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À première vue : la rentrée P.O.L.

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La rentrée littéraire des éditions P.O.L., c’est souvent quitte ou double en ce qui me concerne. Soit la plupart des titres m’intéresse, soit je reste indifférent. Cette année, j’ai bien peur d’être dans le deuxième cas de figure, en dépit du retour d’Emmanuel Carrère six ans après Le Royaume (qui m’était tombé des mains, cela dit). Un retour qui sera synonyme de large couverture médiatique pour ce livre, sans doute beaucoup moins pour les autres.
(Oui, ça y est, je commence à m’énerver. Mais c’est un peu de la faute de Iegor Gran. Rendez-vous en fin d’article pour comprendre.)


Emmanuel Carrère - YogaYoga, d’Emmanuel Carrère

Commençons par la machine à faire tourner les rotatives, ce sera fait. Emmanuel Carrère, objectivement l’un des écrivains français contemporains les plus imposants, est d’autant plus suivi par la presse qu’il est relativement rare. Il y a six ans, le Royaume, énorme pavé qui revisitait les débuts de la chrétienté et en particulier la figure de Saint-Paul, avait trusté à lui tout seul la une de tous les journaux, spécialisés ou non. Un véritable raz-de-marée, d’autant plus intraitable qu’il se mêlait de polémique sur le traitement de la chose religieuse, qui avait inondé tout le reste de la rentrée.
Par souci d’équité médiatique, espérons que ce ne sera pas le cas cette année. (On peut toujours rêver.) Cela dit, à première vue, le sujet a cette fois moins d’ampleur puisque, comme le titre l’indique, il va être ici question de yoga. Mais pas seulement, sinon ce serait trop simple. Voici ce qu’en dit le résumé concocté par l’éditeur : « C’est l’histoire d’un livre sur le yoga et la dépression. La méditation et le terrorisme. L’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble, et pourtant : elles vont ensemble. »
Par curiosité, je l’ai commencé. Composé de brefs chapitres parfois sans lien apparent, le texte est bizarrement accrocheur. Je ne suis pas certain pour autant de garder mon intérêt en éveil sur presque 400 pages, d’autant que la manière souvent affligée dont Carrère se met en scène a une propension très nette à m’horripiler. Il serait malhonnête, cependant, de ne pas reconnaître la pertinence et le talent d’écrivain du monsieur.

Jean Rolin - Le Pont de BezonsLe Pont de Bezons, de Jean Rolin

De Mantes à Melun, dans un « désordre voulu » selon les propres mots de l’auteur, une déambulation le long des berges de la Seine, qui tourne à observation attentive de ce monde devenu quasi invisible dont les moindres événements, grossis par la loupe de la curiosité, prennent alors des proportions extraordinaires. Une exploration urbaine, sociologique, mais aussi éthologique, le monde animal se réservant un rôle d’importance dans le projet.

Lise Charles - La demoiselle à coeur ouvertLa Demoiselle à cœur ouvert, de Lise Charles

Troisième roman de Lise Charles chez P.O.L., inspiré par son séjour à la Villa Médicis. Elle imagine un écrivain quarantenaire, pensionnaire comme elle le fut de la célèbre institution, qui use et abuse de sa notoriété pour extorquer des confidences à des femmes, aveux qu’il recycle dans ses écrits. Jusqu’au jour où il franchit une limite fatale…
Dans la veine des Liaisons dangereuses, un roman épistolaire moderne sous forme d’échanges de mails, enrichi d’autres formes textuels pour donner épaisseur et variété à cette histoire de manipulation, doublée d’une réflexion sur les enjeux et les pouvoirs de la littérature.

Patrick Lapeyre - Paula ou personnePaula ou personne, de Patrick Lapeyre

L’histoire d’une passion amoureuse érotique et enflammée entre un postier philosophe et une amie de jeunesse, désormais mariée, bourgeoise et catholique, sur fond de passion pour la pensée de Martin Heidegger.
Je ne sais pas ce que ça m’inspire. Pas grand-chose, à vrai dire. En tout cas, sûrement pas l’envie de m’embarquer dans plus de 400 pages sur ce genre de navire. Et vous ?

