Articles tagués “biographie

À première vue : la rentrée Zoé 2021


Intérêt global :


À première vue, j’ai connu des rentrées plus excitantes chez les éditions Zoé. D’un côté, on ne peut pas briller tout le temps (ce que cette excellente maison suisse parvient à faire très régulièrement) ; d’un autre, ces quatre textes auront sans doute plus d’intérêt pour d’autres que moi.
Donc, comme d’habitude, je vous les confie et vous laisse vous faire votre propre idée !


La Patience du serpent, d’Anne Brécart

Christelle et Greg, des amateurs de surf dans la trentaine, sillonnent le monde en minibus avec leurs deux petits garçons, s’installant près des meilleurs spots et vivant de petits boulots.
À San Tiburcio, sur la côte mexicaine, ils s’acclimatent et font la rencontre d’une jeune villageoise. Cette dernière entraîne Christelle dans une relation vertigineuse qui bouleverse leur vie de famille.
C’est le septième roman d’Anne Brécart, publié comme les six précédents par les éditions Zoé.


Je vais ainsi, de Hwang Jungeun
(traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot)

So Ra, la grande sœur douce et rêveuse, Na Na, la cadette déterminée et libre, et Na Ki, le frère de cœur, prennent tour à tour la parole pour raconter leur rencontre et l’enfance dans l’appartement commun, la grossesse de la deuxième et le séjour au Japon du troisième, qui l’a transformé. À travers ces voix à l’imaginaire propre, événements et situations se déploient dans leurs nuances. Première traduction en français.

Reconnaissances, de Catherine Safonoff
Au soir de sa vie, une auteure se relit. Ses livres sont des îlots dans sa mémoire et elle cherche à relier ces repères. Sa relecture est relecture de soi. Grave, mais régulièrement drôle aussi. De ce voyage dans le passé, elle choisit les heures claires, souvenirs inaltérables de lieux propices. Une autofiction évoquant l’amour pour le père et la mère, la difficulté à être soi, à être fille comme à être mère.

Les vies de Chevrolet, de Michel Layaz
Biographie romancée de Louis Chevrolet, né en Suisse en 1878 et qui grandit en Bourgogne où il travaille comme mécanicien pour vélos, avant de gagner l’Amérique en 1900. Il dessine des milliers de moteurs, acquiert une notoriété en tant que pilote, puis devient entrepreneur en fondant la marque qui porte son nom avec William Durant, futur fondateur de la General Motors, qui la lui rachète.

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À première vue : la rentrée Flammarion 2021


Intérêt global :


Des sept parutions de l’année dernière chez Flammarion, on remonte à onze cette année (si j’ai bien compté).
Dommage.
Pour le reste, on trouve du médiatique (Angot, Djian), du vrai talent (Reverdy), mais aussi un drôle de pari : aligner cinq premiers romans sur la grille de départ (plus une première traduction). Et ce courage-là, mine de rien, mérite au moins d’être salué – en attendant de voir si les livres en question méritent autant d’attention.


UN PRÉFÉRÉ


Climax, de Thomas B. Reverdy

J’aime cet auteur. J’ai parfois le sentiment que son univers, sa force littéraire et la variété de ses sujets ne sont pas assez payés de retour, que ses livres ne rencontrent pas toujours le succès qu’ils mériteraient. C’est peut-être une fausse impression (d’autant qu’il collectionne les récompenses, dont le Prix des Libraires en 2016 et l’Interallié en 2018), je n’ai aucune donnée pour étayer cette sensation hormis mes propres ressentis de terrain ; et si je me trompe, tant mieux.
Toujours est-il qu’un nouveau roman de Thomas B. Reverdy est toujours pour moi un objet de curiosité. Cette fois, il nous emmène dans un village norvégien, menacé par un accident sur une plateforme pétrolière au large. Sans parler du glacier qui se fissure et des poissons morts qui s’agglutinent sur le rivage… Un ingénieur géologue, originaire des lieux, se présente au village pour se confronter autant à son passé qu’à la perspective d’un monde sur le point de s’effondrer.


À LA UNE


Double Nelson, de Philippe Djian

L’un des noms les plus solides de la maison Flammarion, habitué des rentrées littéraires et des unes de la presse spécialisée.
Djian revient avec le nom d’une prise de catch en guise de titre, pour raconter une rupture amoureuse suivie de drôles de retrouvailles : elle, membre des forces spéciales d’intervention de l’armée, vient se réfugier chez lui, écrivain en proie au doute, pour échapper à une troupe de mercenaires lancée à ses trousses. Commence alors une drôle de danse, où la nécessité d’apprendre à revivre ensemble s’accompagne d’une menace mortelle…
Drôle de pitch, qui propose un angle plutôt ludique pour détricoter l’éternelle question de la relation amoureuse.

