À première vue : la rentrée littéraire d’automne 2021 !
Juillet est là, et qui dit juillet dit rentrée. Plus précisément, rentrée littéraire. Et plus précisément encore, le moment est venu de faire place à la désormais traditionnelle présentation de rentrée littéraire sur Cannibales Lecteurs.
Bref, c’est l’heure de la rubrique « à première vue ».
Comme chaque année, j’en rappelle brièvement le principe : il s’agit d’une présentation subjective et non exhaustive de l’habituelle déferlante de parutions littéraires qui nous inonde grosso modo du 15 août au 15 septembre (521 titres annoncés cette année, contre 511 l’année dernière).
Subjective : si je m’efforce de rester aussi neutre que possible, il peut arriver que je mordille un peu à l’évocation de tel résumé déjà lu déjà vu, quand je ne râle pas carrément en abordant le programme des mastodontes, aussi obèse que prétentieux et souvent vain en grande partie.
Non exhaustive : si la diffusion et la distribution des livres font ces derniers temps l’objet de grandes manœuvres tirant vers une concentration inquiétante (pour aller vite, les gros groupes sont de plus en plus gros et voraces, mettant en péril la qualité de la diffusion auprès des libraires – tâche essentielle assurée par les représentants, et qui nous permettent de détecter en amont nombre de perles et de succès inattendus -, voire la variété de l’offre), il y a toujours autant d’éditeurs. Voire de plus en plus, puisque de nombreuses maisons sont apparues ces derniers mois.
En 2020, j’avais déjà bien commencé à étoffer la liste des éditeurs évoqués ici. Cette année, je poursuis l’élargissement du panel, notamment pour parler des petites maisons – ce qui va de pair avec ma propre volonté de chercher des nouvelles voix, des nouvelles pistes de lectures, de nouveaux univers.
On parlera donc, par exemple, de la Peuplade, des Avrils, de Dalva ou d’Emmanuelle Collas – tout en continuant, bien sûr, à parcourir le programme des autres éditeurs, y compris les mammouths (Gallimard, Flammarion, Seuil et compagnie), car il est impossible d’en faire l’économie, à moins d’en faire une question de principe. Mais ce n’est pas le propos ici.
J’en oublierai forcément certains. N’y voyez aucun snobisme ni mépris de ma part. Juste un manque de temps et, sans doute, de curiosité et d’attraits pour les éditeurs en question, vers lesquels je n’ai pas l’habitude de me tourner, à tort ou à raison.
N’oublions pas que la lecture est avant tout affaire d’intuition, de goût, de plaisir, d’identification. Plus on lit, plus on s’accroche à certaines lignes éditoriales plutôt qu’à d’autres. C’est naturel, mais cela ne ferme aucune porte par principe. Si une jolie découverte doit surgir d’ailleurs, elle sera la bienvenue sur ce blog.
Enfin, dernier point, que je copie-colle de mon article de présentation de l’année dernière, parce qu’il n’y rien à en retrancher.
Ces présentations sont l’expression de ma plus profonde subjectivité, et n’hésitent pas à véhiculer, quand l’occasion se présente, une bonne dose de mauvaise foi, d’ironie ou d’agacement.
Je vous en prie, chers amis, relevez-le si cela vous sied, mais ne prenez pas la mouche. Non, je n’aurai lu pratiquement aucun des livres dont je parlerai au moment où je les présenterai. Ces articles ne sont pas des critiques. Ils peuvent, en revanche, devenir parfois des billets d’humeur, l’humeur en question étant plus ou moins mauvaise suivant la qualité apparente de ce qu’on me présente. C’est le jeu de la rubrique « à première vue », et il faut faire avec.
N’hésitez pas à discuter, à commenter, à contester, à m’ouvrir des horizons que je croyais à tort sans intérêt. Mais ne vous énervez pas, je vous en conjure.
Tout ayant été dit, il n’y a plus qu’à commencer : découvrez ci-dessous en images le programme de notre première semaine de présentation, qui débutera lundi matin par les éditions Actes Sud.
Et, d’avance, bonnes lectures à tous !
Jeux de miroirs, d’E.O. Chirovici
Signé Bookfalo Kill
Agent littéraire de son état, Peter Katz reçoit par courrier un manuscrit intitulé Jeux de miroirs, d’un certain Richard Flynn. Ce dernier, dans le courrier qui accompagne le texte, annonce qu’il va y évoquer son histoire d’amour passionnée avec Laura Baines, sa colocataire d’alors et brillante étudiante en psychologie, mais aussi et surtout sa rencontre avec le professeur Joseph Wieder, célèbre spécialiste de psychologie cognitive – dont Laura était l’élève et l’assistante -, assassiné au milieu des années 1980. L’affaire n’ayant jamais été élucidée, Katz est très vite intrigué par la lecture du manuscrit – mais s’aperçoit que ce dernier est incomplet : il manque la fin, où pourrait être évoquée la solution d’un mystère criminel qui avait tenu en haleine les États-Unis en son temps.
