haddad
Lecture potentielle :
L’Anarchiste qui s’appelait comme moi, de Pablo Martín Sánchez
À première vue : la rentrée Zoé 2021
Intérêt global :
À première vue, j’ai connu des rentrées plus excitantes chez les éditions Zoé. D’un côté, on ne peut pas briller tout le temps (ce que cette excellente maison suisse parvient à faire très régulièrement) ; d’un autre, ces quatre textes auront sans doute plus d’intérêt pour d’autres que moi.
Donc, comme d’habitude, je vous les confie et vous laisse vous faire votre propre idée !
La Patience du serpent, d’Anne Brécart

Christelle et Greg, des amateurs de surf dans la trentaine, sillonnent le monde en minibus avec leurs deux petits garçons, s’installant près des meilleurs spots et vivant de petits boulots.
À San Tiburcio, sur la côte mexicaine, ils s’acclimatent et font la rencontre d’une jeune villageoise. Cette dernière entraîne Christelle dans une relation vertigineuse qui bouleverse leur vie de famille.
C’est le septième roman d’Anne Brécart, publié comme les six précédents par les éditions Zoé.
Je vais ainsi, de Hwang Jungeun
(traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot)
So Ra, la grande sœur douce et rêveuse, Na Na, la cadette déterminée et libre, et Na Ki, le frère de cœur, prennent tour à tour la parole pour raconter leur rencontre et l’enfance dans l’appartement commun, la grossesse de la deuxième et le séjour au Japon du troisième, qui l’a transformé. À travers ces voix à l’imaginaire propre, événements et situations se déploient dans leurs nuances. Première traduction en français.
Reconnaissances, de Catherine Safonoff
Au soir de sa vie, une auteure se relit. Ses livres sont des îlots dans sa mémoire et elle cherche à relier ces repères. Sa relecture est relecture de soi. Grave, mais régulièrement drôle aussi. De ce voyage dans le passé, elle choisit les heures claires, souvenirs inaltérables de lieux propices. Une autofiction évoquant l’amour pour le père et la mère, la difficulté à être soi, à être fille comme à être mère.
Les vies de Chevrolet, de Michel Layaz
Biographie romancée de Louis Chevrolet, né en Suisse en 1878 et qui grandit en Bourgogne où il travaille comme mécanicien pour vélos, avant de gagner l’Amérique en 1900. Il dessine des milliers de moteurs, acquiert une notoriété en tant que pilote, puis devient entrepreneur en fondant la marque qui porte son nom avec William Durant, futur fondateur de la General Motors, qui la lui rachète.
À première vue : la rentrée Viviane Hamy 2021
Intérêt global :
Désormais filiale des éditions Flammarion depuis un an, les éditions Viviane Hamy – toujours barrées par leur auguste capitaine et fondatrice – ont hélas semé beaucoup de leurs talents majeurs au cours de ces dernières années, en particulier Fred Vargas (locomotive historique de la maison), Dominique Sylvain et Cécile Coulon. Mais la marque est toujours là, riche de son catalogue éclectique et désireuse de continuer à porter une certaine idée de la littérature sous ses célèbres couvertures rouges.
Cette responsabilité revient cette année à deux auteurs, une Française habituée de la maison et un Hongrois dont c’est la première traduction.
Ce qu’il nous faut de remords et d’espérance, de Céline Lapertot

À 10 ans, Roger Leroy vit comme une trahison l’arrivée dans sa vie de son demi-frère, Nicolas Lempereur. Des années plus tard, Roger, garde des Sceaux d’un gouvernement populiste, œuvre à la réhabilitation de la peine de mort. Nicolas, lui, est une véritable rock star, pacifiste et contre toute forme de discrimination.
Quand il se retrouve accusé du meurtre d’une jeune femme et clame son innocence, la querelle fraternelle qui l’oppose à Roger devient alors un enjeu sociétal et moral.
La symbolique un peu lourdingue des noms de famille (Lempereur supplante Leroy, ouh !) me fait un peu peur, et le sujet est franchement casse-gueule. Mais pourquoi pas.
Nord bonheur, d’Árpád Kun
(traduit du hongrois par Chantal Philippe)

Né au Bénin d’un père franco-vietnamien et de la fille d’un ancien fonctionnaire devenu puissant sorcier vaudou, Aimé Billon est un étranger : aux autres et à lui-même. Aide-soignant et bénévole pour une mission religieuse norvégienne, il compose avec les multiples origines qui façonnent sa personnalité grâce à sa compréhension concrète et onirique du monde qui l’entoure.
Après la mort de ses parents, Aimé part pour l’Europe, son « nord bonheur ». C’est l’arrivée en Norvège, où il va enfin prendre racine et comprendre tout ce que la vie recèle de mystère, de beauté et de résilience.
BILAN
Lecture potentielle :
Ce qu’il nous faut de remords et d’espérance, de Céline Lapertot
À première vue : la rentrée Stock 2021
Intérêt global :

