Salut amis Cannibales !
Non, je ne vous oublie pas, même si j’ai un peu délaissé le blog ces derniers jours. La machine à lire tourne toujours, celle à chroniquer un peu moins, faute de temps disponible, mais ça va (re)venir.
Surtout, vous aurez en découvrant ci-dessous mes deux lectures en cours une idée de ce qui se trame dans les coulisses de Cannibales Lecteurs :
Nothomb, Chalandon : vous aurez identifié sans doute deux auteurs incontournables de la littérature française contemporaine, deux noms qui figurent immanquablement parmi les plus médiatiques de la rentrée littéraire. Deux écrivains, également, habitués de ce blog – la première ayant tendance à me fasciner et à m’agacer à parts égales suivant les années, tandis que le second fait partie de mes auteurs francophones favoris.
Tout ceci pour dire que je commence à explorer la rentrée littéraire d’automne 2021, et que tout en lisant les premiers textes disponibles, je prépare le retour de la rubrique « à première vue », panorama subjectif et non exhaustif de cet événement littéraire qui, de fin août aux prix littéraires de novembre, secoue le cocotier de la littérature en France.
Comme chaque année, à première vue bien sûr, il y aura des belles choses, de jolies découvertes, des confirmations, des déceptions, des explorations inattendues, des auteurs inamovibles et des petits jeunes qui parviendront à se faire une place, voire un nom.
De mon côté, les attentes se placent pour l’instant et en vrac vers Antoine Wauters (Mahmoud ou la montée des eaux, Verdier), Kate Reed Petty (True Story, Gallmeister, un premier roman qui a l’air incroyable), Frédéric Paulin (La Nuit tombée sur nos âmes, Agullo, retour très attendu de l’auteur de la trilogie Benlazar), Thomas B. Reverdy (Climax, Flammarion), David Diop (La Porte du voyage sans retour, Seuil), Paul Lynch et Michael Christie (Au-delà de la mer et Lorsque le dernier arbre, tous deux chez Albin Michel), Cécile Coulon (Seule en sa demeure, Iconoclaste), Marie Vingtras et Natasha Trethewey (Blizzard et Memorial Drive, tous deux à l’Olivier), Kazuo Ishiguro (Klara et le soleil, Gallimard, premier retour du romancier britannique depuis son prix Nobel), Kawai Strong Washburn (Au temps des requins et des sauveteurs, Gallimard – rien que pour le titre !), Jean-Baptiste de Froment (Badroulboudour, Aux Forges de Vulcain)…
En attendant tous ceux qui, par surprise ou non, viendront se mêler à la fête !
On recause de tout ça en détail très vite. Le temps d’avancer dans les chroniques de présentation, et on attaque, sûrement à partir de la semaine prochaine !
21 juin 2021 | Catégories: A première vue, Polars, Romans Etrangers, Romans Francophones | Tags: 2021, Agullo, Albin Michel, Amélie Nothomb, Antoine Wauters, automne, Aux Forges de Vulcain, à première vue, éditions de l'Iconoclaste, éditions de l'Olivier, Chalandon, David Diop, Flammarion, Frédéric Paulin, Gallimard, Gallmeister, Grasset, Jean-Baptiste de Froment, Kate Reed Petty, Kawai Strong Washburn, Natasha Trethewey, Paul Lynch, rentrée littéraire, Seuil, Sorj Chalandon, Thomas B. Reverdy, Verdier | 10 Commentaires
« Des chefs de guerre, il y en a de toutes sortes. Des bons, des mauvais, des pleines cagettes, il y en a. Mais une fois de temps en temps, il en sort un. Exceptionnel. Un héros. Une légende. Des chefs comme ça, il y en a presque jamais. Mais tu sais ce qu’ils ont tous en commun ? Tu sais ce que c’est, leur pouvoir secret ? Ils ne se battent que pour la dignité des faibles. »
Les fans de Kaamelott auront reconnu cette citation tirée du Livre VI de la série, professée par un César vieillissant à un jeune chef de guerre nommé Arturus – futur Arthur, Roi de Bretagne. Quel rapport avec Sorj Chalandon, me direz-vous ? Sans doute aucun, vous répondrez-vous à vous-même, et vous aurez raison.
Sauf que.
Sauf que, en y réfléchissant un peu, il y a plusieurs constantes dans l’œuvre de Chalandon, et parmi celles-ci, cette même obsession pour la dignité des faibles. Des petits, des opprimés, des sans-grade. Les figures de son nouveau roman n’y font pas exception.
