Salut à toi ô mon frère, de Marin Ledun

Dans la famille Mabille-Pons, je demande Charles, le père clerc de notaire, et Adélaïde, infirmière. Toujours aussi fantasques et fous d’amour qu’au premier jour. J’ajoute un chien, deux chats, et six enfants pour faire bonne mesure, dont trois adoptés en Colombie. Dont Gus, le petit dernier, encore collégien. Qui a disparu. Et pour cause : le voilà accusé d’avoir participé à une drôle d’affaire de braquage, qui menace de laisser sur le carreau un buraliste flingué à bout portant. Rien d’étonnant, Gus est toujours dans les mauvais coups – sauf qu’il n’y est jamais pour rien, c’est juste qu’en bouc émissaire de choc, il se trouve toujours au mauvais endroit au mauvais moment.
Oui, mais Gus, braqueur ? Vous rigolez ? Il n’y a pas un Mabille-Pons pour y croire, et tandis que la smala fait front et corps autour d’Adélaïde métamorphosée en pasionaria furibonde, Rose, vingt-et-un ans, se lance dans sa propre enquête – d’autant plus motivée que le lieutenant Richard Personne, chargé côté condés de débusquer le fugitif, lui fait le coup des yeux doux…
Braquage, amour et morphine
En 2010, Marin Ledun faisait un passage éclair à la Série Noire avec une première incursion à Tournon, Ardèche, dont le titre, La Guerre des vanités, annonçait la couleur : noir de chez noir. Huit ans et une ribambelle d’excellents romans (de la même teinte) plus tard, le voici de retour dans la célèbre collection polar de Gallimard avec une couverture rosh flashy, un titre emprunté aux Bérurier… Noir (on ne se refait pas), une nouvelle intrigue plantée à Tournon (tiens donc) – le tout pour une étonnante comédie socialo-policière qui déboîte.
Hein ? Quoi ?!? Marin Ledun, rigolo ?!? Ben oui, m’sieurs-dames, le garçon a du talent à revendre, tendance toutes catégories. On le connaît très bien en maître du noir humain et social (Les visages écrasés, En douce), en percutant analyste politique (L’Homme qui a vu l’homme, Au fer rouge) ou en expert d’un futur plus proche que jamais (Dans le ventre des mères, le méconnu mais magistral Zone Est) ; le voilà qui monte sur scène avec de l’humour par boîtes de douze, des personnages tous plus barrés les uns que les autres, et une intrigue joyeusement hirsute.
Le modèle saute aux yeux, il est même intelligemment cité dans le texte, l’ombre de la saga Malaussène par Daniel Pennac plane sur ce livre. Le bouc-émissaire, la famille déglinguée, on y est ! Mais modèle ne rime pas forcément avec copie sans imagination ; Marin a son ton bien à lui, ses propres références culturelles, plus rock et contemporaines, qu’il déroule façon tapis rouge (musique, cinéma, littérature, il y en a pour tous les goûts !), et une manière tout à fait personnelle de mener son intrigue en lui lâchant la bride, en lui faisant prendre des virages aussi serrés qu’inattendus (dont l’un où Rose, hospitalisée, découvre avec euphorie les joies de la morphine…), et en la pimentant d’une histoire d’amour délicieuse, piquante et irrévérencieuse.
Du rire, de l’amour, non et puis quoi encore !!! Allez, Marin reste Ledun, on n’est pas là que pour la blague ou le rose flashy. Au fil des péripéties foutraques de Rose et des siens, le romancier glisse son regard percutant sur notre monde, comme toujours. Cette fois, c’est le racisme facile (pléonasme) des bas du Front qui ramasse, sur fond de rumeurs imbéciles et de connerie ordinaire étalée à tous les étages de la société. L’acuité de l’écrivain est intacte, il n’y a que l’emballage qui change.
