Jésus Christ président, de Luke Rhinehart

Éditions Aux Forges de Vulcain, 2020
ISBN 9782373050653
458 p.
20 €
Jesus Invades George : An Alternative History
Traduit de l’anglais ((États-Unis) par Francis Guévremont
Alors que sa présidence s’achève sans éclat, George W. Bush, un matin, se trouve possédé par… Jésus ! Le Fils de Dieu, irrité que le nom de son Père soit prononcé en vain pour justifier tout et n’importe quoi, a décidé de descendre sur terre.
Le président des États-Unis devient ainsi la marionnette du Christ afin d’établir un monde plus juste et équitable.
Mais c’était sans compter sur l’administration républicaine qui a porté Bush au pouvoir et voit d’un très mauvais œil ces étranges idées de partage, de générosité et de paix…
Se glisser dans la tête de George Walker Bush, faut avoir envie de se faire du mal. C’est plutôt mal fréquenté là-dedans.
En revanche, si on imagine que le Fils de Dieu, Jésus Christ himself, décide de s’incruster sous ce crâne pour tenter d’intervenir sur la vie des hommes et essayer de les rendre meilleurs en prêchant par sa bouche, il y a tout de suite plus moyen de s’amuser.
Spécialiste en idées de départ loufoques, le romancier américain Luke Rhinehart fait plus que relever le défi.
Celui qui avait imaginé l’histoire d’un homme jouant aux dés toutes les décisions de sa vie, y compris les pires (L’Homme-Dé, bien sûr), ou une invasion d’extra-terrestres en forme de ballons de plage poilus, venus sur Terre pour convaincre les humains que jouer et rigoler sont plus importants qu’amasser du pognon ou faire la guerre (Invasion), se lance dans cette aventure politico-spirituelle avec la malice des sales gosses décidés à semer un chaos salvateur tout autour d’eux.
(Si vous êtes arrivé au bout de la phrase ci-dessus sans périr d’asphyxie, félicitations. Il fallait le faire. J’aurais pu la réécrire, mais non. Il faut savoir aller au bout de ses bêtises.)
Comme on peut l’imaginer avec un tel résumé, Jésus Christ Président réserve de bons moments de rigolade, le plus souvent aux dépens des personnages, à commencer par Bush Junior. Le fils de Papa-Fait-La-Guerre-En-Irak n’avait besoin de personne pour se ridiculiser aux yeux du monde (qui a oublié l’affaire du bretzel ?). Rhinehart n’a donc pas besoin de l’épargner, et nous régale de ses idioties involontaires, de ses réflexions pathétiques et de ses aventures affligeantes.
George n’est pas le pire de la bande, cependant ; et on finit même, bizarrement, par le trouver… peut-être pas sympathique, mais attachant, à sa manière – la magie de la fiction, hein.
Non, ceux qui prennent cher, ce sont les autres. Dick (Cheney, vice-président), Don (ald Rumsfeld, Secrétaire d’Etat à la Défense), Kark (Rove, conseiller occulte du président), trio infernal en tête du pont, voient leur marionnette préférée échapper à tout contrôle, et dire tout haut ce que plein de gens espèrent ou pensent tout bas. De quoi gêner leurs ambitions personnelles, et les pousser à faire jaillir ce qu’il y a de plus abject en eux.
Autant dire qu’il y a de la matière, et que Rhinehart ne se prive guère d’exposer le pire du pire politicien, opportuniste, manipulateur, à mille lieux de l’intérêt public et du peuple que ces salopards sont censés servir.
Bien loin de se résumer à une pantalonnade ridiculisant l’ancien Chef d’État américain, Jésus Christ Président, comme tout bon roman de Luke Rhinehart, révèle son intelligence et sa férocité par en-dessous. Et s’avère un brûlot impitoyable sur la politique des États-Unis, de quelque bord que ce soit. Car n’allez pas croire que seuls les Républicains en prennent pour leur grade. Dépassés, velléitaires, empêtrés dans leurs contradictions, les Démocrates subissent eux aussi la mitraille de plein fouet.
Alternant comédie débridée (les voyages impromptus de Bush en Cisjordanie ou en Irak valent leur pesant de cacahuètes) et violente satire humaine et politique, Jésus Christ Président réussit le pari de l’alliance parfaite entre le divertissement, la pertinence et la profondeur.
Cette troisième traduction française de Luke Rhinehart, tricotée à merveille par Francis Guévremont, confirme l’importance de l’œuvre du bonhomme au-delà de son seul Homme-Dé, longtemps seul publié chez nous et devenu arbre qui cachait la forêt.
On ne peut donc que remercier les Forges de Vulcain de continuer leur travail d’édition complète des œuvres de Rhinehart, et trépigner en attendant la suite. Un fameux lot de consolation, qui permettra de faire vivre longtemps l’univers romanesque d’un auteur qui vient juste de nous quitter, et qui mérite d’être largement découvert.
À première vue : la rentrée Grasset 2020

À première vue, en survolant la rentrée Grasset, mon vilain petit génie intérieur m’a soufflé qu’il y avait enfin moyen de montrer les crocs avec lesquels les Cannibales, à l’occasion, aiment à déchiqueter la viande pas fraîche. Il faut dire que c’est une année sans Sorj Chalandon donc, déjà, l’enthousiasme est modéré. (Même si le dernier roman en date de l’ami Sorj, paru en 2019, ne m’a pas totalement convaincu. Comme quoi…)
Et puis, en y regardant de plus près, j’ai eu l’impression qu’il y avait peut-être matière à curiosité. Pas forcément pour moi, mais sûrement pour plein de gens et, en restant aussi objectif que possible, à raison.
Je garde donc la bride au cou de ma mauvaise foi, en attendant de dérouler le programme titre à titre.
Allez, c’est parti !
Intérêt global :
LE MAÎTRE DES FJORDS, DE LA MER ET DES LANDES
Lumière d’été, puis vient la nuit, de Jón Kalman Stefánsson
(traduit de l’islandais par Eric Boury)
Depuis quelques années, Jón Kalman Stefánsson est devenu un incontournable de la littérature islandaise. En France, ses romans rencontrent un succès qui ne se dément pas, et semble même s’accroître à chaque nouvelle parution. Le résumé de ce nouvel opus devrait confirmer la tendance, et ses lecteurs retrouver ce qu’ils aiment chez lui : un sens délicat de l’humain dans les décors singuliers de l’Islande, où la nature est un personnage à part entière de l’intrigue.