Le vendredi 27 décembre 1974, une galerie de la fosse Sainte-Amé des mines de Liévin est dévastée par une violente explosion, due à un coup de grisou. Le désastre laisse 42 hommes sur le carreau.
La vie de Michel Flavent bascule ce jour-là. Pour lui, il manque une victime à ce décompte. Son frère, Joseph, a eu la mauvaise idée de décéder de ses blessures plusieurs jours après, son nom n’est donc pas inscrit dans le registre officiel de la catastrophe. Il est le quarante-troisième mort, mais personne ne le sait.
Cette blessure, cette humiliation, Michel la porte en lui tout au long de sa vie. Quarante ans plus tard, lorsque sa femme est emportée par un cancer, il se sent désormais libre d’assumer la vengeance que son père l’a chargé de mener avant de mourir. Oui, mais se venger de qui ? Des dirigeants de la mine de l’époque, tous sont morts. Tous, sauf un. Lucien Dravelle, porion de la fosse, un petit chef minable qui se pavanait du côté des grands pour ne pas avoir à côtoyer les ouvriers. C’est lui qui doit rembourser la vieille dette des Flavent. Lui, que Michel décide de traquer pour se libérer de ce poids écrasant qui a étouffé son existence…
Pour quelqu’un d’aussi sensible et conscient du monde que Chalandon, les motifs d’indignation ne manquent pas, ni dans la vie de tous les jours, ni dans l’Histoire. Cette fois, il a choisi de partir de la catastrophe de Liévin pour évoquer la vie rude, non seulement des mineurs, mais aussi de tous les ouvriers, ceux dont le travail harassant permet à chacun de vivre décemment, mais que beaucoup regardent de haut, avec ce mépris de classe si cinglant, si écrasant qu’il n’y a rien à faire pour y résister. C’est l’occasion de pages extraordinaires sur le dévouement de ces « petits » pour leur travail qu’ils vivent en mission, sans idéologie ni idéalisme, avec la simple conviction d’agir justement.
Mais dans Le Jour d’avant, le romancier va plus loin que cela. Difficile d’en dire trop, la mécanique surprenante du livre empêche d’être trop bavard. Sachez simplement que nous sommes ici bien au-delà du récit social, qu’il est question de considérations humaines plus fortes, plus intimes, plus poignantes. Le Jour d’avant est un roman bouleversant sur la culpabilité, l’injustice, le questionnement de soi. C’est un livre douloureux, et pourtant d’une retenue exemplaire.
Chalandon y fait jouer toute l’énergie de son style, renouvelant avec toujours autant de bonheur sa capacité à saisir en quelques mots la puissance des sentiments les plus profonds. Dans un paradoxe impossible à expliquer, la douleur, le chagrin, la rage irradient une lumière éclatante, empêchant le roman de basculer dans le sordide ou le plombant, pour l’élever vers des sommets d’émotion étourdissants.
Après Profession du père, où il réglait ses comptes avec l’écrasante ombre paternelle qui dominait l’ensemble de ses premiers romans, je craignais de retrouver un Sorj Chalandon exsangue, vidé de sa moelle vitale. Le Jour d’avant démontre avec brio qu’il n’en est rien, au point de figurer sans hésitation parmi ses meilleurs livres. Le romancier est plus vivant que jamais, et c’est pour moi l’une des excellentes nouvelles de cette rentrée littéraire.
Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon
Éditions Grasset, 2017
ISBN 978-2-246-81380-4
329 p., 20,90€
17 août 2017 | Catégories: Romans Francophones | Tags: avant, Cannibales Lecteurs, catastrophe, Chalandon, explosion, fraternité, frère, Grasset, grisou, jour, jour d'avant, Liévin, mine, ouvrier, porion, procès, rentrée littéraire, social, Sorj Chalandon, vengeance | 1 commentaire
Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.
AU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.
SKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.
FABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.
TODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.
SOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.
BABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.
À L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.
REBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.
CRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.
MAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).
DUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.
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JE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.
SHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.
