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À première vue : la rentrée Emmanuelle Collas 2021


Intérêt global :


Encore une nouvelle invitée dans le panorama cannibale de la rentrée ! Née en 2018 et progressant au rythme de six à huit parutions par an, la maison d’édition d’Emmanuelle Collas a connu une très belle aventure lors de l’automne 2020 grâce Djaïli Amadou Amal et ses Impatientes, lauréate du prix Goncourt des Lycéens après avoir beaucoup fait parler d’elle aussi bien dans la presse que chez les libraires.
Ses deux titres de la rentrée 2021 invitent à nouveau des auteurs du continent africain à faire entendre leurs voix, d’un tout jeune écrivain sénégalais à un expérimenté romancier franco-algérien.


L’Odyssée des oubliés, de Khalil Diallo

Après un premier roman et un recueil de poésie perdus dans la jungle des publications de l’Harmattan, le même pas trentenaire Khalil Diallo s’offre une chance d’être mieux remarqué en passant sous la houlette d’Emmanuelle Collas.
Il raconte ici l’épopée d’un petit groupe de migrants, entre Afrique de l’Ouest et Méditerranée, en quête d’une vie meilleure.
Un combat pour la dignité qui dresse un portrait sans concession de l’Afrique.

L’Amour au temps des scélérats, d’Anouar Benmalek

Publié en France chez Fayard et Pauvert entre autres, déjà à la tête d’une bibliographie respectable d’une vingtaine d’ouvrages, Anouar Benmalek ajoute donc son nom et un très beau titre au catalogue d’Emmanuelle Collas, en proposant un roman d’amour et d’aventure ancré dans notre époque et ses tourments.
À la frontière entre Turquie et Syrie se présente Tammouz, un étrange candidat au djihad. Parti à la recherche de la femme qu’il a aimée, il rencontre Zayélé, adepte d’une vieille religion, Adams, engagé avec le Kurde Ferhat dans les forces démocratiques qui se battent contre Daech, ou encore Houda, apprentie artiste, et son amant Yassir, tous deux en fuite.
Des personnages authentiques, attachants et surprenants qui, dans une Syrie devenue folle, devront choisir entre conscience et survie.

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Des rêves à tenir, de Nicolas Deleau

Éditions Grasset, 2020

ISBN 9782246825913

198 p.

18 €


RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020


Un dimanche d’hiver, dans un petit port de pêche, Job réapparaît après trente ans d’errance. Au bar local, sa présence silencieuse et son éternel verre de whisky chaud intriguent une bande de joyeux rêveurs. Autoproclamés les Partisans de la langouste, ils cherchent comment sauver ces dernières – et, par elles, l’humanité devenue folle.
À l’affût des échos du monde, l’un de ces utopistes bricole de vieilles radios sur lesquelles il capte des fréquences lointaines. Prêtant l’oreille aux échanges nocturnes de marins solitaires, il apprend l’existence d’une nouvelle Arche de Noé, une ZAD maritime géante. Le moment est peut-être venu d’incarner ses rêves…


Il y a des livres, comme ça, dont la quatrième de couverture vous laisse imaginer quelque chose, vous donne une envie particulière.
Et là, petit miracle : en débutant la lecture, voici que vous assouvissez pleinement votre désir de lecteur. Le livre que vous imaginiez, vous le tenez, là, entre vos mains. Pas comme si vous l’aviez écrit, il ne faut pas exagérer, mais parfaitement adapté à votre état d’esprit du moment. Et, loin d’être déçu, vous vous en trouvez pleinement satisfait.
Le deuxième roman de Nicolas Deleau est, pour moi, de ceux-là.

