À travers

Tom Haugomat
Éditions Thierry Magnier, 2018
ISBN 9791035201708
184 p., 20€
Voilà un livre que je serais bien en peine de qualifier. Ce n’est pas tout à fait une bande dessinée, bien qu’il raconte une histoire par l’image – et exclusivement par l’image, car il n’y a pas de texte, pas de bulle, rien.
Ce n’est pas non plus un album pour la jeunesse, car son propos est d’une maturité et d’une profondeur qui appellent l’expérience, du genre qu’on acquiert avec l’âge.
Alors, qu’est-ce au juste ? Un exercice graphique ? Quelque chose de nouveau qui n’a pas encore de nom ?
Bon, en fait, on s’en fout. Ce n’est pas comme si, par ici, on avait envie de perdre du temps avec les étiquettes et les idées toutes faites. Or, l’idée de Tom Haugomat, merveilleuse, se suffit à elle-même.
À travers, c’est le titre ; c’est aussi le concept du livre. Page de gauche, une scène représentée dans son ensemble, où l’on voit le héros de l’histoire regarder quelque chose à travers un objet – des jumelles, la fenêtre d’une maison ou la vitre d’une voiture, un écran (de télévision, d’ordinateur…), un hublot, une loupe, entre les barreaux d’un lit d’enfant… Vous pouvez compter sur Tom Haugomat pour trouver, à chaque page, un nouvel angle à la fois étonnant et d’une justesse absolue.
Et page de droite, le résultat en gros plan de ce que regarde le personnage.
À quoi sert ce concept ? À raconter, tout simplement, une vie d’homme. De la naissance à la vieillesse, en passant par tous les âges et tous les états de la vie. A chaque page, une date précise d’une année de son existence. Se déroule ainsi l’histoire d’un homme ordinaire, avec ses joies et ses peines, mais aussi d’un individu hors du commun. En effet, le héros d’À travers, adulte, travaille pour la NASA, devient astronaute, ce qui l’amène à vivre des expériences exceptionnelles – qui autorisent l’auteur à multiplier les trouvailles visuelles et les points de vue.
À la fois minimaliste (servi en seulement quatre couleurs : bleu, noir, rouge, blanc, parfois nuancées) et minutieux, le dessin de Tom Haugomat se niche au creux des étendues de la page, sans en coloniser tout l’espace. Laissant aux blancs, au vide alentour, le soin d’ouvrir la porte à l’imagination et au rêve, tout en resserrant le cadre sur le point de fuite fixé par le regard du personnage.
Le résultat est follement poétique et incroyablement émouvant. On s’y retrouve, on y cueille des échos de notre propre vie ; on parcourt aussi des moments marquants de l’Histoire récente – l’explosion de Challenger en 1986 (j’avais huit ans mais je m’en souviens avec une netteté foudroyante) ou les attentats du 11 septembre, par exemple.
Une escapade sublime, signée d’un illustrateur de 35 ans qui n’a pas fini de faire parler de lui et de son trait déjà reconnaissable entre tous.
A première vue : la rentrée P.O.L. 2016
Chez P.O.L. cette année, on retrouve quelques noms connus de la maison (Amigorena, Boyer, Montalbetti) mais pas de grosse pointure médiatique. On attend donc de découvrir de jolies choses (comme Titus n’aimait pas Bérénice, l’un des succès surprises de l’année dernière signé Nathalie Azoulai), avec comme souvent de l’inattendu et du singulier au menu – même si les espoirs sont assez maigres en cette rentrée 2016, soyons honnêtes, à une exception près. Voire deux, avec un peu de chance.
GRAVITY : La Vie est faite de ces toutes petites choses, de Christine Montalbetti
Dans l’espace, comment dort-on, comment fait-on la cuisine ou du sport ? A quoi pense-t-on avant le décollage de la navette qui doit vous emmener vers les étoiles ? Drôles de questions, n’est-ce pas ! Christine Montalbetti y répond, entre autres, dans ce roman extrêmement original qui nous fera découvrir toute la vie entourant l’aventure spatiale, au fil de petites scènes curieuses, surprenantes, amusantes… Assurément, un OVNI littéraire en perspective !