5 juillet 2017 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones, Uncategorized | Tags: 1917, accident, Allemagne, Amérique du sud, amour, Anders Breivik, Angleterre, Argentine, autobiographie, âges, érotisme, Baird Harper, barricades, bienheureuse, Brésil, Calais, Cannibales Lecteurs, catastrophe, Chalandon, chaos, chat, cinéma, culpabilité, d'avant, Daniel Rondeau, déjeuner, Delphine Coulin, demain sans toi, deuil, diront, disparition, documentaire, Emmanuel Brault, Emmanuelle Caron, enfance, Eva Ionesco, famille, fille, frère, fresque, fuite, Grasset, humour, innocence, islamisme, Josef Mengele, jour, Julien Delmaire, jungle, King Kong, Kong, Liévin, mai 68, massacre, mécaniques, Mengele, mensonge, Michel Le Bris, migrants, mines, Minuit, modèle, Modiano, Montmartre, nazis, nord, Olivier Guez, Paris, Pauline Dreyfus, peaux rouges, peinture, Philippe Vilain, photographie, prison, racisme, révolution, reconstruction, rentrée littéraire, rouge, Russie, SImon Libérati, singe, Sorj Chalandon, Steinlen, terrorisme, thérapie, Utoya, vengeance, voiture | Poster un commentaire
Coucou, nous revoilà ! Si nous avons eu besoin de souffler ces derniers mois sur ce blog, nous n’avons pas cessé de lire pour autant ; simplement, le temps, l’envie et l’énergie ont manqué, et comme il n’y avait aucune raison de nous forcer, nous avons levé le pied, comptant sur votre compréhension – et, peut-être, votre fidélité – pour vous retrouver lorsque nous déciderions de nous y remettre.
Et quoi de mieux que le retour de la rubrique « à première vue » pour repartir ? Les habitués du blog savent de quoi il est question, pour les autres je rappelle la règle de ce jeu devenu un rituel de Cannibales Lecteurs depuis 2013. Ouvrant ses portes aux alentours de la fin juin et courant pendant une bonne partie de l’été, « A première vue » est une présentation partielle et totalement subjective de la prochaine rentrée littéraire. Partielle parce qu’il est impossible de tout évoquer, subjective parce que nous n’avons pas encore lu grand-chose des livres à paraître à partir de la mi-août.
Sauf contre-indication, c’est donc sur la seule foi des résumés, présentations des rentrées par les éditeurs et réputations des auteurs en présence que nous fondons ces textes, qui ne constituent en rien des critiques constructives ni des avis définitifs. Alors, si nous nous permettons parfois quelques coups de griffe ou plaisanteries de plus ou moins mauvais goût, n’oubliez jamais qu’il s’agit d’un exercice où la mauvaise foi et les a priori ont entièrement droit de cité. Libre à vous de ne pas être d’accord, et à nous de nous tromper – quitte à le reconnaître plus tard, après lecture (ou pas).
Quoi qu’il en soit, si quelque bon mot vous hérisse, pas la peine de monter sur vos grands chevaux ni de nous agresser (c’est déjà arrivé, d’où cette précision) : « à première vue » n’est pas un travail critique, juste un regard plus ou moins distancié sur ce drôle de cirque qu’est la rentrée littéraire. Et puis, vous êtes ici sur un blog, soit un lieu d’expression personnelle, notre lieu. Si vous voulez discuter, échanger, donner un avis contradictoire, vous êtes tous les bienvenus, du moment que vous le faites avec des arguments et non des insultes ; de notre côté, nous essaierons d’être toujours à l’écoute – quitte, encore une fois, à admettre publiquement nos erreurs ou préjugés. Mais pour la rubrique « à première vue », la liberté de ton est de mise, la volonté de s’amuser aussi, et il est hors de question d’y renoncer… Vous êtes prévenus !
Ceci posé, nous sommes heureux de vous annoncer que quelques gros coups de cœur sont déjà au rendez-vous, notamment d’auteurs chouchous des Cannibales (Timothée de Fombelle, Sorj Chalandon), et qu’il devrait y avoir de quoi se réjouir parmi les 581 romans annoncés. Une rentrée copieuse, certes (trop, comme chaque année, mais on ne va pas refaire le film), plus prometteuse néanmoins que l’année dernière sur le papier.
Rendez-vous très vite donc, et au plaisir de vous retrouver par ici !
