Retour à l’accueil

Les livres qui comptent #3 : Charlie et la Chocolaterie, de Roald Dahl

DÉBUTS D’UN LECTEUR #3
LA LITTÉRATURE (JEUNESSE) #1

À la question :

« quel est le roman que tu as le plus relu dans ta vie ? »,

la réponse est, sans hésitation : Charlie et la chocolaterie.

Je suis incapable de dire combien de fois je me suis glissé dans les vêtements misérables de Charlie pour aller visiter, émerveillé, le fabuleux empire de Willy Wonka, et en devenir l’héritier légitime. Le plaisir, à chaque fois, était intact, alors même que je savais très exactement ce qui allait se passer à la page suivante, comment les choses allaient (mal) se terminer pour les autres enfants (horribles) du groupe des heureux élus, ce qu’allait dire Wonka, ce qu’allaient chanter les Oompa-Loompas…
En lecture, la joie peut résider dans la répétition. Dans ce cas-là, pour moi, c’est évident.

Du début des années 60 (James et la grosse pêche) à sa mort en 1990, Roald Dahl a aligné nombre de chefs d’œuvre dont la plupart est passée avec délice entre les mains des jeunes lecteurs des années 80 – dont les miennes, évidemment. Ses livres irrévérencieux et formidablement inventifs sont venus ajouter un piment bienvenu aux aventures palpitantes mais convenues de mes chers Club des Cinq et Six Compagnons, ouvrant un peu plus grand devant moi les portes de la littérature et de ses infinis pouvoirs.
Roald Dahl avait une foi absolue dans l’intelligence et la capacité de compréhension des enfants, conviction qui est le point commun des plus grands auteurs pour la jeunesse. Ses marques de fabrique, c’étaient son humour, l’acuité et la pertinence de son regard volontiers féroce, surtout à l’encontre des mauvais, des abrutis, des maltraitants, des égoïstes, bref de tout ce que notre belle humanité est capable de produire en vilénie. (Ce qui est tout de même un comble, il faut l’avouer, quand on sait que Dahl a fini sa vie en répandant lui-même des horreurs inqualifiables.)

J’ai aussi beaucoup relu Fantastique Maître Renard, dont la malice punissait si joliment la cruauté et l’imbécilité des trois éleveurs qui essayaient en vain de l’éliminer. Et je garde un souvenir physique très puissant de ma première lecture du Bon Gros Géant. J’étais chez ma grand-mère, à Charleville-Mézières, seul dans ma petite chambre à l’étage, et je regardais avec terreur la fenêtre donnant sur le jardin, persuadé qu’allait s’y encadrer tôt ou tard la silhouette gigantesque du BGG, furieux que je l’aie repéré et prêt à m’emmener de force dans son pays pour m’y garder prisonnier avec Sophie, au milieu de ses énormes frères cannibales… Brrr !!!

Les romans de Dahl, comme ceux de Blyton ou Bonzon, m’ont tranquillement accompagné jusqu’à mes dix ans environ. À partir de là, il a fallu trouver de nouvelles sources pour étancher ma soif, et continuer à agrandir mon horizon de lecteur.
L’heure des classiques était prête à sonner…


Une dernière anecdote, pour terminer.

Au début des années 2000, je travaille dans une prestigieuse librairie du premier arrondissement de Paris, sous les arcades de la rue de Rivoli, fréquentée par nombre de personnalités, françaises et étrangères, notamment du monde du cinéma.
Un jour, alors que je remonte la longue travée centrale du magasin, je croise un grand échalas ébouriffé que mon cerveau, pas tout à fait préparé à cette rencontre, met quelques secondes à identifier.
C’est Tim Burton.

Légitimement sous le choc, je titube jusqu’à mon collègue Pascal pour lui annoncer la nouvelle (sachant qu’il est tout aussi fan que moi du monsieur). L’intéressé s’en trouve si tétanisé que, par défi, je lui annonce que je pars sur-le-champ échanger quelques mots avec le réalisateur d’Edward aux mains d’argent. (Ce qu’on peut faire par fierté imbécile, parfois.)
Et j’y vais. Le cœur façon tambour tambour du Bronx, tremblant de partout, mais déterminé à déployer mon meilleur anglais (hum) pour bavarder avec Mister Tim.