Cette fois, Stefánsson pose son regard limpide sur un village niché dans les fjords de l’ouest, où il suit le ballet quotidien de la vie de ses habitants. L’existence y semble sage et bien réglée, mais l’inattendu peut surgir de nulle part et semer le trouble. Un retour imprévu, une petite robe en velours sombre, l’attraction des astres ou des oiseaux, voire le murmure des fantômes…
(RE)CROIRE À L’AVENIR
Des rêves à tenir, de Nicolas Deleau
Rêvons un peu, rêvons grand large et solidarité humaine contre la marche impitoyable du monde. C’est, semble-t-il, le mantra de Nicolas Deleau pour son deuxième roman après Les rois d’ailleurs (Rivages, 2012). Il nous accueille dans un petit port de pêche, où se réunit une joyeuse communauté de doux dingues, les Partisans de la Langouste, dont l’objectif avoué est de sauver l’humanité en protégeant les langoustes de l’extinction. L’un d’eux entend parler d’un capitaine de porte-conteneurs, qui aurait détourné son propre navire pour en faire une Arche de Noé moderne, sorte de ZAD flottante pour les réfugiés maritimes…
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ce résumé m’amuse assez – et me fait un peu penser à l’univers chaleureux et décalé de Gilles Marchand. De quoi avoir envie d’y jeter un œil, en tout cas.
Un jour viendra couleur d’orange, de Grégoire Delacourt
D’auteur de best-seller grand public, Delacourt est devenu valeur sûre des rentrées littéraires de Grasset. Un statut qui n’a pas rendu sa plume virtuose pour autant, mais reconnaissons que le monsieur sait mener une histoire et captiver son lecteur – ce qui est déjà pas mal.
Cette fois, c’est le climat incendiaire de la France qui l’a inspiré. À la révolte et à la colère qui agitent de plus en plus le pays, un jeune garçon de 13 ans oppose son imaginaire, régi par un système complexe de chiffres et de couleurs. De quoi en faire un inadapté dans un monde plus que jamais violent et cruel pour les gentils… à moins que sa différence en fasse le porteur d’un nouvel espoir ?
Delacourt semble promettre un conte optimiste, histoire de mettre un peu de légèreté dans notre quotidien qui en a bien besoin. Avec un tel programme, il devrait une nouvelle fois rencontrer son public. (Moi ? Beaucoup moins sûr.)
Du côté des Indiens, d’Isabelle Carré
Décidément, Grasset table sur l’imagination et l’espoir en cette rentrée, et la comédienne Isabelle Carré – dont le premier roman, Les rêveurs (encore !), avait créé la surprise en 2018 avec 200 000 exemplaires vendus – paraît s’inscrire dans cette idée avec son deuxième opus. Le point de départ, pourtant, n’incite guère à la joie béate. Ziad, un garçon de 10 ans, est persuadé que son père trompe sa mère avec Muriel, leur voisine, une ancienne comédienne qui a renoncé à sa carrière après avoir été victime d’abus. L’enfant supplie la supposée amante de mettre fin à cette relation et de sauver sa famille… Tous, alors, chacun à sa manière, cherchent à résister à leurs tempêtes et à trouver le bon sens de leur existence.
LA MARQUE DE L’HISTOIRE
Le Métier de mourir, de Jean-René Van der Plaetsen
Belleface, tel est le nom du héros du premier roman de Jean-René Van der Plaetsen. Un nom aussi mystérieux que le parcours de cet homme, rescapé de Treblinka devenu légionnaire en Indochine, puis légende de l’armée israélienne. C’est dans cette peau qu’on le découvre, en 1985, chargé de veiller à la sécurité d’Israël en commandant un avant-poste au Liban. L’irruption d’un jeune Français idéaliste dans la petite troupe, composé de miliciens libanais, va agir comme un révélateur et lever le voile sur la véritable histoire de Belleface…
Inspiré d’un personnage réel, si jamais ce détail a son importance.
Jean-René Van der Plaetsen a reçu le prix Interallié en 2017 pour La Nostalgie de l’honneur, récit consacré à son grand-père, héros de la Seconde Guerre mondiale et compagnon du général de Gaulle.
Rachel et les siens, de Metin Arditi
Le romanesque et prolifique Metin Arditi fait de Rachel son héroïne flamboyante, et raconte sa vie, depuis son enfance à Jaffa, fille de Juifs palestiniens qui partagent leur maison avec des Arabes chrétiens, jusqu’à son accomplissement en tant que dramaturge reconnue dans le monde entier. Un parcours de femme libre et intrépide au XXème siècle.
L’Historiographe du royaume, de Maël Renouard
L’ambition de l’auteur est, tout simplement, de transposer à la fois les Mille et Une Nuits et les Mémoires de Saint-Simon en un récit contemporain, ancré dans le Maroc du roi Hassan II. Le tout en 336 pages… Ouf ! Le protagoniste est un un fin lettré, ancien camarade du futur souverain, que ce dernier décide de nommer historiographe du royaume. Il s’investit dans sa tâche avec loyauté, jusqu’à sa rencontre avec une mystérieuse jeune femme, dont les accointances avec les milieux révolutionnaires vont menacer l’érudit…
La Femme-Écrevisse, d’Oriane Jeancourt-Galignani
Trois époques, deux siècles, une même famille, les Von Hauser. Et une obsession pour la gravure d’une femme-écrevisse qui, traversant les époques, hante le destin de différents personnages qui ne sauraient, sans risque, s’affranchir de sa mystérieuse tutelle. De Margot, maîtresse à Amsterdam en 1642 du célèbre artiste qui crée la fameuse gravure, à Grégoire, qui rêve de s’émanciper du joug familial à l’aube du XXIème siècle, en passant par Ferdinand, acteur de cinéma à Berlin dans les années 1920, ces trois destins traquent le désordre et la folie que les âmes en quête de liberté peuvent semer sur leur chemin.
ET SINON
Ce qui plaisait à Blanche, de Jean-Paul Enthoven
Le narrateur anonyme raconte vingt ans plus tard sa rencontre avec Blanche, une femme audacieuse, érudite, libre et à la sexualité complexe.
(Vous comprenez pourquoi je l’ai posé à la fin, celui-là ?)
BILAN
Lecture potentielle :
Des rêves à tenir, de Nicolas Deleau
À première vue : la rentrée Gallimard 2020

Intérêt global :
Voici venir mon moment préféré lorsque je travaille sur la rubrique « à première vue » : la présentation de la rentrée littéraire Gallimard…
D’ordinaire pléthorique et relativement indigeste, ce qui occasionne de ma part quelques fréquentes poussées d’urticaire critiques, la rentrée 2020 de Tonton Antoine s’inscrit dans la tendance générale à la baisse des gros éditeurs, pour prendre en compte les répercussions de la crise sanitaire du premier semestre. Si, si, je vous assure ! Au lieu d’une vingtaine de titres, le tarif habituel, nous n’aurons droit qu’à… 13 parutions (si j’ai bien compté, parce qu’il n’est pas facile de s’y retrouver dans l’avalanche de sorties estampillées Gallimard, entre les poches, les essais, les livres audio, les polars…)
Et dans ces 13, on retrouve essentiellement de la grosse cavalerie. Pas forcément synonyme de qualité ni d’enthousiasme délirant, hein, je vous rassure. Même si certains auteurs, dans le lot, sont sans doute incontournables. Je vais essayer de leur réserver la meilleure place dans ses lignes.
