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Temps glaciaires, de Fred Vargas

Signé Bookfalo Kill

Pour le commissaire Bourlin, ce devrait être une affaire de suicide comme une autre : une sexagénaire, gravement malade, a mis fin à ses jours dans sa baignoire, et tout indique qu’elle a agi seule. Mais il y a ce petit symbole énigmatique, presque invisible, dessiné au crayon à maquillage sur le meuble de toilette. En appelant à la rescousse Danglard, le policier qui sait tout sur tout, pour essayer de déterminer ce que signifie ce dessin, il convoque aussi involontairement la curiosité lunaire de son collègue, le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. A qui il ne faut guère que ce dessin minuscule pour décider qu’il s’agit d’un meurtre…

Vargas - Temps glaciairesRouillée, Fred Vargas ? On pourrait le penser, vu que Temps glaciaires met une petite centaine de pages à démarrer. J’ignore si elle n’a rien écrit durant les quatre années qui séparent la parution de ce nouveau roman du précédent, L’Armée Furieuse, mais l’aspect laborieux de ce démarrage, manquant de rythme, à l’humour empesé et dont l’intrigue peine à se mettre en place, peut le laisser croire. Même ses personnages, à commencer par l’inévitable commissaire Adamsberg, tardent à retrouver leurs aises, non parce que la romancière les bouscule, mais parce qu’elle semble avoir quelque peu oublié leur voix et leur caractère.
Néanmoins, une fois les éléments en place, Vargas relance enfin la machine, et l’on retrouve ce que ses fans adorent dans ses livres (et ce que ses détracteurs détestent), à commencer, donc, par ses personnages. Adamsberg suit toujours une logique qui lui est propre et qui échappe à tout le monde, sauf à son adjoint et ami Veyrenc ; Danglard ronchonne, boit comme un trou, fait étalage de son savoir illimité quand il le faut ; Retancourt impose son physique et son instinct inné, le chat La Boule dort toujours sur la photocopieuse…
(On notera par ailleurs une autre confirmation, celle de la disparition totale de Camille, le grand amour compliqué d’Adamsberg, ainsi que de leur fils, dont on se demande bien pourquoi il est né.)

Vous l’aurez compris, rien de révolutionnaire, même si Robespierre joue un rôle majeur dans une intrigue particulièrement tordue, qui mêle mythes islandais et, donc, histoire de la Révolution Française (si si !) Certes, certaines dissensions inhabituellement fortes finissent par naître entre nos héros, donnant des pages de conflit intéressantes à Danglard et Retancourt. Mais Temps glaciaires suit des schémas vargassiens connus et ne surprend pas vraiment, tout en remplissant son office de « rompol » (contraction de roman policier, le terme inventé par Vargas pour désigner son style propre et le style de polar qu’elle écrit) décalé et distrayant, qui ne ressemble à aucun autre livre du genre.
Pour le dire autrement, c’est au bout du compte un bon Vargas mineur. Pour les connaisseurs, à classer plutôt du côté de Dans les bois éternels (très long à démarrer lui aussi) ou Un lieu incertain.

Je relisais à l’instant la chronique que j’avais faite de l’Armée Furieuse (l’une des toutes premières de ce blog, d’ailleurs), et constate que je me m’y montrais plus indulgent que cette fois. Sans doute ne suis-je plus le même lecteur qu’il y a quatre ans. Mais Fred Vargas est tellement douée qu’on aimerait parfois la voir prendre elle-même l’un de ces chemins de traverse qu’elle se plaît à faire emprunter à son héros emblématique, en mettant par exemple de côté ce dernier, pourquoi pas…

Temps glaciaires, de Fred Vargas
  Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-0813-6044-0
490 p., 19,90€

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Ombres et soleil, de Dominique Sylvain

Signé Bookfalo Kill

Arnaud Mars, l’ex grand patron de la Crim’ en fuite depuis quelques mois, est retrouvé mort sur le toit d’une maison en construction à Abidjan. Très vite, tout accuse le commandant Sacha Duguin, son ancien adjoint, que tout le monde savait ulcéré par ce qu’il avait découvert sur son supérieur. Mais Lola Jost ne l’entend pas de cette oreille : pas question de croire son ami coupable d’un tel meurtre. L’ancienne commissaire à la retraite en profite pour s’extirper de la dépression qui la plombe depuis le retour aux Etats-Unis de son amie américaine, la flamboyante Ingrid Diesel.
Son enquête, quasi seule contre tous, va l’amener à soulever le voile de complexes affaires d’État, entre terrorisme et manipulations politiques à tous les niveaux – et à courir bien des dangers…