Laure Gouraige - La fille du pèreLa Fille du père, de Laure Gouraige

À l’occasion de ses trente ans, une fille s’adresse durement à son père, dans l’espoir de s’affranchir de lui, du poids de la douleur et du silence, et de trouver sa liberté, entre entre règlement de comptes et déclaration d’amour. Premier roman d’une jeune diplômée de philosophie dont la thèse portait sur Guillaume d’Ockham. Détail qui, bizarrement, me paraît plus intéressant que sa première tentative littéraire.

Iegor Gran - Ces casseroles qui applaudissent aux fenêtresCes casseroles qui applaudissent aux fenêtres, de Iegor Gran

En partant du phénomène des applaudissements adressés au personnel soignant chaque soir à 20 heures, Iegor Gran dénonce la soumission dont ont fait preuve les Français en acceptant le confinement. Dans la série « c’est facile d’ouvrir sa grande gueule dans un livre six mois après la bataille », voici le premier des nombreux livres dispensables qui paraîtront sur le sujet. Décevant, et exaspérant.
(Je précise que je n’applaudissais pas au balcon, hein, pour ceux qui croiraient que l’attaque me vexe personnellement. Mais je n’ai pas l’intention d’écrire un livre pour expliquer pourquoi, rassurez-vous.)


BILAN


Lecture potentielle (commencée et à poursuivre au moins un peu) :
Yoga, d’Emmanuel Carrère

Lecture hypothétique :
La Demoiselle à cœur ouvert, de Lise Charles

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A première vue : la rentrée Gallimard 2016

Bon, cette année, promis, je ne vous refais pas le topo sur les éditions Gallimard et leurs rentrées littéraires pléthoriques dont la moitié au moins est à chaque fois sans intérêt ; je pense qu’à force, vous connaissez le refrain, et il ne change guère cette année : 13 romans français, 4 étrangers, c’est à peine moins que l’année dernière – et on n’en parle que des romans qui paraissent fin août, il y en a beaucoup d’autres en septembre (dont un Jean d’Ormesson, mais je saurai vous épargner).
Je vais sans doute m’attacher à être plus elliptique cette année que les précédentes, car cette rentrée 2016 me paraît à première vue dépourvue d’attraits majeurs. Comme je n’ai pas pour objectif de vous faire perdre votre temps, on va trancher dans le vif ! Et commencer par les étrangers, ça ira plus vite (façon de parler)…

Oz - JudasJE CHANTE UN BAISER : Judas, d’Amos Oz (lu)
A court d’argent et le coeur en berne après que sa petite amie l’a quitté, Shmuel décide d’abandonner son mémoire sur « Jésus dans la tradition juive ». Il accepte à la place une offre d’emploi atypique : homme de compagnie pour un vieil érudit infirme qui vit reclus dans sa maison, sous la houlette d’une femme aussi mystérieuse que séduisante… Mêlant avec art récit intime de personnages étranges et attachants, réflexions sur l’histoire d’Israël et un discours théologique passionnant, Amos Oz emballe un roman de facture parfaite et sert l’intelligence sur un plateau.

Von Schirach - TabouPORTRAIT DE L’ARTISTE EN TUEUR : Tabou, de Ferdinand von Schirach
Un célèbre photographe avoue un crime pour lequel on n’a ni corps, ni même d’identité formelle de la victime. Qu’est-ce qui l’a mené là ? Y a-t-il un rapport avec ses expérimentations artistiques audacieuses ? Dans la lignée de ses livres précédents, le romancier allemand élabore une réflexion sur la violence et le doute, le rapport entre vérité et réalité.

Stridsberg - BeckombergaÀ LA FOLIE : Beckomberga – Ode à ma famille, de Sara Stridsberg
Ouvert en 1932 près de Stockholm, Beckomberga a été conçu pour être un nouveau genre d’hôpital psychiatrique fondé sur l’idée de prendre soin de tous et de permettre aux fous d’être enfin libérés. Jackie y rend de nombreuses visites à son père Jim qui, tout au long de sa vie, n’a cessé d’exprimer son mal de vivre. Famille et folie, le thème de l’année 2016 ? Après En attendant Bojangles, mais dans un genre très différent, Sara Stridsberg propose en tout cas une nouvelle variation sur le sujet.

