Toujours + ! (un bilan de 2021)
N’étant pas très top, chiffres et classements, mais soucieux tout de même de jeter un dernier coup d’œil en arrière avant d’enchaîner avec 2022, je vous propose aujourd’hui un petit bilan de mes lectures préférées de 2021. Comme l’année dernière, mais en une seule fois, avec moins d’entrées, et seulement les coups de cœur. Une décision dictée essentiellement par le fait que ces derniers ont été plus rares cette année, plus sélectifs, alors même que j’ai lu une centaine de livres, à peu près comme d’habitude.
En faisant le point, j’ai vu quelques titres se détacher avec évidence. Les voici réunis ici, avec un lien vers la chronique qui leur a été consacrée (à une ou deux exceptions près dépourvues d’article… qui viendra bientôt ?)
Le + bouleversant : Sidérations, de Richard Powers (Actes Sud)
Mon coup de cœur majeur de 2021. Un roman profondément touchant, poignant, et en même temps d’une intelligence éblouissante, croisant avec évidence des sujets aussi divers que la neurobiologie, l’astrophysique, l’écologie, la famille, l’enfance, le deuil, la politique…
Je vous invite à voyager jusqu’au blog de l’ami Yvan Fauth, Émotions, qui a eu la gentillesse de me convier dans son top 10 en forme de regards croisés afin d’y poser quelques mots sur ce roman. Je n’ai sans doute rien écrit de mieux à son sujet que pour cette occasion, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire !
Le + puissant : Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie (Albin Michel)
Imparable. C’est l’adjectif qui me revient obstinément en tête lorsque je pense au deuxième roman du Canadien Michael Christie (le premier reste inédit pour le moment en France). Impossible en effet de résister à la puissance narrative et à la construction en spirale de Lorsque le dernier arbre, qui nous attrape en 2038, dans un futur proche et anxiogène terriblement réaliste, pour nous conduire au cœur du livre jusqu’en 1908, au fil de bonds générationnels passant par 2008, 1974 et 1934 ; avant de repartir dans le sens inverse par les mêmes étapes pour nous ramener, à bout de souffle et étourdis d’admiration, à la case départ.
Un immense roman de personnages, dont le cœur convoque l’ombre inspirante de John Steinbeck en personne. Une très grande découverte pour moi.
Le + polar : La République des faibles, de Gwenaël Bulteau (La Manufacture de Livres)
J’ai suivi l’année polar de loin, certes, pendant un peu plus de la moitié de l’année, avant de reprendre mon métier de libraire en septembre. Néanmoins, j’ai eu le sentiment (à tort ou à raison, à vous de me le dire en commentaire) que le genre marquait le pas. S’il assure toujours autant de ventes, c’est plus que jamais par le biais d’usines à best-sellers (Bussi, Coben, Connelly, Minier, Thilliez, Grangé…) dont l’intérêt littéraire global reste à débattre. En terme d’originalité et de renouvellement, en revanche, ça coince un peu – ou du moins, j’ai de plus en plus de mal à y trouver mon compte.
Tout ça pour dire que le premier roman de Gwenaël Bulteau fait office d’heureux contre-exemple. S’il ne renouvelle pas l’exercice du polar historique (difficile à faire, cela dit), il lui ajoute une excellente référence, sombre, nerveuse, très bien menée et sertie de personnages remarquablement campés et nuancés. Le tout à une époque passionnante (la fin du XIXème siècle, en plein tourment de l’affaire Dreyfus) et à Lyon, histoire de changer un peu de cadre. Une réussite, dont j’attends la suite avec impatience.
Le + doux : Esther Andersen, de Timothée de Fombelle & Irène Bonacina (Gallimard-Jeunesse)
Il fallait bien que je case mon chouchou quelque part dans cette liste : voilà chose faite. Et avec ce merveilleux album, pas (encore) chroniqué sur le blog, plutôt qu’avec le tome 2 d’Alma paru également en 2021, qui m’a très légèrement moins emporté que d’habitude.
Esther Andersen, donc, avec son nom de chanson de Vincent Delerm – ou d’album de Sempé.
Sempé auquel on est obligé de penser en découvrant les illustrations vivantes, bien vues et délicates d’Irène Bonacina, à l’évidence inspirée par le maître. On pourrait crier à la facilité, mais il se trouve que ce trait colle parfaitement à l’histoire ciselée ici par Timothée de Fombelle. Un récit d’enfance, d’été, de plage lointaine, d’oncle bienveillant, de balades à vélo, et de premier amour en forme de coup de foudre fugace.
Un délice absolu, tendre et poétique.
Le + joueur : Les embrouillaminis, de Pierre Raufast (Aux Forges de Vulcain)
Écrivain joueur par excellence, Pierre Raufast réinvente le roman dont vous êtes le héros, genre culte chez les jeunes lecteurs des années 80-90, dont il propose une version littéraire à la fois ludique et riche en belles réflexions, sur les choix de nos vies, sur l’amour, l’amitié, les héritages familiaux, mais aussi sur l’écriture elle-même. Un livre à lire et relire, pour en découvrir les nombreuses nuances et les surprises cachées. Jouissif !
Le + nostalgique : Goldorak, de Dorison, Bajram, Cossu, Sentenac et Guillo (Kana)
Ça aurait pu n’être qu’une récupération opportuniste, mais non. Il faut dire que le quintette à l’œuvre derrière cette somptueuse bande dessinée, à commencer par son inspirateur principal Xavier Dorison, sont des enfants des années 80. De solides quarantenaires, biberonnés aux dessins animés cultes de cette époque, au premier rang desquels l’incontournable Goldorak.
Avec la bénédiction de Go Nagai, créateur japonais du robot géant, les cinq auteurs proposent une suite et fin hyper crédible à l’anime original, mêlant action, suspense, humour, une réflexion poignante sur l’héroïsme et ses conséquences, le tout servi par un dessin moderne qui rend hommage à l’œuvre de Go Nagai tout en s’en affranchissant avec une liberté rafraîchissante.
Le + prometteur : La Tour de Garde 1 – Capitale du Sud t.1 : le Sang de la Cité, de Guillaume Chamanadjian (Aux Forges de Vulcain)
Pierre d’angle d’une double trilogie menée conjointement par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, ce premier volet commence en douceur pour mieux envoyer du bois au fur et à mesure que le primo-romancier met en place le fabuleux décor de son histoire (la ville de Gemina, fameuse capitale du sud du titre) et les ramifications complexes des intrigues qui l’animent.
De la fantasy politique de haute volée, pleine d’idées et d’ambition, qui promet de nombreuses belles pages d’évasion dans les cinq tomes à venir. (Je n’ai pas encore lu le premier volume de Capitale du Nord, signé Claire Duvivier, mais cela ne saurait tarder !)