Pas toujours facile pour moi de distinguer le bon grain de l’ivraie dans les programmes de rentrée des éditions Stock (et c’est valable pour le reste de l’année, du reste). De temps en temps, un auteur, un propos, une approche me séduisent. Mais la plupart du temps, je trouve leurs propositions très éloignées de mes goûts et de ma conception de la littérature – et je le dis fort poliment.
2021 n’échappe pas à cette règle personnelle, ne me laissant m’accrocher qu’à deux espoirs (dont un très fort) au milieu d’un océan de désintérêt, voire d’agacement majeur. Vous me direz, deux sur onze, c’est déjà ça.
Mais onze titres, quoi…
La Félicité du loup, de Paolo Cognetti
(traduit de l’italien par Anita Rochedy)

Voici mon plus bel espoir du programme, hérité des merveilleuses sensations éprouvées à la lecture des Huit montagnes en 2017. Si les livres suivants de Cognetti, plus proches du récit de voyage, m’ont plu, je n’y ai pas retrouvé la force et la pureté cueillies dans ce roman extraordinaire.
L’attente est donc forte pour La Félicité du loup, mêlée d’un peu de prudence tout de même car, à première vue, ce nouveau texte paraît une sorte de cousin du précédent, déclinant sous forme d’histoire d’amour ce que Huit montagnes offrait à la littérature d’amitié.
On y assiste à la rencontre entre Fausto, écrivain de quarante ans, et Silvia, artiste-peintre de vingt-sept ans, dans la station de ski de Fontana Fredda (à nouveau au cœur du Val d’Aoste), où ils travaillent tous deux dans le même restaurant. La saison d’hiver les voit se rapprocher et céder l’un à l’autre, sans promesse d’avenir.
Le printemps les sépare, elle monte vers les hauteurs tandis que lui retourne en ville pour gérer son quotidien morose, dont son divorce. Mais l’appel des montagnes et la force d’attraction de Silvia le ramènent très vite en direction des montagnes…
Les vies de Jacob, de Christophe Boltanski

Un projet mêlant littérature et vraie vie, comme je les aime quand ils sont bien faits, évidemment. Christophe Boltanski s’est déjà brillamment illustré dans ce registre avec son premier roman, La Cache, inspiré de sa famille.
Cette fois, il part en quête d’un parfait inconnu. Un homme dont Boltanski découvre, en chinant aux puces, un album contenant 369 photomatons pris entre 1973 et 1974. Au dos des clichés, présentant l’homme sous différentes facettes et avec différents visages, des adresses du monde entier ajoutent encore au mystère.
Le romancier se lance alors dans une vaste quête aux quatre coins du globe pour reconstituer l’histoire et le parcours du fameux Jacob B’rebi.
Artifices, de Claire Berest

Depuis sa suspension, Abel Bac, un policier parisien, vit reclus. Des événements étranges survenus dans des musées, semblant tous le concerner, l’obligent à rompre son isolement.
Aidé de sa voisine Elsa et de sa collègue Camille Pierrat, il mène une enquête qui le conduit à s’intéresser à l’artiste internationale Mila.
Après deux romans inspirés de personnages réels (Gabriële, co-écrit avec sa sœur Anne sur son arrière-grand-mère, femme de Francis Picabia, et Rien n’est noir, Grand Prix des Lectrices de Elle consacré à Frida Kahlo et Diego Rivera), Claire Berest renoue avec le roman purement fictionnel, en fonçant droit dans le mystérieux, tout en tournant encore autour du monde de l’art.
Saint-Phalle : Monter en enfance, de Gwenaëlle Aubry
Restons du côté des artistes, avec ce récit littéraire traçant le portrait de Niki de Saint-Phalle, depuis son enfance saccagée (violée par son père à onze ans, maltraitée par sa mère) jusqu’à son accomplissement d’artiste, nourri de rage et de volonté de revanche.
Son fils, de Justine Lévy
De l’art toujours, par la bande, puisque Justine Lévy imagine le journal intime de la mère d’Antonin Artaud. Une manière d’aborder de biais le parcours de cet artiste hors normes, écrivain, poète, acteur, dessinateur, illuminé et rongé par la folie.
Le Candidat idéal, d’Ondine Millot
Le jeudi 29 octobre 2015, officiant alors à Libération, Ondine Millot se trouve au tribunal de Melun lorsque l’avocat Joseph Scipilliti tente d’assassiner le bâtonnier Henrique Vannier, le blessant gravement de deux balles avant de retourner l’arme contre lui et de se donner la mort. Plutôt que de réagir à chaud, la journaliste prend le temps de mener une longue enquête pour comprendre le cheminement ayant conduit à ce fait divers tragique.
Bellissima, de Simonetta Greggio
La romancière poursuit son « autobiographie de l’Italie », mettant en parallèle l’histoire de sa famille et celle de son pays, dans la continuité de son travail entamé avec Dolce Vita 1959-1979 et Les Nouveaux Monstres 1978-2014.
S’adapter, de Clara Dupont-Monod
Dans les Cévennes, l’équilibre d’une famille est bouleversé par la naissance d’un enfant handicapé. Si l’aîné de la fratrie s’attache profondément à ce frère différent et fragile, la cadette se révolte et le rejette.
Le Garçon de mon père, d’Emmanuelle Lambert
L’auteure raconte son père, mort d’un cancer en septembre 2019. Selon l’éditeur, c’est évidemment « un livre de vie », parce que sinon ça ferait peur et ça serait sinistre. Ah oui, la question du livre serait aussi : Papa aurait-il préféré avoir un garçon plutôt qu’une fille ? D’où le titre.
Je vous laisse vous dépatouiller avec ça, j’ai pour ma part mieux à faire.
La Maison des solitudes, de Constance Rivière
Dans le même genre, voici l’histoire d’une jeune femme empêchée d’aller retrouver sa grand-mère mourante à l’hôpital. L’occasion d’opposer à cette douleur la mémoire des moments heureux dans la Maison, le repaire du bonheur familial. Sauf que Maman ne partage pas cette vision idyllique des choses, et refuse de retourner dans la dite Maison.
Voilà qui promet de chouettes réunions de famille à Noël.
Les routiers sont sympas : essais 2000-2020, de Rachel Kushner
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson)
Un recueil de 19 textes relevant de plusieurs genres tels que le journalisme, les mémoires ainsi que la critique littéraire et artistique. L’auteure évoque notamment un camp de réfugiés palestiniens et une course de moto illégale dans la péninsule de Baja en 1970, alors que d’importantes grèves ont lieu dans les usines Fiat.
BILAN
Lecture certaine :
La Félicité du loup, de Paolo Cognetti
Lecture probable :
Les vies de Jacob, de Christophe Boltanski
À première vue : la rentrée Sous-Sol 2021
Intérêt global :