Le Voyage dans l’Est, de Christine Angot

Autant j’aime Reverdy, autant je déteste Christine Angot. Son style tout d’abord, que je trouve caricatural, creux et haché, faussement rythmé de répétitions obsessionnelles et plombés de dialogues terriblement plats, et dont je me demande comment autant de gens supposés savoir lire (je pense très fort à Bernard Pivot par exemple, qui ne s’est jamais caché d’aduler le travail de la dame) sont capables de chanter les louanges.
Je n’apprécie guère l’auteure non plus, et par l’auteure, j’entends la personnalité qui manque rarement une occasion de déverser sa morgue, son fiel et sa froideur dans les médias.
S’il y a une chose que je veux lui reconnaître en revanche, c’est la constance avec laquelle elle campe son œuvre autour du drame qui a façonné sa vie, drame dont elle est loin d’être la seule victime et auquel elle donne une voix et une visibilité essentielles depuis toutes ces années.
Pas de surprise : dans ce nouveau roman, Angot parle donc d’inceste. Elle aborde cette fois la question en creusant le point de vue de l’enfant, puis de l’adolescente et de la jeune femme victime de son père.


AH AH, BIOGRAPHIE !


Tout ce qui est beau, de Matthieu Mégevand
Matthieu Mégevand s’est fait une spécialité de capter en littérature des figures artistiques flamboyantes. Après le poète Roger-Gilbert Lecomte et Lautrec, le voici qui s’attaque au génie ultime : Mozart. 192 pages pour cerner l’une des figures les plus célèbres du monde, et trouver en mots l’équivalent des notes avec lesquelles le compositeur a créé sa renommée intemporelle.

Presque toutes les femmes, d’Héléna Marienské
Les ennemis de la vie ordinaire, roman délirant sur l’addiction paru en 2015, m’avait bien fait marrer. Le registre de ce nouveau titre sonne différemment, puisque la romancière y dresse le portrait des femmes de sa vie, qu’elles aient laissé une trace positive ou non sur son existence. Une autobiographie en creux, donc. Cela n’empêche pas l’humour, mais sans tirer du côté hirsute qui m’avait réjoui dans Les ennemis


PREMIERS ROMANS (5 + 1)


Le Chien, d’Akiz
(traduit de l’allemand par Bruce Germain)

Réalisateur et scénariste allemand, Akiz ajoute la corde de romancier à son arc.
Le Chien du titre, c’est un drôle de type, dont on ne sait rien hormis les rumeurs étranges qui courent sur son compte. Ce qui est sûr, c’est le gars est un prodige en cuisine. Son embauche dans le restaurant de luxe El Cion aurait pu être joyeuse. Mais c’est moins un palais raffiné qu’une grenade dégoupillée que le chef a engagé. Et quand ça va péter, ça va faire mal.
Petite curiosité pour ce titre au résumé intrigant, dont les premières lignes happent et interpellent.

L’Éblouissement des petites filles, de Timothée Stanculescu

Bon, déjà, histoire d’éviter les confusions, sachez que Timothée ici est une fille. Qui s’essaie au roman d’apprentissage adolescent, en racontant la fascination d’une jeune fille, Justine, à l’égard d’Océane. Ancienne copine d’enfance, devenue simple voisine de village et lycéenne comme elle.
Sauf qu’Océane a disparu, et dans ce coin de France où il ne se passe jamais rien, c’est plus qu’un fait divers.
Un événement assez troublant pour pousser Justine à vouloir, comme Océane, s’initier aux garçons, quitte à jeter son dévolu sur le jardinier de sa mère – qui est un homme, plus un garçon.
Bref. Tout ceci me rappelle un roman de Megan Abbott, La Fin de l’innocence, livre puissant et brillant. Si le sujet vous intéresse, celui-là, je vous le conseille sans hésiter. Pour celui-ci, dont on commence à causer un peu, je vous laisse juge.

L’Amour et la violence, de Diana Filippova

Le titre n’est pas fou, la couverture non plus, mais le pitch rattrape un peu (toutes proportions gardées).
Valentin vit dans une chambre de bonne d’où il observe la Cité, seul, pendant que sa mère, répétitrice auprès des familles illustres, s’absente le jour comme la nuit. Né de l’autre côté du mur, déchiré entre le rêve de se fondre dans les hauts milieux et la conscience aiguë d’une société au bord de l’implosion, il se débat avec le passé et la mémoire.
Selon l’éditeur, un premier roman entre dystopie, roman social et récit d’apprentissage.