30 juin 2017 | Catégories: A première vue | Tags: A première vue, Cannibales Lecteurs, Chalandon, Fombelle, littéraire, rentrée, romans, Sorj Chalandon | 3 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
En explorant les archives du blog, je me suis aperçu avec stupeur que je n’avais pas écrit de chronique sur Le Quatrième mur, le magnifique roman de Sorj Chalandon – alors même que cet auteur figure parmi mes préférés de la littérature française contemporaine, et que ce livre m’avait bouleversé d’une rare manière.
L’adaptation en bande dessinée signée Corbeyran au scénario et Horne au dessin tombe donc à point nommé pour réparer cet oubli, d’autant que le duo a très joliment travaillé pour rendre justice au roman de Chalandon.
Voilà l’histoire. Samuel Akounis, metteur en scène juif grec qui a dû fuir son pays à la suite du coup d’Etat de 1967 ayant établi la dictature des colonels, porte un grand rêve de théâtre : faire jouer Antigone, de Jean Anouilh, sur une scène de guerre. Au début des années 1980, il est au moins un lieu où transporter cette utopie paraît évident, c’est le Liban ; déchiré entre les multiples confessions et populations qui l’habitent, le pays brûle d’une guerre qui semble insoluble – mais, pour Sam, ce serait alors pousser l’utopie encore plus loin, en demandant à un membre de chaque camp ennemi d’incarner un personnage de la pièce et de faire triompher tous ensemble sur scène l’entente et la paix, même pour deux heures seulement.
Miné par un cancer, Sam doit pourtant renoncer, mais il demande à Georges, un ami français, de réaliser son rêve à sa place. Marié et jeune père de famille, Georges accepte la mission, sans imaginer une seconde jusqu’où elle l’emmènera…
Parlons d’abord de l’adaptation scénaristique, aussi fidèle que possible au roman de Chalandon – presque un peu trop, d’ailleurs, puisque Corbeyran reprend régulièrement des extraits du texte original, glissant ça et là et des pavés un peu longs, un peu trop narratifs, sans que cela nuise pour autant à la fluidité du récit. Certaines scènes ont également été raccourcies ou ont disparu, mais c’est là le travail indispensable de toute adaptation, et à aucun moment l’intrigue ne perd en compréhension et en complexité.
Puisque Corbeyran a rempli sa part du contrat, voyons maintenant comment Horne et ses crayons ont entrepris de donner une autre perspective à l’histoire de Chalandon – car c’est bien tout l’enjeu d’une adaptation d’un roman en B.D., sinon à quoi bon ? Le noir et blanc (et toutes ses nuances de gris) se prête en tout cas très bien à ce récit, dont il adoucit quelque peu la dureté ; de même que le trait de Horne, pas forcément hyper réaliste dans sa manière de dessiner les personnages, mais à qui il prête néanmoins une identité forte et beaucoup de caractère.
Chaque page affiche six cases au maximum, aérant le récit et laissant la place aux longs dialogues ou aux extraits puisés dans le roman de Chalandon. Et il faut saluer certains choix d’ellipse, comme la représentation du massacre des camps de Sabra et Chatila, limitée à une seule page – là où le romancier, témoin direct de cette scène apocalyptique, s’étendait beaucoup plus. Incarner visuellement l’horreur étant tout de suite sujet à caution, les quelques cases crayonnées par Horne suffisent largement et écartent tout risque de voyeurisme ou d’horreur inutile.
Si rien ne peut remplacer la lecture puissante et profondément émouvante du roman, cette adaptation de Horne et Corbeyran est une jolie réussite, honnête par rapport à l’original. De quoi donner envie de découvrir l’œuvre de Sorj Chalandon ? Ce ne serait pas la pire des conclusions !
Le Quatrième mur, de Corbeyran (scénario) et Horne (dessin)
D’après le roman de Sorj Chalandon
Éditions Marabulles, 2016
ISBN 978-2-501-11468-4
136 p., 17,95€
6 novembre 2016 | Catégories: B.D. | Tags: 1982, adaptation, Anouilh, Antigone, bande dessinée, Cannibales Lecteurs, Chalandon, Chatila, colonels, Corbeyran, dictature, Grèce, guerre, Horne, Liban, Marabulles, massacre, noir et blanc, quatrième mur, roman, Sabra, Sorj Chalandon, théâtre | Poster un commentaire
Signé Bookfalo Kill
Ne le répétez surtout pas, mais le père d’Emile est agent secret. Il a aussi été pasteur pentecôtiste, footballeur professionnel, co-fondateur des Compagnons de la Chanson (mais il a quitté la troupe car sa voix exceptionnelle dominait trop celle des autres), ceinture noire de judo, résistant pendant la guerre bien sûr. Son meilleur ami, Ted, le parrain d’Emile, fait partie de la CIA.
