À première vue : la rentrée P.O.L. 2021
Intérêt global :

Quitte ou double P.O.L., épisode 2021.
Comme je le disais l’année dernière, pour cette maison d’édition dotée d’une ligne forte et exigeante, soit le programme de rentrée me passionne, soit il me laisse indifférent ou me hérisse. L’année dernière, j’avais eu une bonne surprise grâce à Lise Charles (La Demoiselle à cœur ouvert, qui n’a certes pas marqué les esprits), et c’était tout.
Cette année, pas de folie non plus en vue, et plutôt des motifs d’agacement prononcé – même si deux romancières habituées du catalogue pourraient m’attirer dans leurs filets.
Ce que c’est qu’une existence, de Christine Montalbetti

Raconter, en une seule journée, plusieurs existences liées entre elles de près ou de loin. Voici le défi que se lance Christine Montalbetti (qui apparaît elle-même comme personnage) dans ce roman choral dont l’ambition est de raconter comment nous vivons tous au même moment des vies si différentes les unes des autres.
Un beau projet (qui rappelle un peu sur le papier celui de Laurent Mauvignier dans Autour du monde), que la fantaisie et l’empathie de l’auteure pourraient sublimer.
Hors gel, d’Emmanuelle Salasc

Durant des années, Emmanuelle Salasc a signé ses livres sous le pseudonyme de Pagano. Elle reprend son véritable nom pour ce nouveau roman, toujours chez P.O.L., campé en 2056.
L’écologie politique a pris le pouvoir et impose un respect drastique de la nature, désormais traitée avec un respect proche de la dévotion et placée sous haute surveillance. Dans une vallée de montagne, un village se retrouve sous la menace du glacier qui le surplombe, et qu’une poche d’eau menace de rompre, ravivant le souvenir d’une tragédie similaire, 150 ans plus tôt.
Au même moment, Lucie retrouve Clémence, sa sœur jumelle disparue depuis des années, qui lui demande de la cacher car elle serait poursuivi par un redoutable réseau de prostitution et de trafiquants de drogue.
Rabalaïre, d’Alain Guiraudie

Rabalaïre, en occitan, désigne une personne qui n’est jamais chez elle, « un mec qui va à droite, à gauche, un homme qui aime bien aller chez les gens ». Ici, le rabalaïre, c’est Jacques, chômeur, passionné de vélo, solitaire mais d’une humanité à toute épreuve, et qui, entre Clermont-Ferrand, les monts d’Auvergne et l’Aveyron, va connaître, plus ou moins malgré lui, toute une série d’aventures rocambolesques, mystérieuses, voire criminelles.
Le cinéaste Alain Guiraudie balance une pavasse de 1000 pages apparemment remplies d’aventure, de folie, de drogue et de sexe (forcément, c’est Guiraudie). Le truc imbitable façon P.O.L. (il y en a, c’est une composante constante du catalogue) qui fera friser d’orgasme une poignée d’admirateurs en rut, et laissera indifférent la grande majorité des lecteurs.
Mausolée, de Louise Chennevière
La narratrice, une jeune femme indépendante et soucieuse de sa liberté, se retrouve pourtant prise au piège d’une passion ardente et d’une rupture qui la fait durement souffrir. Ressassant une nuit entière ses souvenirs de manière obsessionnelle, elle éprouve l’absence jusqu’à son point limite et prend la plume pour pallier le manque, l’accepter et enterrer cette histoire dans un mausolée de mots.
220 pages dont j’aurai le bonheur de m’épargner la lecture.
Le Premier exil, de Santiago H. Amigorena
À Buenos Aires, au milieu des années 1960, Zeide, l’arrière-grand-père maternel de l’auteur, un Juif originaire de Kiev, décède. Mais la famille du narrateur a fui l’Argentine pour l’Uruguay afin d’échapper à la dictature, après le coup d’État militaire du général Juan Carlos Ongania en 1968. Un roman qui décrit l’enfance de S.H. Amigorena tout en dressant le portrait d’un continent blessé.
