A première vue : la rentrée Sabine Wespieser 2017

Comme l’année dernière, Sabine Wespieser aligne trois auteurs sur la ligne de départ, deux Françaises (oui, que des dames) et un Indonésien. Trois écrivains déjà publiés par cette formidable petite maison, qui confirme sa solidité, sa régularité et son sens de la prise de risque littéraire. Même si cela peut malheureusement déboucher sur un échec…
DÉBOUSSOLÉ : Point cardinal, de Léonor de Récondo (lu)
La jeune romancière poursuit son travail d’exploration en matière d’identité sexuelle et personnelle. Après Amours, où elle narrait la passion au début du XXème siècle entre une femme de la bourgeoisie provinciale et sa servante, voici qu’elle aborde la question de la transsexualité. Après avoir mené des années de vie tranquille avec son épouse et leurs deux enfants, Laurent se travestit et découvre qu’il se sent mieux dans ces atours féminins. Commence alors le long chemin de la révélation et de l’acceptation…
Léonor de Récondo est sûrement sincère et pleine de bonnes intentions, mais son traitement de ce sujet paraît au final trop enthousiaste et angélique pour être crédible. Une relative déception.
PILIERS DE LA TERRE : Climats de France, de Marie Richeux
Climat de France, c’est le nom d’un bâtiment construit par Fernand Pouillon à Alger. En le découvrant en 2009, Marie est saisie d’un bouleversement qui la renvoie à son enfance, incarnée par l’immeuble où elle grandi à Meudon-la-Forêt, conçu par le même architecte. Entre ces deux lieux, entre ces différentes époques, elle se met alors à tisser des liens au fil de différentes histoires qui se répondent. C’est l’un des nombreux romans où il sera question d’Algérie en cette rentrée, par un effet de concomitance qui, pour une fois, ne répond à aucune célébration particulière.
WALKING DEAD : Les Belles de Halimunda, d’Eka Kurniawan
(traduit de l’indonésien par Étienne Naveau)
Une femme sort de sa tombe 21 ans après sa mort, et traverse la ville d’Halimunda, où elle exerça le plus vieux métier du monde, pour retrouver la dernière de ses quatre filles. Après avoir mis au monde les trois premières, dont la beauté sidérante leur avait valu de nombreuses souffrances, Dewi Ayu avait émis le vœu que sa dernière-née fût laide. Elle avait été exaucée, mais cela n’empêche pas la jeune femme d’être courtisée par un homme mystérieux – et c’est cet événement qui convainc Dewi de revenir d’entre les morts.
En remontant le temps, c’est l’occasion de parcourir un siècle d’histoire indonésienne, de la domination néerlandaise à l’indépendance en passant par la terrible dictature de Soeharto. Deuxième roman de Kurniawan à paraître en France, après L’Homme-Tigre, mais son premier dans l’ordre d’écriture.
À première vue : la rentrée Zulma 2017
Ah, les éditions Zulma ! C’est toujours un plaisir d’aborder leurs publications audacieuses, contrastées, différentes, annoncées par leurs couvertures colorées si reconnaissables. Et c’est d’autant plus une joie lorsque Laure Leroy et son équipe lancent dans une rentrée un nouveau livre de Jean-Marie Blas de Roblès, auteur de l’inoubliable Île du Point Némo dont l’inventivité folle offrit une lecture puissamment jubilatoire, il y a trois ans. Il se présente cette année en compagnie d’un primo-romancier haïtien et d’un auteur jamaïcain dont le titre va immanquablement vous coller une chanson dans la tête.
ROBINSON DANS L’EAU : Dans l’épaisseur de la chair, de Jean-Marie Blas de Roblès (lu)
« Toi, tu n’es pas un vrai pied-noir. » En balançant cette phrase à l’occasion d’un coup de colère, Manuel Cortès ne mesure pas le choc qu’il procure à son fils. Quelques jours plus tard, lors d’une partie de pêche solitaire, ce dernier tombe à l’eau. Accroché à son bateau sans moyen de remonter à bord, attendant une aide hypothétique (nous sommes le 25 décembre), le naufragé remonte alors le fil de l’histoire de son père, de l’arrivée de ses propres parents espagnols en Algérie au diplôme de chirurgien de Manuel et à son engagement dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la guerre d’indépendance et la fuite de la famille vers la France…
Le ton, le propos, le réalisme, l’épaisseur, tout diffère de l’Île du Point Némo dans ce nouveau livre. Mais la maestria de raconteur d’histoire de Blas de Roblès est intacte, et ce récit où l’humour côtoie l’horreur progresse vers une apogée d’émotion qui laisse une marque forte chez le lecteur. Une magnifique déclaration d’amour d’un fils pour son père, et un livre bouleversant, coup de cœur Cannibale de la rentrée.
