Rapport d’enquête #2 : King, Meyer

Après
Stephen King
Éditions Albin Michel, 2021
ISBN 9782226459763
329 p.
20,90 €
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Marina Boraso
Jamie n’est pas un enfant comme les autres : il a le pouvoir de parler avec les morts. Mais si ce don extraordinaire n’a pas de prix, il peut lui coûter cher.
C’est ce que Jamie va découvrir lorsqu’une inspectrice de la police de New York lui demande son aide pour traquer un tueur qui menace de frapper… depuis sa tombe.
Si ce nouveau roman de Stephen King était un célèbre soda d’outre-Atlantique, ce ne serait certes pas du Zéro, mais du Light. Avec son idée de départ ouvertement pompée sur Sixième Sens de M. Night Shyamalan – un jeune garçon voit des gens qui sont morts -, Bruce Willis et le twist de folie en moins, le septuagénaire n’invente rien de neuf, mais il déroule avec facilité et efficacité une histoire bien dans son style.
Son jeune héros, narrateur de l’intrigue, est très attachant, tout comme sa mère qui l’élève seule. C’est une voix d’enfant comme King sait si bien les camper, avec empathie et tendresse, sans mièvrerie. En face, les méchants sont moches, le suspense tient la route sans excès de vitesse, il y a quelques scènes sanglantes mais pas trop – en dépit de l’insistance, d’ailleurs suspecte au bout d’un moment, avec laquelle notre Jamie affirme qu’il s’agit d’une « histoire d’épouvante »…
Clairement un King mineur – mais comme le disait l’ami Yvan Fauth dans un échange que nous avions récemment, ce qui est mineur chez Master Stephen reste bien souvent au-dessus du lot, et c’est finalement notre seule exigence vis-à-vis de son génie si souvent démontré qui nous rend parfois sévère avec lui.
Bref, un bon moment de lecture, ni plus ni moins, et c’est déjà bien.

La Femme au manteau bleu
Deon Meyer
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2021
ISBN 9782072857805
192 p.
14 €
Traduit de l’afrikaans par Georges Lory
Le corps, soigneusement lavé à l’eau de Javel, d’une Américaine experte en peinture de l’âge d’or hollandais a été abandonné sur un muret au panorama du col de Sir Lowry, à soixante kilomètres du Cap.
Benny Griessel et Vaughn Cupido, tandem choc de la brigade criminelle des Hawks, se demandent ce qu’elle était venue faire en Afrique du Sud. Personne, dans son entourage, ne semble au courant. Mais lorsqu’ils découvrent que son travail consistait à localiser des tableaux disparus, et qu’elle avait contacté un professeur d’histoire retraité ainsi qu’un détective privé, des pistes inattendues s’ouvrent à eux…
On ne va pas se mentir ni se voiler la face : pour ce nouveau roman, Deon Meyer assure le service minimum, à tous les étages.
Minimum de personnages, pour un minimum de pistes et d’hypothèses qui débouchent logiquement sur une résolution minimaliste. Doublé d’un minimum de travail sur les personnages, à commencer par les principaux, et en particulier Benny Griessel qu’on a connu plus râpeux, plus fracturé (et donc plus intéressant) lorsque l’alcool faisait de lui sa chose et contribuait à l’égarer dans des enquêtes autrement plus complexes.
Minimum de recherche sur le sujet choisi, également. Si vous cherchez un bon polar sur le monde de l’art, il y a plein d’autres qui vous captiveront davantage que celui-ci, à peine digne de figurer en annexe d’une bibliographie sur le sujet.
Minimum de psychologie, encore – on a droit à un alignement de platitudes analytiques qu’on jugerait indignes chez n’importe quel débutant.
Minimum de style, enfin : narration expéditive, au présent et sans aucun relief, accélérée à grands coups de dialogues charclés à la machette.
Pas de quoi me convaincre de faire plus à mon tour que le strict minimum dans cette chronique.
Hormis vous conseiller, si vous êtes un inconditionnel de Deon Meyer, d’attendre la sortie poche d’ici un an ou deux, histoire de ne pas perdre 14€ pour une lecture, certes potable, mais qui n’en vaut pas autant. Et si vous ne le connaissez pas, ruez-vous toutes affaires cessantes sur L’Année du Lion. Là, vous ne le regretterez pas.
À première vue : la rentrée Stock 2021
Intérêt global :