André Choulans a surtout été un proche du général de Gaulle. Pour tout dire, homme de l’ombre discret et efficace, il avait son oreille, et nombre des décisions du Président étaient de son fait. Mais pas la dernière en date. Abandonner l’Algérie, ça non, André Choulans est contre. Son ami de Gaulle l’a trahi. Au nom de l’OAS, au nom des Français d’Algérie, il faut donc l’éliminer. Et pour cela, Émile va devoir faire partie de la conspiration. A treize ans, c’est une lourde responsabilité…
Quel roman encore une fois, quel roman ! Car Profession du père est un roman, bien entendu. C’est écrit sur la couverture, et la qualité littéraire du texte, son inventivité, son humour, son émotion, la profondeur de ses personnages, sa construction, sont autant de preuves de sa vitalité romanesque. Mais il est impossible d’oublier que tous les livres de Sorj Chalandon portent sa marque personnelle, viennent de sa propre vie. C’est ce qui fait leur sincérité et leur puissance dévastatrice, qui me touchent à chaque fois – et cette fois, d’une manière plus intime et plus douloureuse.
Oui, Émile, c’est Sorj enfant. Un gamin lyonnais sous la coupe d’un père tyrannique, souvent violent, mythomane compulsif. Un père acteur d’un spectacle permanent dont il prend le monde à témoin. À la fois bourreau et modèle, source d’inspiration et de terreur. Capable d’embrigader son fils unique en oubliant que c’est un enfant, et qu’un enfant, mieux que quiconque, est capable de s’emparer d’un imaginaire pour en faire une réalité.
Car au-delà de ce portrait de père fascinant jusque dans ses pires extrêmes, il y a le regard de ce jeune garçon, confiant malgré tout, prêt à tout accepter parce que c’est son père et qu’il est son fils. Sorj Chalandon rend merveilleusement compte de cet état de crédulité aveugle qui est une forme d’amour absolue, dépassant la cruauté jusqu’à l’incompréhensible.
Avec un style plus dépouillé que jamais, moins lyrique que dans ses précédents romans (le sujet plus intime s’y prête moins), Chalandon réussit cet équilibre fragile entre émotion et violence, humour et souffrance, faisant d’Émile le réceptacle de frustrations et d’incompréhensions immenses.
Car si le père est au cœur du livre, il ne faut pas oublier la mère, personnage ô combien complexe, soumise mais détachée, aimant son mari malgré tout, malgré le mépris, les insultes, les coups qui parfois l’accablent elle aussi ; aimant également son fils mais ne comprenant pas ce qu’il subit, trop pragmatique, trop terre-à-terre. Dans la dernière partie du roman, c’est sa figure qui prend le dessus, déchirante, bouleversante, complétant le tableau d’une famille dysfonctionnelle, pourtant pas si éloignée de la plupart des nôtres – ce qui nous la rend si cruellement familière.
Profession du père est un beau roman tragique qui n’oublie pas d’être humain.
Profession du père, de Sorj Chalandon
Éditions Grasset, 2015
ISBN 978-2-246-85713-6
316 p., 19€
29 août 2015 | Catégories: Romans Francophones | Tags: 2015, adolescence, Algérie, Cannibales Lecteurs, Chalandon, Charles de Gaulle, CIA, complot, conspiration, crédulité, enfance, général de Gaulle, Goncourt des Lycéens, Grasset, guerre, indépendance, intime, Lyon, mère, mythomane, OAS, parents, père, profession, profession du père, résistant, rentrée littéraire, Sorj Chalandon | 7 Commentaires
Apparemment, l’exercice vous plaît bien depuis deux ans que nous le pratiquons… alors on y retourne ! Pour ce retour de la rubrique « à première vue », dans laquelle nous présentons la rentrée littéraire qui déferlera à partir du 19 août prochain, nous ouvrons cette année le bal avec les éditions Grasset, dont deux titres se détachent nettement, tandis que d’autres pourraient s’avérer surprenants et intéressants.
Avant de commencer, nous rappelons la règle : n’ayant encore lu que peu de ces innombrables livres, ces présentations sont subjectives – et parfois taquines… Le véritable travail d’analyse ne commencera que dans un mois et demi. Pas la peine donc de nous agresser, tout ceci n’est qu’un jeu !