COMME SON TITRE L’INDIQUE
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
On le connaît surtout en brillant amuseur public, membre de l’OuLiPo, plume virtuose quand il s’agit de jouer avec les mots. Mais c’est aussi un excellent écrivain tout court, qui fait par ailleurs son entrée chez Gallimard avec ce nouveau roman, après être passé chez Lattès et le Castor Astral, entre autres. Un signe ?
En mars 2021, un avion en provenance de Paris atterrit à New York après un vol marqué par de violentes turbulences. Trois mois plus tard, le même avion réapparaît au-dessus de New York, avec le même équipage et les mêmes passagers à son bord – provoquant une crise médiatique, scientifique et politique sans précédent…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce résumé promet une escapade originale, une belle réflexion sur le double et l’identité, et un bousculement salvateur de la logique.
Et puis, comment ne pas accorder du crédit à quelqu’un qui écrit :
« A quarante-trois ans, dont quinze passés dans l’écriture, le petit monde de la littérature lui paraît un train burlesque où des escrocs sans ticket s’installent tapageusement en première avec la complicité de contrôleurs incapables, tandis que restent sur le quai de modestes génies… »
IL CAPO
Impossible, d’Erri De Luca
(traduit de l’italien par Danièle Valin)
La montagne pour décor. Un texte bref (moins de 200 pages), une pensée et un style épurés, une intelligence percutante. On connaît, Erri De Luca nous a déjà fait le coup à plusieurs reprises. Et pourtant, on y retourne à chaque fois, parce que la déception est pratiquement impossible avec cet immense écrivain italien, sensible et engagé.
Cette fois, tout commence par une chute. Un homme dévisse dans les Dolomites, un autre donne l’alerte. Fait troublant, les deux se connaissaient de longue date, compagnons de lutte révolutionnaire quarante ans plus tôt. L’homme tombé avait dénoncé celui qui a signalé sa dégringolade. Le juge chargé de l’affaire refuse d’y voir une coïncidence et suspecte une vengeance savamment agencée. Entre le jeune magistrat et le vieil homme commence alors, sous couvert d’interrogatoire, un dialogue sur l’amitié et la trahison, la justice et l’engagement.
DE LA SAGESSE, DE L’ÉDUCATION ET DES RÊVES
Les caves du Potala, de Dai Sijie
En 2019, L’Évangile selon Yong Sheng a marqué le grand retour de Dai Sijie vers le succès depuis Balzac et la petite tailleuse chinoise. Son nouveau roman sera donc sûrement scruté, au moins par la presse. Le Potala du titre est l’ancien palais du Dalaï-Lama au Tibet. En 1968, après l’avoir investi et forcé le dignitaire religieux à l’exil, les Gardes Rouges emprisonnent le peintre Bstan Pa, et le soumettent à un interrogatoire serré. L’artiste y répond, et y résiste, en opposant à la violence politique la sagesse du bouddhisme et une vie dédiée à l’art.
Fille, de Camille Laurens
Être une femme, assumer son sexe, trouver sa place dans la société en tant que femme, affronter le sexisme ordinaire, ces questionnements sont au cœur du travail de Camille Laurens. Ce nouveau roman au titre révélateur s’ouvre à Rouen, dans la famille Barraqué, dont Laurence est l’une des deux filles. Elle grandit dans la certitude, assénée par l’éducation de ses parents et le contexte social, qu’en toutes choses les hommes décident et dominent. L’expérience de l’âge adulte puis de la maternité, dans les années 90, vont l’amener à reconsidérer cette posture, et à repenser son existence à la lumière du féminisme.
Broadway, de Fabrice Caro
Fabcaro lorsqu’il dessine (Zaï Zaï Zaï Zaï) reprend son nom complet lorsqu’il se fait littéraire. Un domaine où il rencontre également le succès, puisque Le Discours, son précédent roman, a largement rencontré ses lecteurs, et va devenir à la rentrée un spectacle seul en scène adapté et interprété par Simon Astier, ainsi qu’un film réalisé par Laurent Tirard, avec les acteurs à la mode Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau.
Autant dire que son nouvel opus est lui aussi attendu, et que son résumé promet de retrouver son univers si particulier, mêlant humour raffiné, sens de l’absurde et profonde mélancolie existentielle. Axel est un homme qui a réussi. 46 ans, marié, deux enfants, un emploi, une maison, des voisins sympas qui vous invitent à leurs barbecues ou à faire du paddle à Biarritz… que demander de plus ? Hé bien, du rêve, du vrai. Celui des origines. Le rêve scintillant et glorieux d’une carrière pleine de succès sur les planches de Broadway… Et si c’était le moment de franchir le pas ?
DE L’ART
Térébenthine, de Carole Fives
On connaissait Carole Fives en observatrice acide des relations familiales. La voici qui semble faire un pas de côté, et élargir son point de vue – tout en conservant une base autobiographique car, comme son héroïne, elle est passée l’École des Beaux-Arts.
Ce que fait donc sa narratrice, au début des années 2000, alors que la peinture est considérée comme morte. Même dans ce supposé sanctuaire de l’art pictural, rien n’est fait pour encourager les jeunes vocations, qui se heurtent à l’hostilité des professeurs ou des galeries d’exposition.
Il n’en faut pas plus pour que la jeune femme s’obstine, montant notamment avec des amis un groupe clandestin qui œuvre dans les sous-sols de l’école, à l’insu de tous, refusant de baisser les bras et de ne pas croire dans la possibilité de l’art quoi qu’il arrive…
Art Nouveau, de Paul Greveillac
Je serai curieux (un peu, pas trop non plus) d’entendre l’auteur parler de son livre. Parce que, sur le papier, nombre de choses m’intriguent à son sujet. Son héros s’appelle Lajos Ligeti, et est un architecte viennois qui, en 1896, part à Budapest pour tenter de développer en toute liberté, dans une ville où tout est à faire, ses propres conceptions artistiques et architecturales.
Bon.
Réflexe personnel : je fais tout de suite une recherche pour savoir si c’est une fiction inspirée de faits et de personnages réels ou non. Je trouve bien un Lajos Ligeti, mais qui est né à Budapest en 1902, et était orientaliste et philologue.
Du coup, je suis perplexe : pourquoi nommer ainsi son personnage, d’un nom qui n’est tout de même pas anodin ni passe-partout ?
C’est peut-être se prendre la tête pour rien, hein. N’empêche, reconnaissez que c’est troublant. Un romancier qui fait bien son travail ne nomme pas son personnage sur un coup de tête. Un nom, c’est déjà du sens. En tout cas, ça me perturbe. Presque autant que de savoir s’il va réellement être question d’Art Nouveau dans le roman, car le résumé évoque les envies de construction en béton du protagoniste, choix de matériau qui sera plutôt l’apanage du mouvement suivant, l’Art Déco… Cela dit, en 1896, on est en plein Art Nouveau, donc ça se tient.
Bref, tout ceci m’intrigue. Mais ce n’est pas pour autant que je lirai ce livre, pour être honnête.
(Donc, tout ça pour ça, hein ? Ben ouais.)