Pas toujours facile pour moi de distinguer le bon grain de l’ivraie dans les programmes de rentrée des éditions Stock (et c’est valable pour le reste de l’année, du reste). De temps en temps, un auteur, un propos, une approche me séduisent. Mais la plupart du temps, je trouve leurs propositions très éloignées de mes goûts et de ma conception de la littérature – et je le dis fort poliment.
2021 n’échappe pas à cette règle personnelle, ne me laissant m’accrocher qu’à deux espoirs (dont un très fort) au milieu d’un océan de désintérêt, voire d’agacement majeur. Vous me direz, deux sur onze, c’est déjà ça.
Mais onze titres, quoi…
La Félicité du loup, de Paolo Cognetti
(traduit de l’italien par Anita Rochedy)

Voici mon plus bel espoir du programme, hérité des merveilleuses sensations éprouvées à la lecture des Huit montagnes en 2017. Si les livres suivants de Cognetti, plus proches du récit de voyage, m’ont plu, je n’y ai pas retrouvé la force et la pureté cueillies dans ce roman extraordinaire.
L’attente est donc forte pour La Félicité du loup, mêlée d’un peu de prudence tout de même car, à première vue, ce nouveau texte paraît une sorte de cousin du précédent, déclinant sous forme d’histoire d’amour ce que Huit montagnes offrait à la littérature d’amitié.
On y assiste à la rencontre entre Fausto, écrivain de quarante ans, et Silvia, artiste-peintre de vingt-sept ans, dans la station de ski de Fontana Fredda (à nouveau au cœur du Val d’Aoste), où ils travaillent tous deux dans le même restaurant. La saison d’hiver les voit se rapprocher et céder l’un à l’autre, sans promesse d’avenir.
Le printemps les sépare, elle monte vers les hauteurs tandis que lui retourne en ville pour gérer son quotidien morose, dont son divorce. Mais l’appel des montagnes et la force d’attraction de Silvia le ramènent très vite en direction des montagnes…
Les vies de Jacob, de Christophe Boltanski

Un projet mêlant littérature et vraie vie, comme je les aime quand ils sont bien faits, évidemment. Christophe Boltanski s’est déjà brillamment illustré dans ce registre avec son premier roman, La Cache, inspiré de sa famille.
Cette fois, il part en quête d’un parfait inconnu. Un homme dont Boltanski découvre, en chinant aux puces, un album contenant 369 photomatons pris entre 1973 et 1974. Au dos des clichés, présentant l’homme sous différentes facettes et avec différents visages, des adresses du monde entier ajoutent encore au mystère.
Le romancier se lance alors dans une vaste quête aux quatre coins du globe pour reconstituer l’histoire et le parcours du fameux Jacob B’rebi.
Artifices, de Claire Berest