LOVE ACTUALLY : Amours sur mesure, de Mathieu Bermann
Ah, l’amour ! Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, ce sera toujours un sujet pour les écrivains. Et c’est donc celui choisi par Mathieu Bermann pour son premier roman, dans lequel il ambitionne d’en cerner toutes les facettes : amitié, plan cul d’un soir, rencontre de hasard, affection, amour durable d’un couple…
VERNISSAGES : Les premières fois, de Santiago H. Amigorena
Avec un titre pareil, vous me voyez venir, il va forcément être question d’amour. Oui, mais pas que – ouf ! Amigorena entreprend d’évoquer l’exaltation infinie que l’on ressent au moment où l’on accomplit en toute conscience quelque chose pour la première fois – tout en sachant que ce sentiment incroyablement puissant ne sera jamais restitué lors de la deuxième, troisième, dixième ou centième fois… Suivant les pas de son adolescence, il raconte donc ses premières fois, les reliant à la littérature et à l’art d’écrire.
COMME JE VOUS AIME, COMME J’AI PEUR DE VOUS : Yeux noirs, de Frédéric Boyer
Le narrateur tente de raconter un souvenir d’enfance perdu, l’histoire d’une rencontre troublante. Et un prétexte pour causer de quoi ? Hé ben, d’amour, tiens. Cf. Ci-dessus…
RIPLEY : Double nationalité, de Nina Yargekov
Le résumé Électre est vraiment rigolo : « Une jeune femme se réveille dans un aéroport, se questionnant à la fois sur son identité et sur sa destination. Dans son sac, elle dispose de deux passeports et d’une lingette rince-doigts. Que doit-elle faire ? » Bon, pas sûr que le roman soit aussi joueur qu’il n’en a l’air…
A première vue : la rentrée Actes Sud 2016
Allez, comme les précédents étés, c’est reparti pour la rubrique À première vue, dans laquelle nous vous présentons rapidement une partie de la rentrée littéraire qui atterrira sur les tables des libraires à partir de la mi-août. 560 romans au programme cette année, soit un peu moins que l’année dernière – mais encore trop, surtout que ce cru 2016 ne part pas forcément gagnant. Il y aura quelques grands rendez-vous, mais d’après le premier panoramique que nous avons pu faire, ils seront rares, égarés au milieu de nombreux titres carrément dispensables…
2015 a été l’année Actes Sud, avec notamment la sortie événement du quatrième tome de Millenium, le triomphe extraordinaire du Charme discret de l’intestin de Giulia Enders, et la consécration de Mathias Enard, couronné du prix Goncourt pour Boussole. Cette année, les éditions arlésiennes présentent une rentrée solide, qui comptent des valeurs sûres aussi bien en littérature française (Gaudé, Vuillard, Goby) qu’étrangère (Salman Rushdie). Pas de folie des grandeurs donc (ouf !), et quelques jolies promesses.
A LA LANTERNE : 14 juillet, d’Eric Vuillard (lu)
Encore trop méconnu du grand public, Eric Vuillard est pourtant l’un des auteurs français les plus intéressants et talentueux de ces dernières années, dont la spécialité est de mettre en scène des pages d’Histoire dans des récits littéraires de haute volée – nous avions adoré il y a deux ans Tristesse de la terre, récit incroyable autour de Buffalo Bill. Espérons que son nouveau livre lui gagnera les faveurs d’innombrables lecteurs, car il le mérite largement : 14 juillet, comme son titre l’indique, nous fait revivre la prise de la Bastille – mais comme on l’a rarement lu, à hauteur d’homme, parmi les innombrables anonymes qui ont fait de cette journée l’un des plus moments les plus déterminants de l’Histoire de France, au coeur du peuple et non pas du point de vue des notables. Puissant, littérairement virtuose, ce petit livre offre de plus une résonance troublante avec notre époque. L’un des indispensables de la rentrée.