DES ÉCRIVAINS
Les secrets de ma mère, de Jessie Burton
(traduit de l’anglais par Laura Derajinski)
Rose Simons cherche des informations sur sa mère, disparue peu après sa naissance. En enquêtant, elle découvre que la dernière personne à avoir officiellement vu Élise est une écrivaine, alors au faîte de sa gloire littéraire, qui vit désormais recluse et oubliée…
Par l’une des jeunes romancières anglaises les plus prometteuses de ces dernières années.
La Dernière interview, d’Eshkol Nevo
(traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche)
Un célèbre écrivain répond aux questions de ses internautes, ce qui l’amène à s’interroger sur son couple, ses relations compliquées avec ses enfants, son angoisse pour son meilleur ami atteint d’un cancer…
Je ne connais pas Eshkol Nevo. Je ne l’ai jamais lu, ni ne me suis intéressé de près ou de loin à son parcours. Il semblerait qu’il soit un auteur important en Israël, et à lire des interviews, qu’il ait des choses intéressantes à dire. Pour être honnête, ce n’est pas avec ce nouveau roman que je pense changer la donne.
Les funambules, de Mohammed Aïssaoui
Le héros de ce roman exerce la curieuse profession de biographe pour anonymes. Il écrit la vie des gens dont personne ne parle, les glorieux inconnus du quotidien. Depuis quelque temps, il s’intéresse aux bénévoles qui consacrent leur temps et toute leur énergie à aider les plus démunis. Peut-être dans l’espoir de retrouver Nadia, son amour de jeunesse…
VOICI VENU LE TEMPS DES RITES ET DES CHAMPS
Les roses fauves, de Carole Martinez
L’auteure du Cœur cousu s’appuie sur une étonnante tradition espagnole pour nourrir l’intrigue de son nouveau roman (et faire étrangement écho à son premier) : en Andalousie, les femmes qui sentaient la mort approcher cousaient des coussins en forme de cœur, qu’elles bourraient de petits papiers où elles rédigeaient leurs secrets. Après leur disparition, les coussins étaient confiés à leurs filles, avec l’interdiction absolue de les ouvrir.
Lola, l’héroïne du roman, coule des jours paisibles en Bretagne, entre le bureau de poste où elle travaille et son jardin où elle cultive son petit bonheur tranquille. Dans son armoire, elle conserve précieusement les coussins des femmes de sa famille. Jusqu’au jour où l’un d’eux, en se déchirant par accident, révèle les secrets d’une de ses aïeules et bouleverse son existence…
Le Palais des orties, de Marie Nimier
Au fond d’une campagne française à l’abandon, entre des hangars de tôle rouillée et des champs d’ortie, une famille avec deux enfants vivote tant bien que mal, entre débrouille au quotidien et joie tranquille. Un jour, une jeune femme débarque. Frederica fait du woofing : contre le gîte et le couvert, elle offre son aide et ses bras pour la culture des champs. Elle amène aussi une forme de passion à laquelle Nora, la mère, ne va pas rester insensible.
Les orties, ça pique. Et l’amour aussi.
ET SINON…
Comédies françaises, d’Eric Reinhardt
Parce que je ne sais pas sous quelle rubrique le classer, et parce que je n’ai jamais réussi à m’intéresser à son travail (peut-être à tort, hein), voici Eric Reinhardt bon dernier, ce qu’il ne sera probablement pas auprès de la presse qui a l’habitude de le défendre et de le mettre en avant.
Son protagoniste, un jeune journaliste de 27 ans, décide de s’intéresser aux débuts d’Internet. Son enquête l’amène sur les traces d’un ingénieur français dont les recherches révolutionnaires sur le système de transmission des données furent brutalement suspendues par les pouvoirs publics au milieu des années 70. Cette découverte le met sur la piste vers le pouvoir des lobbies, incarné par un puissant industriel dont l’ombre rôde dans les parages.
BILAN
Lecture certaine :
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
Lectures probables :
Impossible, d’Erri De Luca
Broadway, de Fabrice Caro
Lecture éventuelle :
Les caves du Potala, de Dai Sijie
A première vue : la rentrée de l’Olivier 2018

L’année dernière, les éditions de l’Olivier s’avançaient sous l’étendard flamboyant de l’un de leurs grands noms étrangers, l’Américain Jonathan Safran Foer, qui dominait une petite rentrée de six titres en tout. Rebelote cette année, avec six titres à nouveau, et en tête d’affiche, l’Américaine Nicole Krauss – ex-Mrs Foer, tiens donc. Pour le reste, c’est une rentrée solide et sérieuse, qui pourrait réserver de bonnes lectures.
…ON ENTEND LE COUCOU : Forêt obscure, de Nicole Krauss (en cours)
(traduit de l’américain par Paule Guivarch)
D’un côté, Jules Epstein, riche Juif new yorkais, qui disparaît du jour au lendemain, réapparaît à Tel-Aviv avant de disparaître à nouveau. De l’autre, Nicole, romancière juive américaine, en pleine crise conjugale, qui décide de se rendre à Tel-Aviv, dans l’hôtel où elle passait ses vacances enfant, où elle compte trouver des réponses et recadrer sa vie à la dérive. Entre les deux ? Des zones mouvantes, un basculement de la réalité, des questionnements… Roman qualifié d' »incroyable » par le défunt Philip Roth, ce livre est le troisième de Nicole Krauss après l’Histoire de l’amour et La Grande Maison. Les premières pages, fortes et virtuoses, laissent espérer l’un de ces excellents livres dont les Américains ont le secret.
CALIMERO : Des raisons de se plaindre, de Jeffrey Eugenides
(traduit de l’américain par Olivier Deparis)
Autre grand nom du catalogue américain de l’Olivier, Eugenides – auteur entre autres de Virgin Suicides et Middlesex, rien de moins – revient cette année avec un recueil de nouvelles dont les personnages se trouvent à un carrefour majeur de leur existence.
IMPURS : La Souplesse des os, de D.H. Wilson
(traduit de l’anglais (Canada) par Madeleine Nasalik)
Et deuxième recueil de nouvelles de la rentrée pour l’Olivier, qui envoie au charbon un auteur dont l’univers rugueux et taiseux évoque la littérature rurale américaine. Sauf que nous sommes au Canada, en Colombie Britannique pour être précis. Dans un monde d’hommes et de femmes dont les bonnes intentions se heurtent à la réalité cruelle de la vie, non sans humanité et clairvoyance.
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CHANGEMENT DE DÉCOR : La Chance de leur vie, d’Agnès Desarthe
Début 2015. Juste après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, une famille française s’envole pour les États-Unis. Hector, professeur d’université, impose bientôt son charisme ravageur, tandis que sa femme Sylvie observe cette révélation donjuaniste à distance, avec réserve et lucidité. Pendant ce temps, Lester, leur fils adolescent, entraîne un groupe de jeunes de son âge dans une crise mystique. Le ton drolatique d’Agnès Desarthe part à la rencontre d’un regard aigu sur le monde, au fil d’une année 2015 choisie pour son basculement, entre les attentats sanglants en France et l’avènement de Donald Trump aux États-Unis.