RÉSILIENCE D’AUTEUR : Profession du père, de Sorj Chalandon (lu)
Emile a treize ans. Il vit dans l’admiration et dans la crainte de son père, homme aux mille histoires qui séduit par ses récits improbables autant qu’il terrorise ses proches par sa brutalité. Parmi ses rengaines favorites, il prétend être un vieux compagnon de route du Général de Gaulle, dont il a été le conseiller de l’ombre ; hélas, le jour où de Gaulle renonce à l’Algérie française, le père se sent trahi, et il embarque son fils dans son univers délirant, fomentant un complot pour éliminer le Président qui l’a si lâchement abandonné…
Difficile d’être plus subjectif qu’avec un de ses auteurs favoris. Mais bon, je le dis : le nouveau Chalandon est formidable. Différent de ses précédents livres cependant, car le sujet cette fois le touche de si près qu’il y perd en lyrisme littéraire ce qu’il gagne en émotion contenue. Sous couvert de fiction, c’est en effet sa propre enfance et son propre père qu’il évoque – un père mythomane au dernier degré, tyran domestique violent et insaisissable. Des traits d’humour contrebalancent des moments terribles, tandis que l’émotion surgit souvent, notamment dans une fin superbe et déchirante.
BARATINEURS DE PREMIÈRE : La Septième fonction du langage, de Laurent Binet (lu)
Ce livre-là, on va en parler, croyez-moi. Parce qu’il touche avec insolence à certains mythes littéraires qu’il est de bon ton en France de révérer sans discuter. Point de départ de l’histoire : la mort (authentique) de Roland Barthes, professeur au Collège de France, éminent critique et sémiologue, qui meurt bêtement après avoir été renversé en plein Paris par une camionnette de blanchisserie. Un accident ? Pas si simple. Un policier épais et un jeune universitaire naïf font équipe pour tenter de retrouver un mystérieux document expliquant la septième fonction du langage (les six premières ayant été définies par un linguiste américain nommé Roman Jakobson), laquelle permettrait de convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Autrement dit, une arme de destruction massive entre de mauvaises mains…
Sous couvert d’un faux polar, l’auteur de HHhH flingue à tout-va certains courants de pensée très en vogue dans les années 70-80, et s’en paie de bonnes tranches sur le dos de Michel Foucault, Julia Kristeva, Derrida, Deleuze, BHL ou l’insupportable Philippe Sollers. Un roman malin, roublard, qui rend très accessibles une époque et des notions complexes grâce à un style efficace, des personnages habilement construits, du rythme et beaucoup d’humour.
OMBRAGEUX FRÈRE DE L’OMBRE : L’Autre Simenon, de Patrick Roegiers
Chez les Simenon, il y eut Georges bien sûr, l’éminent romancier, créateur entre autres de Maigret et auteur de dizaines de romans noirs mythiques. Mais il y eut aussi Christian, son frère, homme de moindre envergure qui finit par se laisser séduire par les idées fascistes, au point d’être considéré comme l’un des instigateurs de la tuerie de Courcelles, sinistre page d’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Avec ce roman moins manichéen qu’il n’y paraît, le romancier belge Patrick Roegiers révèle un Georges Simenon pas si glorieux, ce qui pourrait également faire causer dans le Landernau littéraire.
DOLIPRANE : Anomalie des zones profondes du cerveau, de Laure Limongi
Éditrice réputée, écrivain, Laure Limongi souffre depuis quelques années de la forme la plus aiguë de migraine – si douloureuse qu’on la surnomme sans équivoque « migraine du suicide ». Plutôt que de livrer un témoignage pathétique ou nombriliste, la romancière en tire un récit plein d’énergie, d’humour et de finesse, qui promet d’être une des curiosités de cette rentrée.
RENTRÉE LITTÉRAIRE POUR TOUS : Histoire de l’amour et de la haine, de Charles Dantzig
Sept personnages vivent le tumulte de manifestations contre le Mariage pour tous en France. Le risque d’opportunisme couve grandement dans ce roman placé sous l’étendard commode de la réflexion sociologique. Nous ne nous précipiterons pas dessus, pour tout vous dire.
HÉLAS TRIOLISTE : L’Amour à trois, d’Olivier Poivre d’Arvor
(Un jeu de mots débile se cache dans la ligne ci-dessus. Sauras-tu le trouver ?)