MOURIR POUR SES IDÉES : Écoutez nos défaites, de Laurent Gaudé
Prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta, Laurent Gaudé donne l’impression de faire partie du décor littéraire français depuis très longtemps. Il n’aura pourtant que 44 ans lorsqu’il présentera fin août son nouveau roman, réflexion sur l’absurdité des conquêtes et la nécessité sans cesse renouvelée de se battre pour l’humanité ou la beauté. Écoutez nos défaites met en scène un agent des renseignements français chargé de traquer un membre des commandos d’élite américains soupçonné de trafics divers, et qui rencontre une archéologue irakienne tentant de préserver les œuvres d’art des villes bombardées. Un livre qui paraît aussi ancré dans le réel que l’était Eldorado au milieu des années 2000 sur le drame des migrants.
TOUSS TOUSS : Un paquebot dans les arbres, de Valentine Goby
Très remarquée pour l’ambitieux et poignant Kinderzimmer il y a trois ans, Valentine Goby change de décor pour nous emmener à la fin des années 50, dans un sanatorium où sont envoyés tour à tour les parents de Mathilde. Livrée à elle-même, sans aucune ressource, la courageuse adolescente entreprend alors tout ce qui est possible pour faire sortir son père et sa mère du « grand paquebot dans les arbres »…
MOTIVÉ : Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi
Le chanteur du groupe Zebda évoque son adolescence au début des années 80, à Toulouse, alors qu’il se fait remarquer simplement parce que lui, petit rebeu de quartier défavorisé, ambitionne de passer et de réussir son bac… Un texte autobiographique qui ne devrait pas manquer de mordant et de poésie, connaissant le bonhomme.
LE CINÉMA, C’EST… : Sauve qui peut (la révolution), de Thierry Froger
Et si Godard avait voulu réaliser un film sur la Révolution française intitulé Quatre-vingt-treize et demi ? C’est le postulat de départ du premier roman de Thierry Froger, pavé de 450 pages qui sera soit étourdissant, soit royalement pompeux – c’est-à-dire, soit révolutionnaire soit godardien. Un gros point d’interrogation sur ce livre.
(PAS) CAPITALE : Les Parisiens, d’Olivier Py
Une plongée dans la nuit parisienne, dans le sillage d’un jeune provincial, Rastignac des temps modernes, qui rêve de théâtre et de mettre la capitale à ses pieds… Olivier Py devrait encore agacer avec ce nouveau livre au parfum bobo en diable, qui nous laisse penser qu’il devrait se consacrer pleinement au festival d’Avignon et au théâtre plutôt que d’encombrer les tables des libraires avec ses élucubrations littéraires.
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UNE BONNE PAIRE DE DJINNS : Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, de Salman Rushdie
Le plus barbu des vieux sages romanciers propose cette fois un conte philosophique, dans lequel des djinns, créatures mythiques et immortelles, décident de se mêler aux humains pour partager leurs vies pleines de folie et de déraison. L’occasion, par le filtre de la fiction fantastique, d’une vaste réflexion sur l’histoire humaine.
SAGA SUÉDÉE : Fermer les yeux (Le Siècle des grandes aventures t.4) – titre incertain
Le romancier suédois poursuit sa vaste geste contemporaine qui explore les bouleversements du XXème siècle, en confrontant Lauritz, l’aîné des frères Lauritzen héros de la saga, au drame de la Seconde Guerre mondiale.
WHEN YOU BELIEVE : Le Roman égyptien, d’Orly Castel-Bloom
A travers les époques et les pays, entre l’Égypte biblique, l’Espagne de l’Inquisition et les kibboutz israéliens, l’errance des Castil, une famille juive. Ce roman a reçu l’équivalent du prix Goncourt égyptien.
FRANCE-ALLEMAGNE, LE RETOUR : Les Insatiables, de Gila Lustiger
Gila Lustiger est allemande mais vit en France. Son nouveau roman, qui suit l’enquête opiniâtre d’un journaliste sur un meurtre vieux de 27 ans qui vient d’être résolu grâce à l’ADN, dresse un tableau sans concession de la France contemporaine. Grosse Bertha : 1 / Ligne Maginot : 0.