Le résumé de Des rêves à tenir m’avait fait espérer des personnages hauts en couleur, un peu loufoques, légèrement décalés, et diablement attachants. Ils sont là.
Tous, premiers comme seconds rôles, manieurs de verbe, porteurs de verve, doux rêveurs un peu dingues sur les bords, avides de vivre autrement, en marge mais totalement investis d’une belle vision du monde. Pas isolés ; à part, oui, mais soucieux de rendre le quotidien meilleur, à leur échelle comme à celle de la planète. Pour les autres plutôt que pour eux-mêmes.
Ils sont drôles, touchants, iconoclastes. Joyeux buveurs de comptoir, la tête dans les nuages mais les pieds bien plantés dans la terre. S’acoquiner avec eux, c’est la certitude de passer un très bon moment.

Le résumé de Des rêves à tenir m’avait fait espérer une belle utopie littéraire, porte ouverte sur la possibilité d’un monde meilleur, où l’amitié et la solidarité règneraient en maîtres. L’utopie est là.
C’est un trop doux rêve, sans doute. Naïf et sincère, comme dirait Souchon, un peu bête peut-être. Oui, et alors ?
Soyons réalistes, le quotidien nous autorise rarement à nous épanouir. L’état du monde encore moins. Pandémie, guerres, attentats, Trump, désastres en tous genres, réchauffement climatique, Bolsonaro, pangolins, afflux de migrants chassés de chez eux par tout ce que je viens d’énoncer… Ça te fait rêver, toi ?

De ce constat, trois solutions. Un : tu subis, t’encaisses et tu déprimes. Deux : tu fermes les yeux, t’éteins la radio et la télé, tu coupes le flux. Pourquoi pas.
Trois : tu rêves. Tu fabules. Tu utopises. Tu affirmes la possibilité d’une bonté humaine. Vous savez, cette risible qualité des faibles ? En cherchant bien, on en trouve encore, de ces vrais gentils. Ce sont les vrais ultimes résistants du XXIème siècle.

Voilà ce en quoi Nicolas Deleau affirme croire dans son roman, qu’il confectionne avec l’apparente simplicité de la fable contemporaine. Cet élan, cette ouverture, cette foi en la possibilité de changer les choses. Et, bordel, ça fait un bien fou.
Le temps de quelques pages, invitations à l’aventure, à la briganderie désintéressée, à la révolte citoyenne par-delà les mers, au mépris des États et de la sclérose politique qui, chaque jour, ronge nos chances de nous en sortir ; le temps de cette escapade que seule la littérature autorise, on respire. On vit plus beau, plus large, plus généreux.

Un livre ne peut pas changer le monde. J’aimerais bien pouvoir croire et affirmer le contraire, mais je ne suis pas naïf à ce point. Si c’était le cas, néanmoins, il faudrait offrir Des rêves à tenir à tous ceux qui ont les moyens et la capacité d’améliorer les choses. Dans une comédie américaine pleine de bons sentiments, ça marcherait. On en ricanerait peut-être, imbéciles que nous sommes. Histoire de ne pas avouer qu’on voudrait que la réalité ait la saveur de ces miracles impossibles.

A la manière d’un Gilles Marchand, Nicolas Deleau croit fermement au pouvoir de la fiction comme éloge des belles âmes. Des rêves à tenir est un roman qui fait du bien – l’une de ces pépites si ardemment recherchées par les libraires, sous la pression des lecteurs avides d’échapper à la morosité ambiante.
Oui, c’est un roman qui fait du bien, sans céder à la facilité ni sacrifier le style. Ils sont si rares, alors qu’on en a tant besoin. Si telle est votre envie de littérature, ne le manquez pas.