Ce qui gronde, de Marie Petitcuénot
Sur le papier, elle a tout pour être heureuse : un mari, trois enfants, un boulot intéressant. Et pourtant. La jeune femme qu’elle fut avant cette vie bien rangée commence à protester, et lui enjoint de se rebeller contre le fait social établi. Bonne mère, bonne épouse, femme intégrée, une fin en soi ? Et faut-il pour autant renoncer à sa liberté ? Un plaidoyer féministe pour une autre façon d’être mère.

Buenos Aires n’existe pas, de Benoît Coquil
Marcel Duchamp arrive à Buenos Aires en septembre 1918 et y demeure neuf mois. De ce séjour, on sait peu de choses. Un terreau idéal pour un écrivain, qui permet donc à Benoît Coquil d’imaginer ce récit littéraire dont la ville est autant la figure principale que l’artiste.

Mississippi Driver, de Lee Durkee
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard)

C’est en réalité le deuxième roman de Lee Durkee, mais le premier traduit en français, alors bon, il a sa place dans cette rubrique consacrée aux débutants. Il y raconte la journée d’un chauffeur de taxi à Gentry, Mississippi, et ses différents passagers qui, tous à leur manière, racontent un peu de cette fameuse « Amérique profonde » qui fait tant causer au moment des élections présidentielles.


BILAN


Lecture certaine :
Climax, de Thomas B. Reverdy

Lecture potentielle :
Le Chien, d’Akiz

Lecture hypothétique :
L’Amour et la Violence, de Diana Filippova


Josephine Baker de Catel et Bocquet

catel-bocquet-josephine-bakerJ’avais adoré Kiki de Montparnasse ou Olympe de Gouges, que le duo a écrit il y a quelques années déjà. Il y avait fort à parier que Joséphine Baker allait m’enchanter tout autant.

Catel a vraiment un sacré coup de crayon et cette biographie, toute de noir et de blanc, retrace la vie de la plus grande artiste noire américaine (puis française!) du 20ème siècle. Son enfance misérable, son éclosion puis sa gloire avant la déchéance. Un destin dont les Américains sont friands.

Seulement, retracer une vie de 69 ans en 460 pages, c’est difficile. Et il arrive parfois que l’on passe d’une vignette à l’autre en sautant plusieurs jours voire semaines et c’est difficile à suivre.
Les biographies en fin d’ouvrage sont en revanche les bienvenues. On ne sait pas toujours qui est qui pour les personnes les moins connues citées dans le livre et les bios sont très détaillées, très intéressantes.

En bref, encore un très bon travail de Catel et Bocquet avec la mise en lumière d’une femme extraordinaire, à la vie hors norme, tout comme les deux héroïnes de leurs deux précédents ouvrages.

Un livre à lire, à offrir, pour se remémorer cette reine du music-hall, cette grande dame de la Résistance, cette optimiste acharnée, qui recherchait le bonheur à tout prix.

Joséphine Baker de Catel et Bocquet
Éditions Casterman, 2016
9782203088405
563 p., 26,95€

Un article de Clarice Darling


L’indolente de Françoise Cloarec

Cloarec - L'IndolenteCet ouvrage comprend en sous-titre Le mystère Marthe Bonnard.

Quoi? L’épouse d’un des plus grands peintres du 20ème siècle cache un secret? Elle qui disait s’appeler Marthe de Méligny ne s’appelait pas ainsi? Pourquoi a-t-elle menti? Pourquoi a-t-elle caché à son mari qu’elle avait une famille? Des sœurs? Des nièces?

J’ai adoré l’idée de départ, car je ne savais pas qu’il y avait eu « un mystère Marthe Bonnard ». La rencontre avec le peintre, l’installation dans les diverses maisons qu’ils ont habité, leurs amis, etc… J’ai appris des choses mais…

Mais j’en attendais plus. Je trouve, et c’est un jugement tout à fait personnel, que le livre traine trop en longueur. C’est toujours agréable à lire (j’avais adoré le précédent ouvrage de Françoise Cloarec, Marcel Storr, l’Architecte de l’ailleurs), on sent le temps passé sur les traces des Bonnard, les passages de description de Marthe Bonnard faites par les personnes qui l’ont connues sont vraiment poignantes.

Mais j’aurais voulu en savoir plus sur cette femme. On la touche du doigt à plusieurs moments de l’ouvrage mais elle s’évapore avant d’en avoir dit plus. Cela m’a beaucoup frustré. Idem pour les tableaux décrits, j’ai lu l’ouvrage en vacances, loin de tout, sans accès à internet et j’aurais aimé des images pour pouvoir observer moi aussi les tableaux de Bonnard peignant encore et toujours son adorée.

