Un loup pour l’homme, de Brigitte Giraud

Appelé en Algérie pendant la guerre, Antoine refuse de porter les armes et est affecté comme infirmier à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. Il y rencontre Oscar, récemment amputé d’une jambe, qui refuse de communiquer avec qui que ce soit. Intrigué et fasciné à la fois, Antoine va patiemment apprivoiser le blessé rétif et entreprendre de l’aider à accepter son état.
Pendant ce temps, Lila, la femme d’Antoine qui a appris qu’elle était enceinte juste avant son départ, passe les premières semaines de sa grossesse à se morfondre à Lyon, avant de décider de rejoindre son mari en Algérie pour y accoucher…
Un loup pour l’homme est un roman très important pour Brigitte Giraud, puisqu’elle y transpose par la fiction l’histoire de ses parents ; c’est, de son propre aveu, le livre qu’elle essayait d’écrire depuis des années et qu’elle n’arrivait pas, ou n’osait pas aborder de peur de ne pas être à la hauteur de son sujet.
Je suis loin d’être un fin connaisseur de l’œuvre de la romancière lyonnaise, mais le peu que j’avais lu d’elle jusqu’à ce nouveau livre m’avait intéressé sans pour autant me séduire plus que cela, principalement pour des raisons littéraires. Je retrouve grosso modo les mêmes sensations à la lecture d’Un loup pour l’homme, même si c’est sans doute le meilleur texte que j’ai lu d’elle.
Sur le fond, Giraud excelle à cerner ses personnages, à les sonder en profondeur, en particulier Antoine dont elle capte avec finesse les atermoiements, la curiosité, la volonté aussi. En tant que fil rouge de l’intrigue, sa relation étrange avec Oscar se suit avec curiosité, mais ses rapports avec ses camarades de galère et avec sa femme sont finalement beaucoup plus riches et passionnants à suivre. La romancière réserve quelques belles pages à la naissance de la famille que forment Antoine, Lila et leur fille, moments du récit où son style et ses images sont les plus affûtés et les plus justes.
Car, pour le reste, je regrette que la forme soit souvent trop factuelle, manquant de relief, d’aspérité dans la langue, alors que les sentiments abordés comme le contexte historique (la guerre d’Algérie, en arrière-plan) sont forts, contradictoires, et auraient mérité plus d’engagement littéraire. Les belles phrases, les passages puissants surgissent de temps à autre d’un fil narratif un peu trop ténu, trop plat. C’est en général lorsqu’elle évoque le rapport au corps, notamment dans ses ambiguïtés – sujet récurrent de son travail – que Brigitte Giraud se montre la plus pointue.
Cependant l’ensemble du texte souffre malheureusement de petites longueurs, pas rédhibitoires certes, mais qui font flancher la force générale du roman ; pour le dire crûment, un certain nombre de phrases paraissent superflues, sensation gênante car elle laisse penser que le texte aurait sûrement gagné en puissance ce qu’il aurait perdu en nombre de pages si un élagage sérieux avait été effectué.
Sentiment mitigé donc pour Un loup pour l’homme, dont on sent la sincérité, l’engagement, hélas desservis par certaines limites stylistiques qui rendent le roman trop commun d’un point de vue littéraire pour parvenir à élever son propos et à le rendre inoubliable.
Un loup pour l’homme, de Brigitte Giraud
Éditions Flammarion, 2017
ISBN 978-2-08-138916-8
250 p., 19€
A première vue : la rentrée Christian Bourgois 2016
Nous n’avons jamais non plus évoqué les éditions Christian Bourgois dans la rubrique « à première vue » – faute sans doute, avouons-le sans détour, de s’être longtemps intéressé au travail de cet éditeur pourtant respectable, intéressant et exigeant. Comme on apprend tous les jours, il est donc temps de réparer cette injustice, d’autant que sur les trois titres annoncés en août et septembre, deux nous font sérieusement de l’œil…
PSYCHO : Un singulier garçon, de Kate Summerscale
Plume élégante et vivace, Kate Summerscale s’est fait une spécialité de relater sous forme littéraire des faits divers marquants de l’époque victorienne. Paru en 2008, L’Affaire Road Hill House, sur la disparition d’un petit garçon dans une grande maison bourgeoise, était ainsi une réussite éblouissante, captivante comme un polar et très éclairante sur la société et les mentalités de l’époque. On peut donc attendre le meilleur de ce nouveau texte qui se penche sur le cas Robert Coombes, un garçon de 13 ans condamné en 1895 à la détention dans un asile d’aliénés pour le meurtre de sa mère.