Depuis sa suspension, Abel Bac, un policier parisien, vit reclus. Des événements étranges survenus dans des musées, semblant tous le concerner, l’obligent à rompre son isolement.
Aidé de sa voisine Elsa et de sa collègue Camille Pierrat, il mène une enquête qui le conduit à s’intéresser à l’artiste internationale Mila.
Après deux romans inspirés de personnages réels (Gabriële, co-écrit avec sa sœur Anne sur son arrière-grand-mère, femme de Francis Picabia, et Rien n’est noir, Grand Prix des Lectrices de Elle consacré à Frida Kahlo et Diego Rivera), Claire Berest renoue avec le roman purement fictionnel, en fonçant droit dans le mystérieux, tout en tournant encore autour du monde de l’art.
Saint-Phalle : Monter en enfance, de Gwenaëlle Aubry
Restons du côté des artistes, avec ce récit littéraire traçant le portrait de Niki de Saint-Phalle, depuis son enfance saccagée (violée par son père à onze ans, maltraitée par sa mère) jusqu’à son accomplissement d’artiste, nourri de rage et de volonté de revanche.
Son fils, de Justine Lévy
De l’art toujours, par la bande, puisque Justine Lévy imagine le journal intime de la mère d’Antonin Artaud. Une manière d’aborder de biais le parcours de cet artiste hors normes, écrivain, poète, acteur, dessinateur, illuminé et rongé par la folie.
Le Candidat idéal, d’Ondine Millot
Le jeudi 29 octobre 2015, officiant alors à Libération, Ondine Millot se trouve au tribunal de Melun lorsque l’avocat Joseph Scipilliti tente d’assassiner le bâtonnier Henrique Vannier, le blessant gravement de deux balles avant de retourner l’arme contre lui et de se donner la mort. Plutôt que de réagir à chaud, la journaliste prend le temps de mener une longue enquête pour comprendre le cheminement ayant conduit à ce fait divers tragique.
Bellissima, de Simonetta Greggio
La romancière poursuit son « autobiographie de l’Italie », mettant en parallèle l’histoire de sa famille et celle de son pays, dans la continuité de son travail entamé avec Dolce Vita 1959-1979 et Les Nouveaux Monstres 1978-2014.
S’adapter, de Clara Dupont-Monod
Dans les Cévennes, l’équilibre d’une famille est bouleversé par la naissance d’un enfant handicapé. Si l’aîné de la fratrie s’attache profondément à ce frère différent et fragile, la cadette se révolte et le rejette.
Le Garçon de mon père, d’Emmanuelle Lambert
L’auteure raconte son père, mort d’un cancer en septembre 2019. Selon l’éditeur, c’est évidemment « un livre de vie », parce que sinon ça ferait peur et ça serait sinistre. Ah oui, la question du livre serait aussi : Papa aurait-il préféré avoir un garçon plutôt qu’une fille ? D’où le titre.
Je vous laisse vous dépatouiller avec ça, j’ai pour ma part mieux à faire.
La Maison des solitudes, de Constance Rivière
Dans le même genre, voici l’histoire d’une jeune femme empêchée d’aller retrouver sa grand-mère mourante à l’hôpital. L’occasion d’opposer à cette douleur la mémoire des moments heureux dans la Maison, le repaire du bonheur familial. Sauf que Maman ne partage pas cette vision idyllique des choses, et refuse de retourner dans la dite Maison.
Voilà qui promet de chouettes réunions de famille à Noël.
Les routiers sont sympas : essais 2000-2020, de Rachel Kushner
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson)
Un recueil de 19 textes relevant de plusieurs genres tels que le journalisme, les mémoires ainsi que la critique littéraire et artistique. L’auteure évoque notamment un camp de réfugiés palestiniens et une course de moto illégale dans la péninsule de Baja en 1970, alors que d’importantes grèves ont lieu dans les usines Fiat.
BILAN
Lecture certaine :
La Félicité du loup, de Paolo Cognetti
Lecture probable :
Les vies de Jacob, de Christophe Boltanski
À première vue : la rentrée de la Peuplade 2021
Intérêt global :

C’est l’une des plus jolies découvertes éditoriales en France de ces dernières années, bien que la Peuplade existe depuis 2006. Mais il a fallu de nombreuses années pour que cette maison québécoise inscrive son catalogue chez un distributeur français d’envergure et rencontre enfin un public plus large chez nous – à commencer par de nombreux libraires, qui tombent amoureux de leur ligne atypique, nimbée de mystère, d’étrangeté parfois, riche d’univers poétiques et fantasques.
En cette rentrée 2021, ce sont trois nouveaux titres qui vont tenter de rencontrer leurs lecteurs. Une invitation à des voyages neufs et stimulants qui méritait largement une place par ici.
Les ombres filantes, de Christian Guay-Poliquin

Le précédent roman de Christian Guay-Poliquin, Le Poids de la neige, a connu en 2018 un beau succès français… sous la marque des éditions de l’Observatoire – alors qu’il était sorti deux ans plus à la Peuplade. C’est donc cette fois chez son éditeur d’origine que le romancier québécois nous revient, avec une histoire qui me donne très envie.
Nous marchons en pleine forêt, dans les pas d’un homme regagnant le camp de chasse où il s’est réfugié avec sa famille après une panne électrique généralisée. Alors qu’il se perd, il rencontre un garçon d’une douzaine d’années, solide et déterminé, qui se joint à l’équipée du héros entre les arbres, pour un périple plein de périls…
Une pincée de post-apo en guise de décor, de l’aventure, du mystère, un duo improbable, la nature : s’ils sont bien mélangés par le style de l’auteur, ces ingrédients auront tout pour me plaire. On en reparlera, c’est une certitude.
La Pêche au petit brochet, de Juhani Karila
(traduit du finnois par Claire Saint-Germain)