MORDRE AU TRAVERS : Désintégration, d’Emmanuelle Richard
Après un premier roman publié pour la jeunesse (Selon Faustin, Ecole des Loisirs), voici le troisième titre à paraître à l’Olivier d’Emmanuelle Richard. Il relate le parcours d’une jeune femme, issue d’un milieu modeste, qui s’installe à Paris où elle vivote quelque temps parmi des garçons évoluant dans le milieu du cinéma, avec une nonchalance et une facilité nées de leurs origines aisées. Après avoir été aspiré par un cercle vicieux d’humiliations, elle rompt les rangs en se faisant remarquer par un premier roman qui attire l’attention sur elle… D’inspiration autobiographique, comme les deux précédents, ce roman au titre explicite annonce sa colère.
VERY BAD TRIP : Le Complexe d’Hoffman, de Colas Gutman
D’ordinaire, Colas Gutman écrit pour les petits (la géniale série Chien Pourri, c’est lui). Ce qui peut expliquer par contraste l’allure violemment irrévérencieuse de ce premier roman pour les grands, où deux enfants, frère et sœur, se créent un monde fantasmagorique et cruel pour oublier que leurs parents divorcent. Autrement dit, Gutman se lâche, en proposant sa version trash du roman familial.
On lira sûrement :
Forêt obscure, de Nicole KraussOn lira peut-être :
Désintégration, d’Emmanuelle Richard
La Chance de leur vie, d’Agnès Desarthe
Judas, d’Amos Oz
Signé Bookfalo Kill
Jérusalem, décembre 1959. Shmuel Asch, jeune étudiant au physique de taureau hirsute qui dissimule un caractère hypersensible et sentimental à l’excès, décide d’abandonner ses études lorsque sa petite amie le quitte. Oublié, le mémoire sur « Jésus dans la tradition juive » ; Shmuel, que ses parents récemment ruinés ne peuvent aider, accepte un emploi étrange : cinq heures chaque soir, il devient l’homme de compagnie de Gersholm Wald, un vieil érudit infirme qui vit reclus dans sa maison sombre et biscornue, en compagnie d’Atalia Abravanel, une quarantenaire aussi mystérieuse, fuyante que séduisante.
Tandis qu’il tombe inexorablement amoureux d’Atalia, Shmuel subit plus ou moins les assauts de rhétorique intellectuelle ou politique de Wald, tout en continuant à réfléchir sur le regard des Juifs sur Jésus, mais aussi sur Judas, l’apôtre peut-être le plus méconnu et le plus injustement traité de tous…
C’est le premier roman d’Amos Oz que je lis, aussi n’aurai-je pas de point de comparaison pour déterminer si ce livre est à l’image de son œuvre ou non. En tout cas, c’est une belle découverte, tant pour le plaisir de goûter à une prose fluide que pour apprécier l’intelligence et la finesse avec lesquelles Oz entremêle différents types de récit – politique, historique, théologique et intime.
Commençons par évoquer l’art et la manière : ce n’est guère une surprise tant l’auteur est estimé depuis de nombreuses années, mais Amos Oz écrit bien, avec une clarté qui n’exclut pas l’ambition. Au fil de chapitres plutôt courts, maniant parfois un humour piquant ou plein de dérision, le romancier instaure une atmosphère poignante, légèrement étouffante, dans laquelle les névroses, blessures et obsessions de ses personnages s’épanouissent sans lourdeur. Cette construction vive et aérée lui permet en outre de passer d’un sujet à un autre avec souplesse, en évitant de farcir en une seule fois la tête de son lecteur des nombreuses informations complexes qu’il manipule avec maestria.
Car le propos de Judas est ambitieux – ou plutôt les propos. Le titre l’évoque, le sujet du mémoire de Shmuel Asch aussi, il est ici question de théologie ; miraculeusement, ce n’est jamais ennuyeux, car Amos Oz privilégie une réflexion plus historique que religieuse, nous invitant au passage à une tentative de réhabilitation audacieuse de la figure de Judas, dont le nom est synonyme de traître et que Asch s’emploie à parer des atours du héros maudit.
Oz en profite pour tirer des parallèles constructifs avec l’histoire contemporaine, interrogeant la création controversée de l’État d’Israël ; ce n’est évidemment pas un hasard si le roman se déroule entre 1959 et 1960, alors que David Ben Gourion, l’un des artisans majeurs de cette création, est Premier Ministre. Nul besoin pour autant de connaître ce pan de l’Histoire par cœur (ce n’était guère mon cas, je l’avoue), Oz le rend accessible et compréhensible à tout lecteur. Et certains passages grattouillent carrément :
« Vous avez voulu un pays, grinça [Atalia]. Vous avez voulu l’indépendance. Des drapeaux, des uniformes, des billets de banque, des tambours et des trompettes. Vous avez versé des fleuves de sang innocent. Vous avez sacrifié une génération entière. Vous avez expulsé des centaines de milliers d’Arabes. (…)
– Ne pensez-vous pas que nous nous sommes battus en 1948 parce que nous n’avions pas le choix ? objecta Shmuel, l’oreille basse. Nous étions dos au mur, non ?
– Vous n’étiez pas le dos au mur. Vous étiez le mur. » (pp.212-213)
De même que cet extrait sur les religions, qui paraît presque naïf d’évidence mais fait toujours du bien à lire :
« Le judaïsme, le christianisme – et n’oublions pas l’islam – dégoulinent de bons sentiments, de charité et de compassion, tant qu’on ne parle pas de menottes, de barreaux, de pouvoir, de chambres de torture ou d’échafauds. Ces religions, en particulier celles nées au cours des siècles derniers et qui continuent à séduire les croyants, étaient censées nous apporter le salut, mais elles se sont empressées de verser notre sang. » (pp.84-85)
Pourvu d’une humanité réconfortante et d’une petite dose d’humour salvatrice, Judas est un roman attachant, qui invite à la réflexion, et dont la hauteur de vue s’avère plus que nécessaire en ces temps troublés que nous affrontons.
Judas, d’Amos Oz
(Ha-Besora Al-Pi Yehuda, traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen)
Éditions Gallimard, 2016
ISBN 978-2-07-017776-9
348 p., 21€
A première vue : la rentrée Gallimard 2016
Bon, cette année, promis, je ne vous refais pas le topo sur les éditions Gallimard et leurs rentrées littéraires pléthoriques dont la moitié au moins est à chaque fois sans intérêt ; je pense qu’à force, vous connaissez le refrain, et il ne change guère cette année : 13 romans français, 4 étrangers, c’est à peine moins que l’année dernière – et on n’en parle que des romans qui paraissent fin août, il y en a beaucoup d’autres en septembre (dont un Jean d’Ormesson, mais je saurai vous épargner).