Badge Lecteur professionnelLivre lu en partenariat avec le site NetGalley


A première vue : la rentrée Albin Michel 2018

Et allez, c’est reparti pour une tournée de seize ! Comme l’année dernière, Albin Michel joue la rentrée façon arrosage à la kalach’, Gallimard style, histoire de balayer la concurrence par sa seule omniprésence sur les tables des librairies. Côté qualité, on se pose sans doute moins la question, mais c’est un autre débat – pour s’amuser tout de même, il peut être intéressant de rejeter un œil sur la rentrée Albin 2017, histoire d’analyser les titres qui ont survécu dans nos mémoires à l’année écoulée… Oui, le résultat ne sera pas forcément flatteur.
Néanmoins, on a envie de retenir quelques titres dans ce programme 2018, d’attendre avec curiosité, voire impatience, quelques auteurs (coucou Antonin Varenne) lancés dans la tornade. Et ce sont ceux-là, et ceux-là seulement, que je mettrai en avant, poussant le plus loin possible la subjectivité et l’éventuelle mauvaise foi qui président à l’exercice « à première vue » ; les autres n’auront droit qu’au résumé sommaire offert par le logiciel professionnel Electre, loué soit-il. Je vous ai déjà fait perdre assez de temps comme cela depuis début juillet !
Du coup, cela devrait aller assez vite…

Varenne - La Toile du mondeEXPO 00 : La Toile du monde, d’Antonin Varenne
Le plus attendu en ce qui me concerne – je ne me suis toujours pas remis du souffle extraordinaire et de l’audace aventurière de Trois mille chevaux vapeur. Après Équateur, où l’on recroisait Arthur Bowman, héros du précédent évoqué, nous découvrons ici Aileen Bowwan, fille d’Arthur, journaliste au New York Tribune dont la réputation scandaleuse tient à la liberté flamboyante avec laquelle elle mène sa vie. En 1900, elle débarque à Paris pour couvrir l’Exposition Universelle. Son immersion dans la Ville Lumière en pleine mutation est l’occasion d’une confrontation entre mondes anciens et nouveaux…
Rien que pour le plaisir, la première phrase : « Aileen avait été accueillie à la table des hommes d’affaires comme une putain à un repas de famille, tolérée parce qu’elle était journaliste. » Très envie de lire la suite. On en reparle, c’est sûr !

Chaon - Une douce lueur de malveillanceSPLIT : Une douce lueur de malveillance, de Dan Chaon
(traduit de l’américain par Hélène Fournier)
Charybde ou Scylla ? Pour le psychiatre Dustin Tillman, le choix semble impossible. D’un côté, il apprend que, grâce à des expertises ADN récentes, son frère adoptif vient d’être innocenté du meurtre d’une partie de sa famille, trente ans plus tôt – condamnation dans laquelle Dustin avait pesé en témoignant contre Rusty. De l’autre, il se laisse embarquer dans une enquête ténébreuse, initiée par l’un de ses patients, policier en congé maladie, sur la disparition mystérieuse de plusieurs étudiants des environs tous retrouvés noyés. Ou comment, d’une manière ou d’une autre, se donner tous les moyens de se pourrir la vie… Avec un titre et un résumé pareils, Dan Chaon devrait nous entraîner dans des eaux plutôt sombres. A voir également.

Roux - FrackingERIN BROCKOVICH : Fracking, de François Roux
J’avais beaucoup aimé le Bonheur national brut, Tout ce dont on rêvait m’avait en revanche laissé plutôt indifférent. Où se situera François Roux cette fois ? Pour ce nouveau livre, il part aux États-Unis pour raconter le combat d’une famille contre les géants du pétrole et leurs pratiques abominables au Dakota.

Hosseini - Une prière à la merENTRE DEUX MONDES : Une prière à la mer, de Khaled Kosseini
(traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois, illustrations de Dan Williams)
Par l’auteur des superbes Cerfs-volants de Kaboul, un texte en hommage aux réfugiés syriens qui prend la forme d’une lettre adressée par un père à son fils en train de dormir, longue prière pour que leur traversée vers « l’Eldorado » européen se déroule sans encombre, et récit de la métamorphose d’un pays en zone de guerre.

Enia - La loi de la merÀ L’AUTRE BOUT DU MONDE : La Loi de la mer, de Davide Enia
(traduit de l’italien par Françoise Brun)
Davide Enia fait le lien avec le texte de Hosseini, puisqu’il campe son nouveau livre à Lampedusa, pointe de l’Europe méditerranéenne où aboutissent nombre de réfugiés maritimes. Pendant trois ans, le romancier italien a arpenté la petite île pour y rencontrer tous ceux qui en font la triste actualité : les exilés bien sûr, mais aussi les habitants et les secouristes.