TOUT BOUGE AUTOUR DE MOI : Belle merveille, de James Noël
Après le terrible tremblement de terre de janvier 2010 qui ravage Haïti, Bernard, survivant hébété parmi tant d’autres, tombe fou amoureux de la bien nommée Amore, bénévole dans une ONG. Pour l’aider à se reconstruire et échapper au désastre, elle lui propose un voyage à Rome… Les auteurs haïtiens continuent à panser les blessures de leur île grâce à la littérature, rien de plus naturel donc que de voir le poète James Noël affronter les souvenirs du séisme dans son premier roman, où le fourmillement unique de la langue insulaire sublime le tragique.
THE HARDER THEY COME : By the rivers of Babylon, de Kei Miller
(traduit de l’anglais (Jamaïque) par Nathalie Carré)
Augustown, 1982. Kaia rentre de l’école sans ses dreadlocks, coupés par son instituteur. Un crime terrible qui, pour Ma Taffy, la grand-mère de Kaia, est un signe parmi d’autres qu’une grande catastrophe est sur le point d’advenir. Elle se met alors à raconter à l’enfant l’avènement d’Alexander Bedward, le Prêcheur Volant…
L’Île du Point Némo, de Jean-Marie Blas de Roblès
Signé Bookfalo Kill
Quand on s’appelle John Shylock Holmes, pas étonnant d’être irrésistiblement attiré par les mystères les plus étonnants – même si on n’a aucun lien avec le célèbre détective ! Aussi, lorsque Lady MacRae mandate l’intéressé pour retrouver l’Anankè, un diamant de très grande valeur qu’on a soutiré à son coffre-fort, et que dans le même temps, on retrouve non loin de là trois pieds chaussés de baskets de marque Anankè aux pointures différentes, il n’hésite pas une seconde à se lancer dans l’aventure, en compagnie de Grimod, son majordome noir, de son ami Martial Canterel, aussi riche qu’excentrique et opiomane au dernier degré (et par ailleurs ancien amant de Lady MacRae), et de Miss Sharrington, secrétaire de ce dernier…
…et ce résumé, sincèrement, c’est la version courte et simplifiée ! Car le nouveau roman de Jean-Marie Blas de Roblès est infiniment plus riche, plus fou, plus foisonnant, plus complexe, plus exaltant, plus drôle – bref, plus tout que ce que les quelques lignes ci-dessous laissent imaginer.
Imaginer, tiens, d’ailleurs, c’est le maître-mot de ce livre-trublion qui clame son amour de la littérature, et notamment de la littérature d’aventure, Jules Verne en tête (mais aussi Dumas, Conan Doyle ou Lovecraft). Savant sans ostentation, privilégiant toujours l’histoire qu’il raconte plutôt que d’avoir la vanité d’étaler ses connaissances (pourtant immenses), Blas de Roblès s’autorise toutes les excentricités et ne refuse rien à son inventivité. Pour le dire autrement, ça part dans tous les sens et c’est jubilatoire.
De longs et périlleux voyages par tous les moyens de transports possibles, trains (dont le Transsibérien), bateaux, voitures, et même un dirigeable, des personnages tous plus dingues et mystérieux les uns que les autres, des rebondissements à foison, un rythme ébouriffant, des énigmes improbables, des meurtres, des trahisons… Il y a tout cela et bien d’autres choses dans L’Île du Point Némo, animé par une érudition époustouflante et un style virevoltant, riche, plein de verve, qui prouve que, oui, OUI, il y a encore de vrais grands écrivains en France.