Le + « roman léger mais bien écrit quand même vous voyez » : Badroulboudour, de Jean-Baptiste de Froment (Aux Forges de Vulcain)
Cette question, les libraires ont appris à vivre avec depuis un paquet d’années à présent – à moins qu’elle ait toujours été posée, mais je ne me souviens pas de l’avoir si souvent entendue au début de ma carrière… Bref, de quelle question parle-t-on ? Celle que posent nombre de clients, notamment à l’approche de Noël, désireux de trouver une perle rare : un roman distrayant, voire drôle, en tout cas « léger » (le mot est lâché, faites-en ce que vous voulez), mais tout de même bien écrit, et intelligent si possible. Une sorte de graal, en somme.
Pour ma part, j’ai fini par en faire une sorte de jeu : dénicher régulièrement ce fameux livre idéal, qui peut prendre plusieurs formes, avouons-le tout de suite, et ne pas plaire à tout le monde – ce serait trop simple.
Au fil des années, dans cette catégorie, on a pu trouver par exemple Le Liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent, ou pourquoi pas En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, voire La Vérité sur l’affaire Harry Québert de Joël Dicker (même si, pour la qualité du style, au sujet de celui-là, on repassera).
Et donc, mon chouchou de cette année, ma pépite personnelle, c’est Badroulboudour, le deuxième roman de Jean-Baptiste de Froment. Soit un livre qui, en 200 pages, réussit l’exploit de mêler un ton délicieusement piquant, de l’humour, du mystère, une rêverie érudite autour des Mille et une nuits… et de conclure le tout par un joyeux grain de folie et une histoire d’amour inattendue. Un vrai petit bonheur, en effet « léger » (quoi que cela veuille dire) et intelligent, que je vous recommande à nouveau chaleureusement.
Quelques mentions en + :




Nos corps étrangers, de Carine Joaquim (La Manufacture de Livres)
Un « presque » premier roman décapant, affirmation d’une voix aussi brute que torturée, qui mène un récit terrible sans jamais relâcher la pression, jusqu’à un final terrifiant. Auteure à suivre de très près.
Songe à la douceur et Les petites reines, de Clémentine Beauvais (Sarbacane)
Il fallait bien qu’un jour je mette le nez dans les livres de la prodigieuse Clémentine Beauvais. Bien m’en a pris de céder enfin, car ces deux lectures, pourtant très différentes, m’ont subjugué. Je vous laisse relire les chroniques correspondantes pour comprendre pourquoi.
Les grandes marées, de Jim Lynch (Gallmeister, coll. Totem)
En parlant de prendre son temps avant de lire un livre qu’on me recommandait depuis longtemps, en voici un autre bel exemple. Autant avouer que j’ai adoré me plonger (ah ah) enfin dans ce roman d’apprentissage aussi riche que chaleureux.
Pour en savoir plus, guettez le prochain rapport d’enquête du blog !
Rapport d’enquête #1 : Goldorak, Alma t.2, Robin Hood t.1
Comme vous l’aurez deviné à la baisse d’activité du blog ces dernières semaines, je manque à nouveau clairement de temps pour faire vivre cet espace. Reprise du travail à plein régime (après deux ans de congé parental… pas le même rythme de vie !), vie de famille, projets personnels et autres péripéties additionnelles m’empêchent de m’investir comme avant. Sans parler d’un certain manque d’envie de continuer à le faire avec autant d’intensité que par le passé.
Pour autant, après avoir bien réfléchi à la question, je n’ai pas envie de laisser tomber tout à fait (même si l’idée m’a sérieusement traversé l’esprit). Et comme je ne manque pas de lectures à évoquer, j’inaugure un nouveau format, intitulé « Rapport d’enquête », dont l’idée est de proposer des chroniques rapides, saisies à grands traits.
Ce sera le format d’articles le plus courant dans les semaines à venir, même s’il n’est pas exclu de laisser la place à de véritables chroniques unitaires, en cas d’inspiration subite de ma part.
Par ailleurs, je travaille sur un autre type de billets, sur un sujet qui me tient à cœur… On en reparle sans doute prochainement, une fois que j’aurai trouvé le temps d’avancer.
En attendant, voici le rapport d’enquête #1, consacré à la B.D. et à la littérature jeunesse.

Goldorak
Scénario : Xavier Dorison & Denis Bajram
Dessin : Denis Bajram, Brice Cossu & Alexis Sentenac
Couleurs : Yoann Guillo
D’après l’œuvre originale de Gô Nagai
Éditions Kana, 2021
ISBN 9782505078463
168 p.
24,90 €
La guerre entre les forces de Véga et Goldorak est un lointain souvenir. Actarus et sa sœur sont repartis sur Euphor tandis qu’Alcor et Vénusia tentent de mener une vie normale. Jusqu’au jour où, issu des confins de l’espace, surgit le plus puissant des golgoths de la division ruine : Hydragon.
Les armées terriennes sont balayées et les exigences de la dernière division de Véga sidèrent la planète ; sous peine d’annihilation totale, tous les habitants du Japon ont sept jours pour quitter leur pays et laisser les forces de Véga coloniser l’archipel.
Face à cet ultimatum impossible, il ne reste qu’un dernier espoir, le plus grand des géants… Goldorak.
En bon quarantenaire nourri des dessins animés mythiques des années 70 et 80, je place Goldorak en pièce angulaire de mon enfance télévisuelle. S’attaquer à ce monument, c’était menacer le fondement de mes rêves de gamin. Mais Dorison et ses acolytes sont faits du même métal, et c’est avec le plus grand sérieux qu’ils ont entrepris ce qui est plus qu’un hommage à Goldorak : une véritable suite de l’anime, voire une deuxième fin parfaitement honorable.
Cela leur a pris quatre ans de travail acharné, mais leurs efforts et leur profond respect pour l’œuvre originale de Gô Nagai rayonnent sur chacune des 168 pages de cette bande dessinée exceptionnelle. Tout y est : le design, à la fois respecté et d’une modernité éblouissante ; le caractère complexe des personnages ; des scènes d’action à couper le souffle ; de l’humour pour lier le tout ; et, surtout, une magnifique réflexion sur l’héroïsme, ses grandeurs, ses périls et ses conséquences parfois funestes.
Une réussite totale, qui réjouira les connaisseurs de Goldorak tout en s’ouvrant à ceux qui n’ont pas grandi avec le robot géant, grâce à une remise en contexte parfaitement réussie au début de l’album, et une composition scénaristique impeccable.