Lequel m’accueille avec un grand sourire, se dit enchanté de discuter avec un fan français, etc. Trop cool, le gars, hyper disponible, pas du tout embêté qu’on vienne le déranger (encore une fois…)
Du coup, j’en profite.
Je savais qu’il venait juste de terminer le tournage de Charlie et la chocolaterie, dont la sortie était prévue quelques mois plus tard ; je lui avoue donc que c’était mon roman préféré quand j’étais enfant, que je suis très heureux qu’il ait décidé de le mettre en scène, lui en particulier, qui est (à l’époque) l’un de mes réalisateurs préférés, et que je suis terriblement impatient de voir le résultat.
Et voilà mon Burton qui se met à parler avec passion du tournage, dont il est très satisfait, il raconte qu’il a trouvé un Charlie formidable (Freddie Highmore), qu’il est ravi d’avoir trouvé l’occasion de retravailler avec Johnny Depp… Normal, quoi. Et on parle aussi du livre, évidemment.
Dingue.

Johnny Depp, Freddie Highmore et l’épatant David Kelly dans l’adaptation de Charlie et la Chocolaterie par Tim Burton

Pendant deux ou trois minutes, j’ai papoté d’égal à égal avec l’un des mes héros d’adolescence, l’un des réalisateurs les plus réputés et admirés de son temps, tout naturellement, juste parce qu’on partageait le même goût et le même plaisir pour un roman.
La magie extraordinaire des livres…


Au programme la semaine prochaine :
un squelette, des disparitions et une carte postale…

7 réponses à « Les livres qui comptent #3 : Charlie et la Chocolaterie, de Roald Dahl »

  1. J’ai lu « Charlie et la chocolaterie » une fois que j’étais adulte, j’avais bien aimé, même si c’était très manichéen et donneur de leçons. ;)

    1. Ce qui est sans doute très éclairant sur la façon dont nous recevons les choses étant enfant, pas forcément avec moins d’exigence, mais avec moins d’esprit critique faute de l’avoir encore suffisamment affûté… et c’est bien normal !
      Cela prouve aussi que ces textes, que l’on peut juger criticables voire contestables avec le recul (Roald Dahl a droit à son lot d’attaques depuis quelque temps, pas toutes injustifiées, même si certaines sont démesurées), possèdent aussi en eux suffisamment de force et de pertinence d’ensemble pour ne pas s’effondrer totalement.

      1. Lorsque j’étais gosse, tout était noir ou blanc, les méchants devaient être punis et les bons triompher, les méchants étaient souvent un peu cons, et j’aimais ça. peut-être que dans le fond, j’aime toujours un peu ça, c’est pour cela que les Spirou anciens passent toujours.

        Roald a dit des choses qui sont terribles, des choses qui m’ont glacées, mais lorsque j’avais lu ses livres, je ne le savais pas. Faut-il séparer l’oeuvre de l’auteur ? Je n’en sais rien, mais j’essaie parfois de le faire, sinon, il y a des tas d’auteurs que je ne lirai plus parce qu’ils/elles ont dit des choses terribles.

        Mais il y a pire qu’eux sur Terre et ces mecs font du mal tous les jours et tout le monde regarde ailleurs…

      2. Séparer ou non l’œuvre de son auteur, c’est vraiment une question épineuse. Pour ma part, j’essaie de le faire tant que l’œuvre ne sert pas à exprimer les opinions de l’auteur (sans que ce soit systématique non plus, ça dépend vraiment des cas).
        L’exemple le plus d’actualité, c’est Rowling : l’intransigeance de sa posture, et l’espèce de mépris hautain avec laquelle elle la défend, me la rend vraiment détestable, mais je continue à admirer ce qu’elle a réussi à créer avec Harry Potter, une œuvre pour moi si essentielle qu’elle a changé la manière de concevoir, d’écrire et de publier la littérature jeunesse au XXIème siècle. Il est d’ailleurs aberrant de constater à quel point Rowling fait preuve d’intolérance dans ses opinions, là où son œuvre phare défend tout le contraire…