Mais, en littérature, le contenant (la forme) peut être aussi important que le contenu (le fond). Alors, cette aventure en terre inexplorée de l’écrivain landais est un cadeau précieux, autant pour ses lecteurs de longue date (j’en suis, depuis le tout premier) que pour ceux qui auront la chance de le découvrir avec ce livre. Plus que jamais, lisez Marin Ledun, l’un des auteurs français l’un des plus atypiques qui soient – et donc l’un des plus précieux, évidemment.
Salut à toi ô mon frère, de Marin Ledun
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2018
ISBN 9782072776649
276 p., 19€
A première vue : la rentrée polar 2016 – les pointures !
Faute de temps (et sans doute un peu de courage, avouons-le), ces deux dernières années, nous avions omis de consacrer une chronique aux polars dans la rubrique « à première vue ». Et pourtant, le genre policier fait lui aussi sa rentrée ! Pour commencer, petit éclairage sur quelques grands noms attendus entre fin août et novembre – et ça fait déjà du beau monde, sachant que nous avons effectué un premier tri (très subjectif) parmi les très nombreuses parutions annoncées dans les semaines qui viennent…
Bref, attention, il y a du lourd !!!
TRAFFIC : Cartel, de Don Winslow (Seuil, 8/09)
C’est sans doute l’événement polar de la rentrée : près de quinze ans après, Don Winslow donne une suite à son plus grand roman, l’énormissime Griffe du chien. On retrouve l’agent de la DEA, Art Keller, reclus dans un monastère où il essaie d’oublier qu’il a gâché sa vie à poursuivre pendant trente ans le baron de la drogue Adan Barrera, désormais coincé derrière les barreaux grâce à lui. Mais Barrera s’échappe et met à prix la tête de Keller, l’obligeant à reprendre la lutte… 700 pages de violence et de furie pour scruter avec plus d’acuité que jamais l’Amérique d’aujourd’hui. Grosse claque attendue.
MAFIA FLOUZE : Un cœur sombre, de R.J. Ellory (Sonatine, 6/10)
Le romancier anglais qui parle des États-Unis mieux que la plupart des auteurs américains revient avec un héros qui n’a rien pour lui au départ : mauvais père, mauvais mari, Vincent Madigan doit tellement d’argent à Sandia, roi de la pègre d’East Harlem, que sa vie ne tient plus qu’à un fil. Pour s’en sortir, il n’a plus le choix, il doit réussir un gros coup, et pour cela prendre tous les risques…
MURDER BY THE BOOK : Une avalanche de conséquences, d’Elizabeth George (Presses de la Cité, 22/09)
Clare Abbott, féministe et écrivaine, est retrouvée morte par son assistante, Caroline. Cause du décès : arrêt cardiaque. Rory Statham, éditrice et amie de longue date de la défunte, est convaincue que Caroline n’est pas étrangère à la mort de Clare. Elle fait donc appel à l’enquêtrice Barbara Havers. La nouvelle brique (500 pages environ) de la reine américaine du crime.
MISERY : En douce, de Marin Ledun (Ombres Noires, 18/08) (lu)
Un soir de fête, une femme, un homme. Elle danse merveilleusement bien, en dépit de sa prothèse de jambe. Il a bu, elle lui plaît. Il la suit, elle vit dans une caravane au milieu d’un chenil, loin de tout et de tous. Bien sûr, la soirée ne se termine pas comme il l’imaginait. Elle dégaine un flingue et lui tire une balle dans le genou – et ce n’est que le début de ses ennuis. Car elle est très, très en colère. Et elle n’a rien à perdre… Un roman noir, très noir, avec un personnage féminin d’une force inouïe, dont Marin Ledun a la spécialité, qui irradie cette histoire terrible de vengeance et d’impossible rédemption. Magnifique.