Le retentissant procès des héritiers de Pierre et Marthe Bonnard n’arrivent que trop tardivement dans l’ouvrage. C’est une histoire assez incroyable et totalement incongrue qu’un des plus grands peintres du 20ème laisse son héritage sans vraiment de testament et surtout, sans savoir que sa défunte femme, décédée quelques années avant lui, avait de la famille.

Pourquoi a-t-elle menti? Pourquoi avoir caché cela à son mari pendant des décennies? Saura-t-on vraiment un jour? L’indolente ne répond pas aux questions que je me suis posée, et en ce sens, cela me chagrine. Mais le style poétique et la capacité à faire revivre des âmes disparues, point fort de l’écriture de Françoise Cloarec, sont bel et bien là!

L’indolente, le mystère Marthe Bonnard de Françoise Cloarec
Editions Stock, 2016
9782234080980
325p., 20€

Un article de Clarice Darling.


A première vue : la rentrée Seuil 2015

Les éditions du Seuil font partie des grosses écuries dont nous n’avons pas encore parlé cette année. Qu’à cela ne tienne, c’est parti ! Néanmoins, pas de quoi sauter au plafond non plus… Du côté des francophones, à part Alain Mabanckou, qu’on voit mal nous décevoir, les titres annoncés ne nous excitent pas plus que cela (constat entièrement personnel, évidemment). Ca pourrait être mieux du côté des étrangers – ça pourrait. Et dans le meilleur des mondes, nous pourrions aussi nous tromper complètement. Réponse(s) à la rentrée.

Mabanckou - Petit PimentÇA PIQUE, ÇA LANCE ET ÇA REPIQUE DERRIÈRE : Petit Piment, d’Alain Mabanckou
Petit Piment est un orphelin de Pointe-Noire dont la vie est pour le moins agitée. Pensionnaire d’une institution catholique dirigée par le tyrannique et corrompu Dieudonné Ngoulmoumako, il profite de la révolution socialiste pour s’évader, faire les quatre cent coups, puis se réfugier dans la maison close de Maman Fiat 500. Il y coule enfin des jours paisibles, jusqu’au au jour où le maire décide de s’attaquer à la prostitution. Ulcéré, Petit Piment passe en mode vengeance…

Desbiolles - Le Beau tempsON EN A GROS : Le Beau temps, de Marilyne Desbiolles (lu)
Roman biographique ou biographie romancée, roman documentaire, exofiction : les noms flous ne manquent pas pour tenter de définir ce genre très (trop ?) à la mode mêlant travail littéraire et personnages ou faits réels. Si Patrick Deville, Jean Echenoz et Eric Vuillard, entre autres, s’y sont brillamment illustrés, Marilyne Desbiolles aurait mieux de s’abstenir. Sa tentative, consacrée à Maurice Jaubert (compositeur de musique de films du début XXème) n’a définitivement rien d’un roman ; pas sublimée par un style, c’est une biographie assez pauvre et sans intérêt, ses rares incursions dans le texte pour ajouter de la matière littéraire s’avérant souvent ratées.

Delerm - Les eaux troubles du mojitoY’A DE LA RELANCE SUR LE DEJA-VU : Les eaux troubles du mojito, de Philippe Delerm
Sous-titré « et autres belles raisons d’habiter sur terre », ce petit livre ramène Delerm sur le chemin balisé qu’il avait ouvert avec La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, celui de textes courts et poétiques sur les petites choses qui font le sel de la vie quotidienne. C’était il y a dix-huit ans et rien n’a changé ou presque.

Holder - La Saison des BijouxUN ROI A LA TAVERNE : La Saison des Bijoux, d’Eric Holder
Écrivain de l’intime, Eric Holder revient avec une immersion dans le monde des marchands ambulants. Le temps d’un été, Jeanne, Bruno et leur tribu s’installent dans une petite ville de la côte Atlantique et tiennent un stand sur le marché. Entre les différents artisans et maraîchers présents autour d’eux, Forgeaud, le patron des lieux, est subjugué par Jeanne et se promet de la posséder avant la fin de la saison… Un huis-clos au grand air, passionnel et intimiste, qui sert de prétexte à une galerie de personnages hauts en couleur.