Bon, désolé d’avoir des a priori, mais la famille Poivre ne m’intéresse guère en littérature (ni en dehors). Et ce n’est pas avec ce roman que le « Frère De » risque de me retourner : l’histoire de Léo, atteint d’amnésie, qui se rappelle tout de même avoir partagé une intense histoire d’amour avec son ami Frédéric et leur professeur de philosophie, Hélène. Celle-ci venant de décéder, Léo décide de partir en Guyane à la recherche de Frédéric pour lui annoncer la nouvelle et tenter de remettre la main sur ses souvenirs… Je vous laisse bien volontiers la forêt équatoriale et la quête de sens pseudo-conradienne, si ça vous dit.
FILE-MOI UNE CORDE QU’ON EN FINISSE : Les promesses, d’Amanda Sthers
Alors là, attendez, ça rigole franchement. Voici le destin d’un homme qui, à partir de la mort de son père qu’il voit se noyer sous ses yeux alors qu’il a dix ans, va systématiquement tout rater, oubliant de vivre au jour le jour pour être tiraillé entre ses échecs passés et ses fantasmes d’avenir qui ne se réaliseront jamais. Il aurait dû regarder Le Cercle des poètes disparus, Carpe Diem, tout ça, au lieu de nous casser les pieds, ce loser.
Bref, non merci, sans nous.
TUE-MOUCHES : La Logique de l’ammanite, de Catherine Dousteyssier-Khoze
Drôle de titre pour un drôle de premier roman, où l’on voit un érudit quasi centenaire, mycologue éclairé, retourner dans le château de son enfance, où il ressasse des souvenirs de plus en plus inquiétants, évoquant notamment sa haine pour sa sœur. Ambiance.
SOUFFLÉ : Le Métier de vivant, de François Saintonge
François Saintonge est le pseudonyme, nous dit l’éditeur, d’un romancier célèbre qui a décidé de ne plus jouer à visage découvert le jeu de la rentrée littéraire, pour retrouver toute sa liberté. Pourquoi pas ? Il signe ici un roman d’aventures qui suit trois amis à partir de la Première Guerre mondiale, notamment le parcours de l’un d’eux, animateur du mouvement surréaliste et amoureux d’une grand reporter dont il est le sosie parfait. Romanesque à prévoir, ce qui peut être fort sympathique.
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Deux auteurs étrangers complètent le tableau, un sérieux et l’autre beaucoup moins.
SÉRIEUX : La Fiancée de Bruno Schulz, d’Agata Tuszynska
(traduit du polonais par Isabelle Jannès-Kalinowski)
L’histoire de celle qui fut la compagne et la muse du romancier et peintre polonais Bruno Schulz, assassiné en 1942 dans sa ville de Drohobycz transformée en ghetto sous le joug nazi. Après l’avoir quitté avant la guerre car il était trop tourmenté pour assumer leur relation, elle fait découvrir son oeuvre et en assure la protection après avoir appris sa mort à l’issue du conflit.
PAS SÉRIEUX : Babayaga, de Toby Barlow
(traduit de l’américain par Emmanuelle et Philippe Aronson)
Un policier enquête sur la mort d’un homme retrouvé empalé sur la grille d’un jardin à Paris. Mais sa route croise celle de Zoya, sorcière russe qui le transforme illico en puce. Ce qui n’empêche pas le tenace inspecteur de poursuivre ses investigations, suivant la piste de ces babayagas à la recherche de leur Reine… Oui oui, tout ça.
7 juillet 2015 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones | Tags: 2015, Amanda Sthers, ammanite, amour, amour à trois, aventure, érudit, babaya, Barthes, Binet, Bruno Schulz, Catherine Dousteyssier-Khoze, cerveau, Chalandon, champignon, château, Dantzig, Deleuze, Derrida, fonction, François Saintonge, Grasset, langage, Laurent, Limongi, littéraire, manifestation, mariage pour tous, migraine, mycologue, Olivier Poivre d'Arvor, père, profession, promesses, pseudonyme, rentrée, Roegiers, romanesque, septième, Simenon, Sollers, surréaliste, Toby Barlow | Poster un commentaire
Signé Bookfalo Kill
Dans Mon traître, son troisième roman paru en 2008 (Grasset), Sorj Chalandon racontait l’histoire d’Antoine, un jeune luthier français qui, dans les années 70, découvrait l’Irlande du Nord, alors en résistance active contre la domination britannique. Tombé amoureux de la terre, de la langue, des hommes, il s’identifiait à leur lutte, se mettait à leur service et se faisait une petite place auprès des combattants de l’IRA. Il s’attirait notamment l’amitié de Tyrone Meehan, leader charismatique du mouvement nationaliste, devenu son mentor. Jusqu’à ce jour funeste de décembre 2006 où il apprenait, comme tout le monde, que Meehan travaillait pour les Britanniques depuis vingt-cinq ans.