L’œuvre largement autobiographique d’Amigorena, qui a ses irréductibles fans, n’a jamais réussi à m’intéresser. Je passe, donc.
Pas dormir, de Marie Darrieussecq
Marie Darrieussecq souffre d’insomnie depuis des années.
Ça explique sans doute beaucoup de choses.
BILAN
Lecture probable :
Ce que c’est qu’une existence, de Christine Montalbetti
Lecture potentielle :
Hors gel, d’Emmanuelle Salasc
À première vue : la rentrée Rouergue 2020

Intérêt global :
Aux éditions du Rouergue, maison riche de multiples facettes, il existe une collection de littérature appelée La Brune. Ont le droit de s’y épanouir la fantaisie, l’imagination, l’humour, la tendresse, l’invention… Sous les belles couvertures de la Brune, la littérature est toujours en mouvement, et ça fait du bien.
Démonstration en deux livres lancés en cette rentrée 2020.
Loin-Confins, de Marie-Sabine Roger
Capable de dénicher l’humour et la joie de vivre dans les recoins les plus improbables, Marie-Sabine Roger s’élance cette fois vers les contrées lointaines et imaginaires où l’enfance s’épanouit. Elle se choisit pour héroïne une petite fille de neuf ans prénommée Tanah, fille du Roi de Loin-Confins, archipel perdu dans l’océan Frénétique. Mais un jour le roi est déchu, exilé, et la vie de Tanah bascule. Devenue adulte, elle se remémore ces temps anciens.
Les premières pages offertes au lecteur sur le site de l’éditeur développent la langue en apparence si simple, si aérienne de Marie-Sabine Roger, où les mots chantent d’une manière unique et réinventent le monde. Grosse envie de me glisser dans ce monde singulier…
Sept gingembres, de Christophe Perruchas
Par petites touches, Christophe Perruchas décrypte un certain homme d’aujourd’hui en le décomposant. À la fois père attentionné, mari aimant, patron toxique, prédateur sexuel… Tout ceci en un seul corps, un seul esprit, une seule âme. Une figure masculine que le présent ébranle et que l’avenir menace – voilà, en effet, une statue à déboulonner, celle du mâle blanc dominant. Et il y a encore du boulot. Un premier roman dans l’air du temps.
BILAN
Lecture très probable :
Loin-Confins, de Marie-Sabine Roger
A première vue : la rentrée Julliard 2017

Cette année, sur la ligne de départ, pas de Yasmina Khadra, auteur phare de Julliard, mais Philippe Jaenada, autre écrivain vedette de la maison, répond présent à l’appel. Comme le garçon rencontre un succès certain depuis qu’il a fait évoluer son œuvre vers une forme d’exofiction mettant son auto-dérision coutumière au service de personnages réels et hauts en couleurs (Bruno Sulak, Pauline Dubuisson), cela justifie de causer de ce programme de rentrée, pas révolutionnaire par ailleurs – ce n’est pas forcément le genre.
PALME D’OR : La Serpe, de Philippe Jaenada
En 1941, après une vie déjà passablement agitée, Henri Girard est accusé d’avoir assassiné à coups de serpe son père, sa tante et leur bonne dans leur château près de Périgueux. Promis à la peine capitale, il obtient pourtant l’acquittement, et en profite pour s’exiler en Amérique latine. Il en revient quelques années plus tard pour publier sous le pseudonyme de Georges Arnaud Le Salaire de la peur, rapidement adapté au cinéma par Clouzot avec succès.
WONDER WOMAN : L’Insoumise de la porte de Flandre, de Fouad Laroui
Chaque jour, Fatima sort de chez elle protégée par son hijab, passe par un immeuble dont elle ressort vêtue à l’occidentale, et s’aventure dans l’Alhambra, un quartier mal famé de Bruxelles. L’un de ses voisins finit par remarquer son manège et la suit, intrigué… L’œuvre de Fouad Laroui s’irrigue souvent d’un humour salutaire pour contrer les extrémismes, c’est donc sur ce ton qu’on l’imagine raconter ce choix d’une jeune femme éprise de liberté.
