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Mahmoud ou la montée des eaux, d’Antoine Wauters

Éditions Verdier, 2021

ISBN 9782378561123

131 p.

15,20 €


Syrie.
Un vieil homme rame à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.
Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge – et c’est sa vie entière qu’il revoit, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.


Pour raconter la violence de l’humanité, les lents déchirements de l’Histoire, les blessures inconcevables de ceux qui ont tout perdu pendant une guerre, la littérature offre une infinité de moyens servant tous, sinon de baume, de filtres pour tenter de comprendre comment notre espèce s’emploie à tout détruire avec tant d’acharnement depuis des siècles.
Dans Mahmoud ou la montée des eaux, Antoine Wauters choisit un chemin assez exigeant. En s’appropriant la voix de Mahmoud Elmachi, un vieux poète syrien, le romancier – lui-même poète et éditeur de poésie en Belgique – modèle son texte à la manière d’un chant poétique. Une longue élégie en vers libres, sans rime ni cadence régulière, qui se distingue par des phrases souvent courtes et des retours à la ligne presque à chaque ligne.

Cette manière singulière, qui saute aux yeux dès qu’on ouvre le livre, impose d’emblée le regard fracturé du narrateur, son lent désespoir et son chagrin immense, teintés de nostalgie pour des paysages, des gens et des époques rayés de la carte, noyés sous les flots – réels, ceux du barrage el-Assad sur les berges duquel vit Mahmoud et qui, pour complaire à la mégalomanie de l’ancien Raïs, a englouti des milliers de maisons et détruit autant de vies ; et ceux, métaphoriques, du cours inexorable de l’Histoire et de son cortège de destruction.
Grâce à ce phrasé saccadé et pourtant fluide, Antoine Wauters convoque pêle-mêle les souvenirs amoureux d’un vieil homme, les spectres de sa famille disloquée par la guerre, des odeurs, des couleurs ; mais aussi les soubresauts de l’Histoire de la Syrie, des mirages despotiques d’Hafez el-Assad à l’avènement imprévu de son fils Bachar, appelé au pouvoir après la mort accidentelle de son frère aîné, avec toutes les sinistres conséquences que l’on connaît, en passant par les espoirs déçus du Printemps Arabe, réprimé dans l’horreur.

Mahmoud ou la montée des eaux est un roman dont la prose poétique et le terrible sujet pourront paraître austères à certains, mais dont la mélancolie et les drames poignants sauront toucher les lecteurs à la recherche d’écritures originales autant que d’évocations puissantes.
Pas le livre le plus facile d’Antoine Wauters – pour le découvrir, je vous recommande plutôt la lecture de Pense aux pierres sous tes pas, une merveille enthousiasmante et lumineuse en dépit de sa rugosité. Mahmoud… confirme, en revanche, le grand talent et l’ambition littéraire de l’écrivain belge.

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À première vue : la rentrée Verdier 2021


Intérêt global :


Je ne me retrouve pas si souvent dans le riche et souvent exigeant catalogue des éditions Verdier, mais quand cela se produit, ma satisfaction de lecteur atteint souvent des hauteurs très estimables.
Cette année, je suis donc très heureux de retrouver Antoine Wauters, l’un de leurs auteurs qui m’a fait la plus forte impression il y a trois ans avec une double parution : Moi, Marthe et les autres, et le sublime Pense aux pierres sous tes pas.
Le programme sera riche de trois autres publications, dont les contrastes sont à l’image de la diversité à l’œuvre sous les célèbres couvertures jaunes de Verdier.


Mahmoud ou la montée des eaux, d’Antoine Wauters (en cours de lecture)

Syrie. Un vieil homme rame à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.
Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge – et c’est sa vie entière qu’il revoit, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.
Pour ce nouveau texte, Antoine Wauters choisit une forme narrative proche de la poésie (qu’il pratique également en tant qu’auteur et éditeur en Belgique), créant ainsi un rythme à la fois hypnotique et mélancolique, évocation des lentes plongées dans le lac de son vieux héros qui réveillent les souvenirs.
C’est beau, tragique, sobre et poignant. Une nouvelle couleur sur la palette chatoyante de l’écrivain.