SECRET STORY : Sur les hauteurs du Mont Crève-Coeur, de Thomas H. Cook (Seuil, 25/08)
L’abondante bibliographie de Thomas H. Cook n’a pas fini de dévoiler toutes ses pépites ! La preuve avec ce roman paru en 1995 aux Etats-Unis, situé à Choctawn, dans le sud américain. Au lycée, Ben tombe amoureux de Kelli, qui vient d’arriver de Baltimore ; mais Kelli n’a d’yeux que pour Troy… Lorsque le corps de Kelli est retrouvé sur le mont Crève-Coeur, le shérif soupçonne Ben d’en savoir plus qu’il ne le dit. Trente ans plus tard, il décide de révéler la vérité.
GONE GIRL : La Fille dans le brouillard, de Donato Carrisi (Calmann-Lévy, 31/08)
Dans un village des Alpes italiennes, une jeune femme est enlevée. Le très médiatisé commissaire Vogel est chargé de l’enquête. Mais lorsqu’il comprend qu’il ne peut résoudre l’affaire, et pour ne pas être ridiculisé, il décide de créer son coupable idéal et accuse à l’aide de preuves falsifiées, le professeur de l’école du village. Ce dernier perd tout et prépare sa vengeance depuis sa cellule.
L’EMPIRE DES LOUPS : La Mort nomade, de Ian Manook (Albin Michel, 28/09)
Troisième – et dernière ? – enquête de Yeruldelgger, l’explosif commissaire venu de Mongolie. S’il rêve d’une retraite bien méritée, ce n’est pas pour tout de suite : un enlèvement, un charnier, un géologue français assassiné et une empreinte de loup marquée au fer rouge sur les cadavres de quatre agents de sécurité requièrent ses services…
QUANDO SEI NATO NON PUOI PIU NASCONDERTI : Une lame de lumière, d’Andrea Camilleri (Fleuve Noir, 8/09)
Le vétéran du polar italien (91 ans !!!) confronte son emblématique commissaire Montalbano à l’actualité, en l’occurrence le drame des migrants qui affecte particulièrement l’Italie. A la suite d’un énième naufrage mortel au large de Lampedusa, le ministre de l’Intérieur italien décide de se rendre sur place, prévoyant au passage une halte à Vigata, la ville de Montalbano. Mais ce dernier n’a pas très envie de jouer le jeu politique.
WOLF : Tels des loups affamés, de Ian Rankin (Editions du Masque, 21/09)
Bien qu’à la retraite, John Rebus est plus que jamais de retour aux affaires. Cette fois, c’est son ancienne protégée, l’inspectrice Siobhan Clarke, qui lui demande d’enquêter sur des menaces de mort visant un caïd et un juge – lequel est d’ailleurs rapidement retrouvé étranglé. Mais Malcolm Fox, le chef du Service des Plaintes, s’en mêle et perturbe leurs investigations… Inoxydable Rankin.
NE LE DIS A PERSONNE : Intimidation, de Harlan Coben (Belfond, 6/10)
Un avocat sans histoires, Adam Price, mène une vie paisible avec sa femme Corinne. Un jour, un inconnu lui fait une révélation si stupéfiante sur Corinne qu’Adam demande aussitôt des comptes à cette dernière, qui refuse de répondre et disparaît. Adam décide malgré de la retrouver, mettant le doigt dans un engrenage redoutable. Mister Best-Seller America est de retour avec un suspense à la mécanique sans doute prévisible mais bien huilée, comme d’habitude.
Et aussi (mais plus rapidement) :
Brunetti en trois actes, de Donna Leon (Calmann-Lévy, 28/09)
C’est un peu du « polar de mamie », certes, mais Donna Leon reste incontournable et continue d’ailleurs à bien figurer dans les meilleures ventes du genre. Cette fois, son commissaire Brunetti retourne à la Fenice (déjà cadre de son roman le plus célèbre, Mort à la Fenice), pour enquêter sur l’agression d’une jeune chanteuse, protégée de la grande diva Flavia Petrelli.
