DÉBUTS D’UN LECTEUR #7
Ouais, je sais, j’enfonce des portes ouvertes. Alexandre Dumas, évidemment, c’est un passage obligé pour tout lecteur qui se respecte…
Peut-être. Peut-être pas.
Pour commencer, j’ai en horreur la certitude clamée bien fort par certains qu’il existerait des livres ou des auteurs à avoir lu impérativement, sous peine d’être considéré comme un sous-lecteur. « Comment, mais vous n’avez pas lu Grâââââcq ??? » Non, je n’ai jamais lu Julien Gracq, et je t’emmerde. Et si ça fait de moi un lecteur au rabais, tant pis pour toi, tant mieux pour moi, et chacun son chemin, parce qu’avec une mentalité pareille, il y a peu de chances qu’on puisse s’entendre à long terme.
(C’est du vécu, comme vous pouvez l’imaginer.
J’ajoute que je n’ai rien contre Gracq. L’occasion de le lire ne s’est pas encore présentée, c’est tout. Cela viendra sûrement, l’auteur m’intéresse en l’occurrence. J’ai d’ailleurs l’un de ses livres sur une étagère, juste au-dessus de mon bureau, littéralement à portée de main. Donc, hein, bon.)
Ça marche avec Gracq, ça marche avec Proust, ça marche avec Balzac ou George Sand ou Patrick Modiano, ça marche aussi avec James Ellroy ou Jane Austen ou Colette, ou qui vous voulez, la liste est infinie puisqu’on ne peut de toute façon pas tout lire.
Ne pas avoir lu, ce n’est pas grave. D’abord parce que, tant qu’on n’est pas mort, il reste une chance de lire un jour. Ensuite parce qu’on ne peut pas tout aimer, et qu’il faut toujours garder à l’esprit qu’on lit pour le plaisir, et que ce plaisir, aussi édifiant qu’il puisse être, ne doit jamais être conditionné à des lectures que l’on ferait par obligation sociale, culturelle ou intellectuelle, pour être accepté ou se faire bien voir.

Ça marche aussi, donc, avec Dumas. Même si, vous l’aurez compris puisqu’il figure dans cette rubrique des livres qui comptent, j’en recommande chaudement la lecture à qui aime ou cherche une littérature flamboyante, palpitante, retorse, une littérature à grand spectacle qui porte ses personnages et sa langue en étendard, avec la fierté de qui croit en la toute-puissance des sentiments et dans la beauté de raconter une bonne histoire.
N’être donc « que » cela, un raconteur d’histoires ? Quelle infamie ! Bien sûr…
Pour moi, il n’y a rien de plus difficile, de plus noble et de plus admirable que d’embarquer son lecteur tambour battant dans un tumulte d’intrigues et de passions, sans jamais le perdre en route, souvent au long de plusieurs centaines de pages qui défilent à peine comme une dizaine quand elles sont bien tournées. Il faut surprendre sans cesse, ne rien oublier, ni arcs narratifs ni personnages, et honorer sans répit le pacte signé avec le lecteur dès les premières lignes : enchanter, divertir, évader, élargir les horizons, jouer avec le réel pour le magnifier, ou le faire oublier…
Un lecteur de ce genre de roman (appelons-le roman d’aventures, feuilleton, roman populaire, suspense, peu importe l’étiquette au bout du compte) est particulièrement exigeant et ne supportera pas d’être floué. Pour le contenter, il faut tout donner. Cela demande une foi absolue et un dévouement constant à sa mission. Et ce n’est pas à la portée de tout le monde, loin s’en faut.

Bref, avec tout ça, je n’ai rien dit des Trois mousquetaires, qui devait faire l’objet de cette chronique.
D’un autre côté, avez-vous besoin de moi pour savoir de quoi il est question ? Sans même l’avoir lu, vous connaissez sûrement les noms de D’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, les fameux trois mousquetaires finissant par devenir quatre bien longtemps après le début de leurs aventures ; et les sombres manigances de Richelieu, l’ombre fascinante et vénéneuse de Milady, l’affaire du collier de la Reine sans doute, le duc de Buckingham… Preuve, s’il en est, que la puissance d’une œuvre peut tenir aussi dans l’empreinte qu’elle dépose dans l’inconscient collectif ou la culture populaire, bien aidée en cela, depuis un peu plus d’un siècle, par ce formidable médium passeur qu’est le cinéma, où les adaptations des Mousquetaires sont légion (avec plus ou moins de bonheur, soyons honnêtes).
Dumas, pour moi, c’est tout cela, et tout ce que je sais pouvoir y redécouvrir en repartant à l’aventure avec les mousquetaires, que ma mémoire a occulté pour mieux m’en refaire le cadeau à chaque nouvelle chevauchée en leur compagnie.
Comme pour beaucoup d’autres lectures de jeunesse, cela fait très longtemps que je ne me suis pas offert de relecture. Mais c’est prévu, avec la certitude, en rouvrant ces pages, de renouer avec mon inséparable jeune lecteur de douze ans qui a vibré de toute son âme pour les combats des mousquetaires, leurs conquêtes extravagantes, et le panache avec lequel ils affrontent périls, complots et dangers mortels, sans jamais se défaire d’une philosophie flamboyante de l’existence.
Tout ce que je n’étais pas, que je ne suis toujours pas et ne serai jamais, mais que la puissance de la littérature me permet de vivre, par pages interposées, faisant de moi, comme de n’importe quel lecteur de n’importe quel livre, l’être le plus riche du monde.

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