Voilà un éditeur dont je lis régulièrement des parutions, notamment en récit de voyage, grand reportage ou témoignage – ce que les Américains, maîtres du genre, appellent « narrative non-fiction », et que les éditions du Sous-Sol ont beaucoup publié. On retrouve notamment chez eux David Grann, Deborah Levy, Maggie Nelson, ou les textes fondateurs de Joseph Mitchell, Nellie Bly et Gay Talese.
Néanmoins, le travail de cette petite maison adossée au Seuil et dirigée par Adrien Bosc ne se limite pas à cette chambre littéraire, puisqu’elle publie aussi de la fiction, souvent audacieuse voire d’avant-garde, à la manière de Ben Marcus, Mordecai Richler ou, plus récemment et avec un certain succès, La Trajectoire des confettis de Marie-Eve Thuot.
Les trois titres qui composent le programme de rentrée littéraire des éditions du Sous-Sol résument parfaitement ces différentes tendances à l’œuvre dans la maison, et proposent des escapades prometteuses en singularité.
Notre part de nuit, de Mariana Enriquez
(traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet)

Gaspar, un petit garçon dont la mère a disparu dans des circonstances étranges, a hérité d’un don qui le destine, comme son père, à faire office de médium pour une obscure société secrète dont l’objectif est de percer les secrets de la vie éternelle. Ensemble, Gaspar et son père prennent la route, traversant le Londres psychédélique des années 1970 et l’Argentine des années 1980 sous la dictature.
768 pages pour ce roman sûrement pas tous terrains, mais dont l’originalité et la richesse du propos pourraient offrir l’une de ces offres radicalement différentes dont on a besoin dans une rentrée littéraire.
Le Secret de Joe Gould, de Joseph Mitchell
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Porte)

Portrait de Joe Gould (1889-1957), marginal et figure de Greenwich Village dans la première moitié du XXe siècle. Personnage radical et poignant qui se dit l’auteur du plus long manuscrit jamais écrit (dont on n’a jamais retrouvé la trace), il fascine le journaliste du New Yorker qui le rencontre en 1942 et lui consacre ce livre paru en 1964.
Réédition d’un texte déjà publié deux fois en France, chez Autrement et Calmann-Lévy.
La Semaine perpétuelle, de Laura Vazquez

Le père rêve d’une éponge qui lave le passé. La mère est partie, il dit qu’elle n’existe plus.
Sorti du monde, le fils poste des vidéos sur Internet et il écrit des poèmes. La fille ne supporte pas la réalité trop proche et toutes ces personnes qui avancent avec leurs millions de détails.
La grand-mère entend les clignements et les soupirs de chaque moustique.
Tout ce qui leur arrive est dans l’ordre du monde.
Premier roman de Laura Vazquez, qui porte la marque de son œuvre de poétesse, ce livre se distingue, selon son éditeur, par une « écriture animiste, où toutes les choses du monde peuvent parler – où le monde est possédé. »
Bref, sûrement pas tout public non plus, mais les amateurs de style singulier devraient s’y intéresser.
BILAN
Lectures potentielles :
Notre part de nuit, de Mariana Enriquez
Le Secret de Joe Gould, de Joseph Mitchell