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Hollinghurst - L'Affaire SparsholtLE CŒUR ET LA RAISON : L’Affaire Sparsholt, d’Alan Hollinghurst
(traduit de l’anglais par François Rosso)
Oxford, automne 1940. David Sparsholt, athlétique et séduisant, commence son cursus universitaire. Il semble ignorer l’effet qu’il produit sur les autres, notamment sur le solitaire et romantique Evert Dax, fils d’un célèbre romancier. Aux heures les plus sombres du Blitz, l’université devient un lieu hors du temps où se nouent des liaisons secrètes et des amitiés durables.

Hoffmann - Les belles ambitieusesGENTIL COQUELICOT MESDAMES : Les belles ambitieuses, de Stéphane Hoffmann
Énarque et polytechnicien, Amblard Blamont Chauvry a tourné le dos à la carrière qui s’ouvrait à lui et a choisi de se consacrer aux plaisirs terrestres. Un tel choix de vie provoque la colère des femmes de son entourage qui manœuvrent dans l’ombre pour lui obtenir une position sociale. Insensible à leurs manigances, Amblard se laisse troubler par Coquelicot, une jeune femme mystérieuse.

Hardcastle - Dans la cageFIGHT CLUB : Dans la cage, de Kevin Hardcastle
(traduit de l’anglais (Canada) par Janique Jouin)
La domination de longue haleine de Daniel sur les rings de free fight est anéantie par une grave blessure à l’œil qui l’oblige à arrêter le sport de combat. Il se marie alors avec une infirmière avec laquelle il a une petite fille et devient soudeur. Quelques années plus tard, le couple peine à gagner sa vie. David s’engage alors comme garde du corps puis reprend les arts martiaux. Premier roman.

Toledano - Le retour du phénixIKKI : Le Retour du Phénix, de Ralph Toledano
Juive d’origine marocaine, Edith épouse Tullio Flabelli, un prince romain. Dix ans plus tard et après la naissance de ses trois enfants, Edith réalise qu’elle n’est pas heureuse dans son mariage. Elle convainc son époux de passer l’été à Jérusalem avec elle. Ils retrouvent leur entente d’antan mais sont déçus par l’atmosphère qui règne en ville où le paraître l’emporte sur l’être.

Bleys - Nous les vivantsI SEE DEAD PEOPLE : Nous, les vivants, d’Olivier Bleys
Bloqué par une tempête lors d’une mission de ravitaillement des postes de haute montagne de la cordillère des Andes, un pilote d’hélicoptère installe un campement de fortune. Rejoint par Jésus qui entretient les bornes délimitant la frontière entre l’Argentine et le Chili, il entreprend une randonnée qui se change peu à peu en expérience mystique.

Picouly - Quatre-vingt-dix secondesNUÉE ARDENTE : Quatre-vingt-dix secondes, de Daniel Picouly
En 1920, la montagne Pelée se réveille. Le volcan prend la parole et promet de raser la ville et ses environs afin de punir les hommes de leurs comportements irrespectueux.

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Et encore… :

Ce cœur qui haïssait la guerre, de Michel Heurtault
En Allemagne, au lendemain de l’armistice de 1918. Anton, jeune ingénieur, se passionne pour la conquête spatiale et obtient un poste pour travailler sur une fusée financée par l’armée. Une place qui met à mal son désir de neutralité face à la montée du nazisme. Deux femmes parmi ses proches l’amènent à s’interroger sur son engagement politique et à prendre position.

Concours pour le Paradis, de Clélia Renucci
Venise, 1577. La fresque du paradis sur les murs du palais des doges a disparu lors d’un incendie. Un concours est lancé pour la remplacer auquel participent les maîtres de la ville dont Véronèse, Tintoret et Zuccaro. Entre rivalités artistiques et déchirements religieux, les peintres mettent tout en oeuvre pour séduire la Sérénissime et lui offrir une toile digne de son histoire. Premier roman.