Peter Katz tente de prendre contact avec l’auteur pour obtenir la suite. Problème : dans l’intervalle entre l’envoi du texte et le moment où l’agent l’a lu, Richard Flynn est mort des suites d’une grave maladie. Commence alors une nouvelle enquête, sur les traces du manuscrit disparu…
Sous l’impulsion de son éditeur, les Escales, ce roman s’avance en fanfaron. Couverture argentée imitant la texture du miroir (ooooh), bandeau rouge annonçant sans ambages « LE ROMAN ÉVÉNEMENT »… Bon, autant le dire tout de suite, Jeux de miroirs ne sera pas l’événement littéraire de l’année. Ni même du mois ou de la semaine, hein. On va se calmer un peu et parler en toute simplicité, ça ne fera pas de mal.
Ceci posé, c’est un livre agréable. Fluide, prenant et bien construit. E.O. Chirovici y fait preuve d’une efficacité toute américaine, d’autant plus appréciable qu’il est roumain et qu’il s’agit de son premier roman rédigé en anglais (après une quinzaine de livres publiés dans sa langue natale, non traduits en français). La promesse annoncée par le pitch est tenue ; il n’y a pas à dire, le coup du manuscrit inachevé, quand c’est bien fait, ça tourne à plein régime.
Chirovici se montre très habile, par ailleurs, en changeant de narrateur quand nécessité s’en fait sentir : après l’agent Peter Katz, c’est un de ses amis journalistes, chargé de l’enquête sur le manuscrit, qui prend le relais, avant de le passer au policier à la retraite qui a mené les investigations sur l’assassinat de Joseph Wieder. L’alternance de points de vue, les témoignages souvent discordants que les différents narrateurs apportent sur l’affaire permettent à Chirovici d’illustrer le thème principal du roman, à savoir les tours et les détours que peuvent jouer la mémoire et les souvenirs, suivant ce que l’on veut leur faire dire…
Pour être honnête, la solution de l’intrigue ne bouleversera certes pas l’histoire du suspense littéraire, mais l’intérêt de Jeux de miroirs réside plutôt dans ses personnages, dans leur complexité, dans la manière dont E.O. Chirovici scrute le caractère souvent insaisissable des êtres, mais aussi des faits, parfois moins évidents qu’ils n’en ont l’air. Pas un événement, non, mais un bon roman. On s’en contentera largement.
Jeux de miroirs, d’E.O. Chirovici
(The Book of Mirrors, traduit de l’anglais par Isabelle Maillet)
Éditions les Escales, 2017
ISBN 978-2-365-69202-1
304 p., 21,90€
Le Tueur hypocondriaque, de Juan Jacinto Munoz Rengel
Signé Bookfalo Kill
Monsieur Y. trimballe tout un tas de maladies plus compliquées, rares et handicapantes les unes que les autres, contre lesquelles il lutte par un soin constant et obsessionnel de sa personne. En soi, c’est déjà un problème. Dans son cas, ça l’est encore plus : il est tueur à gages. Pas facile de mener à bien ses missions quand on est convaincu qu’on va mourir du jour au lendemain – et surtout quand la cible, Eduardo Blaisten, prend un malin plaisir à échapper à toutes ses tentatives de meurtre grâce à un mélange de chance insolente et d’inconscience totale…
Vous l’aurez compris à la lecture de ce résumé, ce polar espagnol se distingue en jouant la carte parodique, reposant sur un paradoxe humoristique contenu tout entier dans le titre. Plus bizarres et loufoques les unes que les autres, les différentes tentatives de ce Tueur hypocondriaque pour abattre sa cible rappelleront aux cinéphiles quelques grands moments similaires d’Un poisson nommé Wanda, lorsque le personnage interprété par Michael Palin essaie désespérément de tuer une vieille dame, et n’arrive qu’à éliminer un par un ses petits chiens.
Juan Jacinto Munoz Rengel ajoute à ces mésaventures drolatiques une dimension littéraire inattendue mais bien trouvée. En effet, à intervalles réguliers, Monsieur Y., narrateur de son histoire, évoque de célèbres figures du monde des lettres et de la philosophie (Voltaire, Kant, Lord Byron, Molière…), qui furent eux aussi de fameux malades et/ou hypocondriaques, et dont certains éléments de biographie offrent de troublants points communs avec la destinée du héros.
Le romancier en nourrit même son intrigue, puisqu’il arrive régulièrement à son héros de se retrancher derrière ces exemples édifiants pour justifier son propre état, sa conduite, ou identifier ses propres maux.
Après une entrée en matière un peu laborieuse, le temps de cerner le personnage et d’appréhender la structure du roman, Le Tueur hypocondriaque adopte un rythme enlevé qui colle bien à la fantaisie du sujet : chapitres courts, nombreuses péripéties, style efficace (bien qu’affligé de quelques lourdeurs, peut-être plus dues à la traduction qu’à l’écriture originale).
Revers de la médaille, on survole l’ensemble, dont la chute laisse un léger goût d’inachevé – la faute à un ultime chapitre qui boucle la boucle, certes, mais d’une manière un peu rapide ; lesté qui plus est d’une phrase énigmatique qui m’a déconcerté, empêché de trouver une conclusion satisfaisante à cette histoire.
Loin d’être inoubliable ou bouleversant, voici néanmoins un polar plaisant, léger et décalé, à l’image de sa couverture. Pour amateurs d’étrangetés rigolotes à croquer sans se prendre la tête.
Le Tueur hypocondriaque, de Juan Jacinto Munoz Rengel
Traduit de l’espagnol par Catalina Salazar
Éditions les Escales, 2013
ISBN 978-2-36569-044-7
231 p., 21,50€