Kebabdjian - Les désoeuvrésUNAGI : Les Désœuvrés, d’Aram Kebabdjian
La Cité est une résidence où se côtoient de nombreux artistes, uniquement préoccupés de créer en ce lieu pensé pour eux. Chaque chapitre de ce long premier roman s’intéresse à une œuvre et à un artiste imaginés de toutes pièces par l’auteur, composant une vision de l’art contemporain. L’idée est intéressante, mais sur 512 pages, j’espère qu’on verra évoluer les personnages et que le livre ne se résumera pas à une longue énumération, sous peine de finir par manquer d’intérêt…

Majdalani - Villa des femmesELLE EST OÙ LA POULETTE ? : Villa des femmes, de Charif Majdalani
Le romancier libanais (qui écrit en français) met en parallèle, dans le Liban des années 60, la guerre de succession suivant le décès de Skandar Hayek, un homme d’affaires prospère dont la famille se déchire, et la guerre civile qui ébranle le pays. L’occasion pour les femmes de la famille de prendre le pouvoir…

*****

Grossman - Un cheval entre dans un barLA PENTE FATALE : Un cheval entre dans un bar, de David Grossman
(traduit de l’hébreu par Nicolas Weill)
Sous les yeux du juge Avishaï Lazar, un ancien ami d’école, un comédien monte sur la scène d’un club miteux d’Israël, où son numéro de comique vulgaire dérape soudain vers une confession inattendue et terrible. Depuis Une femme fuyant l’annonce, prix Médicis étranger 2011, le romancier israélien est très suivi.

Kapoor - Un mauvais garçonIL TABASSE LE ROUQUIN : Un mauvais garçon, de Deepti Kapoor
(traduit de l’anglais (Inde) par Michèle Albaret-Maatsch)
Sa mère est morte, son père est parti, elle a vingt ans à New Delhi. Elle voudrait brûler sa vie mais se plie aux conventions sociales, pas le choix. Jusqu’au jour où elle rencontre ce mauvais garçon qui l’attire irrésistiblement. Sexe, drogue, alcool, elle plonge corps et âme avec lui dans une ville beaucoup plus dangereuse et palpitante qu’elle ne l’imaginait.

Cuenca Sandoval - Les hémisphèresJ’AI UN PIVERT DANS LA TÊTE, C’EST NORMAL ? : Les hémisphères, de Mario Cuenca Sandoval
(traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon)
En vacances à Ibiza, deux amis s’adonnent à tous les plaisirs, abusant notamment de dantéine, une drogue en forme de poudre orange. Sous son emprise, ils tuent accidentellement une jeune femme au volant de leur voiture. Des années plus tard, ils restent obsédés par l’image de celle qu’ils nomment « la Première Femme », croyant la voir réincarnée dans d’autres silhouettes féminines qu’ils pourchassent sans relâche.

(Merci à Alexandre Astier pour les titres introduisant chaque présentation !)


Bruce, de Peter Ames Carlin

Signé Bookfalo Kill

Fans du Boss, dégainez vos Telecaster, ça va rocker ! Le catalogue musical des éditions Sonatine s’enrichit d’une énorme biographie de Bruce Springsteen, signée par le journaliste américain Peter Ames Carlin et préfacée pour l’édition française par l’inévitable Antoine de Caunes, supporter numéro 1 de l’enfant du New Jersey.

Carlin - BruceApprouvée par Springsteen lui-même, cette somme pénètre véritablement au cœur du phénomène et s’efforce de saisir dans toute sa complexité celui qui est sans doute l’un des derniers rockers authentiques de la scène mondiale. Le boulot de Carlin est si minutieux que l’on a l’impression de vivre dans les pas du Boss depuis sa naissance jusqu’au Wrecking Ball Tour, la tournée monstre (et toujours en cours) qui accompagne son dernier album en date.

Pas de cahier photo au milieu du bouquin pour faire joli ou attendrir avec des clichés de la star bébé, ce n’est pas le style de la maison. Les 653 pages de Bruce racontent en détail la vie et l’œuvre de l’auteur de Born in the USA, avec un luxe d’anecdotes et de précisions que les nombreuses interviews menées par Carlin auprès des proches de Springsteen (notamment Clarence Clemons, le géant saxophoniste décédé il y a deux ans) rendent encore plus précieuses.

On apprend ainsi tout du perfectionnisme affolant du chanteur, qui menace de rendre fous ses collaborateurs à chaque nouvel album. Le récit des sessions d’enregistrement marathon de Born to run, Darkness on the edge of town ou The River est, par exemple, hallucinant…
Carlin évoque aussi sans détour les relations complexes que Springsteen entretient avec son entourage, de la rupture amère avec son premier manager et producteur, Mike Appel, à l’abandon brutal de son mythique E-Street Band à la fin des années 80 (avant une reformation définitive en 1999), en passant par ses difficultés relationnelles avec son père et ses histoires amoureuses compliquées.