Le Malheur d’en bas, d’Inès Bayard
Marie et son époux Laurent sont heureux jusqu’au jour où la jeune femme est violée par son directeur. Elle se tait mais découvre peu de temps après qu’elle est enceinte. Persuadée que cet enfant est celui de son agresseur, elle s’enferme dans un silence destructeur qui la pousse à commettre l’irréparable. Premier roman.

Une vie de pierres chaudes, d’Aurélie Razimbaud
A Alger, Rose est séduite par Louis, jeune ingénieur au comportement étrange. Ils se marient et ont une fille. Pourtant, Louis semble malheureux et se réveille chaque nuit, hanté par les souvenirs de la guerre d’Algérie. Au début des années 1970, la famille s’installe à Marseille mais Louis est toujours perturbé. Rose découvre qu’il mène une double vie depuis des années. Premier roman.

Les prénoms épicènes, d’Amélie Nothomb
Le récit d’une relation fille-père. Des prénoms portés au masculin comme au féminin.
(Bref.
Rien qu’à cause de son titre, ce Nothomb-là, je pense que je vais faire l’impasse. Certains de ses précédents romans m’ont trop agréablement surpris pour risquer une rechute.)


On lira sûrement :
La Toile du monde, d’Antonin Varenne
Une douce lueur de malveillance, de Dan Chaon

On lira peut-être :
Fracking, de François Roux
Une prière à la mer, de Khaled Kosseini
La Loi de la mer, de Davide Enia



A première vue : la rentrée POL 2018

Ce sera forcément une rentrée très particulière pour les éditions POL, puisque ce sera la première sans leur fondateur, Paul Otchakovsky-Laurens, décédé dans un accident de voiture en début d’année. Pour autant, pas de bouleversement, puisque le programme s’appuie sur quelques noms solides de la maison depuis des années, et sur un cocktail connu de solidité et d’inventivité littéraires.

Schefer - Série NoireTU PERDS TON SANG-FROID : Série noire, de Bertrand Schefer
C’est l’histoire d’un fait divers inspiré par un roman. Fait divers qui devient ensuite un autre roman. (Vous suivez ?) Dans les années 60, un escroc foncièrement antisocial découvre un polar de la Série Noire qui va lui inspirer un kidnapping promis à une certaine célébrité médiatique à l’époque. Dans son sillage et dans celui d’un jeune ouvrier récemment revenu de la guerre d’Algérie, ainsi que d’une beauté danoise errant dans Paris avec Anna Karina, on croise nombre de figures de l’époque, de Sagan à Simenon en passant par Truffaut et Kenneth Anger. Quand le roman réfléchit sur lui-même et devient bouillonnement intellectuel.

Valabrègue - Une campagneLES MARCHES DU POUVOIR : Une campagne, de Frédéric Valabrègue
Dans un village du sud de la France, le ton monte au sein du conseil municipal entre le maire sortant et la directrice de l’école primaire. La campagne électorale qui s’ensuit s’enlise dans les rumeurs, les coups bas et les intimidations… Probablement aussi sanglant que tristement réaliste, ce roman devrait nous renvoyer notre belle époque à la figure. Ca promet !

Pagano - Serez-vous des nôtresTHAT NIGHT WE WENT DOWN TO THE RIVER : Serez-vous des nôtres ?, d’Emmanuelle Pagano
Deux amis depuis l’enfance se revoient après une longue période sans se croiser. L’un, un peintre raté, a hérité du domaine familial dans une région où se trouvent de nombreux étangs, qui régissent les relations entre les gens depuis toujours. L’autre a quitté la région depuis longtemps pour s’engager dans la Marine et travailler dans un sous-marin nucléaire. En se retrouvant, les deux hommes évoquent leur enfance et adolescence commune, marquée par leur relation à l’eau. Troisième volume de la Trilogie des rives après Ligne & Fils et Sauf riverains, dans laquelle Pagano réfléchit de manière romanesque aux rapports entre l’homme et l’eau.