Clegg - Et toi, tu as eu une familleON THE ROAD : Et toi, tu as eu une famille ?, de Bill Clegg
Famille encore ! Cette fois, tout commence par un incendie dans lequel périssent plusieurs proches de June, dont sa fille Lolly qui devait se marier le lendemain du drame. Dévastée, June quitte la ville et erre à travers les Etats-Unis, sur les traces de ce qui la lie encore à sa fille, par-delà la mort. Dans le même temps, le roman se fait choral en laissant la parole à d’autres personnes affectées par l’incendie, dans une tentative de transcender l’horreur par l’espoir et le pardon.

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Appanah - Tropique de la violenceVOYAGE AU BOUT DE L’ENFER : Tropique de la violence, de Nathacha Appanah
A quinze ans, Moïse découvre que Marie, la femme qui l’a élevé, n’est pas sa mère. Révolté, il tombe sous la coupe d’une bande extrêmement dangereuse qui va faire de son quotidien un enfer… Nous sommes à Mayotte, minuscule département français perdu dans l’océan Indien, au large de Madagascar. Un bout de France ignoré, méprisé, étouffé par une immigration incontrôlable en provenance des Comores voisines, et où la violence et la misère vont de pair. La Mauricienne Nathacha Appanah en tire un roman qui devrait remuer les tripes.

Bello - AdaHER : Ada, d’Antoine Bello
Un policier de la Silicon Valley est chargé de retrouver une évadée d’un genre très particulier : il s’agit d’Ada, une intelligence artificielle révolutionnaire, dont la fonction est d’écrire en toute autonomie des romans à l’eau de rose. En menant son enquête, Frank Logan découvre pourtant que sa cible développe une sensibilité et des capacités si exceptionnelles qu’il en vient à douter du bien-fondé de sa mission…

Benacquista - RomanesqueBONNIE & CLYDE : Romanesque, de Tonino Benacquista
Un couple de Français en cavale à travers les États-Unis se réfugie dans un théâtre. La pièce à laquelle ils assistent, Les mariés malgré eux, se déroule au Moyen Age et raconte l’exil forcé d’un couple refusant de se soumettre aux lois de la communauté. Le destin des deux Français dans la salle et des personnages sur scène se répondent et se confondent, les lançant dans une vaste ronde dans le temps et l’espace, une quête épique où ils s’efforceront de vivre leur amour au grand jour…

Del Amo - Règne animalPORCO ROSSO : Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo
Au cours du XXe siècle, l’histoire d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. En deux époques, cinq générations traversent les grands bouleversements historiques, économiques et industriels. C’est déjà le quatrième roman du jeune Jean-Baptiste Del Amo (34 ans), qui revient ici avec un sujet sérieux et ambitieux – du genre qui doit mener à un prix littéraire…

Slimani - Chanson douceLA MAIN SUR LE BERCEAU : Chanson douce, de Leïla Slimani
Dans le jardin de l’ogre, le premier roman de Leïla Slimani – histoire d’une jeune femme, mariée et mère de famille, rongée par son addiction au sexe -, n’était pas passé inaperçu, loin de là. Son deuxième, qui relate l’emprise grandissante d’une nourrice dans la vie d’une famille, pourrait constituer une confirmation de son talent pour poser une situation de malaise et provoquer une réflexion sociétale stimulante.

Tuil - L'InsouciancePOST COITUM ANIMAL TRISTE : L’Insouciance, de Karine Tuil
En 2009, le lieutenant Romain Roller rentre d’Afghanistan après avoir vécu une liaison passionnée avec la journaliste et romancière Marion Decker. Comme il souffre d’un syndrome post-traumatique, son retour en France auprès de sa femme et de son fils se révèle difficile. Il continue à voir Marion, jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle est l’épouse du grand patron de presse François Vély… Il y a de l’ambition chez Karine Tuil, à voir si le résultat est à la hauteur.