Parcours d’un homme autant que d’un musicien hors du commun, Bruce refuse l’hagiographie pour mieux expliquer pourquoi Springsteen, dans toutes ses nuances, avec sa puissance créatrice phénoménale mais aussi ses doutes, son intégrité artistique et morale sans failles mais aussi ses erreurs humaines, est devenu le mythe vivant qu’il est aujourd’hui.
Une biographie indispensable, qui donne envie de réécouter tous ses disques, même ses moins réussis, pour y trouver un nouveau sens – et pour le simple plaisir de vibrer au rugissement des guitares et de la voix rocailleuse de celui qui chante l’Amérique, et à travers elle le monde d’aujourd’hui, mieux que quiconque.

Bruce, de Peter Ames Carlin
Traduit de l’américain par Julie Sibony
Éditions Sonatine, 2013
ISBN 978-2-35584-190-3
653 p., 22€


James Joyce, l’homme de Dublin, d’Alfonso Zapico

james-joyceAlfonso Zapico s’attaque à un monstre de la littérature anglophone, James Joyce, l’auteur des Gens de Dublin et de Finnegans Wake, sans oublier Ulysse. Le dessinateur admire l’auteur, ça se ressent à chaque page. Peut-être est-ce parce qu’Ulysse est inadaptable en bande-dessinée que Zapico s’en est pris à la vie de Joyce? Si le dessin est sobre, tout de noir et nuances de gris, l’histoire décrypte la vie de ce génie, de ces premiers vagissements à sa mort. Parfois même dans des détails qui peuvent sembler insignifiants.

J’imagine un travail titanesque en amont!  Zapico a voulu être le plus fidèle possible à la vie de l’écrivain. Si j’ai aimé la façon dont le personnage est traité, sans être enjolivé, sans mensonge, j’ai eu l’impression de passer d’un évènement de sa vie à un autre, d’un personnage à un autre de façon très superficielle. Certes, c’est de la bande dessinée, on ne peut pas s’appesantir pendant des pages et des pages sur un personnage, mais c’est la sensation que j’ai eu en refermant l’ouvrage. Pourtant, le livre contient 220 pages, ce qui est assez conséquent! J’aurais aimé en savoir plus sur l’écrivain, ses amitiés, sa vie de famille…  James Joyce, l’homme de Dublin est un très bon moyen de découvrir Joyce, de mettre le pied à l’étrier et de commencer à lire Finnegans Wake!

James Joyce, l’homme de Dublin d’Alfonso Zapico
Editions Futuropolis, 2013
9782754808934
239p., 27€

Un article de Clarice Darling.


Emile Zola à l’usage des personnes pressées, de Henrik & Katarina Lange

Signé Bookfalo Kill

En passant dans votre librairie préférée, vous aurez peut-être déjà remarqué, aux rayons B.D., humour ou à la caisse, de drôles de petits livres vous proposant de découvrir 90 livres, ou 90 films à l’usage des personnes pressées. Réalisées par le suédois Henrik Lange, ces anthologies singulières offraient de résumer en trois cases dessinées quelques-unes des œuvres les plus emblématiques du cinéma ou de la littérature dans le monde.
Contre toute attente, le résultat était aussi amusant que percutant (surtout quand on connaissait les oeuvres en question, évidemment), les raccourcis utilisés par Lange pour résumer romans et films étant à la fois drolatiques et bien choisis.

Lange - Emile Zola à l'usage des personnes presséesÉpaulé par sa femme Katarina, Henrik Lange entreprend désormais de cibler son travail sur des auteurs en particulier. Après le dramaturge suédois August Strindberg, c’est à un monument de notre littérature nationale qu’il s’attaque : Monsieur Mimile, Maître Zola himself.
On retrouve bien sûr ce qui fait la marque de fabrique du dessinateur, c’est-à-dire des résumés en trois cases de quelques œuvres phrases de l’auteur de Germinal, de son premier roman, la Confession de Claude, à une sélection des titres les plus importants du cycle des Rougon-Macquart (qui comprend vingt romans au total). Le procédé fonctionne toujours aussi bien, même si certains des romans retenus sont moins largement connus et lus que L’Assommoir.
Mais c’est à la vie toute entière de Zola que s’intéressent les Lange. Renonçant aux cases propres à la B.D., ils entreprennent de passer en revue la vie du romancier sur des doubles pages, depuis sa naissance en 1840 jusqu’à sa mort suspecte en 1902, asphyxié dans sa chambre, en passant par l’inévitable affaire Dreyfus et son retentissant « J’accuse ».

