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À première vue : la rentrée Liana Levi 2020

liana


À l’instar de nombre de ses confrères et consœurs de taille moyenne, pas de changement de ligne chez Liana Levi, qui présente trois nouveautés en cette rentrée littéraire 2020. Au menu, un premier roman, un deuxième extrêmement attendu, et l’édition inédite du premier roman d’un auteur américain emblématique de la maison. Du très solide, et en même temps une certaine prise de risque, qui suscite de mon côté pas mal de curiosité et d’impatience.


Intérêt global :

joyeux


Négar Djavadi - ArèneArène, de Négar Djavadi

Son premier roman, Désorientale, a été un triomphe de librairie, aussi bien en grand format qu’en poche. Quatre ans plus tard, le retour de la romancière française d’origine iranienne Négar Djavadi constitue un événement, auquel répondront sans doute nombre de lecteurs envoûtés par son premier opus – à condition, bien sûr, que le deuxième soit à la hauteur. C’est toute la question que posent Arène et son titre énigmatique.
Négar Djavadi y fait le pari d’une plongée sociologique brûlante, puisque l’arène en question, c’est Paris. Les quartiers est de la ville en particulier. Tout commence par un geste presque anodin, le vol d’un téléphone portable dans un bar-tabac de Belleville. Sauf que la victime, Benjamin Grossman, est l’un de ces jeunes cadres dynamiques à qui tout réussit, et qui ne conçoit pas de subir ce genre d’avanie. La suite, c’est un dérapage incontrôlé. Une poursuite, une bagarre, puis une intervention policière qui tourne mal. Le voleur, un adolescent, y laisse la vie. Et tout s’embrase, car la scène a été filmée par une jeune fille…
D’un fait divers mettant le feu aux poudres et projetant sur la scène nombre de personnages qui ne s’y attendaient pas ni ne le souhaitaient, la romancière tire la matière d’une tragédie humaine totalement ancrée dans notre réel. Et lance une sacrée promesse aux lecteurs.

Dany Héricourt - La CuillèreLa Cuillère, de Dany Héricourt

Alors qu’elle veille au chevet de son père qui vient de mourir, une jeune fille de 18 ans remarque sur la table de nuit une cuillère. L’objet, qu’elle n’a jamais vu auparavant l’intrigue tant qu’il détourne son attention du chagrin, et va la lancer dans une quête pour le moins inattendue, depuis l’hôtel familial au Pays de Galles jusqu’en Bourgogne…
Voici pour le premier roman de la rentrée Liana Levi, qui promet malice et inattendu, pour peu que la promesse du résumé soit tenue.

Eddy L. Harris - Mississippi SoloMississippi Solo, d’Eddy L. Harris
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Pascale-Marie Deschamps)

Certes, Mississippi Solo est aussi le premier roman d’Eddy L. Harris, mais ce n’est pas le premier que publie Liana Levi en France. L’auteur américain, qui vit désormais dans notre pays, s’est déjà fait connaître par Harlem, Jupiter et moi (aucun lien avec le gars qui habite à l’Élysée en ce moment), et Paris en noir et black.
Ce livre fondateur est un récit de voyage initiatique, celui que l’auteur a accompli à l’âge de trente ans le long du mythique fleuve américain. Une descente en canoë au cœur de l’Amérique, qui l’amène à se confronter à la puissance de la nature américaine, mais aussi à l’humanité dans toute sa splendeur, faisant au passage l’expérience d’un racisme qu’il n’avait jamais eu à affronter auparavant.