Bayamack-Tam - ArcadieÉON : Arcadie, d’Emmanuelle Bayamack-Tam
Une jeune fille découvre avec étonnement que son corps change pour se parer d’attributs masculins. Cette métamorphoses aux origines non identifiées la conduit à mener une enquête sur ce qu’est être un homme ou une femme, et découvre que personne n’en sait vraiment rien. Dans le même temps, elle tombe amoureuse d’Arcady, chef spirituel de la communauté libertaire dans laquelle elle vit avec ses parents, mais se rebelle contre lui et ses principes supposés lorsqu’il refuse d’accueillir des migrants en quête de refuge.

Léger - La robe blancheÔ MA JOLIE MAMAN : La Robe blanche, de Nathalie Léger
Au commencement il y a un fait divers : une jeune artiste, qui avait décidé de voyager en autostop de Milan à Jérusalem, vêtue d’une robe de mariée pour promouvoir la paix dans les pays en guerre, est violée et assassinée par un homme qui l’avait prise dans sa voiture vers Istanbul. Fascinée par cette histoire, Nathalie Léger la relate et raconte en parallèle, comme en miroir, le parcours de sa propre mère, abandonnée par son mari dans les années 70 et accusée de porter les torts exclusifs du divorce devant le tribunal.


On lira peut-être :
Une campagne, de Frédéric Valabrègue
Série noire, de Bertrand Schefer



A première vue : la rentrée Rivages 2018

Il y a la jeunesse côté français, et l’expérience côté étranger. Non, on ne cause pas de Coupe du Monde de football, mais de la rentrée Rivages 2018, dominée en ce qui me concerne par l’énorme attente entourant le deuxième roman du prodige Jérémy Fel, plus que remarqué avec son premier opus, Les loups à leur porte. Mais le reste pourrait – et c’est une bonne habitude chez cet éditeur – valoir le détour.

Fel - HélénaTOTO, J’AI L’IMPRESSION QUE NOUS NE SOMMES PLUS AU KANSAS : Helena, de Jérémy Fel
Kansas, un été plus chaud qu’à l’ordinaire. Une décapotable rouge fonce sur l’Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l’ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s’échappent d’une cave. Des rêves de gloire naissent, d’autres se brisent.
La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue. Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l’équilibre familial. Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu’en l’infligeant à d’autres…
Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d’où ils tenteront par tous les moyens de s’extirper. Quitte à risquer le pire.
Et il y a Helena…
Exceptionnellement, j’ai gardé la présentation quasi complète du livre par l’éditeur, parce que je trouve qu’elle donne fichtrement envie. Lecture imminente de mon côté, car Les loups à leur porte, entrée en littérature de Jérémy Fel il y a trois ans, m’a profondément marqué. On en reparlera, c’est sûr et certain.

Thi Thu - Presque une nuit d'étéLA CHAMBRE CLAIRE : Presque une nuit d’été, de Thi Thu
Une photographe parcourt la ville pour essayer de capter au vol la magie de petits moments du quotidien. Ce faisant, elle rencontre des gens, collecte des histoires, et esquisse en filigrane son propre portrait. Premier roman.

Crace - La mélodieWHEN EGO FEAR AND JUDGEMENT BECOME THE RULE OF LAW : La Mélodie, de Jim Crace
(traduit de l’anglais par Laetitia Devaux)
Comme d’autres avant lui, Alfred Busi, un célèbre chanteur, est attaqué chez lui par une créature mystérieuse. Alors que, dans toute la ville, la parole se durcit et se teinte de haine, Alfred se retrouve le seul à plaider pour la compréhension, la compassion et l’entraide collective. Un roman-métaphore sur la pauvreté et le sort des migrants, plus que jamais d’actualité hélas, par l’auteur de Moisson et Quarantaine.