L’idée n’est bien sûr de livrer une biographie complète et détaillée de Zola ; on retrouve donc le ton léger et désinvolte de Henrik Lange dans les brefs textes qui accompagnent ses désormais célèbres dessins en ombre chinoise. Tout n’est pas forcément drôle, certaines choses sont trop survolées (Zola et la religion) pour être pertinentes, mais le résultat est largement assez convaincant pour le zolien averti que je suis – car, oui, Tonton Emile est sans doute mon maître en matière de littérature classique, ça tombe bien !

Émile Zola à l’usage des personnes pressées, de Henrik et Katarina Lange
Traduit du suédois par Fanny Törnberg
 Éditions Çà et Là, 2013
ISBN 978-2-916207-85-8
162 p., 9€


Biographie d’un inconnu, de Fabrice Humbert

Signé Bookfalo Kill

Arrivé à la quarantaine, Thomas d’Entragues s’est fait une raison : aspirant romancier depuis sa prime jeunesse, il n’est désormais plus qu’un écrivain raté, cantonné à mettre sa plume au service de personnalités, dont beaucoup de sportifs, pour écrire leurs autobiographies à leur place. Jusqu’au jour où un projet singulier lui est offert par Victor Dantès, ancien boxeur roumain devenu chef d’entreprise prospère en France. En effet, Dantès lui demande d’écrire pour lui la biographie de Paul Moreira, un fils qu’il a eu avec une autre femme que la sienne, et qui a disparu aux Etats-Unis après avoir tenté de convaincre Hollywood de lui permettre de réaliser une adaptation cinématographique du Voyage au bout de la nuit de Céline.
D’abord sceptique, Thomas est vite intrigué, puis captivé par la trajectoire hors normes de Paul, et il part sur ses traces outre-Atlantique…

C’est un petit flashback que je vous propose aujourd’hui. Alors que le nouveau roman de Fabrice Humbert, Avant la chute, figure parmi les titres marquants de cette rentrée littéraire 2012, j’ai envie de vous dire quelques mots de Biographie d’un inconnu, son deuxième roman paru en 2008.
D’abord, tout simplement, parce que c’est un très beau livre – et que pour un deuxième, il est fichtrement réussi. Le style de Fabrice Humbert est déjà en place, à la fois classique, élégant et évocateur. Une écriture très maîtrisée, sans affect ni surplus, qui donne au récit force, évidence et fluidité. C’est le troisième roman d’Humbert que je lis, et à chaque fois, le même constat s’impose : voilà un auteur qui sait vous embarquer dès les premières lignes dans son histoire, sans pour autant sacrifier le style à l’efficacité. Facile à dire, moins facile à faire.

Bien écrire est une chose, encore faut-il intéresser son lecteur. Au premier degré, le parcours de Thomas d’Entragues, construit comme une enquête, suffit largement à captiver. Au fil des découvertes du narrateur, le personnage fantôme se construit, par strates successives, tandis que Thomas accomplit lui-même une quête personnelle, comme dans une sorte de roman initiatique tardif.
Par-dessus cela, il y a aussi une réflexion de Fabrice Humbert sur l’écriture, d’une maturité et d’une clairvoyance étonnantes chez un jeune auteur. Paul Moreira est un apprenti scénariste, tandis que le narrateur lui-même est un écrivain qui passe à côté de sa carrière. Deux facettes complémentaires pour une même interrogation sur ce qu’est écrire, la crainte de n’être pas compris, pas entendu, pas lu, la peur de ne pas y arriver – et en même temps, la fascination pour le pouvoir des mots, la mystérieuse alchimie du langage.

Et encore au-delà, c’est tout le travail de Fabrice Humbert qui est en gestation, avec ses thématiques et ses obsessions, au premier rang desquelles celle de la chute. Échec personnel, défaite de celui à qui la victoire paraissait promise, errance d’un héros qui semblait n’avoir que la route du triomphe à suivre, décadence du monde : tout est déjà là, dans cette superbe Biographie d’un inconnu qui annonce l’œuvre à venir : L’Origine de la violence, qui le révèle au grand public, La Fortune de Sila, et donc Avant la chute – où tout est dans le titre… On en reparle très vite.

Biographie d’un inconnu, de Fabrice Humbert
Éditions le Passage, 2008
ISBN 978-2-84742-110-1
176 p., 15,20€

Retrouvez ce livre sur le site de Fabrice Humbert : Biographie d’un inconnu
Une autre lecture du roman sur lelitteraire.com


Eva Braun d’Heike B. Görtemaker

S’il y a bien une personne qui a joué un rôle important dans l’histoire mondiale et dont on ne connaît presque rien, c’est elle. Eva Braun. Compagne pendant quinze ans de l’un des pires criminels qui soit. Maîtresse à la vie comme à la mort.