Sylvain - Ombres et soleilDominique Sylvain aime les intrigues chevelues et rocambolesques, et elle ne s’en cache pas, se disant même incapable de concevoir ses histoires avec plus de simplicité. Réussir à les rendre aussi passionnantes qu’intelligibles n’est pas la moindre de ses qualités. Le résumé que j’ai fait ci-dessus d’Ombres et soleil est extrêmement parcellaire, et en même temps, je préfère vous laisser le plaisir de vous perdre dans les ramifications d’un récit foisonnant de détails, de rebondissements et de personnages, composantes d’un polar parfaitement maîtrisé de bout en bout, en plus d’être superbement écrit.

Ombres et soleil, à vrai dire, n’a qu’un seul défaut : c’est la suite directe de Guerre sale, paru en 2011. Si l’on peut dévorer sans problème ce nouvel opus pour lui-même, il vaut mieux pour tout comprendre avoir lu le précédent, dont nombre d’éléments sont rappelés, et donc dévoilés ici.
Sinon je veux absolument souligner la progression remarquable de Dominique Sylvain, flagrante dans ce roman. Si les premiers titres de la série mettant en scène l’inénarrable duo Jost-Diesel (Passage du Désir, La Fille du Samouraï, Manta Corridor et l’Absence de l’Ogre) étaient déjà réussis, ils jouaient davantage la carte de l’humour et des situations décalées, s’inscrivant en cela parfaitement dans la ligne éditoriale de Viviane Hamy, qui publie aussi sa « cousine » littéraire Fred Vargas.

Sylvain - Guerre saleDepuis Guerre sale, Dominique Sylvain teinte ses histoires d’une noirceur salutaire, ainsi que d’une conscience sociale et politique qui garantit davantage de profondeur à son œuvre, sans rien sacrifier à la joie de retrouver ses héroïnes déjantées, aussi improbables qu’attachantes, ainsi qu’au plaisir de rencontrer de nouveaux personnages tout aussi forts. Elle s’intéresse particulièrement à la Françafrique, vaste sujet s’il en est, dont on ne cesse de débusquer de vilains secrets ; une matière première de qualité pour une auteure de polar concernée par le monde qui l’entoure, ce dont elle fait la démonstration avec brio dans ce diptyque remarquable.

Bref, à ceux qui pensent (naïvement) que Dominique Sylvain n’est que la « petite soeur pauvre » de Fred Vargas, détrompez-vous, c’est une romancière à part entière, avec son univers et ses préoccupations, ses personnages emblématiques et son style vivant et inspiré. Et à ceux qui ne la connaissent pas encore, un seul conseil : FONCEZ !

Ombres et soleil, de Dominique Sylvain
  Éditions Viviane Hamy, 2014
ISBN 978-2-87858-592-6
295 p., 18€

A noter : Guerre sale vient simultanément de paraître en poche aux éditions Points (978-2-7578-3021-5, 329 p., 7,60€). Aucune excuse, donc, pour ne pas découvrir Dominique Sylvain !


La Madone de Notre-Dame, d’Alexis Ragougneau

Signé Bookfalo Kill

Pétrifiée dans une posture de prière, telle est cette mystérieuse jeune femme en blanc dont on retrouve le cadavre en plein coeur de Notre-Dame de Paris, le lendemain du 15 août et des grandes célébrations de l’Assomption. Assassinée, sans aucun doute : les marques de strangulation sur son cou et, pire, le fait que son vagin ait été bouché à la cire, sont sans équivoque.
Chargés de l’enquête, le commandant Landard, son adjoint Gombrowicz et Claire Kauffmann, substitut du procureur, doivent plonger dans les secrets de la vénérable cathédrale parisienne…

Ragougneau - La Madone de Notre-DameLes premiers romans débarquent en force pour cette rentrée d’hiver 2014, dont cette Madone de Notre-Dame qui, pour être honnête, ne figurera pas parmi mes inoubliables, en dépit de qualités prometteuses pour la suite.
Le plus intéressant tient à la connaissance qu’a Alexis Ragougneau de la vie et de certains aspects méconnus de la cathédrale. Il nous guide donc avec aisance dans les coulisses de Notre-Dame, faisant du célèbre monument un personnage à part entière du roman, avec ses rites, ses décors somptueux et son étrange faune, mélange improbable de fidèles plus ou moins nombreux, de touristes plus ou moins respectueux et d’habitués plus ou moins allumés.