TO BE OR NOT TO BE : Être, tellement, de Jean-Luc Marty
En attendant le guide qui va le conduire dans le Sertao, région aride du Brésil, Antoine rencontre Louise, qui n’a pas rejoint son mari et son fils à Sao Paulo comme prévu. Emmenés par Everton, le guide, ils se lancent dans une exploration autant géographique qu’intime.
JOAN OF ARC (JEANNE D’ARC AHOU) : La Part des anges, de Laurent Bénégui
Un homme erre sur le marché de Saint-Jean-de-Luz avec, dans son cabas, l’urne contenant les cendres de sa mère. La voix de cette dernière commente cette drôle de promenade et les rencontres que fait son fils.
A première vue : la rentrée Gallimard 2016
Bon, cette année, promis, je ne vous refais pas le topo sur les éditions Gallimard et leurs rentrées littéraires pléthoriques dont la moitié au moins est à chaque fois sans intérêt ; je pense qu’à force, vous connaissez le refrain, et il ne change guère cette année : 13 romans français, 4 étrangers, c’est à peine moins que l’année dernière – et on n’en parle que des romans qui paraissent fin août, il y en a beaucoup d’autres en septembre (dont un Jean d’Ormesson, mais je saurai vous épargner).
Je vais sans doute m’attacher à être plus elliptique cette année que les précédentes, car cette rentrée 2016 me paraît à première vue dépourvue d’attraits majeurs. Comme je n’ai pas pour objectif de vous faire perdre votre temps, on va trancher dans le vif ! Et commencer par les étrangers, ça ira plus vite (façon de parler)…
JE CHANTE UN BAISER : Judas, d’Amos Oz (lu)
A court d’argent et le coeur en berne après que sa petite amie l’a quitté, Shmuel décide d’abandonner son mémoire sur « Jésus dans la tradition juive ». Il accepte à la place une offre d’emploi atypique : homme de compagnie pour un vieil érudit infirme qui vit reclus dans sa maison, sous la houlette d’une femme aussi mystérieuse que séduisante… Mêlant avec art récit intime de personnages étranges et attachants, réflexions sur l’histoire d’Israël et un discours théologique passionnant, Amos Oz emballe un roman de facture parfaite et sert l’intelligence sur un plateau.
PORTRAIT DE L’ARTISTE EN TUEUR : Tabou, de Ferdinand von Schirach
Un célèbre photographe avoue un crime pour lequel on n’a ni corps, ni même d’identité formelle de la victime. Qu’est-ce qui l’a mené là ? Y a-t-il un rapport avec ses expérimentations artistiques audacieuses ? Dans la lignée de ses livres précédents, le romancier allemand élabore une réflexion sur la violence et le doute, le rapport entre vérité et réalité.
À LA FOLIE : Beckomberga – Ode à ma famille, de Sara Stridsberg
Ouvert en 1932 près de Stockholm, Beckomberga a été conçu pour être un nouveau genre d’hôpital psychiatrique fondé sur l’idée de prendre soin de tous et de permettre aux fous d’être enfin libérés. Jackie y rend de nombreuses visites à son père Jim qui, tout au long de sa vie, n’a cessé d’exprimer son mal de vivre. Famille et folie, le thème de l’année 2016 ? Après En attendant Bojangles, mais dans un genre très différent, Sara Stridsberg propose en tout cas une nouvelle variation sur le sujet.
ON THE ROAD : Et toi, tu as eu une famille ?, de Bill Clegg
Famille encore ! Cette fois, tout commence par un incendie dans lequel périssent plusieurs proches de June, dont sa fille Lolly qui devait se marier le lendemain du drame. Dévastée, June quitte la ville et erre à travers les Etats-Unis, sur les traces de ce qui la lie encore à sa fille, par-delà la mort. Dans le même temps, le roman se fait choral en laissant la parole à d’autres personnes affectées par l’incendie, dans une tentative de transcender l’horreur par l’espoir et le pardon.