Si l’on se réfère à son représentant le plus illustre chez nous, Arto Paasilina, la littérature finlandaise est douée d’un humour particulièrement saugrenu et fantasque, que ce premier roman ne devrait pas démentir.
Quelque part en Laponie orientale, comme chaque année en juin, Elina a trois jours et trois nuits pour pêcher le seul et unique brochet de l’Étang du Pieu. Or, un cruel génie des eaux règne sur les lieux et complique tout. Elina n’a pas d’autre choix que de pactiser avec les forces surnaturelles des marais et d’affronter Jousia, son premier amour. Pendant ce temps, l’inspectrice Janatuinen enquête sur un mystérieux meurtre qui la mène à poursuivre l’héroïne. Avec l’aide d’excentriques locaux, les deux femmes devront associer leur fougue et leur fureur pour rétablir l’équilibre entre les mondes.
Tableau final de l’amour, de Larry Tremblay

Ce roman fait du peintre Francis Bacon son point d’ancrage, pour une réflexion intense sur le corps, sa représentation picturale, mais aussi sur la passion amoureuse (le texte est une adresse de l’artiste à son modèle et amant), et plus largement le récit d’une quête artistique absolue dans l’Europe du XXème siècle étranglée entre deux guerres mondiales.
BILAN
Lecture certaine :
Les ombres filantes, de Christian Guay-Poliquin
Lecture probable :
La Pêche au petit brochet, de Juhani Karila
À première vue : la rentrée de l’Olivier 2021
Intérêt global :

Je ne vous cache pas que j’ai pour les éditions de l’Olivier une affection durable, doublée bien évidemment d’une estime profonde pour leur catalogue riche et varié, aussi bien en littérature française qu’en étrangère.
2021 est une année particulière pour la maison fondée par Olivier Cohen, puisqu’elle fête cette année ses trente ans d’existence. Trente ans durant lesquelles elle aura publié Jean-Paul Dubois (Fémina 2004, Goncourt 2019), Richard Ford, Jonathan Safran Foer, Florence Aubenas, Cormac McCarthy, Olivier Adam, Jonathan Franzen, Véronique Ovaldé, Florence Seyvos, Valérie Zenatti, Cormac McCarthy, Jay McInerney… et tant d’autres qu’il serait fastidieux de les citer tous.
Parce qu’elle n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers, l’équipe réunie autour d’Olivier Cohen et Nathalie Zberro propose en cette rentrée une belle affiche mêlant deux textes américains servis par des traductrices exceptionnelles, des grands noms de la maison et des nouvelles plumes prometteuses.
L’un des programmes les plus séduisants de cette rentrée 2021, tout simplement.
Blizzard, de Marie Vingtras (en cours de lecture)

Honneur aux débutantes : Marie Vingtras propose un premier roman savamment élaboré, construit sur un crescendo concentrique d’une rigueur inexorable, et dont l’inspiration américaine est si franche et sincère qu’on en oublie souvent que ce livre est l’œuvre d’une auteure française.
Le blizzard du titre tombe sur un bled paumé de l’Alaska. Quelques maisons, des caractères bien trempés (pour ne pas dire épais au sujet de certains d’entre eux). Et une jeune femme, sortie de la tempête avec un enfant, qu’elle perd après lui avoir lâché la main quelques instants.
Tandis qu’elle affronte seule les éléments déchaînés, trois hommes se mêlent à leur manière aux recherches. L’espoir de retrouver le garçon sain et sauf télescope alors la vérité profonde des uns et des autres…
Memorial Drive, de Natasha Trethewey
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy)

Je connais un peu la traductrice Céline Leroy, mais ce n’est pas pour cela que je tiens à vous signaler un détail capital : quand son nom apparaît sur une couverture, vous pouvez être sûr(e) que le livre dont elle a assuré la traduction est tout sauf anodin, tant elle a le nez pour s’associer à des projets littéraires toujours singuliers.
Nanti de cette conviction, on peut donc aborder cette première publication en français de Natasha Trethewey avec confiance et curiosité.
Je parle de première publication, manière de souligner que, pour le coup, nous n’avons pas affaire à une débutante. Aux États-Unis, sa poésie lui a valu une renommée importante, ainsi qu’un prix Pulitzer en 2007.
Memorial Drive, le texte grâce auquel nous allons la découvrir, est un récit autobiographique, dans laquelle elle évoque l’existence tragique de sa mère, Gwendolyn, mais aussi le courage et la volonté d’indépendance qui vont servir de flambeau au propre parcours de poètesse et de femme de Natasha Trethewey.
Un texte dont on peut attendre beaucoup, sans craindre d’être déçu.
Rien à déclarer, de Richard Ford
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun)