L’histoire était largement autobiographique. Sous les traits modestes du “petit Français” se cachait Chalandon lui-même, alors journaliste à Libération et lauréat en 1989 du prix Albert-Londres pour ses reportages consacrés à l’Irlande du Nord. Quant à Tyrone Meehan, c’était Denis Donaldson, ami du romancier et traître révélé en 2005.
Sorj Chalandon n’en avait donc pas terminé avec cette histoire. Après avoir entrepris d’exorciser la blessure de son amitié trahie, il donne cette fois la parole à Meehan lui-même. L’occasion de dire que résumer sa vie à sa traîtrise est une injustice occultant l’intensité d’une existence offerte avec bravoure à la résistance armée.
En le nommant narrateur, l’écrivain permet à Meehan de se raconter, depuis son enfance misérable jusqu’au renoncement, en passant par son initiation au combat à l’adolescence, les premières armes, les premières actions, les victoires, les morts parmi les compagnons de lutte, les premières arrestations, et la prison. Les pages consacrées à ses longs mois d’internement, dans des conditions indignes, figurent parmi les plus marquantes du livre.
Il lui accorde également la chance de s’expliquer, de se justifier, d’éclairer les conditions d’un choix impossible autant qu’incontournable. Une opportunité purement littéraire, puisque dans la réalité, il n’a jamais pu reparler à Donaldson entre les aveux de ce dernier et son assassinat cinq mois plus tard.
Chalandon laisse ainsi le romancier prendre totalement le pas sur le journaliste, et son style lui-même est là pour le rappeler à chaque page. Dans la masse indigeste de scribouilleurs sans relief que nos chers éditeurs se croient obligés de nous infliger à chaque rentrée littéraire, voici enfin un auteur français, un vrai, au sens noble du terme. Doté d’une plume, d’une patte, d’une âme d’écrivain.
Ses phrases courtes et dépourvues de graisse, ses mots choisis pour aller à l’essentiel des idées, sont la chair de ses sensations et de ses sentiments. Ce qui n’empêche pas son écriture d’être empreinte d’un certain lyrisme, ses métaphores pleines d’intuition de frapper l’imaginaire et le cœur du lecteur. Juste et attachante, la voix de Meehan fait chanter l’Irlande qu’aime Chalandon, autant que la rage désespérée animant ceux qui se battaient pour elle.
“L’IRA. Soudain, je l’ai vue partout. Dans ce fumeur de pipe chargé de couvertures. Ces femmes en châle, qui nous entouraient de leur silence. Ce vieil homme, accroupi sur le trottoir, qui réparait notre lampe à huile. Je l’ai vue dans les gamins qui aidaient à notre exil. (…) Je l’ai vue dans l’air épais de la tourbe. Dans le jour qui se levait. Je l’ai sentie en moi. En moi, Tyrone Meehan, seize ans, fils de Patraig et de la terre d’Irlande. Chassé de mon village par la misère, banni de mon quartier par l’ennemi. L’IRA, moi.” (p.59)
Le Retour à Killybegs, c’est le retour aux sources. Celles de la vie de Meehan, bien sûr, mais aussi le retour, pour l’écrivain, aux sources de sa passion et de son admiration pour l’Irlande du Nord et ceux qui se sont battus pour elle. Lorsqu’un livre vibre d’une telle sincérité, comment ne pas l’aimer ?
Retour à Killybegs, de Sorj Chalandon
Éditions Grasset, 2011
ISBN 978-2-246-78569-9
334 p., 20€
On en parle aussi ici : Rue89, Tournezlespages’s Blog, A lire au pays des merveilles
28 août 2011 | Catégories: Romans Francophones | Tags: Angleterre, attentats, Cannibales Lecteurs, Chalandon, guerre, IRA, Irlande, lutte, prison, Retour à Killybegs, traître | 1 commentaire