Marconi Park, d’Ake Edwardson (Lattès, 21/09)
Le romancier suédois confirme le retour de son héros emblématique, Erik Winter, confronté cette fois à une série de crimes mettant en scène des cadavres à la tête enfouie dans un sac plastique et couvert d’un carton mentionnant une lettre peinte en noir. Brrr.
Message sans réponse, de Patricia MacDonald (Albin Michel, 3/10)
Une sombre histoire de famille, bien sûr… Neuf ans après avoir plaqué sa famille pour son amant, une mère de famille est retrouvée morte avec son fils handicapé, apparemment à la suite d’un suicide. Sa fille née de son premier mariage enquête sur la deuxième vie de sa mère, dont elle ignorait beaucoup de choses…
Il était une fois l’inspecteur Chen, de Qiu Xiaolong (Liana Levi, 3/10)
Retour sur la jeunesse de l’incontournable inspecteur Chen pendant la Révolution culturelle.
La Main de Dieu, de Philip Kerr (éditions du Masque, 2/11)
Kerr poursuit son escapade dans le milieu du foot, avec cette deuxième enquête de l’entraîneur Scott Manson.
Kabukicho, de Dominique Sylvain (Viviane Hamy, 6/10)
Retour vers son cher Japon pour la romancière Dominique Sylvain, sur les traces d’une jeune Française qui devient hôtesse de club dans le quartier de Kabukicho grâce à son amie Mary. Mais celle-ci disparaît sans laisser d’autre trace qu’une photo inquiétante reçue sur son téléphone par son père…
Rome brûle, de Giancarlo De Cataldo & Carlo Bonini (Métailié, 8/09)
Suite de Suburra, paru en début d’année, qui révèle violemment les trafics et malversations peu glorieuses dont Rome est aujourd’hui le théâtre.
No more Natalie, de Marin Ledun
Signé Bookfalo Kill
Quel destin que celui de Natalie Wood ! Révélée dans la Fureur de vivre, actrice chez John Ford, Nicholas Ray ou Elia Kazan, sacralisée par son interprétation de Maria dans West Side Story, elle finit d’entrer dans la légende à cause des circonstances de sa mort.
Le 29 novembre 1981, elle tombe du Splendour, le yacht où elle se trouvait en compagnie de son mari Robert Wagner et de leur ami Christopher Walken, et se noie. Jugée accidentelle au terme de l’enquête, cette disparition tragique suscite encore des doutes aujourd’hui, surtout que le corps de la comédienne portait des ecchymoses incompatibles avec le résultat d’une simple chute à la mer.
Marin Ledun s’empare de ce mystère et met en scène les acteurs du drame, sous leur véritable nom, avec une précision troublante dans la relation des événements. Sans complexe, il s’aide de la fiction pour boucher les trous laissés par l’enquête et livre sa version des faits, en ayant toujours en tête qu’il écrit un roman (ou, pour être précis, une novella). Car, si tout semble terriblement véridique dans son histoire, c’est bien en romancier que Marin se livre, et non pas en journaliste décidé à lâcher le scoop de l’année.
Pour cela, il s’appuie sur un style peut-être plus classique qu’à son habitude, mais d’une maîtrise et d’une fluidité impeccables. La noirceur est toujours au rendez-vous, surtout dans la manière dont il traite ce qui est finalement le véritable sujet du texte : l’envers du décor hollywoodien, sa violence, sa corruption – par la drogue, l’argent, les trafics et les mauvaises fréquentations ; ses jalousies également, et sa course effrénée à la gloire, quelle qu’en soit le prix.
Personne n’en sort grandi, ni Robert Wagner – dont la réputation, déjà vacillante à l’époque, est restée entachée d’un soupçon ineffaçable -, ni Christopher Walken, décrit en jouisseur vulgaire, coureur plus que séducteur, manipulateur et égoïste.