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VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER : Tropique de la violence, de Nathacha Appanah
A quinze ans, Moïse découvre que Marie, la femme qui l’a élevé, n’est pas sa mère. Révolté, il tombe sous la coupe d’une bande extrêmement dangereuse qui va faire de son quotidien un enfer… Nous sommes à Mayotte, minuscule département français perdu dans l’océan Indien, au large de Madagascar. Un bout de France ignoré, méprisé, étouffé par une immigration incontrôlable en provenance des Comores voisines, et où la violence et la misère vont de pair. La Mauricienne Nathacha Appanah en tire un roman qui devrait remuer les tripes.
HER : Ada, d’Antoine Bello
Un policier de la Silicon Valley est chargé de retrouver une évadée d’un genre très particulier : il s’agit d’Ada, une intelligence artificielle révolutionnaire, dont la fonction est d’écrire en toute autonomie des romans à l’eau de rose. En menant son enquête, Frank Logan découvre pourtant que sa cible développe une sensibilité et des capacités si exceptionnelles qu’il en vient à douter du bien-fondé de sa mission…
BONNIE & CLYDE : Romanesque, de Tonino Benacquista
Un couple de Français en cavale à travers les États-Unis se réfugie dans un théâtre. La pièce à laquelle ils assistent, Les mariés malgré eux, se déroule au Moyen Age et raconte l’exil forcé d’un couple refusant de se soumettre aux lois de la communauté. Le destin des deux Français dans la salle et des personnages sur scène se répondent et se confondent, les lançant dans une vaste ronde dans le temps et l’espace, une quête épique où ils s’efforceront de vivre leur amour au grand jour…
PORCO ROSSO : Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo
Au cours du XXe siècle, l’histoire d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. En deux époques, cinq générations traversent les grands bouleversements historiques, économiques et industriels. C’est déjà le quatrième roman du jeune Jean-Baptiste Del Amo (34 ans), qui revient ici avec un sujet sérieux et ambitieux – du genre qui doit mener à un prix littéraire…
LA MAIN SUR LE BERCEAU : Chanson douce, de Leïla Slimani
Dans le jardin de l’ogre, le premier roman de Leïla Slimani – histoire d’une jeune femme, mariée et mère de famille, rongée par son addiction au sexe -, n’était pas passé inaperçu, loin de là. Son deuxième, qui relate l’emprise grandissante d’une nourrice dans la vie d’une famille, pourrait constituer une confirmation de son talent pour poser une situation de malaise et provoquer une réflexion sociétale stimulante.
POST COITUM ANIMAL TRISTE : L’Insouciance, de Karine Tuil
En 2009, le lieutenant Romain Roller rentre d’Afghanistan après avoir vécu une liaison passionnée avec la journaliste et romancière Marion Decker. Comme il souffre d’un syndrome post-traumatique, son retour en France auprès de sa femme et de son fils se révèle difficile. Il continue à voir Marion, jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle est l’épouse du grand patron de presse François Vély… Il y a de l’ambition chez Karine Tuil, à voir si le résultat est à la hauteur.
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ÇA FAIT PAS UN PLI : Monsieur Origami, de Jean-Marc Ceci
Un jeune Japonais tombe amoureux d’une femme à peine entrevue, et quitte tout pour la retrouver. Il finit par échouer en Toscane, où il s’adonne en ermite à l’art du pliage japonais. Pour tous, il devient Monsieur Origami…
UNSUCCESS STORY : L’Autre qu’on adorait, de Catherine Cusset
A vingt ans, Thomas a tout pour réussir. Il mène des études brillantes, séduit les femmes et vit au rythme frénétique de Paris. Mais après avoir échoué à un concours que réussit son meilleur ami, et s’être fait larguer par sa petite amie, sa vie entame une trajectoire descendante que rien n’arrêtera… Think positive à la française.