BILAN



Lectures très probables :

Arène, de Négar Djavadi
La Cuillère, de Dany Héricourt
Mississippi Solo, d’Eddy L. Harris

Impossible de les départager, les trois me font envie…

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Continuer, de Laurent Mauvignier

Signé Bookfalo Kill

Une mère et son fils chevauchent à travers les plaines et les montagnes du Kirghizistan. S’ils en sont là, à braver les voleurs de chevaux, à dormir sous la tente ou chez l’habitant, à découvrir les paysages hallucinants d’un pays sauvage et méconnu, c’est parce que Sybille a décidé de sauver son enfant. A dix-sept ans, Samuel est sur la mauvaise pente, dépassant allègrement les limites connues de la rébellion adolescente. Il fallait réagir, et comme Sybille ne comptait pas sur Benoît, son ex-mari dont le seul principe éducatif consiste à cultiver une complicité virile assez lourdingue avec son fils, elle a décidé de contraindre Samuel à un voyage aussi rude qu’inattendu.
Un parcours initiatique, à deux, qui pourrait également constituer une opération de sauvetage pour Sybille, elle à qui tout souriait dans sa jeunesse et pour qui tout s’est écroulé du jour au lendemain…

Mauvignier - ContinuerLaurent Mauvignier a pour principe de n’être jamais là où on pourrait l’attendre. D’où cette histoire de périple à cheval, tête-à-tête houleux entre une mère blessée et son adolescent écorché vif, qui joue la carte du dépouillement pour mieux tenter de toucher à l’os des sentiments et de la vérité des personnages.
Articulé en trois parties – « Décider », « Peindre un cheval mort » et « Continuer » -, Continuer est marqué par une montée en puissance assez spectaculaire. Au début, je l’avoue, une fois intégré le dépaysement offert par les paysages et les habitants du Kirghizistan, j’ai craint de trouver anodines les aventures assez peu épiques de Sybille et Samuel, la mise en place des personnages flirtant avec des clichés bon marché, peu dignes de la réputation du romancier.
Et puis, petit à petit, la sensibilité fait son nid – sans sensiblerie. Le style de Mauvignier, si l’on retrouve son art des phrases longues et rythmées par de nombreuses virgules, s’affine et s’épure néanmoins, traquant l’essentiel au détour de réflexions tortueuses qui épousent le cours troublé des pensées des protagonistes. Ceux-ci, plutôt antipathiques (tristement humains ?) au départ, révèlent alors peu à peu leur complexité, les motifs de leurs errances, alors même que les circonstances de plus en plus épiques de leur voyage les forcent à évoluer.

À vrai dire, j’ai eu le sentiment que le roman basculait à mi-parcours (il faut donc être un peu patient), lors d’une scène spectaculaire d’embourbement des chevaux – moment de bravoure littéraire absolument admirable. Obligés de recourir à toutes leurs ressources pour se sortir de ce piège, Sybille et Samuel semblent accomplir avec une violence vitale le premier geste qui leur permettra à terme de s’extirper de leurs vies en plein ratage. Comme une renaissance, arrachée symboliquement de la boue et des souffrances les plus extrêmes, qui projette le livre vers l’avant avec une énergie neuve et belle.
Cette avancée doit beaucoup au merveilleux personnage de Sybille, si désolante au début, si peu armée pour un tel combat, mais qui s’échine à poursuivre sa quête de rédemption familiale avec un entêtement maladroit forçant le respect. Un superbe personnage féminin à qui son auteur masculin ne fait pas de cadeaux, sans doute parce qu’il la comprend mieux que personne.

Dépaysant, taillé dans une matière littéraire brute, Continuer caresse au plus près les mystères d’une nature sauvage et de caractères qui ne le sont pas moins, pour en retirer la vérité la plus pure. Fort et exigeant, c’est l’un des beaux romans de cette rentrée.