No more Natalie est un petit texte triste et cruel, qui laisse un goût amer dans la bouche – car, une fois achevée sa lecture, on réalise à quel point l’humanité est fragile et prompte à la destruction ou à l’auto-destruction. Un authentique constat de roman noir, dressé avec brio par un Marin Ledun toujours aussi brillant.
No more Natalie, de Marin Ledun
Éditions in8, collection Polaroïd, 2013
ISBN 978-2-36224-035-5
85 p., 12€
Interception, de Marin Ledun
Signé Bookfalo Kill
A seize ans, Valentine rêverait d’être une jeune fille comme les autres. Elle a tout pour, sauf qu’elle souffre d’épilepsie, une maladie envahissante qui perturbe son quotidien et l’a petit à petit isolée des autres. Sur les conseils de son médecin, elle redouble sa troisième dans un lycée-pensionnat expérimental situé à proximité de Grenoble. Dirigé par John Hughling, un scientifique réputé, l’établissement n’accueille que des jeunes souffrant des mêmes troubles neurologiques que Valentine, et la jeune fille intègre en effet un environnement rassurant, dans lequel elle pense enfin pouvoir s’épanouir.
Elle découvre également qu’elle n’est pas la seule à être obsédée par un mystérieux labyrinthe qui envahit son esprit à chacune de ses crises, que le garçon qu’elle y croise régulièrement est lui aussi élève du lycée – et que tout ceci pourrait avoir un sens…
Marin Ledun étant un auteur intelligent, il ne sacrifie rien de ses ambitions ni de son style lorsqu’il aborde la littérature jeunesse. Il l’avait déjà démontré avec le superbe Luz, et le voici qui récidive dans un registre différent, celui du thriller mâtiné de S.F.
Pour le style, on retrouve son phrasé impétueux, porté par une narration au présent gonflée d’urgence qui emballe souvent le rythme du récit jusqu’aux limites de la tachycardie. Une spécialité de l’auteur, dont l’écriture à l’énergie, inhabituelle dans les romans pour ados, ne manquera pas d’interpeller et d’embarquer les jeunes lecteurs.
Pour ce qui est de l’histoire, Marin nous attrape dès les premières lignes, grâce à un prologue nous projetant sans respirer dans les méandres imaginaires d’une crise de Valentine. A partir de là, comme souvent chez lui, impossible de quitter le navire jusqu’à la fin, surtout que le romancier développe au fil des pages un univers en perpétuel expansion qui le rend riche d’infinies possibilités.
D’ailleurs, même si la notion d’interception a un sens propre dans le roman, comment ne pas rapprocher le titre de ce dernier de celui, si proche, du fabuleux film de Christopher Nolan, Inception ? Marin Ledun joue lui aussi de l’idée d’un labyrinthe mental que quelques surdoués peuvent manipuler à leur guise, même si son propos est ensuite très différent, et plus proche de ses obsessions thématiques (dont les dérives sécuritaires liées aux nouvelles technologies). Chez lui, il ne s’agit pas d’utiliser les rêves à des fins plus ou moins honnêtes, mais d’assurer l’équilibre du monde, ni plus ni moins.
J’ai parfois reproché aux auteurs de de chez Rageot Thriller (en tout cas, ceux que j’ai lus) de ne pas s’embarrasser de crédibilité. Avec l’histoire sans doute la plus improbable de la collection à ce jour, Marin Ledun parvient à rendre plausible un univers proprement science-fictionnel, par son souci constant de réalisme dans toutes les situations, surtout les plus hypothétiques. Comme quoi c’est possible !
Et en plus, comme il n’a pas pu se contenter de 250 pages pour raconter tout ce qu’il voulait, Interception aura une suite – la fin ouverte l’appelle sans équivoque. Bonne nouvelle ? Mais oui !
Encore deux choses pour finir : j’aime beaucoup la couverture, sobre, efficace et qui illustre bien la psychologie en plein flou de l’héroïne.