ROMAN PAS X : Livre pour adultes, de Benoît Duteurtre
Inspiré par la mort de sa mère, Duteurtre annonce un livre à la croisée de l’autobiographie, de l’essai et de la fiction. Il ira croiser sans moi, son Ordinateur du Paradis m’ayant dissuadé de perdre à nouveau mon temps avec cet auteur.
NAISSANCE DES FANTÔMES : Crue, de Philippe Forest
Un homme marqué par le deuil revient dans la ville où il est né, où les constructions nouvelles chassent peu à peu les anciennes. Il rencontre un couple, s’envoie Madame et papote avec Monsieur qui affirme que des milliers de gens disparaissent. D’ailleurs, Monsieur et Madame disparaissent à leur tour. Puis la ville est envahie par les flots…
À L’EST D’EDEN : Nouvelle Jeunesse, de Nicolas Idier
Dans le Pékin contemporain, des jeunes vivent d’excès. Ils sont poètes, rockers ou amoureux, et incarnent la nouvelle jeunesse de cette ville en mutation.
UNE BELLE HISTOIRE : Les deux pigeons, d’Alexandre Postel
Théodore a pour anagramme Dorothée. Ça tombe bien, ce sont les prénoms des héros du troisième livre d’Alexandre Postel (intéressant mais imparfait dans L’Ascendant et Un homme effacé). Ils sont jeunes, ils sont amoureux, et se demandent comment mener leurs vies… C’est une romance d’aujourd’hui.
ENGAGEZ-VOUS RENGAGEZ-VOUS QU’ILS DISAIENT : Nos lieux communs, de Chloé Thomas
Sur les pas des étudiants d’extrême gauche, Bernard et Marie sont partis travailler en usine dans les années 1970. Bien des années plus tard, Jeanne recueille leurs témoignages et celui de leur fils, Pierre, pour tenter de comprendre leurs parcours. Premier roman.
A première vue : la rentrée Liana Levi 2016
Pour être une « petite » maison d’édition, Liana Levi n’en participe pas moins chaque année à la rentrée littéraire, avec un souci renouvelé de découvrir de nouvelles voix. C’est encore le cas cette année avec le roman francophone qu’elle propose, première œuvre d’une auteure d’origine iranienne déjà bien soutenue par les libraires qui ont pu le lire en avant-première.
(DÉ)BOUSSOLE : Désorientale, de Négar Djavadi
Arrivée à Paris à l’âge de dix ans, Kimiâ n’a pas toujours fait grand cas de ses origines iraniennes. Mais celles-ci vont bientôt la rattraper, plongeant la jeune femme dans un tourbillon des origines où s’entrechoquent la longue histoire familiale et celle d’un pays à (re)découvrir, sur fond de rock et de passion… Cinéaste et scénariste, Négar Djavadi s’inspire de son propre parcours pour ce premier roman qui devrait faire souffler un joli vent de liberté sur le raout automnal.
DÉLIVRANCE : Le Naturaliste, d’Alissa York
En 1867, un naturaliste monte le projet d’une expédition audacieuse sur l’Amazone et le Rio Negro, au cœur de la jungle, à la rencontre des tribus indiennes. Mais la mort l’emporte brusquement, et c’est sa femme et son fils (né d’un premier mariage de son père avec une Indienne) qui décident de mener l’aventure avec l’aide d’une jeune dame de compagnie. Tandis que les deux femmes font l’expérience d’une liberté inédite, le jeune homme se confronte non sans mal à ses racines… Quatrième traduction française pour Alissa York, auparavant publiée par Joëlle Losfeld.
Danse noire, de Nancy Huston
Signé Bookfalo Kill
Le scénariste Milo Noirlac est mourant, cloué sur son lit d’hôpital. A son chevet, son ami et amant, le réalisateur Paul Schwartz, se prend alors à imaginer un dernier projet commun : écrire une vaste fresque qui retracerait la vie de Milo, mais également celle de ses ancêtres sur les deux générations précédentes, en suivant en particulier la vie misérable de sa mère Awinita, une prostituée indienne, et celle de Neil Kerrigan, fabuleux grand-père quasi chassé de son Irlande natale où il avait rêvé trop fort d’indépendance – un crime contre les Anglais tout-puissants au début du XXème siècle.