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ÇA FAIT PAS UN PLI : Monsieur Origami, de Jean-Marc Ceci
Un jeune Japonais tombe amoureux d’une femme à peine entrevue, et quitte tout pour la retrouver. Il finit par échouer en Toscane, où il s’adonne en ermite à l’art du pliage japonais. Pour tous, il devient Monsieur Origami…

UNSUCCESS STORY : L’Autre qu’on adorait, de Catherine Cusset
A vingt ans, Thomas a tout pour réussir. Il mène des études brillantes, séduit les femmes et vit au rythme frénétique de Paris. Mais après avoir échoué à un concours que réussit son meilleur ami, et s’être fait larguer par sa petite amie, sa vie entame une trajectoire descendante que rien n’arrêtera… Think positive à la française.

ROMAN PAS X : Livre pour adultes, de Benoît Duteurtre
Inspiré par la mort de sa mère, Duteurtre annonce un livre à la croisée de l’autobiographie, de l’essai et de la fiction. Il ira croiser sans moi, son Ordinateur du Paradis m’ayant dissuadé de perdre à nouveau mon temps avec cet auteur.

NAISSANCE DES FANTÔMES : Crue, de Philippe Forest
Un homme marqué par le deuil revient dans la ville où il est né, où les constructions nouvelles chassent peu à peu les anciennes. Il rencontre un couple, s’envoie Madame et papote avec Monsieur qui affirme que des milliers de gens disparaissent. D’ailleurs, Monsieur et Madame disparaissent à leur tour. Puis la ville est envahie par les flots…

À L’EST D’EDEN : Nouvelle Jeunesse, de Nicolas Idier
Dans le Pékin contemporain, des jeunes vivent d’excès. Ils sont poètes, rockers ou amoureux, et incarnent la nouvelle jeunesse de cette ville en mutation.

UNE BELLE HISTOIRE : Les deux pigeons, d’Alexandre Postel
Théodore a pour anagramme Dorothée. Ça tombe bien, ce sont les prénoms des héros du troisième livre d’Alexandre Postel (intéressant mais imparfait dans L’Ascendant et Un homme effacé). Ils sont jeunes, ils sont amoureux, et se demandent comment mener leurs vies… C’est une romance d’aujourd’hui.

ENGAGEZ-VOUS RENGAGEZ-VOUS QU’ILS DISAIENT : Nos lieux communs, de Chloé Thomas
Sur les pas des étudiants d’extrême gauche, Bernard et Marie sont partis travailler en usine dans les années 1970. Bien des années plus tard, Jeanne recueille leurs témoignages et celui de leur fils, Pierre, pour tenter de comprendre leurs parcours. Premier roman.


A première vue : la rentrée P.O.L. 2015

L’année dernière, les éditions P.O.L. avaient « écrasé » médiatiquement la rentrée avec Emmanuel Carrère et son Royaume. Le programme 2015 n’a évidemment rien d’aussi imposant, mais propose néanmoins une diversité comme cette maison singulière sait en offrir, entre des romans « abordables » et d’autres plus élaborés.

Dorsan - Le Présent infini s'arrêteMALADIES DE SACHS : Le Présent infini s’arrête, de Mary Dorsan
Un premier roman choc, autant par son volume (720 pages) que par son sujet, largement autobiographique : comme Mary Dorsan, la narratrice est infirmière dans un appartement thérapeutique rattaché à un hôpital psychiatrique, spécialiste de l’accueil d’adolescents atteints de pathologies du lien. En une succession de chapitres courts, réalistes, parfois crus, la romancière donne à voir le quotidien de cet établissement atypique et cherche à nous rendre accessibles ces jeunes gens qui sont tout sauf fous.

Fargues - Au pays du p'titZEMMOURLAND : Au pays du p’tit, de Nicolas Fargues
Enseignant la sociologie à l’université, le héros de ce roman vient de publier un essai violemment anti-français. Le succès du livre lui vaut d’être invité à l’étranger, ce qui lui permet de profiter éhontément de ses deux passions : les voyages et les femmes, qu’il collectionne en prédateur… Un beau portrait de salopard en perspective.