Alma t.2 : l’Enchanteuse
Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2021
ISBN 9782075160612
432 p.
19 €
Illustrations de François Place
À partir de 12 ans
1787. Alma et Joseph ont rejoint Saint-Domingue sur les traces du navire La Douce Amélie et de son insaisissable trésor. Mais Alma n’a qu’un seul but : retrouver Lam, son petit frère.
Dans les plantations de canne à sucre, les champs de coton de Louisiane, parmi les milliers d’esclaves qui se battent pour survivre, la jeune fille poursuit sa quête tandis que Joseph traverse à nouveau l’Atlantique.
On parle d’abolition à Londres. En France, le pouvoir de Versailles commence à vaciller.
En se séparant, les chemins d’Alma et Joseph leur rappellent à chaque instant tout ce qui les unit.
J’ai déjà parlé sur ce blog de la difficulté d’évoquer le deuxième tome d’une trilogie, par essence coincé entre un premier volume dont on doit prendre soin de ne pas trop déflorer l’intrigue et les mystères, et un troisième qui viendra conclure en beauté (ou pas…) l’ensemble de sa vaste histoire.
Je ne vais donc pas trop m’étendre sur cette suite d’Alma, la première trilogie de Timothée de Fombelle, sinon pour dire que le romancier reste à la hauteur de son très ambitieux projet – même si, à l’occasion, et pour la première fois dans l’œuvre admirable de cet écrivain que j’adule, j’ai senti passer quelques petites longueurs. Peut-être est-ce parce que j’avais relu le premier tome juste avant de me plonger dans celui-ci, et que cela faisait beaucoup d’Alma d’un coup…
Peut-être, aussi, est-ce la « faute » de cette narration au présent de l’indicatif que Timothée a décidé de retenir cette fois, et qui me semble affaiblir légèrement le souffle et la puissance naturelle de son écriture. Ceci doit être considéré comme une réserve particulièrement subjective : j’ai un problème global avec le présent de l’indicatif dans les romans, qui me semble nécessiter un redoublement d’effort et d’intensité de la part de l’auteur pour sublimer la narration.
Rien de rédhibitoire, néanmoins, et certains passages sont éblouissants, tandis que la quête des différents héros de cette fresque aussi courageuse que nécessaire sur l’esclavage (et le combat pour l’abolition de cette dernière) prend de plus en plus de force et d’épaisseur.
Nul doute que les jeunes lecteurs, à qui cette œuvre s’adresse en priorité, apprendront beaucoup de cette sinistre page d’Histoire de l’humanité, et qu’ils en tireront, entraînés par la conviction et l’empathie de Timothée de Fombelle, les meilleures leçons pour tracer leur propre chemin vers la compréhension et le respect des autres, quels que soient leurs origines, leurs couleurs de peau et leurs croyances.
On attend, bien entendu, la suite et la fin d’Alma avec la plus grande impatience… Rendez-vous en 2023 !

Robin Hood t.1 : hacking, braquage et rébellion
Robert Muchamore
Éditions Casterman, 2021
ISBN 9782203218215
288 p.
12,90 €
Traduit de l’anglais par Faustina Fiore
À partir de 11 ans
Robin a douze ans lorsque son père est emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis, piégé par Guy Gisborne, un mafieux aussi puissant que véreux. Devenu lui aussi la cible du terrible malfrat, Robin s’échappe de justesse et trouve refuge dans la dangereuse forêt de Sherwood.
Avec ses talents de hacker et son don pour le tir à l’arc, Robin pourrait gagner la confiance des hors-la-loi peuplant ce territoire hostile… et même se venger du plus grand criminel de Nottingham !
Sans surprise.
Robert fait du Muchamore, il le fait très bien, et ça fonctionne. Sans égaler cependant, et encore moins surpasser l’invraisemblable efficacité de Cherub, la série d’espionnage au très long cours (17 volumes, plus sept volumes du prequel Henderson’s Boys) qui a rassemblé un lectorat aussi large qu’hétérogène en frappant droit dans l’air du temps, avec ses héros à la fois extraordinaires et si proches, par leur langage, leurs erreurs et leurs adolescences compliquées, de leurs jeunes lecteurs.
L’idée de départ avait de quoi exciter autant qu’inquiéter : proposer une réécriture contemporaine de Robin des Bois, en faisant de ce héros si emblématique de la culture anglo-saxonne un jeune garçon, forcé de rejoindre la clandestinité pour tenter de sauver l’honneur de son père injustement emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis.
Tous les ingrédients attendus de l’histoire y sont, à commencer par ses personnages incontournables (Robin bien sûr, mais aussi Marian Maid, Little John, l’infâme Guy Gisborne…), même s’ils sont joyeusement réinventés par le romancier anglais. Lequel ajoute à la recette ses propres petits trucs, dont une connexion avec Cherub (via un gang de motards bien connus des agents du pensionnat secret).
Et donc, ça marche très bien, porté par le sens du rythme et du suspense de Muchamore, son art pour camper des ados crédibles et en même temps capables de se sublimer de manière flamboyante, des scènes d’action qui décoiffent, ce qu’il faut de bons sentiments et d’appels au rejet instinctif de ses lecteurs pour l’injustice.
Rien de nouveau sous le soleil, mais quand c’est bien fait, il y a de quoi se laisser faire. On verra si on tient jusqu’au bout des sept volumes annoncés à suivre…
Les mystères de Larispem t.2 : les Jeux du Siècle

Éditions Gallimard, coll. Folio S.F., 2020
ISBN 9782072885310
400 p.
9,20 €
À l’aube du XXe siècle, les jeux de Larispem sont lancés ! Carmine, Nathanaël et Liberté forment l’une des six équipes de ce jeu de l’oie à échelle humaine. Pendant ce temps, la comtesse Vérité œuvre dans l’ombre pour s’emparer de la Cité-État. L’intrépide trio parviendra-t-il à déjouer ses plans ? Et sauront-ils décoder le Livre de Louis d’Ombreville, qui suscite tant de convoitises ?
Dans une trilogie, la deuxième position est la plus ingrate. L’épisode 2 porte la lourde responsabilité de tenir les promesses faites par le premier, de nouer plus solidement les fils du mystère sans perdre le lecteur (ou le spectateur), d’amorcer le feu d’artifice final du troisième, tout en assumant souvent la part la plus sombre et inquiétante de l’histoire.
Les Jeux du Siècle, deuxième tome des Mystères de Larispem, relève le défi haut la main. La maîtrise dont avait fait preuve Lucie Pierrat-Pajot dans le volume inaugural était remarquable, surtout qu’il s’agissait de son premier roman (lauréat, rappelons-le, du Concours du Premier Roman organisé par les éditions Gallimard-Jeunesse) ; elle devient bluffante ici.
