A première vue : la rentrée Stock 2017
Avec ses quatorze titres annoncés entre le 16 août et le 1er septembre, Stock s’affiche parmi les éditeurs qui filent de l’aérophagie aux libraires. D’autant que nombre de ces parutions semblent gonflées à l’hélium et risquent d’éclater au premier croc planté dedans. Pour le dire autrement, avec un paquet d’autofictions ou d’exofictions au programme, plus quelques synopsis sans grand intérêt, ce n’est pas la rentrée qui nous passionne le plus. Mais comme nous sommes consciencieux et qu’il est difficile de passer cette maison importante sous silence, nous allons tenter de faire notre devoir – rapidement, quand même, hein, on n’est pas des chiens. Et en commençant par les auteurs étrangers, qui ne sont que deux, ça nous donnera de l’élan.
LA GLOIRE DE MON PÈRE : Les huit montagnes, de Paolo Cognetti
(traduit de l’italien par Anita Rochedy)
Remarqué l’année dernière avec Le Garçon sauvage, récit autobiographique d’une échappée vers les montagnes du Val d’Aoste, Paolo Cognetti propose un premier roman qui fait écho à cette expérience. On y découvre Pietro, citadin solitaire de 11 ans dont les parents louent durant l’été une maison dans le Val d’Aoste ; là, il se lie d’amitié avec un jeune vacher, qui l’initie aux joies et secrets de la montagne, et découvre également sous un autre jour son père, homme ombrageux et rude en ville, père passionné et attentionné dès qu’il rejoint les hauteurs.
KLEENEX : Les pleureuses, de Katie M. Kitamura
(traduit de l’américain par Denis Michelis)
Récemment séparée en secret de son mari Christopher, une femme reçoit un appel affolé de la mère de ce dernier, qui n’a plus de nouvelles de lui depuis longtemps. Elle accepte de se rendre en Grèce et prend une chambre dans l’hôtel où Christopher a été vu pour la dernière fois, dans l’espoir de l’y retrouver – et d’en profiter pour lui demander le divorce. Mais Christopher ne réapparaît pas, et la narratrice reste en tête-à-tête avec l’échec de leur mariage.
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CHANSON DOUCE : Sa mère, de Saphia Azzeddine
Saphia Azzeddine m’avait bluffé avec son précédent roman, Bilqiss, autant par l’audace que par le style avec lesquels elle traitait son sujet. J’ai donc envie d’attendre des étincelles de l’histoire de Marie-Adélaïde, jeune femme née sous X, caissière à la Miche Dorée, passée par la case prison, qui décide de prendre son destin en main. Tout en devenant la nounou des enfants parfaits de la Sublime, elle se met en quête de sa mère…
COUIC : Les talons rouges, d’Antoine de Baecque
Issue de la noblesse, la famille Villemort repose sur l’idéologie du sang. Une position d’autant plus normale que les Villemort sont des vampires. Lorsque survient la Révolution française, la famille se divise, entre désir de soutenir l’ordre nouveau pour échapper à la malédiction vampirique, et volonté de préserver la tradition. Premier roman d’un historien spécialiste de la Révolution, plus connu encore pour ses ouvrages de cinéma (dont un superbe Tim Burton).
TU BRÛLES MON ESPRIT : Gabriële, d’Anne et Claire Berest
Portrait de l’arrière-grand-mère des deux sœurs, Gabriële Buffet Picabia, épouse du peintre Francis Picabia, amante de Marcel Duchamp, femme d’influence sur les artistes novateurs de son époque, mais aussi alpiniste, compositrice… Une personnalité haute en couleurs, méconnue du public comme de l’histoire de l’art, dont les romancières veulent restituer l’indicible romanesque pour leur première collaboration en écriture.
AMEDEUS : Je suis Jeanne Hébuterne, d’Olivia Elkaim
Récit de la rencontre entre Modigliani et Jeanne Hébuterne, de quinze ans sa cadette et son dernier grand amour. Ensemble, ils bravent les interdits et les bonnes mœurs de l’époque, au point de frôler la folie… Les histoires de peintres ont la cote (ah ah) en ce moment en littérature.
CELLE QUE VOUS CROYEZ : La Petite danseuse de quatorze ans, de Camille Laurens
A l’occasion du centenaire de la mort de Degas, Camille Laurens s’intéresse à Marie Geneviève Van Goethem, modèle du sculpteur pour l’une de ses oeuvres les plus célèbres, La Petite danseuse de quatorze ans, qui fit scandale en son temps.