Et j’aime aussi beaucoup le petit prix du roman. Moins de 10 euros pour un livre de taille respectable, c’est un bel effort, à souligner car il n’est pas si courant, surtout en jeunesse.
A partir de 12-13 ans.
Interception, de Marin Ledun
Éditions Rageot, collection Thriller, 2012
ISBN 978-2-7002-3620-0
250 p., 9,90€
Luz, de Marin Ledun
Signé Bookfalo Kill
C’est le début de l’été. Un dimanche caniculaire, Luz, 14 ans, profite de la première occasion qui se présente pour fausser compagnie à sa famille, surtout aux adultes confits dans la paresse et les excès de table. Et surtout à Frédéric Vanier, le meilleur ami de son père, qui s’intéresse soudain de trop près à elle…
Descendue au bord de la Volte, la rivière voisine, pour s’y baigner, Luz rencontre Thomas, un garçon qui lui plaît beaucoup, accompagnée de Manon, l’une de ses camarades de classe, beaucoup plus populaire qu’elle. Les deux filles ne s’apprécient guère, mais le trio décide tout de même de se rendre ensemble dans un coin sauvage et préservé car difficile d’accès, pour s’y baigner en toute tranquillité. Mais des copains de Thomas débarquent bientôt, menaçant un après-midi d’été qui avait pourtant tout pour être parfait…
Avec Zone Est, superbe roman d’anticipation dans la veine de Philip K. Dick, et Les visages écrasés, intraitable roman noir sur la déshumanisation du travail, Marin Ledun a marqué l’année 2011. Auteur engagé comme on n’en fait – hélas – plus guère, écrivain protéiforme à la plume acérée, il a clairement franchi un cap, que son incursion dans le genre du roman pour ados confirme. Aussi surprenant que cela puisse paraître.
On retrouve dans Luz son style acéré, qui nous permet dès le début du roman de nous plonger dans une atmosphère estivale à la fois familière et douce-amère :
« Des éclats de rire et des bruits de pas résonnent quelque part dans la maison. Premier dimanche des vacances d’été. Fenêtres et portes entrouvertes laissent filtrer un léger courant d’air qui apporte une illusion de fraîcheur. (…) Il est presque quatre heures de l’après-midi et les adultes sont encore affalés à table, à l’ombre du mûrier. La plupart des hommes sont ivres, les femmes feignent de trouver ça normal et contemplent les cadavres de bouteilles d’un œil vide de toute expression. »
Sous couvert d’un bref suspense au parfum d’aventure (l’histoire se déroule sur quelques heures), Marin Ledun imbrique avec finesse plusieurs thématiques majeures de l’adolescence : découverte de soi, de son corps, du désir – le sien et celui des autres ; rapports familiaux complexes ; difficulté de se faire entendre et comprendre ; expérimentation des limites, jeu avec les interdits…
Auteur tout sauf angélique, Marin traite ces sujets sans compromission, avec un réalisme parfois cruel mais jamais excessif. On croit à ses personnages, ados un peu perdus et bouleversés. On s’attache à Luz, gamine animée d’une rébellion très pure. On tremble pour elle lorsque le péril survient, brutal et inattendu.
Un roman bref mais riche et intense. Une belle réussite, à partir de 13 ans.
Luz, de Marin Ledun
Éditions Syros, collection Rat Noir, 2012
ISBN 978-2-7485-1180-2
117 p., 14€
Zone Est, de Marin Ledun
Signé Bookfalo Kill
En 2007, je suis tombé par hasard sur Modus Operandi, le premier roman d’un jeune auteur dont le style et le propos, pleins de rage et de sincérité, m’ont immédiatement frappé, en dépit de quelques maladresses et d’une certaine propension à laisser ses idées, ses théories – nombreuses et souvent brillantes – prendre le dessus sur la narration. Depuis, je n’ai eu de cesse de lire les œuvres de Marin Ledun et d’admirer sa progression fulgurante.