Lâchant la bride à son cheval de suspense, la jeune romancière précipite l’intrigue dans un mouvement perpétuel dont le tempo soutenu ne se relâche jamais, boosté par une imagination débordante qui multiplie de géniales péripéties, tout en ménageant la place nécessaire aux personnages pour exister, avancer, se développer, se dévoiler. En particulier le trio central : Carmine, moins inébranlable qu’elle n’y paraît, Nathanaël, plus courageux qu’il ne le croit lui-même, et Liberté, qui se découvre un caractère en acier trempé et une détermination à toute épreuve.
On plonge plus avant dans le dédale de Larispem, sublime revisitation steampunk de Paris dont les moindres décors font frissonner d’excitation. Une exploration géographique qui va de pair avec une formidable réinvention et réflexion historique, questionnant le pouvoir, les idéaux et l’idéologie, l’ambition, le déterminisme des origines sociales… Autant de sujets ambitieux, que Lucie Pierrat-Pajot traite en finesse, en privilégiant l’aspect ludique de son intrigue, l’aventure et le suspense pour faire passer le tout en douceur.
Comme de juste, la romancière abandonne ses héros – et nous avec – au fin fond des ennuis, au plus sombre et inquiétant de leur périple.
Ce qui nous amène en toute logique… directement au tome 3 !
Les mystères de Larispem t.1 : le sang jamais n’oublie, de Lucie Pierrat-Pajot

Éditions Gallimard, coll. Folio S.F., 2019
ISBN 9782072837470
315 p.
6,90 €
Larispem, 1899.
Dans cette Cité-État indépendante où les bouchers constituent la caste forte d’un régime populiste, trois destins se croisent… Liberté, la mécanicienne hors pair, Carmine, l’apprentie louchébem et Nathanaël, l’orphelin au passé mystérieux. Tandis que de grandes festivités se préparent pour célébrer le nouveau siècle, l’ombre d’une société secrète vient planer sur la ville.
Et si les Frères de Sang revenaient pour mettre leur terrible vengeance à exécution ?
En 2016, ce premier tome des Mystères de Larispem a été le lauréat de la deuxième édition du Concours du Premier Roman organisé par Gallimard-Jeunesse (avec Télérama et RTL). Un prix parfaitement mérité, tant Lucie Pierrat-Pajot, pour son premier livre, fait preuve d’ambition, d’audace et d’originalité, le tout couplé à un sens du suspense et du mystère remarquable.
L’audace, c’est de partir d’une page d’Histoire de France à la fois tragique et souvent méconnue, notamment des jeunes lecteurs, faute d’être bien enseignée (voire enseignée tout court) lorsqu’on étudie le XIXème siècle. Cette page d’Histoire, c’est la Commune de Paris, un soulèvement du peuple de la capitale qui, en 1871, fut très violemment réprimé par le gouvernement alors établi à Versailles.
De ce point de départ, Lucie Pierrat-Pajot prend le parti de créer une uchronie en osant imaginer une issue plus heureuse : une victoire des insurgés parisiens, grâce à laquelle Paris s’affranchit du reste de la France et devient Larispem, une Cité-État qui devient, en moins de trente ans, une sorte de cité idéale, tentative d’utopie sociale et politique à la pointe du progrès technologique.
L’originalité, c’est de faire de Larispem une fabuleuse ville steampunk, où l’on croise des dirigeables, un tram aérien vertigineux, des véhicules dotés de systèmes de propulsion révolutionnaires, de superbes tours d’acier et de verre, et tout un tas de machines diverses et variées.
Dans cette ville dont les nobles et les grands bourgeois ont été chassés ou éradiqués lors de la Seconde Révolution (nom donné à la victoire de 1871), l’une des nouvelles castes dominantes est celle… des bouchers. Les louchébem, comme on les appelle dans l’argot (véridique) qu’ils ont inventé, reconnaissables aux trois couteaux qu’ils portent à la ceinture, dont Carmine, l’un des trois héros du roman, est une représentante haute en couleurs.
L’ambition, c’est de développer un large faisceau d’intrigues et de personnages (dont Jules Verne, évidemment à sa place dans cet univers largement inspiré de ses livres) qui s’entrecroisent, fluides et limpides, tout en assumant une belle atmosphère sombre et des problématiques complexes qui ne donnent qu’une envie, se précipiter au plus vite sur le tome 2 pour en savoir plus !
Les plus, les moins : bilan 2020 (première partie)

Je n’ai jamais fait de bilan de fin d’année sur ce blog. L’idée m’a parfois traversé l’esprit, mais sans aller plus loin. Pas le temps le plus souvent, plus une tendance à passer très vite à la suite sans se retourner sur le passé (déformation professionnelle de libraire, sans aucun doute).
Cette année, c’est différent. Déjà, parce que cette année 2020 a été différente à tous égards – je ne vous fais pas un dessin, vous voyez de quoi je parle.
Ensuite, et surtout, parce que ce fut une année de reprise pour Cannibales Lecteurs, après un an et demi de pause. Et aussi une année de retour à la lecture pour moi, après quelques mois de tranquillité nécessaire, histoire de retrouver le vrai goût de la lecture qu’une pratique trop intensive et quelque peu dévoyée de mon métier m’avait fait perdre.
Cela vaut bien une petite mise en perspective, en quelques points majeurs, et autant de liens qui renvoient (quand elles existent) vers les chroniques du blog.
Le + chiffré : 93
Le nombre de livres lus cette année, dont une grosse vingtaine de bandes dessinées, et quelques relectures (les premiers Fred Vargas, les trois premiers Harry Potter).
Pas si mal, finalement, même si je suis loin des « standards » de mes années professionnelles, où je tournais plutôt autour de 120. Signe que ça peut faire du bien de prendre le temps, de ne pas se précipiter, de laisser des respirations également entre deux lectures.
Le + aimé
Alma t.1 : le vent se lève, de Timothée de Fombelle (Gallimard-Jeunesse)
Timothée de Fombelle a toute confiance en la puissance du roman. Il s’y abandonne avec une générosité, une inventivité et une intelligence qui enchantent, éblouissent, bouleversent.
Cet écrivain est capable de dénicher les plus infimes étincelles de lumière au cœur de la boue la plus épaisse – et de nous convaincre que seule cette lumière compte, et qu’il faut l’entretenir, la protéger, et la maintenir en vie coûte que coûte.