Je vous le disais, cette rentrée étrangère de l’Olivier est marquée par la présence de traductrices remarquables. Pour nous transmettre ces nouvelles du grand Richard Ford (Indépendance, Canada, Un week-end dans le Michigan), c’est Josée Kamoun qui prête sa voix française, comme elle l’avait déjà fait pour Canada du même auteur, mais aussi pour la nouvelle traduction événement de 1984 il y a trois ans, ou pour Philip Roth, Jonathan Coe et John Irving, entre autres.
Les textes rassemblés ici ont pour point commun de mettre en scène des personnages ayant basculé dans le second versant leur existence, et qui examinent leur passé pour tenter de comprendre pourquoi leur présent se trouve fragilisé.
L’Éternel fiancé, d’Agnès Desarthe

C’est l’histoire d’une histoire d’amour qui dure toute une vie. Commencée à quatre ans, sur une promesse d’éternité comme s’en font les enfants qui s’aiment. Déçue à l’adolescence, quand elle aime toujours et que lui a oublié la promesse. Et qui se poursuit, tout au long des nombreuses étapes, moments forts, joies, déceptions, qui font une existence humaine.
Incontournable du catalogue de l’Olivier et auteure extrêmement attachante, qui navigue à l’envi entre folie douce et mélancolie, Agnès Desarthe propose un roman-puzzle dont la forme et l’ambition constituent un véritable objet de curiosité.
Une vie cachée, de Thierry Hesse

Qu’est-ce que le souvenir ? Pour Thierry Hesse, c’est d’abord une déambulation.
Du « quartier impérial » construit par Guillaume II aux forêts de la Meuse, de la guerre de 1870 à celle de 1939-45, cette enquête généalogique a pour terme une chambre dans le quartier des Loges, à Metz : celle où Franz/François aura passé une partie de sa vie, caché et pourtant bien visible.
BILAN
Quatre vraies envies de lecture sur cinq, qui dit mieux ? Pas grand-monde cette année (à part les Forges de Vulcain, mais ce n’est pas du jeu.)
Lecture en cours :
Blizzard, de Marie Vingtras
Lecture certaine :
Memorial Drive, de Natasha Trethewey
Lectures probables :
L’Éternel fiancé, d’Agnès Desarthe
Rien à déclarer, de Richard Ford
Un jour ce sera vide, d’Hugo Lindenberg


Éditions Christian Bourgois, 2020
ISBN 9782267032673
250 p.
16,50 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020 – PREMIER ROMAN
C’est un été en Normandie. Le narrateur est encore dans cet état de l’enfance où tout se vit intensément, où l’on ne sait pas très bien qui l’on est ni où commence son corps, où une invasion de fourmis équivaut à la déclaration d’une guerre qu’il faudra mener de toutes ses forces.
Un jour, il rencontre un autre garçon sur la plage, Baptiste. Se noue entre eux une amitié d’autant plus forte qu’elle se fonde sur un déséquilibre : la famille de Baptiste est l’image d’un bonheur que le narrateur cherche partout, mais qui se refuse à lui.
« Tu vois petit, parfois quand on est trop seul on finit par ne plus savoir comment parler aux autres. Mais dis-toi bien que les autres, ils ont aussi peur de toi que toi d’eux. Et plus ils parlent, plus ça veut dire qu’ils ont les chocottes. »
Pour développer ce genre d’histoire, il y a plusieurs moyens.
Soit on raconte ses propres souvenirs d’enfance et, à moins d’avoir vécu quelque chose d’absolument exceptionnel qui justifie un témoignage littéraire, on aurait mieux fait de les garder pour soi.
Soit on se cantonne à du narratif classique et, à moins d’un talent exceptionnel, on a toutes les chances de glisser très vite dans les limbes de l’indifférence et de l’oubli.
Soit on cherche autre chose, une troisième voie, une manière neuve de poser des mots sur des sensations très familières, des évocations qui appartiennent presque à tout le monde. Et là, l’étincelle de la curiosité peut crépiter.
Vous me voyez venir, c’est bel et bien dans cette troisième voie que Hugo Lindenberg s’est engagé. Sans toucher à la perfection, ce qui eût été d’autant plus fabuleux qu’il s’agit de son premier roman. Mais avec un point de vue réellement singulier, et une capacité à lancer des fulgurances qui donne tout son intérêt à son texte en dépit de ses défauts.
Minimalisme bavard
Si le récit suit un cours linéaire au fil de l’été, il est dégagé de tout repère chronologique précis. Et, s’il y a continuité entre les événements relatés par le narrateur, elle reste à peu près invisible.
Hugo Lindenberg choisit en réalité de focaliser chaque chapitre sur un point précis. Un moment, un petit événement, une observation. Les titres sont évocateurs : contemplation du milieu animal (« les méduses », « la mouche », « les fourmis ») ou familial (« la tante », « le fils »), resserrement géographique (« la chambre », « la plage », « Omaha Beach »)…
À chaque fois, le romancier braque la loupe grossissante sur un micro-sujet ; et, de là, il laisse couler à foison le flot apparemment intarissable des sensations sentiments, ressentis, qui agitent son protagoniste. Un tumulte intérieur phénoménal, à l’étroit dans la tête en vrac et dans le corps trop menu d’un petit garçon au bord de l’implosion.