Dans ces conditions, pas étonnant de voir l’enquête passer rapidement entre les mains du père Kern, un prêtre y officiant, et évoluer vers des problématiques plus morales que policières et judiciaires – et du même coup, de constater que l’intrigue fait rapidement long feu. De ce fait, le roman souffre d’une construction un peu bancale, hésitant entre la piste policière classique (avec des personnages de flics bien esquissés, mais au final pas assez exploités, surtout l’ignoble Landard) et une voie psychologique teintée de mysticisme qui tourne vite en rond.

En ce sens, la Madone de Notre-Dame est bien un polar estampillé Viviane Hamy, dont les auteurs affiliés au genre – au premier rang desquels Fred Vargas et Dominique Sylvain – font souvent preuve d’un mépris joyeusement assumé pour les procédures, au bénéfice de personnages forts et originaux, de dialogues inspirés et de situations inattendues qui font le sel de leurs œuvres.
Un parti pris vers lequel tend Alexis Ragougneau, sans m’avoir tout à fait convaincu, hélas. Néanmoins, la belle plume de ce dramaturge et l’originalité de son premier roman, ainsi que de bons passages (notamment amusants, même s’ils sont trop rares), me donnent envie de prendre rendez-vous pour la suite.

La Madone de Notre-Dame, d’Alexis Ragougneau
Éditions Viviane Hamy, 2014
ISBN 978-2-87858-591-9
202 p., 17€


Poids lourds du polar > Fred Vargas

Signé Bookfalo Kill

Même si l’une des vocations premières de ce blog est de parler de sujets ou de livres dont on ne parle pas (ou du moins pas assez) à notre goût ailleurs, il n’est pas question pour autant de snober les auteurs importants. Surtout quand on les aime beaucoup et que leur nouveauté mérite qu’on en dise un mot.

Hasard du calendrier, deux de mes auteurs favoris, stars des best-sellers, viennent donc de publier un nouveau roman. Commençons par la Française, l’incontournable Fred Vargas, qui revient après trois ans de silence polardesque. L’Armée furieuse met à nouveau en scène son héros emblématique, Jean-Baptiste Adamsberg, et son équipe de flics hors normes (Danglard le rationaliste encyclopédique et alcoolique, l’inarrêtable Violette Retancourt, le rimeur Veyrenc…) Cette fois, le « pelleteur de nuages » prend le large en Normandie, sur la piste de la Mesnie Hellequin, une troupe de démons tout droit sortie du folklore médiéval, qui apparaît épisodiquement pour « saisir » quelques vivants, réputés être auteurs de crimes pour lesquels ils n’ont jamais été punis ; saisie qui s’apparente à un présage de mort, puisque quelques jours après le passage de la cavalerie fantomatique, les élus trouvent la mort…

Le risque avec Vargas, c’est de finir par être blasé, et donc de ne plus apprécier le cocktail à sa juste mesure. C’est vrai, on connaît la recette : un mélange singulier entre des histoires improbables, des situations décalées, des dialogues virtuoses, un humour unique et des personnages hors normes. Certes, Vargas fait à nouveau l’impasse sur certains éléments récurrents de ses premiers romans avec Adamsberg, comme l’histoire avec Camille ; et il semble que son héros stagne quelque peu – même si le développement de sa relation avec son fils aîné, découvert dans Un lieu incertain, est assez réussi. 
Mais que voulez-vous, quoi qu’il en soit, cela fonctionne ! Et puis, pourquoi attendre plus que ce que l’auteur souhaite donner, c’est-à-dire un moment de lecture détente, une forme d’anxiolytique littéraire relevé d’une pincée d’érudition plaisir ? Bref, si vous aimez Vargas, ne boudez pas votre plaisir et foncez !

A noter : une interview de Fred Vargas dans le dernier numéro du magazine Lire (spécial polar, juin 2011), d’autant plus intéressante que l’auteur est généralement avare de confidences. Ici, elle se livre avec un franc-parler louable, expliquant notamment sa manière d’écrire, son rapport au succès… Passionnant !

L’Armée furieuse, de Fred Vargas
Editions Viviane Hamy, 2011
ISBN 978-2-87858-376-2
430 p., 19,50€

Retrouvez L’Armée furieuse sur le site des éditions Viviane Hamy.