Le – aimé
Du côté des Indiens, d’Isabelle Carré (Grasset)
Il y a trop de sujets dans Du côté des Indiens – le délitement du couple, le mensonge, la maladie, les abus (sexuels et de pouvoir), les dessous du cinéma -, et ils s’avèrent presque contradictoires à force de se côtoyer sans s’entrelacer. Ils se heurtent les uns aux autres et, dans ces chocs successifs, perdent de leur force et de leur intérêt.
Le + aimé dont on a le – parlé
Des rêves à tenir, de Nicolas Deleau (Grasset)
Le temps de quelques pages, invitations à l’aventure, à la briganderie désintéressée, à la révolte citoyenne par-delà les mers, au mépris des États et de la sclérose politique qui, chaque jour, ronge nos chances de nous en sortir ; le temps de cette escapade que seule la littérature autorise, on respire. On vit plus beau, plus large, plus généreux.
Le – aimé dont on a le + parlé
L’Ange rouge, de François Médéline (la Manufacture de Livres)
Le fantasme du polar à la française, largement daubé par trop de visionnages de films plus ou moins
merdiques, qui pue l’inspiration mal digérée et le recyclage sans génie.
La + confirmée
Le Sanctuaire, de Laurine Roux (éditions du Sonneur)
Le Sanctuaire confirme ce que le premier roman de Laurine Roux laissait espérer. Non seulement quelques mots lui suffisent pour cadrer un décor, cerner une personnalité ou pénétrer la complexité d’un esprit, mais il faut en plus admirer la manière dont la jeune romancière les manie, les associe, pour créer des images et des sensations littéraires inédites et renversantes.
Le – terminé
Arène, de Négar Djavadi (Liana Levi)
La familiarité des décors n’a pas suffi à m’embarquer dans son histoire, et j’ai vite laissé tomber. La faute à ce que j’appelle du « psychologisme » : une débauche de réflexions et d’analyses psychologiques sur les moindres faits et gestes des personnages, qui allongent et alourdissent le texte en le freinant, beaucoup trop souvent à mon goût en tout cas.
Le + révélé
Il est juste que les forts soient frappés, de Thibault Bérard (éditions de l’Observatoire)
Avec une sincérité qui emporte tout sur son passage, Thibault Bérard donne à ce récit une énergie communicative, une envie de vivre, une joie inattendue. Sur un tel sujet, nombre d’écrivains auraient choisi le mélo, la tartine de sanglots tellement épaisse qu’elle coupe l’envie de pleurer. Mais non, pas lui. Il est juste que les forts soient frappés est un volcan. Il amène la dévastation, mais quel fabuleux spectacle !
Le – convaincant des attendus
Vie de Gérard Fulmard, de Jean Échenoz (éditions de Minuit)
Vie de Gérard Fulmard finit par se résumer à un exercice de style dont le sujet devient le style, noyant le propos dans l’explosion du verbe. Comme un aveu d’impuissance, stigmatisant chez le romancier une étonnante incapacité à dépasser la langue pour se concentrer sur une histoire, un récit, un propos.
Le + percutant
Impact, d’Olivier Norek (Michel Lafon)
Un livre en colère, un livre de colère, un roman intraitable sur l’état catastrophique du monde, bardé de chiffres, de données précises, d’informations détaillées, d’éléments de preuve susceptibles de donner de violentes poussées d’urticaires aux climatosceptiques et autres exploiteurs de tous bords.
Le – à la hauteur du sujet
Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Bellissen (Robert Laffont)
Repoussé par une écriture trop souvent neutre, dénuée de vie, je suis resté aux portes de l’émotion, là où j’aurais voulu être emporté, galvanisé, émerveillé.
Une déception, qui prouve une fois de plus que le roman biographique est tout un art, dans lequel il ne suffit pas de plaquer des faits, des extraits d’interview et des moments d’Histoire pour toucher juste.
Tobie Lolness, de Timothée de Fombelle

Illustrations de François Place
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2016
(pour l’édition collector 10 ans)
ISBN 9782070601486
672 p.
27,50 €
Courant parmi les branches, épuisé, les pieds en sang, Tobie fuit, traqué par les siens.
Tobie Lolness ne mesure pas plus d’un millimètre et demi. Son peuple habite le grand chêne depuis la nuit des temps. Parce que son père a refusé de livrer le secret d’une invention révolutionnaire, sa famille a été exilée, emprisonnée. Seul Tobie a pu s’échapper.
Mais pour combien de temps ?
Comme un symbole.
J’ai commencé mon année de lecture 2020 en lisant (enfin) la première partie de Tobie Lolness, je l’achève en terminant la deuxième dans ces derniers jours de décembre. Comme si les deux volets du roman de Timothée de Fombelle m’avaient servi d’indispensables parenthèses enchantées à cette année désincarnée.
Il était temps.
Tobie Lolness faisait figure d’exception bizarroïde dans mon parcours de fan absolu de Timothée de Fombelle. Par un curieux enchaînement de circonstances, je n’avais en effet jamais lu son premier roman. J’avais pourtant embarqué dans son univers extraordinaire dès Vango, sa deuxième grande saga (2010-2011). Puis suivi fidèlement toutes ses parutions, jusqu’au premier tome d’Alma paru en juin 2020.
Ce n’était jamais le bon moment. J’avais peur d’être déçu. De ne pas retrouver les émotions fabuleuses suscitées par Vango, Le Livre de Perle et les autres.
C’était idiot. Irrationnel, comme toutes les superstitions.
Puis le moment est venu.
Le bon état d’esprit. La vraie et juste curiosité. L’envie sincère, suffisante pour outrepasser l’inquiétude. Et l’énergie nécessaire pour porter à bout de bras cet imposant volume de presque 700 pages.
J’ai plongé. Vol plané enivrant entre les branches d’un immense arbre-monde, dans les pas du plus grand des tout petits héros.
« Tobie mesurait un millimètre et demi, ce qui n’était pas grand pour son âge. »
Première phrase.
Devenue à elle seule un classique de la littérature jeunesse, à l’image des milliers de phrases qui la suivent.
On y trouve déjà tout du style Fombelle – de la magie Fombelle. La précision du langage, un léger humour sous-jacent, de la poésie et de l’inventivité. En plus, des jeux de mots délicieux, des pirouettes exquises, et une capacité à insuffler à chaque mot sa toute puissance d’évocation.
De tout ceci Tobie Lolness est follement riche. C’est un suspense haletant, un roman d’aventure et d’action, des histoires d’amitié qui se nouent ou se dénouent, de passions extrêmes et d’affrontements furieux, des histoires d’amour aussi, et de famille.
Tout y est flamboyant, lumineux, intense. Des sourires naissent au coin des pages, puis des chagrins. Des inquiétudes et des espoirs. Parmi ces créatures minuscules qui vivent au creux d’un arbre ou de la prairie environnante, c’est toute l’humanité qui déploie son curieux théâtre, entre rires et larmes.