Je vais sans doute m’attacher à être plus elliptique cette année que les précédentes, car cette rentrée 2016 me paraît à première vue dépourvue d’attraits majeurs. Comme je n’ai pas pour objectif de vous faire perdre votre temps, on va trancher dans le vif ! Et commencer par les étrangers, ça ira plus vite (façon de parler)…
JE CHANTE UN BAISER : Judas, d’Amos Oz (lu)
A court d’argent et le coeur en berne après que sa petite amie l’a quitté, Shmuel décide d’abandonner son mémoire sur « Jésus dans la tradition juive ». Il accepte à la place une offre d’emploi atypique : homme de compagnie pour un vieil érudit infirme qui vit reclus dans sa maison, sous la houlette d’une femme aussi mystérieuse que séduisante… Mêlant avec art récit intime de personnages étranges et attachants, réflexions sur l’histoire d’Israël et un discours théologique passionnant, Amos Oz emballe un roman de facture parfaite et sert l’intelligence sur un plateau.
PORTRAIT DE L’ARTISTE EN TUEUR : Tabou, de Ferdinand von Schirach
Un célèbre photographe avoue un crime pour lequel on n’a ni corps, ni même d’identité formelle de la victime. Qu’est-ce qui l’a mené là ? Y a-t-il un rapport avec ses expérimentations artistiques audacieuses ? Dans la lignée de ses livres précédents, le romancier allemand élabore une réflexion sur la violence et le doute, le rapport entre vérité et réalité.
À LA FOLIE : Beckomberga – Ode à ma famille, de Sara Stridsberg
Ouvert en 1932 près de Stockholm, Beckomberga a été conçu pour être un nouveau genre d’hôpital psychiatrique fondé sur l’idée de prendre soin de tous et de permettre aux fous d’être enfin libérés. Jackie y rend de nombreuses visites à son père Jim qui, tout au long de sa vie, n’a cessé d’exprimer son mal de vivre. Famille et folie, le thème de l’année 2016 ? Après En attendant Bojangles, mais dans un genre très différent, Sara Stridsberg propose en tout cas une nouvelle variation sur le sujet.
ON THE ROAD : Et toi, tu as eu une famille ?, de Bill Clegg
Famille encore ! Cette fois, tout commence par un incendie dans lequel périssent plusieurs proches de June, dont sa fille Lolly qui devait se marier le lendemain du drame. Dévastée, June quitte la ville et erre à travers les Etats-Unis, sur les traces de ce qui la lie encore à sa fille, par-delà la mort. Dans le même temps, le roman se fait choral en laissant la parole à d’autres personnes affectées par l’incendie, dans une tentative de transcender l’horreur par l’espoir et le pardon.
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VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER : Tropique de la violence, de Nathacha Appanah
A quinze ans, Moïse découvre que Marie, la femme qui l’a élevé, n’est pas sa mère. Révolté, il tombe sous la coupe d’une bande extrêmement dangereuse qui va faire de son quotidien un enfer… Nous sommes à Mayotte, minuscule département français perdu dans l’océan Indien, au large de Madagascar. Un bout de France ignoré, méprisé, étouffé par une immigration incontrôlable en provenance des Comores voisines, et où la violence et la misère vont de pair. La Mauricienne Nathacha Appanah en tire un roman qui devrait remuer les tripes.
HER : Ada, d’Antoine Bello
Un policier de la Silicon Valley est chargé de retrouver une évadée d’un genre très particulier : il s’agit d’Ada, une intelligence artificielle révolutionnaire, dont la fonction est d’écrire en toute autonomie des romans à l’eau de rose. En menant son enquête, Frank Logan découvre pourtant que sa cible développe une sensibilité et des capacités si exceptionnelles qu’il en vient à douter du bien-fondé de sa mission…
BONNIE & CLYDE : Romanesque, de Tonino Benacquista
Un couple de Français en cavale à travers les États-Unis se réfugie dans un théâtre. La pièce à laquelle ils assistent, Les mariés malgré eux, se déroule au Moyen Age et raconte l’exil forcé d’un couple refusant de se soumettre aux lois de la communauté. Le destin des deux Français dans la salle et des personnages sur scène se répondent et se confondent, les lançant dans une vaste ronde dans le temps et l’espace, une quête épique où ils s’efforceront de vivre leur amour au grand jour…
PORCO ROSSO : Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo
Au cours du XXe siècle, l’histoire d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. En deux époques, cinq générations traversent les grands bouleversements historiques, économiques et industriels. C’est déjà le quatrième roman du jeune Jean-Baptiste Del Amo (34 ans), qui revient ici avec un sujet sérieux et ambitieux – du genre qui doit mener à un prix littéraire…
LA MAIN SUR LE BERCEAU : Chanson douce, de Leïla Slimani
Dans le jardin de l’ogre, le premier roman de Leïla Slimani – histoire d’une jeune femme, mariée et mère de famille, rongée par son addiction au sexe -, n’était pas passé inaperçu, loin de là. Son deuxième, qui relate l’emprise grandissante d’une nourrice dans la vie d’une famille, pourrait constituer une confirmation de son talent pour poser une situation de malaise et provoquer une réflexion sociétale stimulante.
POST COITUM ANIMAL TRISTE : L’Insouciance, de Karine Tuil
En 2009, le lieutenant Romain Roller rentre d’Afghanistan après avoir vécu une liaison passionnée avec la journaliste et romancière Marion Decker. Comme il souffre d’un syndrome post-traumatique, son retour en France auprès de sa femme et de son fils se révèle difficile. Il continue à voir Marion, jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle est l’épouse du grand patron de presse François Vély… Il y a de l’ambition chez Karine Tuil, à voir si le résultat est à la hauteur.
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ÇA FAIT PAS UN PLI : Monsieur Origami, de Jean-Marc Ceci
Un jeune Japonais tombe amoureux d’une femme à peine entrevue, et quitte tout pour la retrouver. Il finit par échouer en Toscane, où il s’adonne en ermite à l’art du pliage japonais. Pour tous, il devient Monsieur Origami…
UNSUCCESS STORY : L’Autre qu’on adorait, de Catherine Cusset
A vingt ans, Thomas a tout pour réussir. Il mène des études brillantes, séduit les femmes et vit au rythme frénétique de Paris. Mais après avoir échoué à un concours que réussit son meilleur ami, et s’être fait larguer par sa petite amie, sa vie entame une trajectoire descendante que rien n’arrêtera… Think positive à la française.
ROMAN PAS X : Livre pour adultes, de Benoît Duteurtre
Inspiré par la mort de sa mère, Duteurtre annonce un livre à la croisée de l’autobiographie, de l’essai et de la fiction. Il ira croiser sans moi, son Ordinateur du Paradis m’ayant dissuadé de perdre à nouveau mon temps avec cet auteur.
NAISSANCE DES FANTÔMES : Crue, de Philippe Forest
Un homme marqué par le deuil revient dans la ville où il est né, où les constructions nouvelles chassent peu à peu les anciennes. Il rencontre un couple, s’envoie Madame et papote avec Monsieur qui affirme que des milliers de gens disparaissent. D’ailleurs, Monsieur et Madame disparaissent à leur tour. Puis la ville est envahie par les flots…
À L’EST D’EDEN : Nouvelle Jeunesse, de Nicolas Idier
Dans le Pékin contemporain, des jeunes vivent d’excès. Ils sont poètes, rockers ou amoureux, et incarnent la nouvelle jeunesse de cette ville en mutation.