L’espace d’une nuit fiévreuse, au rythme de la capoeira que Milo dansait si bien, le rêve d’un grand film se dessine peu à peu…
Il y a certains livres que l’on commence à lire par plaisir et que l’on termine par devoir. Je ne prétendrai pas être un spécialiste de l’œuvre foisonnante de Nancy Huston, mais les trois romans que j’avais lus d’elle auparavant m’avaient plu, voire totalement emballé (Lignes de faille et Instruments des ténèbres). C’est donc avec peine que j’ai dû lutter pour achever la lecture de Danse noire, en ayant à chaque page vaincue la même pensée : « ce livre n’est pas mauvais, c’est juste qu’il me résiste et que je le trouve ennuyeux. »
Il y a plusieurs raisons à cela, la première est formelle et bizarrement paradoxale : la plupart des dialogues des chapitres consacrés à Awinita, ainsi que certains de Neil et Milo, sont écrits en anglais. Le procédé fait totalement sens, dans la mesure où le roman aborde la question de l’identité, à la fois personnelle, historique et nationale, une problématique fondamentale au Québec et au Canada ; le choix de la langue est dans cette perspective un enjeu très important, ainsi que le fait de devoir lutter pour s’approprier une existence linguistique que l’on n’a pas forcément envie d’adopter.
Puis Danse Noire est en partie sous l’influence de James Joyce, dont le monstre littéraire Finnegans Wake mélange lui aussi les langues (mais à un niveau beaucoup plus complexe).
Néanmoins, ce jonglage permanent entre français et anglais est difficile à soutenir, en tout cas mon cerveau n’a jamais pu s’y habituer – et ce ne sont pas les traductions en québécois rustique (!), livrées par Nancy Huston elle-même en note de bas de page, qui peuvent vraiment aider… Du coup, la lecture est souvent laborieuse, hachée, alors même que l’on sent toute l’importance de ce qui se joue à travers ce choix narratif osé.
Puis la construction du livre manque d’évidence, de transparence, alors même que la narration est linéaire pour chacun des trois personnages. Le mélange des trois histoires a cette fois quelque chose d’artificiel, brouille l’ensemble du récit et ne lui apporte pas grand-chose. Surtout que Danse Noire est censé suivre l’écriture sur le vif du scénario, comme l’indiquent les fréquents « ON COUPE » à la fin des scènes, où certaines parenthèses où Paul Schwartz envisage la réalisation ou discute la pertinence de telle ou telle séquence) : le déroulé du film s’avère énigmatique, et j’aurais franchement peur de m’endormir au cinéma si je devais aller voir le résultat final sur grand écran.
Sans parler du fait que certaines histoires sont plus intéressantes que d’autres : celle d’Awinita tourne ainsi très vite en rond, répétant les scènes où la prostituée couche avec ses clients et celle où elle se dispute avec son amant Declan, futur père de Milo, sans que cela nourrisse l’intrigue. Comme ce sont les passages où il y a le plus de jonglage entre l’anglais et le français, cela n’aide pas… Et une fois de plus, j’ai eu l’impression de passer à côté de quelque chose, puisque avec ce personnage, Huston évoque la situation particulière des « Natives », les Indiens du continent nord-américain, privés de tout droit et de tout respect aussi bien aux Etats-Unis qu’au Canada. Encore un sujet essentiel, pourtant pas assez explicité.
Enfin, si l’enfance et la jeunesse de Milo font partie des plus beaux passages du livre, le personnage perd de sa force en grandissant, réduit à une caricature droguée et baisant à tout-va qui méritait mieux que cela – d’autant que l’auteur esquisse quelque chose avec sa découverte du Brésil et de la capoeira, dont les mouvements sont censés rythmer l’ensemble du récit, mais finit par bâcler cet aspect, dans une conclusion expéditive, assortie d’une surprise, certes, mais qui manque de crédibilité et de force.