Timothée de Fombelle nous régale de personnages hauts en couleur. Ils sont touchants, drôles, révoltants, injustes, courageux ou lâches, obstinés ou butés. Ils sont nombreux, mais jamais on n’en oublie aucun, ni on ne se perd entre leurs rangs. Ils sont merveilleux, fous, attachants – tous, oui, même les méchants.
Comment ne pas s’amuser devant les descriptions de l’horrible Jo Mitch ? Comment ne pas fondre en lisant les improbables inventions langagières du soldat Patate ? Comment ne pas tomber amoureux de la vaillante Elisha ? Comment ne pas admirer l’ingéniosité et la malice de Tobie ? Comment ne pas vibrer en écoutant la musique silencieuse des Asseldor opposée à la tyrannie et à la bêtise ?
De plus, par cette simple trouvaille de réduire ses personnages à une taille minuscule, le romancier fait du quotidien un vaste terrain de possibles merveilleux. Une sublimation de l’ordinaire et du familier que les dessins minutieux de François Place, éloge de l’infiniment petit, magnifient au fil des pages.
Un seul arbre accueille un pays si vaste, aux territoires si variées, qu’une seule imagination ne suffit pas à en faire le tour. Les insectes deviennent des créatures fabuleuses. Une flaque au creux de l’écorce se transforme en lac magique. Et creuser le tronc de l’arbre pour en exploiter la sève jusqu’à extinction des flux, c’est mettre le monde en danger.
Tobie Lolness est aussi un cri d’alarme écologique, presque avant l’heure. Sans pour autant tomber dans la démagogie ni la démonstration lourdingue ou facile. Par les seuls actes des habitants de l’arbre, il oppose le nécessaire respect dû à la nature, à l’aveuglement égoïste de ceux qui l’exploitent pour s’enrichir sans se soucier que, demain, elle aura disparu. D’ici là ils auront été riches, et c’est tout ce qui compte.
Avec ce livre monumental, Timothée de Fombelle signe l’un des premiers romans les plus éblouissants jamais publiés pour la jeunesse – et au-delà, car les livres de cet écrivain précieux transcende toutes les limites à l’image de ses héros qu’aucune frontière n’arrête jamais si leur quête d’absolu doit les porter plus loin.
Il réhabilite la littérature d’aventure, redonne foi en la magie, réaffirme la toute-puissance éternelle de l’imaginaire.
À lire absolument, si vous m’en croyez.
Tobie Lolness est également disponible en deux tomes, en grand format (17,50 € le volume) ou en poche chez Folio Junior (8,90 € le volume).
Quelqu’un m’attend derrière la neige

Tout les éloigne. Pourtant, Freddy et Gloria se ressemblent plus qu’ils ne le croient.
La vie de Freddy se résume à son vieux camion jaune, qu’il conduit de Gênes à Paris ou Londres pour livrer les délicieuses glaces de Pepino & Schultz. Il lui arrive, parfois, de ne parler à personne pendant trente ou quarante jours.
Gloria, elle, est une hirondelle. Comme ses semblables, lorsque vient l’hiver, elle file à tire d’aile vers la chaleur de l’Afrique.
Pourtant, en ce mois de décembre glacial, un appel irrésistible la porte vers le nord. Elle ignore son origine mais ne peut faire autre chose que d’y répondre. Freddy, pendant ce temps, conduit son camion vers Calais. Cela fait bientôt cent jours qu’il n’a parlé à personne.
La neige se met à tomber. Et le destin, en tête de rassembler ceux qui se ressemblent plus qu’ils ne le croient.
Timothée de Fombelle, génial touche-à-tout, auteur de romans jeunesse (Vango, Le Livre de Perle, Tobie Lolness) ou adultes (Neverland) éblouissants, de pièces de théâtre, d’une comédie musicale (Georgia), d’une bande dessinée (Gramercy Park) ou d’albums pour plus petits, signe ici son premier conte de Noël. Certes, nous sommes un peu hors saison, mais comme tout est bon dans le Fomfom, je ne résiste pas à rattraper mon retard.
Délicatement mis en images par le dessinateur italien Thomas Campi, qui réalise à peu près toutes les deux pages de superbes illustrations aux couleurs chaudes et riches, ce texte s’avère aussi inclassable que ses héros. Aussi à part. Là, peut-être, où se niche l’humanité la plus pure – désintéressée, tournée vers l’autre, désespérée de se battre pour ce que nous avons de meilleur en nous. Généreuse et lumineuse.
Écrit avec la profondeur que l’on connaît à l’écrivain, Quelqu’un m’attend derrière la neige (ce titre, quelle grâce !) confronte ses personnages à la noirceur du monde. Ce n’est pas parce qu’on écrit un conte de Noël qu’il faut céder de bout en bout à l’angélisme béat, semble nous dire l’auteur, plus inquiet qu’à l’ordinaire.
Si l’on suit à Freddy et Gloria, si l’on s’attache à la marge qui les sépare du monde – la mélancolie de l’un, l’obstination de l’autre -, on se demande où cette histoire peut bien nous mener. Comme souvent ces derniers temps (voir les twists de Gramercy Park ou du magnifique petit album de 2018, Capitaine Rosalie), Timothée de Fombelle
attend le dernier moment pour faire tomber le rideau.
Et l’émotion prend à la gorge. En peu de mots et quelques images à l’unisson. En une révélation finale, qui lie merveilleusement des êtres hors normes et le monde qu’ils doivent affronter – une épreuve que l’on réussit toujours mieux ensemble. Surtout quand on se ressemble plus qu’on ne le croit.
Une manière d’affirmer qu’il y a toujours une raison d’espérer, et qu’il faut s’accrocher à ce rêve pour ne pas tomber.
On parle de ce magnifique album un peu partout ! Quelques liens : Petites madeleines, Les instants volés à la vie, La littérature jeunesse de Judith et Sophie, Sophie lit, La bibliothèque de Noukette…
Stone Rider, de David Hofmeyr
Signé Bookfalo Kill
Adam Stone veut la liberté et la paix. Il veut une chance de s’échapper de Blackwater, la ville désertique dans laquelle il a grandi. Mais, plus que tout, il veut la belle Sadie Blood. Aux côtés de Sadie et de Kane — un Pilote inquiétant —, Adam se lance dans le circuit de Blackwater, une course à moto brutale qui les mettra tous à l’épreuve, corps et âme.