        Sinon, quand on est enfant, on a besoin de repères simples, pour commencer à concevoir les relations humaines. Les gentils, les méchants, c’est indispensable pour se construire, élaborer un système de valeurs, appréhender les questions de morale et d’éthique. Les nuances peuvent venir ensuite, mais sur la base de cet équilibre qui peut paraître simpliste ou manichéen avec le recul, mais qui joue un rôle essentiel dans notre croissance.

      3. Je n’ai pas suivi les positions de l’autrice, je dois dire, j’ai entendu des bruits, mais je n’ai pas été voir plus loin. Les opinions, c’est comme les trous de cul, tout le monde en a un et quand une personnalité les exprime à voix haute, si ça ne plait pas, les gens s’indignent (à tort ou à raison, tout dépend de ce qui est dit). On réagit souvent à chaud et ensuite, tout le monde passe à autre chose, une déclaration en chassant une autre. Et parfois, on colle des procès à des humoristes pour une blague foireuse. Les gens me laissent perplexe :/ Je n’aime pas l’antisémitisme de Céline, mais ce n’est pas pour cela que je n’ai pas testé un de ces romans, mais ça n’a pas fonctionné… Il est marrant (si je puis dire) de constater qu’un auteur/autrice ou autre puisse dire le contraire de ce qu’il/elle a écrit.

        Oui, les bédés de mon époque étaient simplistes, mais elles ont aidé à me construire, malgré tout. ;)

  2. C’est un délice de lire tes chroniques ! Merci :) Alors 2 choses me frappent… ta grand-mère à Charleville-Mézières !!! Je vis depuis quelques années maintenant à Charleville… Je te croyais parisien ! ;) et LA chance de discuter avec Tim Burton ! Peut-être pas mon réalisateur préféré, mais que j’aime néanmoins beaucoup ! Son Charlie et la chocolaterie, un petit chef d’œuvre ! :) Le livre n’est pas mon préféré comme toi, mais je l’ai lu et beaucoup aimé et en tant que libraire à un moment donné de ma vie, responsable des livres pour enfants, je l’ai beaucoup vendu ! ;) Bravo pour ces chroniques qui nous font retomber dans notre enfance et bientôt adolescence… ;) :)

    1. Charleville est vraiment un souvenir d’enfance pour moi – autant dire que ça remonte maintenant :D
      Ma grand-mère n’est plus de ce monde depuis longtemps, mais elle y avait une jolie petite maison avec un grand jardin qui m’enchantait lorsque nous y allions en vacances, depuis Paris en effet, où je ne suis pas né (de peu) mais où j’ai grandi.
      (Et parisien, je ne le suis plus, lyonnais depuis presque dix ans désormais !)

      Tim Burton n’était pas non plus mon réalisateur préféré – celui-là, on en reparlera dans la chronique #15 de cette rubrique… et aussi dès mardi, à l’occasion d’un très gros article ! -, mais il faisait partie de mes immenses références à l’adolescence. À une époque, je connaissais par cœur les dialogues et paroles de L’Étrange Noël de Monsieur Jack :)
      C’était vraiment quelque chose de le rencontrer, surtout dans ces conditions. J’ai une petite dédicace sur une feuille de carnet, le seul bout de papier que j’avais sous la main… J’essaie de ne pas la perdre depuis tout ce temps !!!

      Quant à Charlie, en le relisant à haute voix avec ma fille aînée il y a quelque temps, je me suis surpris à le trouver moins prenant, moins original et pertinent que d’autres (Le BGG ou James et la pêche géante, par exemple). J’étais presque un peu déçu, alors que je me faisais une joie de le partager avec ma môme… Vieillir, c’est moche, parfois. Ou alors il vaut mieux éviter de relire ;-)

      Merci pour ton suivi et tes réactions !!! L’adolescence, oui, on s’approche doucement mais sûrement…

Laisser un commentaire