Lagos Lady, de Leye Adenle
Signé Bookfalo Kill
On l’avait pourtant averti : à Lagos, il vaut mieux éviter de sortir seul, surtout la nuit. Mais Guy Collins n’est pas journaliste (anglais de surcroît) pour rien ; dès le soir de son arrivée, il décide de se rendre dans un bar du centre, histoire de toucher de près l’ambiance de la ville. Et il va être servi. Au bout de quelques minutes, une foule paniquée envahit l’établissement, après que le cadavre mutilé d’une prostituée a été jeté d’un 4×4 en pleine rue. Toujours aussi curieux, flairant le scoop, Guy sort du bar pour essayer d’en savoir plus. Seul Blanc dans les parages, il ne manque pas de se faire remarquer, et est arrêté par la police, espérant trouver en lui un suspect d’autant plus idéal qu’il est étranger.
Assez mal embarqué, le journaliste reçoit pourtant l’aide providentielle d’Amaka, une jeune femme aussi déterminée qu’audacieuse. Une intervention qui ne doit évidemment rien au hasard, et qui va jeter Guy dans l’enquête la plus sombre et dangereuse de sa carrière…
Attention, révélation ! Le Nigérian Leye Adenle, qui vit aujourd’hui à Londres, signe une entrée fracassante dans le monde du polar. Lagos Lady, c’est un peu sur le fond la trilogie Millenium revue et corrigée à la sauce nigériane, et survitaminée en mode tarantinesque. Violent, sensuel, très chaud (dans tous les sens du terme), ce premier roman nous plonge dans l’atmosphère bouillonnante de la plus grande ville africaine, pointant du doigt aussi bien la corruption des élites ou de la police, l’opulence suspecte de certains de ses habitants que la misère de la plupart, notamment d’innombrables jeunes femmes contraintes à la prostitution et exposées aux pires des sévices.
D’où mon rapprochement avec Millenium, l’oeuvre de Stieg Larsson stigmatisant au fil de ses trois tomes les violences dont sont victimes les femmes. Abus sexuels, meurtres rituels et cruautés en tous genres sont également au menu de l’enquête menée bon gré mal gré par Guy Collins, un peu dépassé par les événements – d’autant que ce n’est pas précisément le journaliste le plus indiqué pour ce genre d’investigation, étant donné que c’est la première fois qu’il quitte l’Angleterre… Pour le coup, Guy est loin d’être Mikael Blomqvist, et sa maladresse fait beaucoup pour le rendre attachant. A ses côtés, l’envoûtante et mystérieuse Amaka joue volontiers les Lisbeth Salander, moins pour ses qualités informatiques que pour sa ténacité, son courage et son obstination à parvenir à ses fins.
Autour de ce duo, Leye Adenle fait évoluer toute une galerie de personnages hauts en couleurs, la plupart fous furieux, et nous fait suivre leurs trajectoires en parallèle au fil d’une intrigue tortueuse, menée à un rythme infernal. Clairement, le romancier s’amuse et s’autorise tout, guidant ses héros vers un final spectaculaire et poisseux où ça flingue à tout va.
Surtout, il nous laisse sur un cliffhanger de chien, qui nous fait attendre la suite avec une impatience brûlante… Leye Adenle étant par ailleurs l’un des plus chouettes gars qu’on puisse imaginer (pour avoir passé trois jours à ses côtés pendant les derniers Quais du Polar, je peux l’affirmer sans risque), on a vraiment hâte de le retrouver !
Lagos Lady, de Leye Adenle
(Easy Motion Tourist, traduit de l’anglais par David Fauquemberg)
Éditions Métailié, 2016
ISBN 979-10-226-0453-6
335 p., 20€
Stieg Larsson avant Millenium, de Guillaume Lebeau & Frédéric Rébéna
Plutôt pour, par Bookfalo Kill
Il a beau n’avoir vécu que cinquante ans, Stieg Larsson a eu une vie bien remplie, dont la publication post mortem de sa trilogie désormais culte, Millenium, n’est finalement qu’un point d’orgue logique. Le mérite de la bande dessinée qui vient de paraître chez Denoël, Stieg Larsson avant Millenium, est de parvenir à illustrer l’existence du journaliste devenu romancier en quelques moments choisis, répartis en trois actes : l’enfance, la formation, la lutte.
Passée une métaphore balourde sur le fascisme à base de chasse et de renard, la première partie met en lumière l’enfance singulière de Stieg Larsson, séparé de ses parents au cours de ses premières années, et élevé par ses grands-parents. On y voit Severin, le grand-père, assurer l’éducation politique du jeune garçon, farouchement anti-fasciste.