Là est le véritable sujet d’Un jour ce sera vide : le mal-être immense d’un enfant malmené par la vie, trop sensible pour la violence du quotidien, en questionnement permanent sur sa place dans le monde, parmi les autres.
Incapable de débrancher le cerveau et de se laisser aller, incapable d’ignorer qu’il est si différent des autres. Canalisant en permanence une violence et une colère qui, à défaut de s’exprimer dans la réalité, vont exploser dans le texte.
Ce questionnement métaphysique occasionne nombre de moments parfaitement saisis, les fameuses fulgurances que j’évoquais plus haut.
« Rien ne m’est plus étranger qu’un garçon de mon âge. À cause sans doute de cette ressemblance supposée. Baptiste par exemple a toujours l’air de faire partie du décor. À tel point qu’à force de plage, sa peau semble faite du même grain que le sable. Les vacances lui vont bien. Il en épouse si aisément l’onde, qu’il me faut toujours un temps pour distinguer sa silhouette lorsque je le cherche dans la cohue. Il est le mouvement. Son corps met le monde en mouvement, alors que tout semble buter sur le mien. Il y a quelque chose en moi de pétrifié. (…) Ce qui fait de Baptiste un vrai garçon, un garçon exceptionnel, c’est qu’il n’a besoin de rien pour en être un. A moi, cela demande une concentration permanente. » (chp.12, « les garçons »)
Notez au passage que le style de Hugo Lindenberg est très tenu, évitant avec soin le piège de la fausse naïveté censée faire de la voix d’un enfant un « style » littéraire, tout en parvenant à conserver sans cesse le point de vue d’un garçon de dix ans. Les enfants ne sont pas bêtes ni ne parlent bêtement, surtout à dix ans, merci pour eux.
Du trop-plein pour conjurer le vide
Pour autant, le procédé narratif choisi par le romancier a son revers. Il est quelquefois répétitif – on commence toujours par aborder le nouveau sujet choisi, en rupture avec les chapitres précédents, avant d’élargir le propos.
Et surtout, il provoque autant de longueurs qu’il peut susciter de moments remarquables. Pour le dire autrement, on peut s’ennuyer autant qu’on peut, parfois, être renversé par l’acuité du regard de l’auteur.
Certains chapitres relèvent plus de la logorrhée que de l’exploration psychologique, et je me suis plusieurs fois surpris à dériver dans un mol ennui, avant d’accélérer ma lecture pour y trouver quelque chose de plus accrocheur.
Plus embêtant, soit je n’ai pas compris la fin du roman, soit elle est ratée – à tout le moins expédiée. Durant quelques chapitres, semble se dessiner une issue possible, que Lindenberg choisit de contourner, histoire de ne pas se montrer trop prévisible. Je pense qu’il a bien fait, mais cela me laisse aussi le sentiment gênant qu’il ne savait pas réellement comment conclure l’affaire. D’où d’ultimes pages un peu flottantes, et un dernier chapitre qui m’a laissé le bec dans l’eau.
Je ne regrette néanmoins pas ma lecture, car plusieurs passages ou chapitres particulièrement bien tournés ont éveillé de profonds échos en moi.
Et Hugo Lindenberg fait montre d’une manière tout à fait personnelle de saisir les personnages, dans leur mal-être consubstantiel comme dans leur apparente perfection – le personnage de Baptiste rayonne littéralement du début à la fin du roman, incarnation de l’enfance idéale, magnifiée par le regard éperdu du narrateur.
Un auteur dont je range le nom dans le tiroir des écrivains à suivre.
Minnow, de James E. McTeer II
Signé Bookfalo Kill
Ce devait être une course toute simple : aller en ville et acheter chez le pharmacien un médicament pour soigner son père. Rien d’insurmontable pour un jeune garçon aussi débrouillard que Minnow. Malheureusement, le produit manque chez le l’apothicaire, qui oriente l’enfant vers le « Docteur Crow », un médecin vaudou consultant dans une modeste cabane de Port Royal, la ville voisine de sinistre réputation.