Azoulai - Titus n'aimait pas Bérénice (pt)RETROUVER SON RACINE : Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai
De nos jours, une jeune femme bouleversée par un chagrin d’amour se penche sur Bérénice, la pièce de Racine, et sur la vie de son auteur, pour tenter de comprendre comment ce dernier a pu aussi bien décrire la passion amoureuse. Une transposition contemporaine doublée d’une mise en abyme de l’histoire de Titus et Bérénice.

Charles - Comme UlysseA FAIT UN LONG VOYAGE : Comme Ulysse, de Lise Charles
Enfant, Rebecca a servi de modèle à Norman Rockwell. Devenue adulte, elle épouse John Milton, un autre peintre qui rencontre un certain succès, et avec qui elle a deux enfants. Un jour, John décide d’embaucher Lou, une jeune Française, à la fois comme fille au pair et comme modèle. Mais qui est vraiment Lou ? Deuxième roman de cette jeune auteure (28 ans).


L’Expérience, de Christophe Bataille

Signé Bookfalo Kill

Avril 1961, la France mène des essais nucléaires aériens. Quelques hommes sont envoyés dans une tranchée creusée à trois kilomètres du point d’impact, avec pour mission de mesurer les effets de l’explosion sur les êtres vivants. Pour tout équipement, ils ont des combinaisons dont l’épaisseur est dérisoire, et un compteur Geiger.
En toute connaissance de cause, ces hommes sont des cobayes, et leur affectation, une mission suicide. Leur chef est un jeune militaire mis aux arrêts et considéré comme rebelle parce qu’il est tombé durant un défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées. Pour effacer sa faute, il accepte de conduire l’opération. Des années plus tard, il relate dans un cahier ce qu’il n’a le droit de raconter à personne…

Bataille - L'ExpériencePrésenté de cette manière, ça fait plutôt envie, non ? On en espère une charge, une colère, une dénonciation. Hélas, rien de tout cela. Le roman de Christophe Bataille n’est finalement qu’un ersatz de cette histoire. En dépit de sa brièveté, L’Expérience est truffée de grandes phrases et de réflexions désordonnées qui m’ont rapidement égaré et fait perdre tout intérêt pour ce texte.
Bataille cherche à raconter l’indicible, et en un sens, il y parvient plutôt bien puisqu’au bout du compte, il ne raconte pas grand-chose. Le récit de la mission s’égare dans les méandres de pensées confuses, où surnage parfois une idée intéressante – par exemple, le fait que le narrateur reste fasciné, presque au sens amoureux du terme, par le spectacle dont il a été témoin et acteur, au point de ne pas regretter d’y avoir participé. (Enfin je crois.)

Finalement, c’est lorsqu’il reconnaît lui-même « fuir la fiction » (p.73) et tisse un parallèle sous-jacent entre l’essai nucléaire et l’essai littéraire – « C’est donc à peine un cahier : disons un essai. Une expérience. » (p.61) – que Christophe Bataille semble toucher au plus juste de l’exercice. Dans les deux cas, la tentative aboutit à des tâtonnements pouvant s’avérer vains, voire destructeurs.
En ce qui me concerne, il aura détruit une bonne demi-heure de mon temps libre et je le regrette un peu.

L’Expérience, de Christophe Bataille
  Éditions Grasset, 2015
ISBN 978-2-246-81164-0
82 p., 12€


Journal de Keith Haring

« Je suis bien conscient qu’il y a un risque que j’ai ou que j’aurai peut-être le SIDA. La probabilité est très forte et en fait, j’en ai déjà les symptômes. (…) Je ne sais pas s’il me reste cinq mois ou cinq ans, mais je sais que mes jours sont comptés. C’est pour cela que mes activités et mes projets ont tant d’importance en ce moment. Il faut en faire autant que possible le plus vite possible. Je suis sûr que ce qui survivra après ma mort est assez important pour que je sacrifie aujourd’hui mes convenances personnelles et mon temps de loisir. Le travail est tout ce que j’ai et l’art est plus important que la vie. »