La récompense? Un aller simple pour la Base, promesse d’un paradis. Et pour cette chance d’une nouvelle vie, Adam est prêt à tout risquer… (résumé éditeur)
Oui, j’avoue, pour ce livre, je ne me suis même pas fatigué à rédiger un résumé fait maison. Pour tout vous dire, j’ai eu le sentiment que ce Stone Rider ne valait pas la peine de perdre trop de temps. D’ailleurs, on pourrait le présenter d’une autre manière, tout aussi efficace : Stone Rider, c’est Hunger Games dans l’univers de Mad Max.
Voilà : un monde post-apocalyptique en pleine déréliction, de l’action, tout un tas de gens peu recommandables, voire carrément psychopathes sur les bords, de l’action, des motos, de l’action, de la poussière, de l’action, une épreuve hyper dangereuse où on commence par survivre avant de penser à gagner… Il y a tous les ingrédients déjà vus à droite à gauche, compilés sans grand talent (chers amis de Gallimard-Jeunesse, pour « l’écriture nouvelle et captivante », on repassera, merci) par un auteur qui n’apporte rien de neuf au genre de la dystopie, animés par des personnages épais comme des pitchs de Luc Besson, dans un roman qui se lit vite parce qu’il enchaîne les scènes trépidantes, et c’est là sa qualité première. La seule, à mon avis.
Ce qui m’embête le plus, en fait, c’est que Stone Rider s’est vu récemment décerner la Pépite du Roman Ado au Salon de la littérature jeunesse de Montreuil. Quand on se rappelle que, l’année dernière, le lauréat était le fabuleux Livre de Perle de Timothée de Fombelle, on est en droit de se demander si, cette année, les membres du jury ne songeaient pas trop à l’otite de la petite dernière ou à la quiche courgettes-oignons du déjeuner au moment de passer au vote. Parce qu’il y avait beaucoup, beaucoup mieux en compétition…
Stone Rider, de David Hofmeyr
(traduit de l’anglais par Alice Marchand)
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2015
ISBN 9782070666751
320 p., 15€
Le Livre de Perle, de Timothée de Fombelle
Signé Bookfalo Kill
Exilé de son royaume, où vivent encore fées et sorciers, pour empêcher qu’il soit tué par son frère jaloux, un jeune prince de quinze ans devient Joshua, fils adoptif de monsieur et madame Perle, confiseurs à Paris dans les années 30. Mais la guerre éclate quelques années plus tard, et Joshua doit partir au front. Capturé et enfermé dans un camp, il y fait une découverte stupéfiante, qui pourrait bien lui servir de clef pour retrouver le monde dont il vient…
Il ignore qu’une éternelle jeune fille, ancienne fée qui a renoncé à ses pouvoirs par amour pour lui, le suit comme son ombre, tiraillée entre le désir de le retrouver et la crainte de le perdre, car une terrible malédiction pèse sur eux. Il ignore aussi qu’un adolescent de quatorze ans, un jour, découvrira ses aventures et en fera une histoire…
Timothée de Fombelle aime les constructions narratives complexes, prendre des détours, marcher contre le déroulement naturellement monotone de la vie. Pour lui, la vérité, le mystère et la beauté se cachent dans les virages et les recoins de l’existence, sa compréhension et sa magie dans les allers-retours du temps – et dans des valises, énormément de valises comme autant de petits coffres-forts pour des secrets, des miracles et des beautés innombrables.
Mêlant plusieurs niveaux de narration, plusieurs époques, suivant plusieurs personnages en parallèle, Le Livre de Perle ne fait pas exception à cette règle et sidère par sa maîtrise totale. Jamais on ne se perd dans les méandres de ce récit qui fait la part belle à l’esprit des contes et des fables, en injectant un peu de leur enchantement dans l’histoire de notre propre monde, même en plein cœur de la guerre.
Pourtant, Fombelle augmente encore la difficulté en se mettant lui-même en scène dans son livre, d’abord adolescent mystérieux au début de l’histoire, puis devenu adulte, à la recherche de la vérité sur Joshua Perle dont il a croisé la route par hasard des années avant. Un tel procédé, recourir à une narration à la première personne en plein milieu d’un roman raconté pour le reste à la troisième personne, est aussi rare qu’audacieux pour un texte destiné à la jeunesse. Il l’assume avec brio, ajoutant une implication personnelle pleine d’émotion à une histoire imaginaire qui en compte déjà beaucoup.
Car le Livre de Perle vibre d’histoires palpitantes : une magnifique histoire d’amour, un récit d’apprentissage douloureux, des quêtes, des fuites, des amitiés, des trahisons, de la féérie… Le tout dans des décors sublimes, d’un lac brumeux aux remparts d’un sombre château, d’une rivière cachée à des bords de mer grondants, du Paris des années 30 à la France occupée, d’un camp glacial en Westphalie à une maison abandonnée dans la lagune de Venise…
Timothée de Fombelle aime aussi, par-dessus tout, faire rêver ses lecteurs, jeunes et moins jeunes. Si ses gros romans s’offrent à partir de 13 ans (et les 300 pages de ce nouvel opus sont loin des superbes pavés qu’étaient Tobie Lolness et Vango), ils sont pour tous les âges des passeports vers des au-delà merveilleux, territoires de rêves et de cauchemars, de quête et d’apprentissage, d’amour et de chagrin. Je ne raterais pour rien au monde une nouvelle publication signée de sa main, car la virtuosité de sa phrase épurée, ciselée pour faire naître les plus belles émotions chez son lecteur, ne cesse de m’éblouir et de me bouleverser.
D’ailleurs, ce sont sur ses mots que je veux vous laisser, incapable d’en trouver de meilleurs de mon côté pour vous recommander de plonger sans délai dans le Livre de Perle.
Quelques mots, quatre pour être précis, qui suffisent à dire tout et plus encore :
« Les histoires nous inventent. »
A vous de vous inventer grâce aux merveilleuses histoires de Timothée de Fombelle.
Le Livre de Perle, de Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2014
ISBN 978-2-07-066293-7
304 p., 16€
Tant que nous sommes vivants, d’Anne-Laure Bondoux
Signé Bookfalo Kill
S’il y a bien un domaine où les romanciers français savent assumer leur imagination sans rien céder à l’élégance et à la puissance de leur style, c’est dans la littérature pour ados. Timothée de Fombelle, Jean-Claude Mourlevat sont des grands noms du genre, Anne-Laure Bondoux en est un autre (pour ceux qui en doutent, lisez son grand oeuvre, Les larmes de l’assassin) et le prouve une fois de plus avec son magnifique nouveau roman.
