Zone Est, de Marin Ledun

Signé Bookfalo Kill

En 2007, je suis tombé par hasard sur Modus Operandi, le premier roman d’un jeune auteur dont le style et le propos, pleins de rage et de sincérité, m’ont immédiatement frappé, en dépit de quelques maladresses et d’une certaine propension à laisser ses idées, ses théories – nombreuses et souvent brillantes – prendre le dessus sur la narration. Depuis, je n’ai eu de cesse de lire les œuvres de Marin Ledun et d’admirer sa progression fulgurante.
Jusqu’à cette année 2011, déjà marquée de deux romans extraordinaires. C’est du premier paru, Zone Est, dont je souhaite vous parler à présent.

Une précision d’emblée : il s’agit d’un thriller d’anticipation – mais ne partez pas tout de suite en courant ! Certes, Marin Ledun nous projette dans le futur, mais un futur potentiellement proche. Pas de soucoupes volantes ni d’extra-terrestres ici… Des humains, oui, en revanche, bien que plus vraiment dans un état de fraîcheur total.
C’est qu’un virus ravageur, échappé d’un incident d’origine inconnue, est passé par là, exterminant une grande partie de la population mondiale. Ceux qui restent ne doivent leur survie précaire qu’à des prothèses ou des implants compensant leurs organes perdus. Ils sont désormais parqués dans la Zone Est, une gigantesque enclave située à l’emplacement de notre actuelle vallée du Rhône, partagée entre futurisme et dévastation, et “protégée” du reste du monde par une barrière infranchissable, le Mur.

Dans cet univers en déréliction, Thomas Zigler exerce l’étrange métier de chasseur de données. Commandités par des personnages aussi mystérieux qu’influents, il traque des individus pour leur voler des parcelles de leur mémoire, censées contenir des informations sensibles. Il s’en sort très bien jusqu’au jour où il voit, dans les données qu’il vient de soutirer à un homme, un souvenir impensable : une femme biologiquement saine, dénuée d’implants, qui parvient à échapper à des poursuivants lourdement armés en se faufilant dans une faille du Mur…
Trucage habile ou vérité ? Ebranlé, Zigler est bien décidé à découvrir le fin mot de l’histoire. Du reste, il n’a pas la choix, car visiblement, certains estiment qu’il en sait déjà trop ; et de chasseur réputé, il devient une proie à éliminer de toute urgence…

Avant Zone Est, jamais Marin Ledun n’avait réussi à équilibrer aussi bien la forme et le fond. Mené à un train d’enfer, rythmé de rebondissements et de scènes d’action époustouflantes, le récit ne laisse pas le moindre instant de répit au lecteur. Le suspense implacable de ce thriller survitaminé fait immanquablement penser à des références du genre : les romans de Philip K. Dick – ou leurs adaptations cinématographiques, au premier rang desquelles Minority Report de Steven Spielberg et Blade Runner de Ridley Scott – ; mais aussi Les Fils de l’homme, le chef d’œuvre méconnu d’Alfonso Cuaron ; ou bien encore La Brigade de l’œil, de Guillaume Guéraud. De bout en bout, Ledun joue à ce très haut niveau et apporte une pierre très solide à l’édifice de ses illustres prédécesseurs.

Dans un cadre aussi maîtrisé, le romancier déroule avec facilité ses idées phares, pour certaines déjà présentes dans ses romans précédents (notamment Marketing Viral), mais pas aussi bien amenées : les menaces de dérives liées aux nouvelles technologies, la dictature du marketing, le rapport entre corps et machine, réalité et virtuel… Il se permet même, vers la fin, quelques scènes oniriques saisissantes, où la forme et le fond se troublent autant que notre avenir possible si l’on n’y prend pas garde.

Alliant une réflexion aussi puissante qu’inquiète sur notre futur, à un superbe thriller, Marin Ledun signe donc l’une des œuvres d’anticipation les plus marquantes et ambitieuses parues depuis bien longtemps. Rien que pour cela, faites un détour par la Zone Est, vous ne le regretterez pas!

Zone Est, de Marin Ledun
Editions Fleuve Noir, 2011
ISBN 978-2-265-08968-6
408 p., 19,90€

Retrouvez Zone Est sur le site des éditions Fleuve Noir.
Et si vous avez envie de découvrir l’ensemble du travail de Marin Ledun, rien de tel qu’une visite sur son blog, ici : http://www.pourpres.net/marin/

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