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Les loups à leur porte, de Jérémy Fel

Signé Bookfalo Kill

Une maison qui brûle au fin fond de l’Arkansas. Un jeune homme qui kidnappe un enfant pour lui sauver la vie. Une femme fuyant à travers le temps et les Etats-Unis l’ombre effroyable du père de son fils, psychopathe de la pire espèce. Les vibrations maléfiques d’un manoir nommé Manderley dans la région d’Annecy. Un jeune garçon effacé qui découvre le mal et y prend goût. Un mari dévoré par la jalousie et qui commet l’irréparable.
Ils sont tous là, et d’autres encore, tissant de leurs histoires la toile d’une seule et même histoire, celle du mal qui rôde et hante notre monde…

les loups a leurs portes.inddSi Stephen King était mort (heureusement ce n’est pas le cas), on dirait qu’il s’est réincarné et qu’il est français. Clairement, l’ombre du Maître de l’horreur américain plane sur ce premier roman impressionnant, signé par un jeune auteur hexagonal qui n’a vraiment pas froid aux yeux. On pourrait du reste citer d’autres références : Laura Kasischke ou Joyce Carol Oates côté roman, David Lynch ou M. Night Shyamalan (bonne période) côté cinéma. Entre autres. Sans nul doute, Jérémy Fel s’en est nourri et les a intégrés à son bagage culturel. Le résultat, son livre, n’en est pas pour autant une pâle copie de ces créations, mais bien SON œuvre, dense, sombre et implacable.

Dès les premières pages, un long frisson nous vrille la nuque. Il suffit de quelques images faussement idylliques et d’un art de la suggestion magistral. Nous sommes en présence du mal, qui s’accrochera au livre jusqu’à ses dernières pages sans jamais lâcher prise. Le mal est LE personnage principal du roman. Les loups à leur porte, quel plus beau titre pouvait choisir Jérémy Fel pour évoquer cette idée que le mal est là, partout, en embuscade, prêt à frapper n’importe qui, n’importe quand, y compris (surtout) les gens normaux et sans histoire ? Les loups à leur porte, c’est la menace constante de tout voir s’écrouler, la sensation qu’un vide abyssal s’ouvre derrière la première porte venue.

Pour fragiliser son lecteur et ne lui laisser aucun répit, Jérémy Fel s’appuie sur une construction brillante. Son roman est un kaléidoscope d’histoires apparemment sans lien, qui multiplient personnages et lieux, des États-Unis à la France en passant par l’Angleterre, pour mieux renouveler à chaque chapitre la jubilatoire entreprise de déstabilisation du spectateur – je dis à dessein « spectateur », car il y a aussi quelque chose d’éminemment visuel dans le style direct et puissant de l’auteur, qui nous flanque à la figure images inoubliables et sensations fortes sans se soucier de nous laisser respirer.

Clairement, Les loups à leur porte n’est pas tout public. La violence s’y exerce souvent, avec un raffinement de cruauté, et Fel explore le mal sous toutes ses facettes, des plus brutales aux plus sournoises. Il ne recule devant rien et c’est ce qui fait la force inoubliable de ce premier roman plus que prometteur, l’un des vrais chocs de cette rentrée. Tu es prévenu, ami lecteur. Toi qui entres ici, abandonne toute espérance. (Ou presque.)

Les loups à leur porte, de Jérémy Fel
Éditions Rivages, 2015
ISBN 978-2-7436-3324-0
434 p., 20€

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A première vue : la rentrée Rivages 2015

Pour leur troisième rentrée littéraire automnale (après avoir notamment lancé l’extraordinaire Faillir être flingué de Céline Minard il y a deux ans), les éditions Rivages ont le bon goût de ne pas surcharger de travail les libraires en ne proposant que deux romans français et deux étrangers. Ouf !
Il faut doublement les saluer, car elles ont de plus le courage de sortir côté français deux premiers romans, ce qui représente tout de même un drôle de pari de nos jours…

les loups a leurs portes.inddSHYAMALANESQUE : Les loups à leur porte, de Jérémy Fel (en cours de lecture)
Les premières pages de ce roman m’ont irrésistiblement fait penser au Village, le film poisseux de M. Night Shyamalan (mais si, vous savez, l’ancien réalisateur prodige de Sixième Sens transformé en tâcheron épouvantable depuis quelques nanars affligeants) : atmosphère rurale, menace sourde lorsque la nuit tombe, créature angoissante… Ce n’est que le début et cela ne présage en rien de la suite, que l’éditeur présente comme une exploration de « la face monstrueuse du self made man américain ». À mi-lecture désormais, le pari semble tenu, et ce livre s’annonce bluffant, moins pour son style que pour sa construction très élaborée et sa réflexion sur la violence et les zones d’ombre que chaque être humain porte en lui.

mary.inddNEW YORK, NEW YORK : Mary, d’Emily Barnett
Comme son petit camarade de rentrée, cet autre premier roman prend les États-Unis pour cadre, et la Grosse Pomme en particulier, puisque c’est là, dans le New York d’après-guerre, qu’évolue l’héroïne. Enfance, adultère, maternité et filiation sont les thèmes annoncés du livre.

