Les assassins, de R.J. Ellory
Signé Bookfalo Kill
New York, la ville qui ne dort jamais. Les crimes y sont nombreux, plusieurs par jour. Rarement le fait d’un tueur en série néanmoins. Pourtant, cette fois, il semblerait que l’un d’entre eux soit à l’oeuvre. C’est en tout cas l’avis de John Costello, un enquêteur très discret du City Herald. Encyclopédie vivante sur le sujet (et pour cause, puisqu’il a survécu lui-même à l’assaut d’un serial killer lorsqu’il était adolescent), lui seul ou presque pouvait faire le lien entre ces meurtres pourtant si différents, commis à des endroits éloignés de la ville, sur des gens et selon des modes opératoires sans rapport entre eux.
Chargé de l’enquête sur deux de ces crimes, Ray Irving est un inspecteur compétent, pragmatique et méthodique avant tout. Il aura donc bien besoin de l’aide de Costello pour cerner et coincer l’un des criminels les plus implacables et insaisissables qui soient…
J’ai beau connaître R.J. Ellory, savoir de quoi il est capable, il arrive encore à me cueillir, façon uppercut au menton et K.O. pour le compte. Autant dire d’emblée que ses Assassins m’ont envoyé au tapis direct.
Et pourtant, il y avait moyen de se planter avec une histoire pareille. Quel motif est plus rebattu en littérature policière que celui des tueurs en série ? Entre les chefs d’œuvre du genre (Au-delà du mal de Shane Stevens, Le Silence des Agneaux de Thomas Harris, pour n’en citer que deux incontournables) et leurs incalculables avatars plus ou moins inspirés, face à la surenchère de nombreux auteurs ne reculant devant aucune horreur gratuite pour se démarquer des autres, pas facile de s’en sortir avec élégance et finesse.
Sauf qu’on parle de R.J. Ellory, bien sûr. L’Anglais qui connaît l’Amérique mieux que les Américains. Le romancier qui passe au crible les grandes figures et moments emblématiques du pays – CIA, Mafia, guerre du Vietnam, NYPD ou road movie – avec une telle intelligence que chacun de ses livres a des airs de référence absolue sur le sujet.
Pour se confronter à l’un des mythes les plus sombres et fascinants des USA, Ellory a choisi le contre-pied. Pour évoquer l’anormalité et l’amoralité des tueurs en série, il a pris le parti de la normalité et de l’honnêteté. Le cœur du roman, son point de vue central, c’est Ray Irving. Loin des superflics dotés de capacités quasi paranormales ou des héros aussi torturés que ceux qu’ils traquent, Irving est un policier certes dévoué à son métier, mais c’est avant tout un homme banal, dépassé par l’horreur à laquelle il doit mettre fin. Sa simplicité, sa normalité font penser à celles de Kurt Wallander. Et comme dans la série de Mankell, c’est le point fort des Assassins. Nous, lecteurs paisibles, cousins de ce Ray Irving si familier qu’il est un peu notre égal, nous vivons avec d’autant plus de sidération et de violence les actes ignobles et hors normes commis par le meurtrier. Certains passages m’ont angoissé comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps en lisant un roman !
Mais plus admirable encore, Ellory parvient à glisser dans l’ombre de ses pages sanglantes, en contrepoint indispensable, de l’humour, des esquisses de sentiments, d’amitié ou d’amour, qui enveloppent ses personnages d’une fragilité et d’une sincérité plus belles et fortes encore. Voilà un exploit que le romancier anglais reproduit de livre en livre, et qui fait le cœur et la valeur de toute son œuvre. R.J. Ellory, romancier humaniste ? C’est une évidence.
Néanmoins, Les Assassins est aussi un pur thriller, trippant et flippant, hanté par cette page d’histoire américaine si particulière, celle des tueurs en série. Ellory nous y plonge avec son érudition coutumière, grâce à une bonne idée de départ : celle de faire de son meurtrier un fin connaisseur des plus célèbres assassins du pays, dont il reproduit les agissements dans leurs moindres détails. Son Commémorateur n’est donc pas qu’un fou furieux de plus de la littérature policière, mais une sorte de synthèse effroyable de cette singularité criminelle propre aux USA, si difficile à comprendre.
Et il y aurait encore tant à dire… Mais ce serait finalement trop en dire, et faire perdre sa profondeur à un roman qui ne se défendra jamais mieux que par lui-même, porté par l’élégance littéraire et la puissance analytique de son auteur. R.J. Ellory est décidément un écrivain indispensable, et ses Assassins le démontrent une fois encore.
Les assassins, de R.J. Ellory
(The Anniversary Man, traduit de l’anglais par Clément Baude)
Éditions Sonatine, 2015
ISBN 978-2-35584-289-4
570 p., 22€
Il m’attend sagement dans ma PAL…..
10 septembre 2015 à 14:18
Fais attention qu’il n’en sorte pas de son propre chef, il pourrait être animé de mauvaises intentions :p
11 septembre 2015 à 07:32
ah que je suis content de lire ces mots, ah que cette chronique me fait plaisir ;-). Quel bouquin, mais quel bouquin ! Et quel auteur, qui pourrait encore en douter après une nouvelle réussite comme celle-ci ! Je trouve que la chronique va bien avec le nouveau look du site ;-)
10 septembre 2015 à 18:26
Merci Yvan, n’en jette plus, je vais périr étouffé de fierté devant tant de gentillesse :)
Lire Ellory, c’est un bonheur à chaque fois renouvelé, tout comme en parler – même si, à chaque chronique terminée, je me dis que j’ai omis d’évoquer tellement de choses qui font la richesse de ses romans…
11 septembre 2015 à 07:31
J’avoue que depuis son histoire de commentaires mis sur Amazon aux autres écrivains, je ne le regarde plus du même oeil (alors que je l’avais trouvé très sympa quand je l’ai rencontré).
10 septembre 2015 à 19:37
R.J. Ellory est VRAIMENT très sympa… Cette histoire de commentaire est derrière lui, il me semble qu’il a largement payé pour ça, sans parler du fait qu’il a présenté ses excuses et reconnu sa bêtise.
Surtout, il a été assez maladroit pour se faire prendre et payer pour tous les autres qui pratiquent la chose allègrement, encore aujourd’hui. Et je ne te parle pas des petits arrangements entre écrivains, critiques, blogueurs ou personnalités médiatiques du monde du livre (suivez mon regard vers certain « libraire » à la houppette) pour faire parler en bien de certains livres qui ne le méritent pas.
Dans ce qu’il fait, Ellory est un écrivain profondément honnête, et ce serait dommage de continuer à le blâmer pour une erreur qui remonte à il y a longtemps. En tout cas c’est mon opinion, et je serais bien malheureux de ne pas défendre son travail tant il m’épate à chaque fois ;-)
11 septembre 2015 à 07:29
Valmleslvres, je suis d’accord avec toi, le coup de commentaires postés par lui sur Amaz était nul au possible… mais j’ai appris à connaître l’écrivain au travers de ses romans et je dois dire que j’adore ses écrits. Je garde Amaz en tête, mais bon, je passe outre parce que la qualité de ses livres vaut le coup ;)
12 septembre 2015 à 14:35
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