Deuxième partie : en 1977, Larsson part en Erythrée former des combattantes au maniement des armes de guerre. Pourquoi, comment, rien n’est expliqué malheureusement. Le seul intérêt de ce passage est de montrer l’engagement sur le terrain du journaliste.
Enfin, la troisième partie raconte rapidement la fondation d’Expo, la revue créée par Larsson dans le but de lutter contre l’extrême-droite, dont l’audience s’élève dangereusement en Suède au milieu des années 90. Expo, la revue dont l’existence et le combat inspireront Millenium à Larsson…
Auteur de thrillers, Guillaume Lebeau a été profondément marqué par la trilogie romanesque du journaliste suédois. Au point de devenir un passionné de littérature policière nordique et d’être aujourd’hui étiqueté spécialiste français du « polar venu du froid ». Auteur d’une enquête biographique sur Stieg Larsson (le Quatrième Manuscrit), il n’a de cesse depuis de revenir à son sujet de prédilection.
Côté dessin, le noir et blanc crayonné de Frédéric Rébéna est efficace, surtout quand il s’attache – et il le fait souvent – à saisir les expressions de visage les plus dures ; celles, déterminées, de Stieg Larsson, ou celles, hostiles, des néo-nazis défilant dans les rues de Stockholm. Les paysages de forêt suédoise rendent bien également.
La bande dessinée mérite surtout son nom dans les deux premières parties, articulées autour d’une action définie : la chasse au renard, la formation des combattantes. En revanche, dans la troisième partie, l’absence de scénario précis limite le travail de Rébéna à des scènes dialoguées convenues (promenades dans la rue, discussions au lit…) et sans intérêt visuel.
C’est là sans doute la limite de cette adaptation biographique en BD : résumé du précédent ouvrage de Guillaume Lebeau sur le sujet, on n’y apprend rien de neuf pour peu qu’on se soit déjà intéressé à l’affaire. En revanche, pour les novices en milleniumologie qui voudraient commencer à découvrir qui se cache derrière le masque de Blomkvist et Salander, cela peut constituer une bonne entrée en matière.
Mais existe-t-il encore vraiment des gens qui ignorent tout de la vie de Stieg Larsson, au point de ne pas se sentir à l’étroit dans cet ouvrage finalement très succint et elliptique ?
Carrément contre, par Clarice Darling
Il était une fois, un gentil petit garçon élevé par ses grand-parents au fin fond d’un pays où il fait tout le temps froid. Son papi était très gentil, quelqu’un de bien, qui prenait soin de son petit-fils comme de son propre fils. Mami était bien aussi, elle faisait de très bonnes boulettes de viande, spécialité de Suède.
Vous l’aurez compris, cet énième ouvrage sur Stieg Larsson ne nous apprend pas grand chose sur le passé du célèbre auteur de la trilogie Millenium. Sous forme de bande-dessinée (au dessin pas très heureux), l’ouvrage se découpe en trois parties. La première, un morceau de son enfance, choisi comme un cheveu sur la soupe pour pondre une sorte de morale qui ne prend pas. En second plan, on retrouve Monsieur Larsson en Erythrée dans les année 70. Pourquoi Stieg Larsson est parti enseigner aux guérillero le maniement des armes? Personne ne le sait vraiment. Pas même Eva, sa compagne. A moins qu’elle ne taise certaines choses… Et enfin, la dernière partie concerne les années 1995-1996 et 2004. Le lancement et développement de sa revue Expo est vaguement évoqué, tout comme le fait que Stieg Larsson soit fortement énervé contre les néo-nazis. Au moment où on croit toucher au happy end avec l’édition des trois premiers tomes de Millenium, le malheureux décède, laissant des millions de lecteurs orphelins.
Alors… Stieg Larsson avant Millenium ne nous apprend pas grand chose sur l’auteur. On savait déjà tout ou presque. Si vous ne connaissez pas l’auteur et que vous voulez vraiment avoir un avis intéressant sur sa vie, plongez vous dans Millenium, Stieg et moi, d’Eva Gabrielsson, la compagne de Stieg Larsson, publié l’année dernière chez Actes Sud. L’ouvrage de Guillaume Lebeau n’est qu’une resucée édulcorée, version BD, de tout ce qui a pu se dire sur Larsson. Evidemment, marketing oblige, cet ouvrage sort au même moment que le film américain de David Fincher…
Stieg Larsson avant Millenium, de Guillaume Lebeau & Frédéric Rébéna
Editions Denoël Graphic, 2012
ISBN 978-2-207-11272-4
64 p., 13,50€