LES CHOSES ME DONNENT UNE IDENTITÉ : Anatomie d’un soldat, de Harry Parker
Un jeune capitaine de l’armée britannique perd une jambe lors d’une mission au Moyen Orient et est rapatrié en Angleterre. Le récit de son retour à la vie est alors relaté par 45 objets qui lui appartiennent ou lui sont proches… Un projet littéraire étonnant et, d’après les premiers retours que j’ai, parfaitement réussi. Mériterait sûrement un coup d’œil !
MAINE STREETS : L’État où nous sommes, d’Ann Beattie
Un recueil de quinze nouvelles situées dans le Maine, qui entreprend d’analyser la classe moyenne américaine sous toutes ses formes.
Baby Leg, de Brian Evenson
Signé Bookfalo Kill
Kraus se réveille un matin dans une cabane isolée au milieu d’une forêt. Il ne se rappelle pas comment il est arrivé là, qui il est vraiment, ni pourquoi il lui manque une main. Il sait encore moins pourquoi il rêve de manière obsessionnelle d’une femme munie d’une hache et dont l’une des jambes, incomplète, se termine sous le genou par une jambe de bébé.
Quand, à court de vivres, il est forcé de rejoindre le village le plus proche, Kraus découvre qu’il est activement recherché par un certain docteur Varner.
Et tout ceci n’est que le début du long cauchemar auquel semble désormais réduite sa vie…
Cauchemar. C’est le maître-mot de ce roman à nul autre pareil. Brian Evenson était déjà l’auteur de livres bien barrés – notamment la Confréfie des mutilés, où les membres d’une secte de fous furieux gagnaient du galon au fur et à mesure qu’ils sacrifiaient volontairement et de leur propre main des morceaux de leurs corps. Mais là, il va beaucoup plus loin. Beaucoup trop ? Sûrement, en tout cas pour moi (alors que j’avais beaucoup aimé La Confrérie.)
J’avoue que j’ai du mal à comprendre le sens de cette histoire, ni même si elle en a un. Peut-être est-ce l’idée, en fait. J’ai le sentiment qu’Evenson a écrit Baby Leg comme on traverse un cauchemar interminable, où les événements s’enchaînent avec la logique implacable qui préside à la folie des rêves.
Il y trouve en tout cas l’occasion de recycler un certain nombre de ses obsessions, notamment la perte de repères, la remise en cause du réel tel que nous le percevons ordinairement, et bien sûr les mutilations, les amputations. Ca tranche, ça découpe et ça explose à tout va, à coups de hache, de revolver ou de tout ce qui peut gravement nuire à l’intégrité de la chair humaine. C’est parfois bien gore et, globalement, ça peut donner envie assez vite de virer végératien tendance dure, même si ce n’est heureusement pas l’essentiel du roman.
En dépit de sa brièveté, j’ai eu du mal à en venir à bout. C’est sans doute voulu de la part d’Evenson, mais il m’a paru étouffant jusqu’au vertige et au malaise. Glauque, sans espoir de lumière, et dérangeant parce qu’échappant à toute logique, à toute possibilité d’explication ou de transposition. Certes, Evenson maîtrise totalement son univers décalé et inquiétant, mais cette fois, il ne m’a pas embarqué. Je n’ai pas compris.
Voyez-y si vous voulez une faiblesse d’intelligence de ma part, je ne vous en voudrai pas. Et si jamais vous avez une théorie, des explications à me fournir, n’hésitez pas à repasser par ici, je les découvrirai avec intérêt.
Baby Leg, de Brian Evenson
Editions Cherche Midi, collection Lot 49, 2012
ISBN 978-2-7491-2302-8
99 p., 12,80€