LA FABULETTE BIEN PRESTE : La Fontaine, une école buissonnière, d’Erik Orsenna
Erik-Orsenna-de-l’Académie-Française dresse un portrait enlevé du célèbre auteur des Fables, s’intéressant autant à son œuvre (riche aussi de contes libertins qui ravissaient la Cour) qu’à son parcours d’homme, contrasté et agité. L’une des personnalités médiatiques de la rentrée, et l’un des livres qui trustera la une de la presse à coup sûr.
A L’OUEST (TOUJOURS) RIEN DE NOUVEAU : Colombe sous la lune, de Laurence Campa
Coincé dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, un jeune homme se raconte, entre rêves, amitiés, trahisons, expériences terrifiantes du combat et des bombardements, et espoir d’un retour à la vie normale. Un premier roman qui aura intérêt à avoir du style s’il veut se distinguer de tout ce qui a déjà été écrit sur le sujet.
MON PAPA À MOI : Les rameaux noirs, de Simon Liberati
Depuis son succès aussi important que bizarrement compréhensible il y a deux ans, grâce à Eva, livre consacré à sa compagne Eva Ionesco, Liberati envahit chaque année la rentrée littéraire. Cette fois, il nous cause de son inspiration, qu’il doit à son père, un poète surréaliste. Sans nous, vous l’aurez compris. Mais là encore avec la presse, qui se fera sans doute une joie de porter une nouvelle fois au pinacle ce garçon.
MON PAPA A MOI (II) : Demain sera tendre, de Pauline Perrignon
La petite dernière d’une famille évoque son père, homme de gauche doux et têtu. Premier roman.
(Voilà, oui, bon, on n’en a pas grand-chose à carrer, il faut bien l’admettre.)
MON PAPA A MOI (III)… ET MA MAMAN AUSSI : Mon père, ma mère et Sheila, d’Eric Romand
Parce qu’il n’a pas eu une enfance facile, entre un père colérique et une mère désolée, parce qu’il avait en plus « des goûts bizarres » et des « attitudes gênantes » (sic), parce qu’heureusement il y avait ses chouettes grands-parents et Sheila, Eric Romand nous gratifie de ce premier roman. On n’en demandait pas tant.
ANTE MORTEM : Mon autopsie, de Jean-Louis Fournier
Après avoir passé au scalpel de son humour ravageur une bonne partie de sa famille, Fournier retourne son arme contre lui-même. Il écrit toujours la même chose, mais allez, on l’aime bien, Fournier. On ne le lira sûrement pas mais on l’aime bien.
VICTOR, PENDANT QU’IL EST TROP TARD : Mes pas vont ailleurs, de Jean-Luc Coatalem
L’auteur confronte sa vie et son œuvre à celles de Victor Segalen, grand écrivain voyageur du début du XXème siècle.
Je… non, rien.
400 coups de ciseaux, de Thierry Jonquet
Signé Bookfalo Kill
Un proverbe dit que ce sont les meilleurs qui partent les premiers, et c’est parfois vrai, hélas. Immense auteur français de romans noirs, inspirés par les faits divers et par l’état de la société en général, Thierry Jonquet a été emporté par un A.V.C. à l’âge de 55 ans. C’était, déjà, en 2009.
Après avoir publié en l’état Vampires, son dernier roman inachevé, les éditions du Seuil rassemblent dans 400 coups de ciseaux vingt nouvelles écrites par Jonquet au fil des années, pour des revues ou des recueils. L’occasion de découvrir des textes rares ou introuvables, inégaux en qualité, mais qui tous présentent un intérêt, soit par leur atmosphère, soit par leur humour, soit par leur chute.
Surtout, ces nouvelles montrent l’habileté de plume de Jonquet, capable de passer sans faiblir d’un registre populaire à un ton délicieusement ironique ou un style plus soutenu ; capable également de changer de genre, se hasardant ici dans l’anticipation post-apocalyptique (Sommeil), là à la blague de potache pure et simple (L’Imprudent), là encore à une parodie vacharde d’un fait divers d’actualité – Bernard Laporte se ridiculisant à lire la lettre de Guy Moquet à ses joueurs de l’équipe de France pour complaire à un certain Nicolas S. (Dans d’autres pays, qui sait), ou bien terrassant de piques acerbes l’art contemporain (Art conceptuel), le délaissement des personnes âgées (Nadine, bref et émouvant écho du roman Mon vieux), ou la télé-spectacle (Un débat citoyen). Entre autres…
Surtout, 400 coups de ciseaux (titre par ailleurs de la seule longue nouvelle inédite du recueil) s’ouvre sur un texte autobiographique où Jonquet raconte sans fards son parcours, ses apprentissages, sa venue au roman noir pour exprimer sa colère, là où la politique et l’engagement l’avaient déçu.