Monsieur Faustini part en voyage, de Wolfgang Hermann
(traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay)

Monsieur Faustini est un vieil homme vivant seul avec son chat à Hörbranz, près du lac de Constance. Il porte toujours le même veston qui est devenu presque une part de lui. Il apprécie le calme de sa vie et une simple visite chez le coiffeur est un événement notoire. Toutefois, plusieurs aventures bouleversent son quotidien, au point de le faire rêver d’aller en Afrique.
L’éditeur annonce un « petit chef d’œuvre d’humour et de fantaisie ». On passera sur le galvaudé « chef d’œuvre » (même petit… d’ailleurs, un chef d’œuvre peut-il être petit ? Vous avez quatre heures) pour se contenter d’une belle promesse de légèreté, bien agréable par les temps qui courent.

Les ouvertures, d’Antonio Moresco
(traduit de l’italien par Laurent Lombard)

Trois étapes de la vie du narrateur – les années du séminaire, celles de l’activisme politique et celles du début de ses ambitions littéraires -, trois instantanés de l’histoire contemporaine : les années 1950 à 1960, les années 1970 et les années 1980 et 1990.
À première vue, avec ses 704 pages et son sujet aussi ambitieux que sérieux, ce ne devrait pas être le livre le plus abordable du grand romancier italien, révélé en France il y a sept ans par La Petite lumière (qui sort en poche en septembre).

D’oncle, de Rebecca Gisler

À la faveur d’un séjour chez son oncle, la narratrice entreprend une étude systématique de ce drôle de bout d’homme à l’hygiène douteuse, aux manies bizarres, à la santé défaillante, aux proportions anormales, définitivement trop petit, trop gros et trop boiteux pour ce monde.
L’occasion de sonder par extension l’histoire de toute une famille, aussi bizarre et biscornue que n’importe quelle famille… ou peut-être un peu plus que les autres tout de même.
Premier roman.


BILAN


Lecture en cours :
Mahmoud ou la montée des eaux, d’Antoine Wauters

Lecture potentielle :
Monsieur Faustini part en voyage, de Wolfgang Hermann

Lecture hypothétique :
D’oncle, de Rebecca Gisler


Lectures en cours (ça sent la rentrée…)

Salut amis Cannibales !

Non, je ne vous oublie pas, même si j’ai un peu délaissé le blog ces derniers jours. La machine à lire tourne toujours, celle à chroniquer un peu moins, faute de temps disponible, mais ça va (re)venir.

Surtout, vous aurez en découvrant ci-dessous mes deux lectures en cours une idée de ce qui se trame dans les coulisses de Cannibales Lecteurs :

Nothomb, Chalandon : vous aurez identifié sans doute deux auteurs incontournables de la littérature française contemporaine, deux noms qui figurent immanquablement parmi les plus médiatiques de la rentrée littéraire. Deux écrivains, également, habitués de ce blog – la première ayant tendance à me fasciner et à m’agacer à parts égales suivant les années, tandis que le second fait partie de mes auteurs francophones favoris.

Tout ceci pour dire que je commence à explorer la rentrée littéraire d’automne 2021, et que tout en lisant les premiers textes disponibles, je prépare le retour de la rubrique « à première vue », panorama subjectif et non exhaustif de cet événement littéraire qui, de fin août aux prix littéraires de novembre, secoue le cocotier de la littérature en France.

Comme chaque année, à première vue bien sûr, il y aura des belles choses, de jolies découvertes, des confirmations, des déceptions, des explorations inattendues, des auteurs inamovibles et des petits jeunes qui parviendront à se faire une place, voire un nom.
De mon côté, les attentes se placent pour l’instant et en vrac vers Antoine Wauters (Mahmoud ou la montée des eaux, Verdier), Kate Reed Petty (True Story, Gallmeister, un premier roman qui a l’air incroyable), Frédéric Paulin (La Nuit tombée sur nos âmes, Agullo, retour très attendu de l’auteur de la trilogie Benlazar), Thomas B. Reverdy (Climax, Flammarion), David Diop (La Porte du voyage sans retour, Seuil), Paul Lynch et Michael Christie (Au-delà de la mer et Lorsque le dernier arbre, tous deux chez Albin Michel), Cécile Coulon (Seule en sa demeure, Iconoclaste), Marie Vingtras et Natasha Trethewey (Blizzard et Memorial Drive, tous deux à l’Olivier), Kazuo Ishiguro (Klara et le soleil, Gallimard, premier retour du romancier britannique depuis son prix Nobel), Kawai Strong Washburn (Au temps des requins et des sauveteurs, Gallimard – rien que pour le titre !), Jean-Baptiste de Froment (Badroulboudour, Aux Forges de Vulcain)…
En attendant tous ceux qui, par surprise ou non, viendront se mêler à la fête !