Pas facile d’ailleurs de résumer Tant que nous sommes vivants sans aller trop loin dans son histoire. Disons que tout commence le jour où Hama, fille de la Ville, rencontre Bo, un étranger qui vient de s’y installer. A l’heure du changement d’équipe, ils se croisent à l’Usine, gigantesque complexe de fabrication de matériel de guerre qui constitue le poumon économique de la ville. C’est le coup de foudre, la valse d’amour étourdissant les jeunes gens comme leurs proches, qui ne sont plus habitués à tant de bonheur dans une cité qui se meurt doucement.
Mais une terrible catastrophe survient, coup de poignard dans l’insouciance de Bo et Hama comme dans ce qu’il restait de paix dans l’esprit des citadins. Contraints de prendre la fuite, les amoureux se lancent alors dans des aventures où les rejoindra bientôt Tsell, leur fille…
Quelle merveille, mais quelle merveille ! Pour imaginer tout ce que recèle encore Tant que nous sommes vivants, jetez un coup d’œil à sa superbe couverture signée Hélène Druvert. Elle capte quelques-uns des nombreux épisodes qui jalonnent le parcours de Bo et Hama, puis de Tsell. J’adorerais vous en raconter certains ici, mais je ne le ferais pas aussi bien qu’Anne-Laure Bondoux, et ce ne serait rendre justice ni à son imagination débordante, ni à son écriture, ciselée, émouvante, pleine de force et de passion.
Des rencontres insolites, des personnages drôles et attachants (la tribu de la famille souterraine, dont les membres sont prénommés de Un à Dix-Neuf… non, je n’en dis pas plus !!!), des décors superbes, des histoires d’amour étourdissantes, de la lumière et des ombres, des animaux, la vie, la mort, la guerre, le bonheur et le chagrin… Tout est réuni, là, dans ce seul roman dont chaque chapitre porte en son titre une notion et son contraire, pour dire à quel point l’existence est faite de contrastes, d’oppositions, de possibles et d’impossibles. Et que c’est entre ces frontières que l’on peut trouver son propre chemin, à condition d’en avoir la force et la volonté.
Un bijou d’émotion et de poésie, d’aventure et d’humour, de tendresse et de tristesse… Une pure merveille, je vous dis ! A partir de 13 ans, et bien au-delà.
Tant que nous sommes vivants, d’Anne-Laure Bondoux
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2014
ISBN 978-2-07-065379-9
304 p., 15€
Céleste, ma planète, de Timothée de Fombelle
Signé Bookfalo Kill
Comme je ne dirai jamais assez de bien de Timothée de Fombelle (et je ne vous ai pas encore parlé de Vango… ça viendra), je voudrais vous glisser quelques mots de regret au sujet de Céleste, ma planète (paru en 2009) : ce roman est beaucoup, beaucoup TROP COURT.
Car pour le reste, quelle petite merveille, encore une fois ! Initialement publié dans la revue Je Bouquine, Céleste… se déroule dans une version futuriste de notre monde, et pourtant effroyablement crédible. Les immeubles ont plus de 300 étages et porte des noms bizarres – !mmencity, !ntencity, !ndustry -, on range les voitures à la verticale dans de monstrueux parkings verticaux, la publicité est omniprésente et la pollution englobe tout.
Le narrateur de l’histoire n’est pas à sa place dans un tel environnement. C’est un garçon rêveur, qui dessine des cartes du monde et joue du piano, seul dans l’appartement gigantesque et sans âme, déserté par sa mère débordée de travail. Son seul ami est Briss, fils du laveur de carreaux des tours de verre, qui vient chaque soir vider le frigo que la mère du héros fait remplir à distance chaque lundi.
Mais tout change le jour où Céleste arrive au collège. Elle n’y reste pourtant qu’une matinée, ne dit pas un mot, mais c’est suffisant pour tomber amoureux – et pour partir à sa recherche coûte que coûte dans la ville immense…
Dans ces brèves 92 pages, il y a, certes, une histoire d’amour qui ne tient à rien, ce qui la rend d’autant plus juste et touchante. Mais il y a aussi et surtout un propos simple et subtil sur l’écologie, sur l’avenir de notre planète, sur la manière dont nous la pervertissons et dont nous nous avilissons par la même occasion.
Avec un beau mélange de mélancolie, d’humour léger, d’aventure et de fausse naïveté, Timothée de Fombelle signe une fable utopiste et engagée qui évoque Tistou les pouces verts et ses espoirs pacifistes.
Pour réfléchir et rêver, un petit livre facile et utile à partir de 10 ans.
Céleste, ma planète, de Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2009
ISBN 978-2-07-062324-2
92 p., 4€
Victoria rêve, de Timothée de Fombelle
Signé Bookfalo Kill
Victoria rêve. D’aventures inouïes, de dangers immenses, de courses folles autour du monde. D’ours et de lions, de cowboys et d’Indiens, de voyages dans l’espace ou de poser son hydravion sur un lac couvert de brume. De tous ces paysages et tous ces héros qui hantent les livres qu’elle dévore. Victoria rêve – et c’est tout ce qu’elle peut faire, car quand on est une collégienne solitaire et qu’on vit à Chaise-sur-le-Pont, « la ville la plus calme du monde occidental », avec sa grande soeur horripilante et ses parents désespérément sérieux, on n’a pas tellement le choix.
Mais quand ses livres commencent à disparaître des étagères de sa chambre, que son voisin le petit Jo lui parle de trois mystérieux Cheyennes, et qu’elle surprend son père déguisé en cowboy, Victoria se dit que, peut-être, l’aventure entre enfin dans sa vie…
Timothée de Fombelle est un garçon exaspérant. Avoir autant de talent, à la fin, c’est juste horripilant – et oui, bon, d’accord, je l’admire énormément. Après le mythique Tobie Lolness et le superbe Vango, époustouflant roman d’aventures pour ados, le voici qui revient avec ce petit roman tout simple mais tout aussi merveilleux.
Mystérieux, drôle, tendre et émouvant, Victoria rêve célèbre le pouvoir de l’imaginaire, en tous lieux et toutes circonstances. Fombelle en fait la démonstration en quelques mots, en quelques phrases, dont le souffle nous emporte loin des décors ternes de Chaise-sur-le-Pont. Il invente de l’énigme là où il n’y en a pas et glisse un peu d’amour là où il doit y en avoir.
Ce joli petit roman célèbre aussi, bien sûr, la force et la magie de la littérature, capable plus que tout autre de nous embarquer dans des voyages extraordinaires. Un hommage que les très belles illustrations de François Place accompagnent à merveille.
Facile d’accès et hautement recommandable, Victoria rêve emportera les jeunes lecteurs à partir de dix ans.
Victoria rêve, de Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2012
ISBN 978-2-07-064986-0
105 p., 13,50€