Gornick - La femme à partC’EST AUJOURD’HUI DIMANCHE : La Femme à part, de Vivian Gornick
(traduit de l’américain par Laetitia Devaux)
Dans Attachement féroce, Vivian Gornick se promenait dans New York avec sa mère, dressant le tableau d’une relation mère-fille explosive, tiraillée entre amour fou et détestation profonde. A présent la mère n’est plus, et c’est seule que la narratrice arpente la ville, désormais son unique interlocutrice et témoin de son existence. Deuxième livre traduit en français d’une vénérable auteure de 83 ans, journaliste et écrivaine.


On lira sûrement :
Helena, de Jérémy Fel

On lira peut-être :
La Mélodie, de Jim Crace



Entre deux mondes, d’Olivier Norek

Juillet 2016. Au cœur de la Jungle de Calais, deux hommes que tout devrait opposer s’associent, d’une alliance fragile et désespérée. L’un est français, flic fraîchement débarqué dans le nord qui découvre la réalité extrêmement complexe de ce no man’s land invraisemblable ; l’autre est syrien, ancien policier lui aussi, excellent agent de la police militaire de Bachar el-Assad qui œuvrait dans l’ombre pour l’Armée Syrienne Libre, et qui cherche éperdument sa femme et sa fille envoyées vers la France quelques semaines avant lui.
Ensemble, ils vont tout faire pour tenter de sauver Kilani, un enfant soudanais que la mort menace à chaque instant…

Norek - Entre deux mondesEn trois romans – Code 93, Territoires et Surtensions -, Olivier Norek s’est imposé avec force dans le monde du polar. Solidement appuyé sur ses connaissances de terrain, cet ancien policier a rapidement fait ses preuves d’écrivain, en racontant ses histoires avec une efficacité narrative admirable, un art de la construction romanesque remarquable et une capacité à créer des personnages costauds et inoubliables.
En développant les enquêtes du commandant Victor Coste et de ses adjoints au cœur d’une Seine-Saint-Denis qu’il connaissait comme sa poche, Norek s’était créé une zone de confort dans laquelle il évoluait avec aisance. On pouvait se demander ce qu’il vaudrait en quittant cet espace privilégié pour d’autres décors et d’autres problématiques. Dans son propre intérêt de romancier sans doute, il n’a pas tardé à se lancer ce défi. Le résultat s’appelle Entre deux mondes, et il est immense.

Oui, Entre deux mondes est un fabuleux polar. La maestria narrative d’Olivier Norek y est intacte, qui vous embarque dès les premières pages pour ne pas vous lâcher jusqu’à la fin. J’aurais sans doute du mal à citer un autre auteur capable de se montrer aussi efficace en ne lâchant rien sur l’élégance du style – fluide, d’une simplicité choisie qui ne cède jamais à la facilité – ni sur l’ambition de développer une histoire complexe en multipliant intrigues et personnages sans jamais perdre son lecteur.
Les fils attachés à Bastien et sa famille, Adam et sa famille – les deux se répondant en miroir -, au petit Kilani mais aussi à de nombreux personnages secondaires tout aussi bien campés et passionnants, forment une pelote homogène d’où émerge une réflexion bouleversante sur la force des relations familiales, ainsi que de multiples points d’entrée sur la question épineuse des migrants dans le monde en général, et en France plus particulièrement.

Car Entre deux mondes est avant tout une plongée hallucinante dans l’enfer de la Jungle de Calais, espace de non-droit improbable dont Norek, qui est allé y enquêter avant son démantèlement, donne à voir toute la complexité en tentant de comprendre et de nous faire comprendre comment on a pu en arriver là. Il en raconte l’organisation interne, la violence ordinaire, les injustices terrifiantes comme la volonté de tenter d’y préserver un semblant d’humanité, voire de banalité quotidienne ; il évoque aussi le travail extraordinaire des associations humanitaires qui font leur possible pour aider ces milliers de gens en détresse, parqués sur un immense terrain vague qui n’avait pas pour vocation de devenir une prison à ciel ouvert pour y cantonner la misère de la planète.