Je le dis d’autant plus volontiers que Jean-Marie Blas de Roblès va encore plus loin avec ce livre, dont le récit d’aventure n’est qu’une composante. Un récit dans le récit, pour être précis, avec une bonne dose de mise en abyme, car entre deux péripéties de Holmes et compagnie, l’auteur imbrique d’autres histoires qui lui répondent étonnamment, en mêlant tellement de choses étonnantes et passionnantes qu’il serait dommage de chercher à les résumer ici. Sachez seulement, par exemple, qu’il sera question d’une usine de fabrication de liseuses électroniques, ou de la tradition de lecture à haute voix dans les ateliers de fabrication de cigares à Cuba…
Le ton y varie également, passant de passages joyeusement égrillards (hello Rabelais !) à d’autres relevant du naturalisme pur et dur (coucou Zola !), dans un mélange audacieux des genres et des styles qui fonctionne à plein régime.
En relisant ce que je viens d’écrire, je constate, un peu dépité, que je suis loin de rendre justice à ce chef d’œuvre (oui, j’ose le terme !)… Que dire d’autre, ou de mieux ? C’est simple, en fait : lâchez tout ce que vous faites, foncez chez votre libraire, achetez L’Île du Point Némo et plongez-vous dedans séance tenante. Superbement écrit, génialement pensé et construit, merveilleusement excitant, d’une liberté totale, c’est de loin mon plus gros coup de cette rentrée littéraire 2014 !
L’Île du Point Némo, de Jean-Marie Blas de Roblès
Éditions Zulma, 2014
ISBN 978-2-84304-697-1
464 p., 22,50€
A première vue : la rentrée Zulma 2014
Impossible de louper une publication des éditions Zulma sur une table de librairie ! Avec ses magnifiques couvertures graphiques, oeuvres de David Pearson depuis 2006, cette petite maison au rythme de parution maîtrisé a révélé des auteurs de tous les pays (l’Iranienne Zoya Pirad, l’Islandaise Audur Ava Olafsdottir, l’Indien R.K. Narayan…) comme de France, parmi lesquels Marcus Malte (et son sublime Garden of Love), Hubert Haddad, Chantal Creusot ou Jean-Marie Blas de Roblès.
Et justement – attention, transition de haut vol -, le voyez-vous venir, notre méga gros coup de cœur de la rentrée littéraire 2014 ?
JULES H.P. VERNOCRAFT DE RABELDOYLE : L’Île du Point Némo, de Jean-Marie Blas de Roblès (lu)
L’auteur de Là où les tigres sont chez eux, prix Médicis mérité et triomphe public en 2008, revient avec un roman d’aventures époustouflant, génialement écrit et construit, d’une érudition réjouissante qui rend hommage à une palanquée de grands écrivains populaires (Verne, Lovecraft, Conan Doyle…) – bref, tout simplement jubilatoire du début à la fin. Ne passez pas à côté de cette ode à l’imagination et à la littérature qui ne se refuse rien, c’est pour nous LE grand roman à paraître fin août !
LE MAITRE DES ILLUSIONS : Le Complexe d’Eden Bellwether, de Benjamin Wood
Gros potentiel aussi dans ce premier roman d’un auteur anglais de 33 ans, qui interroge les limites entre génie et folie. Au cœur de son livre, il y a Eden Bellwether, un brillant organiste qui accompagne son talent de conceptions étranges sur la musique. Attiré par sa virtuosité autant que par sa sœur Iris, un jeune homme, Oscar, entre dans le cercle des Bellwether et y découvre des pratiques si perturbantes qu’il fait appel à un grand spécialiste des troubles de la personnalité…
GARDEN OF REVENGE : Fannie et Freddie, de Marcus Malte
L’auteur de l’inoubliable Garden of Love de retour chez Zulma (après un passage moyen par la Série Noire), quelle excellente nouvelle ! Il nous emmène cette fois de l’autre côté de l’Atlantique, dans l’Amérique plongée dans la crise des subprimes qui a ruiné des milliers de ménages modestes. Fille de l’un de ces couples, Fannie rallie un jour Manhattan, se glisse dans Wall Street et prépare sa vengeance… A paraître le 2 octobre, et très attendu également !