On recause de tout ça en détail très vite. Le temps d’avancer dans les chroniques de présentation, et on attaque, sûrement à partir de la semaine prochaine !


À première vue : la rentrée Verdier 2020

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Intérêt global :

silencieux


C’est sûrement parce que j’arrive au bout de l’interminable route traversant les innombrables paysages de la rentrée littéraire, mais je ne sais pas trop quoi vous dire au sujet du programme concocté par les éditions Verdier, sinon qu’il ne m’inspire pas du tout. Du reste, c’est une maison avec laquelle j’ai un rapport compliqué, quelques-uns de leurs livres m’ont enthousiasmé à l’occasion (ah, Antoine Wauters !), mais je suis finalement assez peu familier de leur catalogue très riche, exigeant et littéraire.
Donc, on va faire simple et neutre, et puis vous verrez bien si ça vous inspire.


Camille de Toledo - Thésée, sa vie nouvelleThésée, sa vie nouvelle, de Camille de Toledo

Fuyant le souvenir des siens, Thésée quitte sa ville de l’Ouest en embarquant dans le dernier train de nuit vers l’Est avec ses enfants. Il pense aller vers la lumière mais quelque chose qu’il ignore encore semble le poursuivre.

Eva Baltasar - PermafrostPermafrost, d’Eva Baltasar

Renfermée sur elle-même, pour se protéger de l’hypocrisie familiale entretenant l’idée de l’épouse comblée et de la mère épanouie, la narratrice cohabite avec ses pensées suicidaires. Heureusement, les chambres deviennent son refuge. Elle peut y découvrir d’autres vies par le biais de la lecture, mais aussi le plaisir des corps et des caresses.

Béatrice Commengé - Alger, rue des BananiersAlger, rue des Bananiers, de Béatrice Commengé

L’auteure se remémore son enfance, au milieu des années 1950 à Alger. Elle raconte comment elle a appris à mettre des mots sur les choses et des noms sur les visages. Elle sait par des photos qu’elle a déjà traversé la mer mais ignore que la Terre est ronde.


À première vue : semaine 5, le programme

Bon, voilà, ça y est, on arrive au bout !
Il nous reste encore à évoquer le programme de six derniers éditeurs :

Ensuite, j’essaierai d’ajouter un article avec certains éditeurs qui ne présentent qu’un seul roman, mais avec lesquels il faudra également compter.
Par ailleurs, à mesure que je publiais, j’ai réalisé que j’en avais oublié d’autres qui auraient mérité d’être évoqués ici. Je pense notamment à Buchet-Chastel, à Verticales, à Belfond, au Cherche-Midi, aux éditions de l’Observatoire… Pour être sincère, je ne sais pas si j’aurai le courage de réaliser une session de rattrapage pour eux. Leur absence n’est évidemment pas une marque de mépris ou d’indifférence, mais une simple omission. Rien n’empêchera de les retrouver à la rentrée, voire d’en évoquer certains ici, pourquoi pas !

Bon dimanche à tous, et à demain pour la dernière ligne droite !


À première vue : récapitulatif 2020

Je vous propose un petit outil qui pourrait s’avérer fort utile, si jamais vous cherchez à découvrir le programme d’un éditeur en particulier en cette rentrée littéraire 2020.

Vous trouverez donc ci-dessous la liste, dans l’ordre alphabétique, des éditeurs abordés cette année dans la rubrique « à première vue ». Pour en savoir plus sur leurs publications, il vous suffit de cliquer sur le nom qui vous intéresse.

Pour vous faciliter encore un peu plus la vie, je laisserai cet article épinglé en haut du blog durant quelque temps.

Actes Sud
Agullo
Albin Michel
Autrement
Aux Forges de Vulcain
Christian Bourgois
Delcourt
Fayard
Finitude
Flammarion
Gallimard
Gallmeister
Éditions du Globe
Grasset
Éditions de l’Iconoclaste
Julliard
Lattès
Liana Levi
Métailié
Éditions de Minuit
Éditions de l’Olivier
Le Passage
Philippe Rey
Plon
P.O.L.
Rivages
Éditions du Rouergue (la Brune)
Robert Laffont
Seuil
Stock
Sabine Wespieser
Verdier
Zoé
Zulma
Bonus :
Sonneur, Fosse aux Ours, Viviane Hamy, Tripode


A première vue : la rentrée Verdier 2018

Il est temps d’accorder aux éditions Verdier une place dans notre panorama. Cette maison exigeante, d’aucuns diraient élitiste (elle l’est sans doute parfois, mais pas de manière aussi systématique que je l’ai longtemps pensé sans preuve aucune), est à la tête d’un catalogue de grande qualité dans lequel il n’y a sans doute pas grand-chose à jeter. Pour ma part, ayant commencé depuis peu à vraiment m’intéresser à leur travail (il n’est jamais trop tard), j’ai le bonheur de vous annoncer que mon premier gros coup de cœur de cette rentrée 2018 se trouve sous la couverture jaune identifiable entre toutes. C’est tout frais, j’en tremble encore, et je suis heureux de vous en parler dès maintenant !