Avec Entre deux mondes, Olivier Norek s’impose clairement comme un auteur incontournable, créateur de suspense virtuose qu’il met au service d’un regard plein d’acuité sur la frénésie, la violence et la cruauté de notre monde, tout en se défendant de ces dernières par une empathie dingue pour des personnages profondément attachants. Un alliage imparable qui tout à la fois cogne et enthousiasme le lecteur, pour le laisser K.O. de bonheur polardesque, et peut-être un peu plus concerné par ce qui l’entoure. Bref, si je n’ai pas été assez clair sur les précédents romans du gars, je conclurai sans ambiguïté : Norek est un auteur à ne manquer sous aucun prétexte.

Entre deux mondes, d’Olivier Norek
Éditions Michel Lafon, 2017
ISBN 978-2-7499-3226-2
413 p., 19,95€


A première vue : la rentrée Grasset 2017

Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.

Chalandon - Le Jour d'avantAU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.

Le Bris - KongSKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.

Delmaire - Minuit, MontmartreFABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.

Guez - La Disparition de Josef MengeleTODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.

Dreyfus - Le Déjeuner des barricadesSOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.

Rondeau - Mécanique du coeurBABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.

Coulin - Une fille dans la jungleÀ L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.

Ionesco - InnocenceREBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.

Vilain - La Fille à la voiture rougeCRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.

Caron - Tous les âges me diront bienheureuseMAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).

Brault - Les Peaux RougesDUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.

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Evjemo - Vous n'êtes pas venus au monde pour être seulsJE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.

Baird - Demain sans toiSHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.


A ce stade de la nuit, de Maylis de Kerangal

Signé Bookfalo Kill

« Je me dis parfois qu’écrire c’est instaurer un paysage. »

Dans la nuit du 3 octobre 2013, la narratrice entend à la radio l’annonce d’un drame : au large de l’île de Lampedusa, un bateau (trop) plein de migrants a fait naufrage, envoyant par le fond plus de 350 personnes. Passé le choc et l’émotion, vient le temps de la rêverie et de la réflexion.

« Les îles, et plus encore les îles désertes, sont pour cela des matériaux de haute volée, leur statut géologique amorçant déjà une écriture, portant un récit. »

Kerangal - A ce stade de la nuitLampedusa. Pour les amateurs de littérature comme pour les cinéphiles, le nom a un puissant pouvoir d’évocation. Burt Lancaster, Le Guépard, Visconti, le prince Salina et le tableau flamboyant d’une noble Italie qui s’effondre… De ces souvenirs, et d’autres plus personnels, Maylis de Kerangal élabore ensuite, d’une manière aussi inattendue que poétique, une réflexion subtile sur la mémoire des noms de lieux et le signifiant des paysages ; ce qu’ils veulent dire, autant dans l’inconscient collectif que pour nous, au plus intime de nous.

« J’ai pensé à la matière silencieuse qui s’échappe des noms, à ce qu’ils écrivent à l’encre invisible. »

Mêlant intime, Histoire et géographie à un délicat terreau culturel, Maylis de Kerangal étonne à nouveau par sa capacité à créer de la littérature à partir de matériaux au potentiel de beauté insoupçonné. Après la construction d’un pont dans Naissance d’un pont ou le récit d’une transplantation cardiaque dans Réparer les vivants, elle élabore ce petit texte essentiel en partant d’un fait divers glaçant.
N’allez pas croire pour autant qu’elle ignore la tragédie ; À ce stade de la nuit est évidemment d’une actualité plus brûlante que jamais. Ses réflexions forment une boucle de la pensée qui naît du drame pour mieux y revenir à la fin, stigmatisant l’état affligeant d’un monde dont chaque journée terrible banalise un peu plus la folie qui balaie nombre d’hommes et de femmes n’ayant plus rien pour exister que de devenir des victimes.

À ce stade de la nuit, de Maylis de Kerangal
Éditions Verticales, 2015
ISBN 978-2-07-010754-4
74 p., 7,50€