UNE BELLE HISTOIRE : Les deux pigeons, d’Alexandre Postel
Théodore a pour anagramme Dorothée. Ça tombe bien, ce sont les prénoms des héros du troisième livre d’Alexandre Postel (intéressant mais imparfait dans L’Ascendant et Un homme effacé). Ils sont jeunes, ils sont amoureux, et se demandent comment mener leurs vies… C’est une romance d’aujourd’hui.
ENGAGEZ-VOUS RENGAGEZ-VOUS QU’ILS DISAIENT : Nos lieux communs, de Chloé Thomas
Sur les pas des étudiants d’extrême gauche, Bernard et Marie sont partis travailler en usine dans les années 1970. Bien des années plus tard, Jeanne recueille leurs témoignages et celui de leur fils, Pierre, pour tenter de comprendre leurs parcours. Premier roman.
Une proie trop facile, de Yishaï Sarid
Signé Bookfalo Kill
Après avoir quitté un cabinet prestigieux pour monter sa propre affaire, un avocat de Tel-Aviv, empêtré dans les problèmes insolubles de son unique client et ses soucis personnels, décide de profiter de sa période de réserve militaire pour se changer les idées, en acceptant de diriger une enquête pourtant difficile : une jeune soldate accuse en effet de viol un officier brillant et respecté de tous, qui combat en poste avancé au Liban. Le témoignage trouble et l’attitude déconcertante de la jeune femme le perturbent autant que l’assurance et l’aura du militaire, et démêler le vrai du faux va s’avérer extrêmement compliqué…
J’avoue avoir eu du mal entrer dans ce premier roman de Yishaï Sarid (le deuxième publié en France après Le Poète de Gaza). Tempo lent, digressions nombreuses, personnages velléitaires, réalisme déprimant des situations et du contexte de l’intrigue, l’Israël du début des années 2000… Autant d’éléments qui, une fois domptés le rythme et le ton particulier du récit, constituent la singularité d’Une proie trop facile.
Car on finit par apprécier de se heurter avec autant d’insistance aux errements des personnages, à commencer par ceux du héros-narrateur, tellement incertain qu’il n’a pas même de nom. Yishaï Sarid ne sacrifie rien à la facilité, et s’attache à dépeindre avec une précision dénuée de romanesque une enquête qui traîne et s’enlise, une victime peu fiable mais qu’on a envie d’aider, un suspect si rayonnant et défendu par tout le monde qu’on a envie de le croire sans preuve, un extrémisme religieux latent mais jamais loin d’entraver la bonne marche des événements, un patriotisme qui flirte volontiers avec le nationalisme, la guerre qui gronde aux frontières du pays…
Si Sarid repousse jusqu’à la fin le dévoilement de la vérité sur l’enquête, assurant ainsi l’intérêt du lecteur, il captive surtout par sa manière de croquer un monde sous tension permanente, à la recherche d’une stabilité que l’on sent impossible à obtenir. Il faut s’accrocher pour supporter son héros, comme la plupart des autres personnages d’ailleurs, assez antipathiques dans l’ensemble, mais le jeu en vaut finalement la chandelle et confirme, après les livres de Dror Mishani ou Liad Shoham, que les auteurs de polar israéliens ont autant de choses à dire qu’un ton particulier pour le faire.
Une proie trop facile, de Yishaï Sarid
(Teref Kal, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz)
Éditions Actes Sud, coll. Actes Noirs, 2015
ISBN 978-2-330-05662-9
341 p., 22,50€
Le médaillon de Budapest d’Ayelet Waldmann
Avez-vous déjà acheté un bouquin juste parce que vous trouviez la couverture jolie? Et que la quatrième de couv’ vous semblait intéressante?
Cela m’est arrivé avec Le médaillon de Budapest, d’Ayelet Waldman. Et des fois, il vaut mieux écouter son instinct et reposer le beau livre pour ne garder que celui qui ne paye pas de mine graphiquement, mais qui a un petit mot du libraire scotché sur la couverture. Ça m’apprendra à faire des infidélités!
N’ayant rien d’autre sous la dent, je l’ai lu entièrement. Et c’était pénible, dans tous les sens du terme.
Jack est un vieux papy qui se meurt, quelque part dans un Etat du nord-est des États-Unis. Depuis longtemps, il cache un médaillon qu’il a volé, sans jamais oser le rendre.
Natalie est sa petite-fille, la petite trentaine et fraîchement divorcée. Elle cherche une raison de ne pas sombrer dans la dépression suite à ce mariage raté, quelques mois à peine après l’avoir célébré.
Jack demande donc à Natalie de restituer à sa propriétaire le médaillon, qui provient du train de l’or hongrois, un train conduit par les Nazis à destination de l’Allemagne, empli des richesses de tous les Juifs hongrois déportés et assassinés. De l’or, des bijoux, des diamants, des tableaux de maîtres, des Torah vieilles de centaines d’années, des joyaux inestimables. Et parmi cela, le fameux médaillon de Budapest, un paon tout d’émail et d’or.
Natalie va partir sur les traces de ce trésor, découvrir un épisode tragique et émouvant de la Seconde Guerre Mondiale et… non, je ne vous raconterai pas la fin.
L’idée de départ n’est pas mauvaise. C’est simplement le style et le découpage pour le moins surprenant du bouquin qui déroutent. C’est plat, sans saveur, truffé de rebondissements de dernière minute. Le livre se découpe en trois parties (si mes souvenirs sont bons). États-Unis, Hongrie et Israël, de nos jours – Un camp américain en Autriche en 1945 – Prague dans les années 1910. On change de protagoniste à chaque fois, on n’approfondit pas la psychologie des personnages, les femmes dans ce bouquin sont des hystériques sans nuance (mention spéciale à Nina…) et les hommes, des amoureux éconduits.
C’est long, c’est ennuyeux, c’est terriblement décevant. Ne jamais se fier à la beauté de l’emballage… L’habit ne fait pas le moine!
Un article de Clarice Darling
Le Médaillon de Budapest, d’Ayelet Waldman
(traduit de l’américain par Daphné Bernard)
Éditions Robert Laffont, 2015
ISBN 978-2-221-13827-4
455 p., 22€
A première vue : la rentrée Stock 2015
Pour sa troisième année à la tête de Stock, l’éditeur Manuel Carcassonnne propose une rentrée solide quoique un peu trop riche (onze romans, neuf français et deux étrangers), où des valeurs sûres de la maison accueillent deux premiers romans, dont un aura sûrement la faveur des médias, et quelques transfuges aux noms prestigieux, dont le Britannique Nick Hornby et le romancier-psychanalyste Tobie Nathan.