Wauters - Pense aux pierres sous tes pas (pt)ON INTERDIRA LES TIÉDEURS : Pense aux pierres sous tes pas, d’Antoine Wauters (lu)
Antoine Wauters est belge, cela devrait suffire à le rendre sympathique. Mais il est en plus (surtout) extrêmement talentueux, comme le prouve le premier de ses deux livres à être publiés dans cette rentrée. Soit l’histoire de jumeaux, frère et sœur, fous amoureux l’un de l’autre au-delà de toute limite. A tel point que leurs parents finissent par les séparer. Pendant ce temps, leur pays vit au rythme de coups d’état qui évincent un dictateur pour le remplacer par un autre. A distance, Léonora et Marcio entreprennent de se réinventer, de donner du sens à leur vie, de créer des raisons d’espérer, entraînant nombre de gens dans leur aventure. Tranchée, poétique, sensuelle, secouée d’inventions sublimes et de fulgurances clairvoyantes, l’écriture de Wauters est un régal qui transporte très haut les émotions de ce roman extraordinaire et incandescent. Somptueux !

Wauters - Moi, Marthe et les autresIL SUFFIRA D’UNE ÉTINCELLE : Moi, Marthe et les autres, d’Antoine Wauters (lu)
Antoine Wauters est belge, cela devrait suffire à le rendre sympathique. Mais il est en plus (surtout) extrêmement talentueux, comme le prouve le second de ses deux livres à être publiés dans cette rentrée. Au fil de brefs paragraphes numérotés et de 80 pages sans gras, le romancier nous entraîne cette fois dans un Paris dévasté, où une poignée de personnages, déglingués sublimes, tentent de survivre, en s’inspirant notamment des préceptes du chanteur John Holiways (si si). Un petit livre traversé de visions hallucinantes, qui invite à réfléchir au sens de la vie d’une manière neuve et fracassante.

Jullien - L'île aux troncsFILLE DE L’AIR : L’Île aux troncs, de Michel Jullien
Trois ans après que l’armée russe s’est emparée de Berlin, les vétérans font tache dans les rues de Léningrad, où la vue de leurs mutilations et de leurs vies abîmées ou détruites fait d’eux des indésirables. Parmi eux, Kotik et Piotr se retrouvent exilés sur Valaam, une île de Carélie perdue au milieu du plus grand lac d’Europe. Unis par leur passé, ils le sont aussi dans leur fascination pour Natalia Mekline, une aviatrice héroïque dont ils admirent rituellement un portrait tous les jours. Au point d’imaginer de s’enfuir pour la rejoindre…

Prato - Bas la place y'a personneBRÛLURES : Bas la place, y’a personne, de Dolores Prato
(traduit de l’italien par Laurent Lombard et Jean-Paul Manganaro)
Beau bébé de 900 pages, ce texte autobiographique d’une grande romancière italienne du XXème siècle revient sur une enfance passée dans un village archaïque des Marches, recueillie par un oncle prêtre. Découvert et publié tardivement, c’est le seul roman achevé de l’auteure. Cela méritait bien une traduction digne de ce nom chez un éditeur capable de la porter.

Seiler - KrusoLA VIE PARFOIS FAIT PLOUF : Kruso, de Lutz Seiler
(traduit de l’allemand par Uta Müller et Bernard Banoun)
1993. Ed, un Allemand vivant au Danemark, apprend la mort d’Alexandre Krusowitch, dit Kruso. Il l’avait connu en 1989 alors qu’il arrivait, jeune veuf de 24 ans, sur l’île de Hiddensee, dans la Baltique. Là, Kruso s’occupait d’Allemands candidats à l’exil vers le Danemark. Ce deuil pousse Ed à enquêter sur la disparition en mer Baltique de 174 fugitifs de RDA, en 1961, année de construction du Mur.


On a lu (et aimé !) :
Pense aux pierres sous tes pas, d’Antoine Wauters
Moi, Marthe et les autres, d’Antoine Wauters