Sucre noir, de Miguel Bonnefoy

Un navire de pirates s’échoue sur la cime des arbres, dans les Caraïbes. A son bord, des hommes hagards, un trésor prodigieux et, veillant jalousement sur lui, le capitaine Henry Morgan, grand flibustier devant l’Éternel, à l’agonie mais prêt à défendre son bien jusqu’à la mort.
Trois siècles plus tard, la légende du trésor de Henry Morgan attire sur ces terres pauvres le jeune et ambitieux Severo Bracamonte, prêt à tout pour exhumer cette fortune extraordinaire de sa cachette secrète. A défaut d’or et de bijoux, il trouve l’amour en la personne de Serena Otero, héritière d’une plantation de cannes à sucre fondée par son père Ezequiel…
Voilà un roman bien difficile à résumer – comprenez donc que ma maigre tentative ci-dessus ne rend pas justice à l’originalité de Sucre noir. Le deuxième livre de Miguel Bonnefoy, après un Voyage d’Octavio déjà très remarqué, confirme en effet la singularité d’un jeune auteur né à Paris mais d’origine vénézuélienne. Ces racines sud-américaines expliquent sans doute son ton et son univers très personnels, qui tirent vers le conte, la fable, dans des décors exotiques aux saveurs, senteurs et couleurs puissantes.
Déroulant son intrigue sur plusieurs décennies, Bonnefoy plante des personnages à la fois en quête et en manque – de passion, d’ambition, de reconnaissance, de réussite… Les figures de femmes y dominent, autoritaires, déterminées, mais aussi rêveuses, vibrantes d’aspiration si difficiles à concrétiser. Au cœur du récit, ces trésors qui nous obsèdent et peuvent prendre des formes si différentes qu’on ne les reconnaît pas toujours. Il y a l’or, bien sûr, mais aussi l’enfance, l’amour, l’accomplissement de soi.
Avec son idée de bateau pirate planté au sommet des arbres, Sucre noir s’ouvre sur des images inoubliables qui seront suivies de beaucoup d’autres, tant le jeune romancier excelle à partager sensations, paysages, odeurs… mais aussi toute la complexité des sentiments humains. Les belles idées s’enchaînent, portées par un style soigné, très imagé sans abus d’adjectifs superflus.
Voilà donc un deuxième roman dont les belles dispositions et le ton rare en littérature française promettent le meilleur à son auteur. On sera au rendez-vous du prochain Miguel Bonnefoy, sans hésiter.
Sucre noir, de Miguel Bonnefoy
Éditions Rivages, 2017
ISBN 978-2-7436-4057-6
207 p., 19,50€
On en cause ici (plus en détail et de fort juste manière) sur La Cause Littéraire, Charybde 27, ou encore dans un très bel article sur Bricabook.
Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernàndez Luna
Signé Bookfalo Kill
Autant que le roman d’une histoire, Monarques est l’histoire d’un roman. Celle d’un auteur français, Sébastien Rutés, imaginant un jour de 2008 (ou plutôt un soir bien arrosé) un livre à quatre mains avec son ami mexicain Juan Hernàndez Luna. Comme leurs futurs héros Augusto et Jules, ils entament de chaque côté de l’Atlantique l’écriture d’un roman épistolaire, dont ils achèvent la première partie et commencent la deuxième avant qu’en 2010, la maladie emporte Juan trop tôt, à 48 ans. Le choc et le chagrin absorbés, Sébastien se remet à l’ouvrage et termine seul ce livre au destin singulier, à la fois vivace et triste, ce livre survivant, à l’image des aventures qu’il raconte.
Car Monarques est un roman d’aventures, un vrai, un grand, un beau ! Tout commence pourtant d’une manière presque paisible. Augusto Solis, affichiste mexicain, écrit lettre sur lettre à Loreleï, son grand amour rencontré dans son pays et trop tôt reparti pour d’obscures raisons. La seule adresse dont il dispose est à Paris, mais Loreleï n’y habite plus. C’est un jeune homme, Jules Daumier, coursier pour l’Humanité, qui y vit désormais avec sa mère. Par politesse, Jules répond néanmoins à Augusto pour l’avertir de sa méprise – et se noue alors entre eux, involontairement, une amitié épistolaire nourrie par la recherche de Loreleï.
Quelques décennies plus tard, dénichant les lettres de son grand-père Jules, Daniel retrouve et contacte Nieves, petite-fille d’Augusto. Ils renouent le fil d’une correspondance et d’une amitié interrompues par la Seconde Guerre mondiale…
Quelle(s) histoire(s) !!! Nombre d’écrivains auraient tiré 250 pages d’une seule des péripéties qui peuplent Monarques. En bons héritiers de Jules Verne, Garcia Marquez et consorts, Luna et Rutés aiment les intrigues foisonnantes, les personnages hauts en couleur, les rebondissements insensés, les grands méchants et les belles histoires d’amour. Mêlant la France du Front Populaire et l’histoire mexicaine, le Paris bégueule et populaire des années 30 et Hollywood, réservant un drôle de sort au film Blanche-Neige (!!!), mettant en scène Walt Disney, Aragon, Léni Riefenstahl et même Hitler, entre autres personnages réels glissés entre les superbes figures imaginaires créées par les deux auteurs, le roman ne recule devant rien pour lancer ses lecteurs sur la route de l’aventure et de l’évasion, des frissons et des passions.