Continuer, de Laurent Mauvignier
Éditions de Minuit, 2016
ISBN 978-2-0732-983-7
240 p., 17€


Minnow, de James E. McTeer II

Signé Bookfalo Kill

Ce devait être une course toute simple : aller en ville et acheter chez le pharmacien un médicament pour soigner son père. Rien d’insurmontable pour un jeune garçon aussi débrouillard que Minnow. Malheureusement, le produit manque chez le l’apothicaire, qui oriente l’enfant vers le « Docteur Crow », un médecin vaudou consultant dans une modeste cabane de Port Royal, la ville voisine de sinistre réputation.
Ce n’est que le début de longues et périlleuses aventures pour Minnow, qui devra affronter des hommes retors, des créatures dangereuses et la menace d’un terrible ouragan…

mcteer-minnowDès les premières pages, très accrocheuses, on se demande dans quel drôle de monde nous entraîne James E. McTeer II. Minnow ressemble à un gamin d’aujourd’hui, mais les paysages et le ton général du récit laissent penser que l’histoire se déroule il y a longtemps, quelque part entre le XIXème et le XXème siècle. Au fond, d’ailleurs, qu’importe. Collé aux basques de ce très chouette gamin qu’est Minnow, on est très vite embarqué dans des aventures palpitantes, au rythme enlevé d’un récit initiatique dans les règles de l’art.

Avec son évocation du sud américain ancestral, Minnow a des airs de roman de Mark Twain, tout en tendant très vite vers le conte, empruntant à ce genre très codifié ses passages obligés : un jeune héros confronté à une perturbation majeure de son équilibre initial, un but à atteindre, des épreuves à affronter, des apprentissages à appliquer pour survivre et rallier son objectif, des adversaires et des personnages auxiliaires qui viennent en aide au héros…
Le mélange des deux genres (roman du sud et conte) donne un très beau récit métis, palpitant, mystérieux, parfois très sombre ; le roman tend vers la violence, celle des hommes répondant à celle de la nature lorsque l’ouragan se déchaîne – passages hallucinants de puissance et de terrible beauté -, mais toujours l’humanité rayonnante de Minnow prend le dessus, inscrivant ce petit bout d’homme formidablement courageux au panthéon des personnages inoubliables.

Il se dégage de ce premier roman très réussi une force d’attraction envoûtante, une magie noire dont les volutes vénéneuses ensorcellent. L’une des gestes littéraires les plus originales de cette rentrée, pour ceux que les sentiers rebattus ennuient. Superbe !

Minnow, de James E. McTeer II
(Minnow, traduit de l’américain par Virginie Buhl)
Éditions du Sous-Sol, 2016
ISBN 978-2-36468-099-9
236 p., 19€


A première vue : la rentrée Minuit 2016

La rentrée 2016 des éditions de Minuit est sans doute la plus simple et la plus rapide qu’il m’ait été donné de présenter depuis que j’ai commencé cet exercice, puisqu’elle se résume à un seul auteur. Mais il s’agit bien sûr d’un des plus importants de la maison, et le trouver seul en lice est tout sauf le fruit du hasard. Disons-le clairement, la vénérable maison aspire au Prix Goncourt, et peut d’autant plus y croire que la concurrence semble à première vue assez limitée cette année. Néanmoins, vous savez ce qu’on dit de la peau de l’ours…

Mauvignier - ContinuerÀ DADA SUR MON BIDET : Continuer, de Laurent Mauvignier (lu)
On peut affirmer sans prendre trop de risque qu’il s’agit d’un des romanciers français les plus importants d’aujourd’hui, en terme d’ambition et d’exigence littéraire. Après un roman choral spectaculaire, Autour du monde, qui faisait s’entrecroiser le destin de différents personnages tous liés de près ou de loin au tsunami japonais de 2011, Laurent Mauvignier réduit son casting à deux personnages principaux, une mère et son fils adolescent, dans les paysages rugueux du Kirghizistan. Une traversée à cheval de ce pays méconnu pour tenter de renouer les liens, sortir le garçon des mauvais chemins dans lesquels il semblait s’embourber en France, et permettre à la mère de redonner du sens à une existence marquée par les échecs.
Aride au départ, en raison des caractères sans concession des protagonistes, Continuer monte joliment en puissance au fil de trois parties salvatrices.

À noter, la sortie simultanée en poche d’Autour du monde, histoire de compléter le tableau Mauvignier de la rentrée.