Heike Görtemaker se lance à sa recherche à travers des ouvrages, des lettres, des photographies et cherche à nous présenter la femme du Führer. Et l’entreprise est réussie. On s’embrouille parfois, il est vrai, avec les nombreuses notes de bas de pages (situées à la fin du livre) mais ce travail titanesque nous dépeint le portrait d’une femme jusqu’au-boutiste, prête à tout pour l’amour de son amant et plutôt très au fait des exactions commises par le régime nazi. Eva Braun, au début jeune fille timide et craintive, se transforme peu à peu en une femme au caractère bien trempé, réussissant à amadouer Hitler selon son bon vouloir. 

Cependant, comme il y a peu de documents sur la première dame cachée de l’Allemagne, le livre semble parfois tourner en rond. Sur 292 pages, environ un tiers est réellement consacré à Eva Braun. Le reste explique le contexte social, politique, culturel. L’ouvrage présente également les nombreux collaborateurs d’Hitler et dépeint le petit monde du national-socialisme, ses réceptions, ses soldats, son évolution au sein d’une Allemagne exsangue, qui peine à se relever de la crise de 1929. 

Ce livre, complexe et dense, est plus qu’une biographie d’Eva Braun, c’est une radiographie de l’époque. Une thèse très réussie qui fera longtemps référence. 

Eva Braun de Heike B. Görtemaker
éditions Seuil, 2011
9782021031454
410 pages, 22€

Un article de Clarice Darling

 


Boris Vian de Philippe Boggio

Actuellement à la Bibliothèque Nationale de France a lieu une exposition fort intéressante sur mon chouchou Boris Vian. Non, pour une fois, je ne vous ferai pas l’éloge de L’écume des jours ou de L’herbe rouge. Mais au sortir de cette exposition, où se mêlent agréablement vidéos, musique, manuscrits et gidouille de ce grand bonhomme, je n’avais qu’une envie. Relire tout Vian. Les commissaires de l’expo ont réussi leur coup! Donner envie aux visiteurs de se plonger (ou replonger) dans l’univers étrangement poétique du trompinettiste et écrivain de talent. 

Après avoir tout lu ou presque dudit Boris, il me fallait une biographie. J’ai choisi celle de Philippe Boggio, aux éditions Flammarion. Parue en 2009, soit 50 ans mois pour mois après la mort de Monsieur Vian. Pourquoi? Peut-être pour la photographie où on voit un Boris Vian de 33 ans courant allègrement en maillot de bain sur la plage. Mais pas que. 

Dans ce livre, j’ai retrouvé l’auteur tel que j’avais envie de le revoir. Sa jeunesse dorée puis le paradis perdu, les débuts de la maladie, la mère Pouche possessive, les débuts dans la musique, etc. J’ai trouvé aussi un contexte, autant littéraire qu’historique et musical. J’ai vu Sartre, Le Castor, Henri Salvador, Raymond Queneau, Jean Paulhan, comme des vieux copains que je n’avais pas revus depuis que j’ai refermé le dernier tome des mémoires de Simone de Beauvoir. J’ai rencontré surtout un journaliste, au style délicat et empreint de poésie, ce qui ne pouvait que convenir à l’auteur qu’était Boris Vian

Les recherches sont très poussées, les références s’accumulent, c’est un formidable travail qu’a fourni Philippe Boggio pour cette biographie. On sent que le journaliste a adoré travailler sur ce personnage haut en couleurs et pourtant si blafard qu’était Boris Vian. Au risque d’en oublier les côtés sombres de l’écrivain, notamment son goût pour les jolies bobby-soxers (les demoiselles peu farouches de son roman J’irai cracher sur vos tombes, signé Vernon Sullivan)
Mais Philippe Boggio nous présente un auteur vrai, mélancolique de son passé, qui cherchera sa vie durant à recréer la chaleur de son enfance, en s’étourdissant de musique et d’amis, au risque de ne plus entendre sa propre musique cardiaque.

Boris Vian est mort à l’âge de 39 ans, à 10h10, le 23 Juin 1959 au cinéma le Marboeuf et est enterré à « Vildavret ». Sur sa tombe, point d’inscription, de peur peut-être que le futur lui crache dessus. 

Boris Vian de Philippe Boggio
éditions Flammarion, 2009
9782081200678
410p., 23€

Un article de Clarice Darling.