Ce n’est que le début de longues et périlleuses aventures pour Minnow, qui devra affronter des hommes retors, des créatures dangereuses et la menace d’un terrible ouragan…
Dès les premières pages, très accrocheuses, on se demande dans quel drôle de monde nous entraîne James E. McTeer II. Minnow ressemble à un gamin d’aujourd’hui, mais les paysages et le ton général du récit laissent penser que l’histoire se déroule il y a longtemps, quelque part entre le XIXème et le XXème siècle. Au fond, d’ailleurs, qu’importe. Collé aux basques de ce très chouette gamin qu’est Minnow, on est très vite embarqué dans des aventures palpitantes, au rythme enlevé d’un récit initiatique dans les règles de l’art.
Avec son évocation du sud américain ancestral, Minnow a des airs de roman de Mark Twain, tout en tendant très vite vers le conte, empruntant à ce genre très codifié ses passages obligés : un jeune héros confronté à une perturbation majeure de son équilibre initial, un but à atteindre, des épreuves à affronter, des apprentissages à appliquer pour survivre et rallier son objectif, des adversaires et des personnages auxiliaires qui viennent en aide au héros…
Le mélange des deux genres (roman du sud et conte) donne un très beau récit métis, palpitant, mystérieux, parfois très sombre ; le roman tend vers la violence, celle des hommes répondant à celle de la nature lorsque l’ouragan se déchaîne – passages hallucinants de puissance et de terrible beauté -, mais toujours l’humanité rayonnante de Minnow prend le dessus, inscrivant ce petit bout d’homme formidablement courageux au panthéon des personnages inoubliables.
Il se dégage de ce premier roman très réussi une force d’attraction envoûtante, une magie noire dont les volutes vénéneuses ensorcellent. L’une des gestes littéraires les plus originales de cette rentrée, pour ceux que les sentiers rebattus ennuient. Superbe !
Minnow, de James E. McTeer II
(Minnow, traduit de l’américain par Virginie Buhl)
Éditions du Sous-Sol, 2016
ISBN 978-2-36468-099-9
236 p., 19€
A première vue : la rentrée Christian Bourgois 2016
Nous n’avons jamais non plus évoqué les éditions Christian Bourgois dans la rubrique « à première vue » – faute sans doute, avouons-le sans détour, de s’être longtemps intéressé au travail de cet éditeur pourtant respectable, intéressant et exigeant. Comme on apprend tous les jours, il est donc temps de réparer cette injustice, d’autant que sur les trois titres annoncés en août et septembre, deux nous font sérieusement de l’œil…
PSYCHO : Un singulier garçon, de Kate Summerscale
Plume élégante et vivace, Kate Summerscale s’est fait une spécialité de relater sous forme littéraire des faits divers marquants de l’époque victorienne. Paru en 2008, L’Affaire Road Hill House, sur la disparition d’un petit garçon dans une grande maison bourgeoise, était ainsi une réussite éblouissante, captivante comme un polar et très éclairante sur la société et les mentalités de l’époque. On peut donc attendre le meilleur de ce nouveau texte qui se penche sur le cas Robert Coombes, un garçon de 13 ans condamné en 1895 à la détention dans un asile d’aliénés pour le meurtre de sa mère.
LES CHOSES ME DONNENT UNE IDENTITÉ : Anatomie d’un soldat, de Harry Parker
Un jeune capitaine de l’armée britannique perd une jambe lors d’une mission au Moyen Orient et est rapatrié en Angleterre. Le récit de son retour à la vie est alors relaté par 45 objets qui lui appartiennent ou lui sont proches… Un projet littéraire étonnant et, d’après les premiers retours que j’ai, parfaitement réussi. Mériterait sûrement un coup d’œil !
MAINE STREETS : L’État où nous sommes, d’Ann Beattie
Un recueil de quinze nouvelles situées dans le Maine, qui entreprend d’analyser la classe moyenne américaine sous toutes ses formes.