Fans de Keith Haring, vous allez être gâtés. Ce Journal fut tenu par le peintre-graphiste du 29 Avril 1977 (peu avant ses 19 ans) au 22 septembre 1989 (cinq mois avant sa mort). Cependant, détrompez-vous. Il ne s’agit pas d’un journal intime. Il s’agit vraiment d’un journal artistique, où toutes ses toiles, fresques et autres dessins sont consignés. Ses voyages pour inaugurer telle ou telle exposition dans le monde, ses achats de pinceaux, ses visites dans les usines qui reproduisent ses oeuvres sur T-shirt, badges, etc…

J’ai été étonnée de la maturité de Keith Haring à 20 ans. Par moment, il s’agit véritablement d’un traité sur l’art, avec les aspects un peu ch***** que cela peut entraîner. Et puis à d’autres instants, on ressent l’artiste à nos côtés. Il est là, ce gamin de Pennsylvanie, qui, en l’espace de 15 ans, a réussi à faire éclore son oeuvre à la face du monde. Keith Haring, c’est un artiste inter-générationel, dont les couleurs et les traits transcendent les années. Dans son Journal, il discute avec Andy Warhol, drague des minets bellâtres, prend de la coke et râle contre la nuit, contre l’hiver, contre la maladie, qui l’empêchent de travailler.

Abondamment illustré, ce journal est un véritable traité sur l’art, la société de consommation et le besoin insatiable de peindre et dessiner. Art is life disait son ami Yves Arman. Un message que Keith Haring s’est borné à transmettre à travers son oeuvre.

Journal de Keith Haring
Editions Flammarion, 2012
9782081279421
422p., 26€

Un article de Clarice Darling.


Et la fête continue d’Alan Riding

Vous saviez, vous, que le frère de notre bon commandant Cousteau était un collabo de la première heure? Vous saviez que Dina Vierny, la muse de Maillol, faisait passer en douce des clandestins depuis la gare de Banyuls? Vous saviez que Gerhard Heller, officier nazi, avait cependant joué un grand rôle dans la vie culturelle française et avait sauvé la vie de Jean Paulhan? Connaissez-vous seulement l’existence de Rose Valland et toutes les oeuvres d’art qu’elle a sauvées?

Si oui, vous pouvez quand même apprendre des foules de choses sur cette période sombre de l’Histoire qu’est la vie culturelle sous l’Occupation. Si non, vous apprendrez des foules de choses sur cette période sombre de l’Histoire qu’est l’Occupation.

Alan Riding, correspondant du New York Times, a travaillé pendant plus de dix ans sur cet ouvrage et nous livre un documentaire extrêmement méticuleux, bien fourni, et surtout, bien écrit qui vous replongera au coeur des années noires. Formidablement documenté, cet essai retrace l’évolution des artistes pendant toute la période de l’Occupation. Personne n’est oublié. Les chanteurs populaires ou les grandes voix de l’Opéra, les poètes, les philosophes, les écrivains, les journalistes, les peintres, les sculpteurs, les photographes, les danseurs, les comédiens et metteur en scène, les producteurs de cinéma… Tout le monde y passe. Sous forme chronologique, Alan Riding nous livre un panorama complet de la vie culturelle, avec l’aide de Danielle Darrieux, Stéphane Hessel, Micheline Presle, Françoise Gilot, Pierre Boulez et bien d’autres. 

Le point fort de Riding, c’est de ne pas prendre parti. Il parle aussi bien des artistes français que des officiers allemands importants qui ont contribué ou non à la culture française : l’ambassadeur Otto Abetz, Gerhard Heller, etc. Il parle des amitiés malgré les divergences politiques ( Marcel Jouhandeau et Jean Paulhan, Jean Cocteau et Arno Breker), il a pioché dans tous les journaux intimes disponibles (Ernst Jünger, Galtier-Boissière, Jean Guéhenno…), il a reconstitué pour chaque personne sa chronologie pendant ses 5 années de guerre. 

Si vous ne devez retenir qu’un ouvrage sur la vie culturelle pendant l’Occupation, Et la fête continue est celui-là. Fourni, bien écrit, remarquable. Vraiment. 

 Et la fête continue d’Alan Riding
Editions Plon, 2012
ISBN 978 2 259 214810
411p., 23€90

Un article de Clarice Darling.