Bref, si les sujets sont présents dans le roman, palpables mais pas totalement saisissables, si certaines idées ou certains passages parviennent à emporter le lecteur, Danse Noire a quelque chose d’inachevé qui m’a laissé sur ma faim et plus ennuyé qu’autre chose. Une demie-déception.
Danse Noire, de Nancy Huston
Éditions Actes Sud, 2013
ISBN 978-2-330-02265-5
348 p., 21€
Orchidée fixe de Serge Bramly
Voilà encore un livre qui va me donner du fil à retordre pour écrire la chronique. Au bout de 50 pages, je me suis dit « Mouai, bof. Je ne sais pas si je continue. » J’ai reposé l’ouvrage, en ai lu d’autres, puis j’y suis revenue. Comme si le bandeau avec l’extrait de l’oeuvre de Marcel Duchamp, Etant donnés, 1° La chute d’eau, 2° Le gaz d’éclairage, m’appelait. Et j’avoue que je me suis laissée prendre au jeu. Pas au niveau de l’écriture, qui ne me plaît pas tant que cela, mais à l’histoire.
Serge Bramly raconte l’histoire d’un Américain obsédé par Duchamp, une famille écartelée entre plusieurs pays et des vies chamboulées par une seule chose, l’Art, en la personne de Marcel Duchamp. Dans ce roman, on passe du Maroc à la France, d’Israël aux Etats-Unis au gré des péripéties des protagonistes, Tobie, l’universitaire chevronné, Makhlouf dit René, le majestueux arrière-grand-père, Daniel, le grand-père vieux loup de mer à qui on ne la fait pas et Nina, la jeune et naïve narratrice, sans parler bien sûr, d’Henry Robert Marcel Duchamp, qui est l’un des artistes les plus importants du XXe siècle. Il y tient un rôle important puisqu’accueilli en 1942 à Casablanca dans la famille Zafrani, dans l’attente de son départ vers les Etats-Unis.
L’auteur a eu une très belle idée et tient son lecteur en haleine (sauf peut-être le début qui m’a paru long à mettre en place), distillant par-ci par-là des informations qui bâtissent peu à peu les fondations de ce livre. Orchidée fixe est un roman sympathique, qui se laisse volontiers lire à la terrasse d’un café.
Orchidée fixe de Serge Bramly
Editions JC Lattès, 2012
9782709633369
286p., 18€
Un article de Clarice Darling.
Je disparais d’Arne Lygre
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le texte d’Arne Lygre déconcerte. Comme irréel. Comme si les mots et les gestes ne servaient à rien. Ne comptent que les émotions.
Une femme, appelée Moi, attend patiemment son mari chez elle. On comprend qu’il leur faut fuir (Un pays? Une ville? Pour quelles raisons? On ne saura pas). Mais au lieu de voir apparaître son mari tant attendu, la femme voit arriver son amie, avec ses valises, qui cherche elle aussi à fuir. Puis la fille de son amie. Toujours aucune trace du mari. Alors les trois femmes, comme en proie à une angoisse inextinguible, en viennent à jouer d’autres personnages, comme pour mieux patienter, elles créent des jeux de rôles. En attendant le mari.
Le texte est vraiment étrange et à trop vouloir faire dans le contemporain, on peut perdre pied facilement. Mais comme me disaient mes professeurs, lire du théâtre, ça a toujours été un peu chiant, il faut vivre les œuvres. Qu’à cela ne tienne, je vais voir la pièce qui se joue en ce moment même au théâtre de la Colline, mise en scène par Stéphane Braunschweig.
Même mis en scène, le texte reste aride. C’est long, c’est lent et au bout d’un moment, c’est extrêmement chiant. On reconnait bien la patte d’un auteur nordique, c’est glacial, sans compassion pour les personnages, eux-mêmes perdus dans les méandres de ces fjords textuels qu’est Je disparais.
Dommage…
Je disparais d’Arne Lygre
Editions de l’Arche, 2011
9782851817617
74p., 11€
Un article de Clarice Darling.