« Voilà comment ça s’est passé », c’est le titre, en dit plus que bien des thèses sur la forte personnalité d’un romancier du réel dont le regard acéré, la lucidité et le talent nous manquent énormément aujourd’hui.
400 coups de ciseaux, de Thierry Jonquet
Éditions du Seuil, 2013
(textes parus entre 1989 et 2009)
ISBN 978-2-02-110575-9
228 p., 18€
Vampires, de Thierry Jonquet
Signé Bookfalo Kill
En trouvant le corps d’un homme savamment empalé dans un hangar de la région parisienne, Razvan comprend qu’il a affaire à bien davantage qu’un crime atroce perpétré par un dément. Ses origines roumaines lui font aussitôt penser au supplice favori de Vlad Tepes, terrifiant comte transylvanien des âges obscurs plus connu de nos jours sous le nom de Dracula…
Conséquence inattendue, la nouvelle frappe de plein fouet la famille Radescu. Reclus dans leur demeure cachée au fond d’une suite de courettes, en plein coeur de Belleville, le patriarche Petre et les siens tentent d’accommoder leur condition de vampires – oui oui, des vampires, des vrais, comme dans Twilight mais en beaucoup mieux – aux impératifs de la société française contemporaine. Pas facile tous les jours… Alors, l’annonce de cette découverte macabre risque bien de ne pas arranger les choses !
A sa sortie, début 2011, certains se sont interrogés sur l’opportunité de publier ce livre, voire sur l’opportunisme possible de l’éditeur qui aurait cherché à « faire de l’argent » sur le dos de son célèbre auteur, en misant sur l’émotion ressentie par nombre de lecteurs à l’annonce de la mort de Thierry Jonquet, survenue brutalement en août 2009 des suites d’un accident vasculaire cérébral.
Le débat était inévitable, mais pour moi, il n’y a aucune ambiguïté. Pour l’amoureux de l’oeuvre de Jonquet que je suis, Vampires est autant un documentqu’un cadeau. Frustrant, certes, car il est impossible d’ignorer qu’il manque sans doute au moins un tiers, voire plus, à ce roman. Tout aussi impossible de ne pas relever quelques maladresses inhabituelles et d’en déduire que le texte n’a guère été relu ni corrigé par son auteur, et qu’il est livré presque brut – déjà remarquable, mais clairement inachevé, se concluant par deux dernières phrases prenant une saveur cruellement ironique après coup : « Un long travail commençait. Aussi routinier qu’incertain »…
En l’état, Vampires porte indéniablement la marque de Thierry Jonquet. Il révèle qu’une fois de plus, le romancier souhaitait nous proposer quelque chose de nouveau, de différent, d’audacieux, tout en traitant de certaines de ses obsessions : le rapport au corps, à la souffrance, à la vieillesse… Le tout situé à Belleville, son quartier.
Son ultime opus est habité de personnages incroyables (de la tribu Radescu au substitut Valjean, en passant par le légiste Pluvenage, déjà présent dans les Orpailleurs et Moloch), traversé de beaux moments autant que de scènes d’une violence qui serait insoutenable si elle n’était éclairée d’un humour aussi noir que salvateur.
Allez, pour le plaisir, un petit extrait, situé au début, alors que Razvan vient de découvrir le cadavre supplicié de l’empalé :
« Et soudain, d’une rotation puissante du bassin, il opéra un demi-tour et s’enfuit à toute allure. Sa hachette à la main, qu’il agitait en moulinets frénétiques au-dessus de sa tête, il dévala la pente menant au hangar. (…)
Ce n’était vraiment pas son jour de chance : alors qu’il parvenait, hors d’haleine, à proximité du bidonville, s’époumonant comme un damné, il aperçut les lueurs des phares des camionnettes d’une escouade de CRS qui avaient encerclé le campement et procédaient manu militari à l’évacuation de ses occupants. Sa survenue inopinée, une machette à la main, provoqua un certain émoi. Pour la faire courte, disons que les CRS se laissèrent aller à un mouvement d’humeur bien compréhensible. »
Ma seule véritable réserve au moment de la sortie en grand format du livre était son prix : 18€. Là, ça faisait cher le « cadeau »… Sa parution en poche aujourd’hui est une belle occasion de retrouver pour la dernière fois l’univers riche, inventif, puissant de l’un des plus grands auteurs français de polars de ces trente dernières années. N’hésitez pas.
Vampires, de Thierry Jonquet
Editions Points Seuil, collection Roman Noir, 2012
(Parution originale : éditions du Seuil, 2011)
ISBN 978-2-7578-2650-8
210 p., 6,50€