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rush_corps_def.inddRÉTROVISEUR : Corps subtils, de Norman Rush
(traduit de l’américain par Hélène Papot)
Norman Rush, né en 1933, est un écrivain tardif, puisqu’il a commencé à écrire alors qu’il allait sur ses soixante ans. On le retrouve ici mettant en scène un groupe d’amis quinquagénaires qui, à l’occasion de la mort de l’un d’eux et découvrant de lui une part d’ombre inconnue, ce qui les pousse à repenser leurs 20 ans. Rien d’original sur le papier, certes.

sheers_homme_def.inddDOUBLE FACE : J’ai vu un homme, d’Owen Sheers
(traduit de l’anglais par Mathilde Bach)
Qui est réellement Michael ? Un homme brisé par la mort de sa femme, reporter de guerre tuée au Pakistan ? Ou un personnage beaucoup moins recommandable, capable de s’introduire chez ses voisins londoniens un jour où ils sont absents ? Un pitch intriguant pour ce deuxième roman d’Owen Sheers.


Puzzle, de Franck Thilliez

Signé Bookfalo Kill

Depuis que sa petite amie Chloé l’a plaqué un an plus tôt, Ilan Dedisset n’a plus goût à rien. Même son addiction pour les jeux et les chasses aux trésors grandeur nature l’a abandonné, et depuis il vivote dans la maison de ses parents, disparus en mer. Il n’a pas d’amis et même ses collègues de la station-service où il travaille l’évitent.
Lorsque Chloé ressurgit en affirmant avoir enfin trouvé la clef d’entrée de Paranoïa, le jeu à taille réelle le plus mystérieux et donc le plus excitant de tous les temps, Ilan accepte de se remettre en chasse – pour le pire seulement…

Ça démarre plutôt bien, il faut l’avouer. Un massacre dans la montagne, un suspect dénommé Lucas Chardon appréhendé au milieu des cadavres mais qui ne se souvient de rien ; puis on fait connaissance avec Ilan, de prime abord bien campé et intéressant, et avec Chloé, on suit les étranges étapes d’une chasse au trésor en plein Paris…
Mais ensuite la machine se grippe peu à peu. Il y a d’abord ces symboles un peu lourds auxquels Thilliez recourt (l’organisateur du jeu s’appelle Virgile Hadès… Hum !), détails secondaires, presque superficiels certes. J’aurais sûrement pu faire abstraction si la suite de l’histoire ne se mettait pas à patiner. Une fois que les personnages arrivent dans le décor principal du roman, un complexe psychiatrique désaffecté, les clichés s’accumulent, à la croisée trop manifeste de Shining, Shutter Island et Sixième Sens de M. Night Shyamalan.

Thilliez - PuzzleBon, j’essaie de demeurer honnête, cela reste efficace – même si j’ai parfois survolé certains passages, la faute à des longueurs censées retarder des révélations importantes. Mais allez, encore une fois, passons. Ces réticences viennent aussi de moi. Je sais que j’ai de plus en plus de mal avec les thrillers à grand spectacle, ces bouquins spectaculaires appuyés sur des recettes établies et des ficelles (souvent grosses) qui sautent rapidement aux yeux, privant le lecteur aguerri et attentif de toute surprise.
Surtout quand l’écriture de l’auteur ne se montre pas d’une grande élégance littéraire… C’est le cas chez Thilliez, qui n’est pas un virtuose de la plume ; mais dans tous les romans de lui que j’ai lus auparavant, l’histoire était largement assez forte, originale, nourrie de recherches, portée par des personnages solides, pour dépasser ce handicap. Je précise également, avant de me faire lyncher par les nombreux fans de l’ami Franck, que je le considère comme l’un des tout meilleurs du genre dans son registre en France, égal voire parfois supérieur à Jean-Christophe Grangé.

Là, désolé, je n’ai pas marché, disons-le tout net, pour deux raisons majeures. La première tient au personnage d’Ilan, faible, versatile, parfois tellement naïf qu’il finit par en paraître stupide ; à part au début, où il avait de l’allure, y compris dans ses failles (qui peuvent, et font souvent apprécier un bon personnage), j’ai été incapable d’éprouver de l’empathie pour lui, et il m’a vite agacé.

Deuxième raison, mais c’est la plus importante : il s’agit de la fin. La révélation du « mystère ». Je l’avais devinée dans les vingt premières pages. Non, je ne suis pas un génie, hein. C’est surtout que certains des premiers indices sont flagrants, et que la construction elle-même d’un passage en particulier dévoile involontairement la vérité.
Pendant tout le roman, j’ai donc attendu LA surprise, voulu croire qu’il s’agissait d’une fausse piste grossière pour abuser des petits malins dans mon genre, qui croient tout comprendre avant tout le monde et se retrouvent ridicules quand le romancier sort, non pas un lapin, mais une girafe de son chapeau. Hélas, pas de girafe, pas même une autruche ou un flamand rose. C’est un lapin, tout ce qu’il y a de plus classique, tellement attendu que c’en est triste. Dans le chapitre final, l’explicitation de quelques détails et menus indices reste sympa, assez pour se dire : « Ah oui, bien vu ! » Mais dans l’ensemble, cela reste pauvre et décevant.

Voilà, j’ai dit ce que je pensais de ce Puzzle dont la belle couverture m’attirait autant que le pitch, et que j’aurais bien voulu apprécier. Franck Thilliez ayant un large réseau de fans dévoués, je sais que la plupart d’entre eux n’auront pas mes réserves et prendront plaisir à ce nouveau roman. Tant mieux pour eux, et tant pis pour moi !

Puzzle, de Franck Thilliez
Éditions Fleuve Noir, 2013
ISBN 978-2-265-09357-7
429 p., 20,90€