DANS MON ARBRE IL Y A… : La Cache, de Christophe Boltanski
Si son nom vous est familier, ce n’est pas un hasard. Grand reporter au Nouvel Obs, Christophe Boltanski est aussi le fils du sociologue Luc Boltanski et le neveu de l’artiste Christian Boltanski. Ces précisions ont un sens, puisque c’est l’histoire de sa drôle de famille que livre ici le néo-romancier, en articulant son récit autour des pièces de la maision familiale à Paris. Le point de départ : la cache, un réduit minuscule où son grand-père s’est caché des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, et qui est devenu par la suite le point névralgique de la demeure. La presse sera probablement au rendez-vous de ce gros premier roman.
RACINES : Nous serons des héros, de Brigitte Giraud
Joli titre pour le nouvel opus de la romancière lyonnaise, qui relate l’arrivée en France d’une femme et de son jeune fils, Olivio, tous deux ayant fui la dictature portugaise. Recueillis par un rapatrié d’Algérie, ils espèrent un nouveau départ mais l’homme ne supporte pas l’adolescent. Celui-ci se lie d’amitié avec Ahmed, un immigré algérien de son âge… Un roman où amours, tensions et quêtes de soi et de son identité seront au cœur du récit.
POMME TOMBÉE DE L’ARBRE : Eva, de Simon Liberati
Enfant, elle a posé nue pour sa mère, la photographe Irina Ionesco, souvent dans des poses érotiques qui ont fait scandale. Une expérience traumatisante qui a laissé des traces et a marqué durablement sa vie, entre jeunesse tumultueuse et procès retentissant contre sa génitrice. Depuis, récemment, elle est devenue la femme de Simon Liberati, qui lui consacre donc ce récit intime, après l’avoir croisé plusieurs fois au fil des années, et s’en être inspiré pour son premier roman alors qu’il ne la connaissait pas encore. Là aussi, presse attendue… pour de bonnes raisons, on espère.
BRANCHES : Il faut tenter de vivre, d’Eric Faye
Sandrine Broussard non plus n’a pas eu la vie facile. De son enfance maltraitée, elle a eu l’idée de se venger en séduisant à la chaîne qu’elle arnaquait ensuite avant de disparaître, multipliant identités, vies et fuites. Depuis longtemps fasciné par cet femme insaisissable, le narrateur finit par la rencontrer et se lier à elle. Un roman autobiographique auquel Eric Faye tient beaucoup.
INCENDIAIRE : Un homme dangereux, d’Emilie Frèche
Attention, sujet sensible. Ce roman met en scène un homme convainquant une femme de tout quitter, son mari et ses filles partis en Israël, pour vivre avec lui. Mais son véritable projet est de la détruire, pour la seule raison qu’elle est juive… Une œuvre post-Charlie qui pourrait faire grincer des dents.
PETIT POUCET PERDU DANS LA FORÊT DES SENTIMENTS : L’illusion délirante d’être aimé, de Florence Noiville
L’illusion délirante d’être aimé est une véritable maladie, potentiellement dangereuse, connue sous le nom de « syndrome de Clérambault », du nom du psychiatre qui l’a diagnostiquée. L’héroïne de ce roman, Laura, en souffre, accusant une ancienne amie de la harceler. Sauf que personne dans son entourage n’est témoin de rien…
CANOPÉE : Ce pays qui te ressemble, de Tobie Nathan
Une grande fresque historique prenant pour cadre l’Egypte, dont est originaire Tobie Nathan. Suivant depuis longtemps une double carrière de psychanalyste réputé et de romancier, l’écrivain retrace à travers le parcours extraordinaire de Zohar, né dans le ghetto juif du Caire, l’histoire récente de son pays, depuis le roi Farouk jusqu’à l’islamisation grandissante de ces dernières années.
DÉRACINÉE : Sœurs de miséricorde, de Colombe Schneck
Une Bolivienne quitte son pays et sa pauvreté pour Paris, où elle espère gagner sa vie. Elle se heurte à une autre vision du monde, froide et désincarnée, notamment chez les riches qui l’emploient. Si ce roman est inspirée d’une rencontre qu’elle a faite, pour une fois Colombe Schneck ne parle pas d’elle. C’est déjà ça.
DÉRACINÉS : Les bannis, de Laurent Carpentier
C’est l’autre premier roman de la rentrée Stock. Inspiré de faits réels, il relate le bannissement, l’excommunication, l’exil et l’exploitation des membres d’une famille dans le tumulte du XXe siècle dans un texte qui oscille entre vie et mort, entre horreur et humour.
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BOURGEONS : Funny Girl, de Nick Hornby
(traduit de l’anglais par Christine Barbaste)
Un grand nom de la littérature anglaise contemporaine rejoint Stock ! L’auteur de Carton jaune, Pour un garçon, Haute fidélité ou Juliet, Naked évoque les Swinging Sixties, à travers l’histoire d’une actrice, Sophie Straw, star d’une comédie à succès de la BBC dans les années 60. Un roman que l’on attend comme toujours enlevé, humain, chaleureux et drôle.
RADICELLES : Avant la fête, de Sasa Stanisic
(traduit de l’allemand par Françoise Toraille)
Ce n’est que le second roman de Sasa Stanisic, romancier d’origine yougoslave qui vit en Allemagne, et connut un gros succès avec son premier titre, Le Soldat et le Gramophone – c’était en 2008, déjà. Cette fois, il raconte un village et ses habitants, le temps d’une nuit, avant la fête de la Sainte-Anne, moment important de la communauté.
La Propriété de Rutu Modan
Regina Segal est une vieille dame très âgée vivant en Israël. A la mort de son fils, elle décide de retourner dans son pays natal, la Pologne. Sa petite-fille, Mica, l’accompagne dans ce qu’elle croit être un retour aux sources afin de récupérer la propriété qui leur a été spoliée pendant la guerre. Mais visiblement, Regina est en Pologne pour tout autre chose…
Le trait de Rutu Modan est directement influencé de la bande-dessinée belge, à tel point que j’avais l’impression d’avoir sous les yeux du Hergé. Je n’ai pas aimé les personnages secondaires, trop encombrants, envahissants et qui n’apportent pas vraiment à l’histoire. Mais j’ai apprécié Regina et sa petite-fille, l’une déterminée à retrouver son passé, l’autre à comprendre cette grand-mère irascible et imprévisible. J’ai aimé les phrases choc employées par-ci par-là, qui font mouche et interpellent, notamment celle d’un Israélien habitué des voyages sur les lieux de commémoration qui précise qu’il préfère Majdanek à Auschwitz, car c’est plus « effrayant ». (Et pour avoir vu moi-même ces charters de personnes qui utilisent des tours-opérateurs pour visiter les lieux de recueillement, sans aucun respect et en moins de 5 mn, je peux vous dire que c’est effarant.)
L’histoire est belle, cela aurait pu être plus intime, certains personnages sont complètement inutiles, comme le jeune Polonais amoureux de Mica. Au final, je suis mitigée sur cette bande-dessinée qui avait tout pour être au top et qui, finalement, se perd un peu. Dommage!
La Propriété de Rutu Modan
Editions Actes Sud, 2013
9782330022334
220p., 24€50
Un article de Clarice Darling.