Les conditions particulières d’écriture du livre font beaucoup pour sa singularité. La première partie est un roman épistolaire, calqué sur les échanges entre Augusto et Jules. La disparition de Juan Hernàndez Luna contraint ensuite Sébastien Rutés à changer le dispositif prévu, optant dans la deuxième partie pour un récit classique qui prend tout à fait des accents verniens, avec quête d’un trésor caché, poursuites en bateau, séquestrations de héros, îles mystérieuses, retrouvailles et pertes éperdues… avant de revenir dans la troisième partie à un échange de missives, cette fois électroniques, modernité oblige, puisque les héritiers de Jules et Augusto sont nos contemporains.
Étonnamment, les deux premiers segments s’enchaînent à merveille. La technique épistolaire est exploitée au maximum ; le retour ensuite à la forme classique du récit permet d’expliquer nombre de mystères et, en changeant de rythme, de relancer la curiosité et l’intérêt du lecteur. Après une telle débauche de péripéties et d’émotions, la troisième partie patine légèrement. Un peu trop bavarde, elle ralentit le récit, avant de se redresser grâce à une fin émouvante, heureusement à la hauteur du reste, ce qui permet de conclure l’ensemble du roman sur une très bonne note.
Brillant par sa construction, Monarques rejoint les plus belles pages littéraires alliant évasion et invention, jouant de l’Histoire pour dérouler une superbe histoire. Ce roman fait souffler sur la rentrée un vent de liberté plus que bienvenu, ne le ratez pas !
Monarques, de Sébastien Rutés & Juan Hernandez Luna
Éditions Albin Michel, 2015
ISBN 978-2-226-31810-7
375 p., 21,50€
Le médaillon de Budapest d’Ayelet Waldmann
Avez-vous déjà acheté un bouquin juste parce que vous trouviez la couverture jolie? Et que la quatrième de couv’ vous semblait intéressante?
Cela m’est arrivé avec Le médaillon de Budapest, d’Ayelet Waldman. Et des fois, il vaut mieux écouter son instinct et reposer le beau livre pour ne garder que celui qui ne paye pas de mine graphiquement, mais qui a un petit mot du libraire scotché sur la couverture. Ça m’apprendra à faire des infidélités!
N’ayant rien d’autre sous la dent, je l’ai lu entièrement. Et c’était pénible, dans tous les sens du terme.
Jack est un vieux papy qui se meurt, quelque part dans un Etat du nord-est des États-Unis. Depuis longtemps, il cache un médaillon qu’il a volé, sans jamais oser le rendre.
Natalie est sa petite-fille, la petite trentaine et fraîchement divorcée. Elle cherche une raison de ne pas sombrer dans la dépression suite à ce mariage raté, quelques mois à peine après l’avoir célébré.
Jack demande donc à Natalie de restituer à sa propriétaire le médaillon, qui provient du train de l’or hongrois, un train conduit par les Nazis à destination de l’Allemagne, empli des richesses de tous les Juifs hongrois déportés et assassinés. De l’or, des bijoux, des diamants, des tableaux de maîtres, des Torah vieilles de centaines d’années, des joyaux inestimables. Et parmi cela, le fameux médaillon de Budapest, un paon tout d’émail et d’or.
Natalie va partir sur les traces de ce trésor, découvrir un épisode tragique et émouvant de la Seconde Guerre Mondiale et… non, je ne vous raconterai pas la fin.
L’idée de départ n’est pas mauvaise. C’est simplement le style et le découpage pour le moins surprenant du bouquin qui déroutent. C’est plat, sans saveur, truffé de rebondissements de dernière minute. Le livre se découpe en trois parties (si mes souvenirs sont bons). États-Unis, Hongrie et Israël, de nos jours – Un camp américain en Autriche en 1945 – Prague dans les années 1910. On change de protagoniste à chaque fois, on n’approfondit pas la psychologie des personnages, les femmes dans ce bouquin sont des hystériques sans nuance (mention spéciale à Nina…) et les hommes, des amoureux éconduits.
C’est long, c’est ennuyeux, c’est terriblement décevant. Ne jamais se fier à la beauté de l’emballage… L’habit ne fait pas le moine!
Un article de Clarice Darling
Le Médaillon de Budapest, d’Ayelet Waldman
(traduit de l’américain par Daphné Bernard)
Éditions Robert Laffont, 2015
ISBN 978-2-221-13827-4
455 p., 22€