Jusqu’à cette année 2011, déjà marquée de deux romans extraordinaires. C’est du premier paru, Zone Est, dont je souhaite vous parler à présent.
Une précision d’emblée : il s’agit d’un thriller d’anticipation – mais ne partez pas tout de suite en courant ! Certes, Marin Ledun nous projette dans le futur, mais un futur potentiellement proche. Pas de soucoupes volantes ni d’extra-terrestres ici… Des humains, oui, en revanche, bien que plus vraiment dans un état de fraîcheur total.
C’est qu’un virus ravageur, échappé d’un incident d’origine inconnue, est passé par là, exterminant une grande partie de la population mondiale. Ceux qui restent ne doivent leur survie précaire qu’à des prothèses ou des implants compensant leurs organes perdus. Ils sont désormais parqués dans la Zone Est, une gigantesque enclave située à l’emplacement de notre actuelle vallée du Rhône, partagée entre futurisme et dévastation, et “protégée” du reste du monde par une barrière infranchissable, le Mur.
Dans cet univers en déréliction, Thomas Zigler exerce l’étrange métier de chasseur de données. Commandités par des personnages aussi mystérieux qu’influents, il traque des individus pour leur voler des parcelles de leur mémoire, censées contenir des informations sensibles. Il s’en sort très bien jusqu’au jour où il voit, dans les données qu’il vient de soutirer à un homme, un souvenir impensable : une femme biologiquement saine, dénuée d’implants, qui parvient à échapper à des poursuivants lourdement armés en se faufilant dans une faille du Mur…
Trucage habile ou vérité ? Ebranlé, Zigler est bien décidé à découvrir le fin mot de l’histoire. Du reste, il n’a pas la choix, car visiblement, certains estiment qu’il en sait déjà trop ; et de chasseur réputé, il devient une proie à éliminer de toute urgence…
Avant Zone Est, jamais Marin Ledun n’avait réussi à équilibrer aussi bien la forme et le fond. Mené à un train d’enfer, rythmé de rebondissements et de scènes d’action époustouflantes, le récit ne laisse pas le moindre instant de répit au lecteur. Le suspense implacable de ce thriller survitaminé fait immanquablement penser à des références du genre : les romans de Philip K. Dick – ou leurs adaptations cinématographiques, au premier rang desquelles Minority Report de Steven Spielberg et Blade Runner de Ridley Scott – ; mais aussi Les Fils de l’homme, le chef d’œuvre méconnu d’Alfonso Cuaron ; ou bien encore La Brigade de l’œil, de Guillaume Guéraud. De bout en bout, Ledun joue à ce très haut niveau et apporte une pierre très solide à l’édifice de ses illustres prédécesseurs.
Dans un cadre aussi maîtrisé, le romancier déroule avec facilité ses idées phares, pour certaines déjà présentes dans ses romans précédents (notamment Marketing Viral), mais pas aussi bien amenées : les menaces de dérives liées aux nouvelles technologies, la dictature du marketing, le rapport entre corps et machine, réalité et virtuel… Il se permet même, vers la fin, quelques scènes oniriques saisissantes, où la forme et le fond se troublent autant que notre avenir possible si l’on n’y prend pas garde.
Alliant une réflexion aussi puissante qu’inquiète sur notre futur, à un superbe thriller, Marin Ledun signe donc l’une des œuvres d’anticipation les plus marquantes et ambitieuses parues depuis bien longtemps. Rien que pour cela, faites un détour par la Zone Est, vous ne le regretterez pas!
Zone Est, de Marin Ledun
Editions Fleuve Noir, 2011
ISBN 978-2-265-08968-6
408 p., 19,90€
Retrouvez Zone Est sur le site des éditions Fleuve Noir.
Et si vous avez envie de découvrir l’ensemble du travail de Marin Ledun, rien de tel qu’une visite sur son blog, ici : http://www.pourpres.net/marin/