DEUXIÈME ÉTOILE A DROITE ET TOUT DROIT JUSQU’AU MATIN : Phare 23, de Hugh Howey
L’auteur de la trilogie à succès Silo revient avec un nouveau roman de S.F., publié dans la collection Exofictions. Nous sommes au XXIIIème siècle et les phares se trouvent désormais dans l’espace, où ils guident des vaisseaux voyageant à plusieurs fois la vitesse de la lumière. Construits pour être robustes, à toute épreuve, ces phares sont les garants de l’espace stellaire. Mais que se passerait-il en cas de dysfonctionnement ?…
Stone Rider, de David Hofmeyr
Signé Bookfalo Kill
Adam Stone veut la liberté et la paix. Il veut une chance de s’échapper de Blackwater, la ville désertique dans laquelle il a grandi. Mais, plus que tout, il veut la belle Sadie Blood. Aux côtés de Sadie et de Kane — un Pilote inquiétant —, Adam se lance dans le circuit de Blackwater, une course à moto brutale qui les mettra tous à l’épreuve, corps et âme.
La récompense? Un aller simple pour la Base, promesse d’un paradis. Et pour cette chance d’une nouvelle vie, Adam est prêt à tout risquer… (résumé éditeur)
Oui, j’avoue, pour ce livre, je ne me suis même pas fatigué à rédiger un résumé fait maison. Pour tout vous dire, j’ai eu le sentiment que ce Stone Rider ne valait pas la peine de perdre trop de temps. D’ailleurs, on pourrait le présenter d’une autre manière, tout aussi efficace : Stone Rider, c’est Hunger Games dans l’univers de Mad Max.
Voilà : un monde post-apocalyptique en pleine déréliction, de l’action, tout un tas de gens peu recommandables, voire carrément psychopathes sur les bords, de l’action, des motos, de l’action, de la poussière, de l’action, une épreuve hyper dangereuse où on commence par survivre avant de penser à gagner… Il y a tous les ingrédients déjà vus à droite à gauche, compilés sans grand talent (chers amis de Gallimard-Jeunesse, pour « l’écriture nouvelle et captivante », on repassera, merci) par un auteur qui n’apporte rien de neuf au genre de la dystopie, animés par des personnages épais comme des pitchs de Luc Besson, dans un roman qui se lit vite parce qu’il enchaîne les scènes trépidantes, et c’est là sa qualité première. La seule, à mon avis.
Ce qui m’embête le plus, en fait, c’est que Stone Rider s’est vu récemment décerner la Pépite du Roman Ado au Salon de la littérature jeunesse de Montreuil. Quand on se rappelle que, l’année dernière, le lauréat était le fabuleux Livre de Perle de Timothée de Fombelle, on est en droit de se demander si, cette année, les membres du jury ne songeaient pas trop à l’otite de la petite dernière ou à la quiche courgettes-oignons du déjeuner au moment de passer au vote. Parce qu’il y avait beaucoup, beaucoup mieux en compétition…
Stone Rider, de David Hofmeyr
(traduit de l’anglais par Alice Marchand)
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2015
ISBN 9782070666751
320 p., 15€
Le Château des étoiles – 1869 : la conquête de l’espace vol.1, d’Alex Alice
Signé Bookfalo Kill
En 1868, la révolution industrielle bat son plein, et les hommes sont lancés dans une quête effrénée au-delà de toutes les limites connues. Partie en ballon à la recherche de l’éther qu’elle croit fermement pouvoir capturer dans l’infini du ciel, Claire Dulac y perd la vie, laissant derrière elle son mari Archibald, un ingénieur reconnu, et leur fils Séraphin, collégien rêveur qui a hérité de sa mère une fascination pour les aventures aériennes.
Un an plus tard, une lettre mystérieuse promet au professeur Dulac de lui restituer le carnet de Claire, où elle a noté ses dernières observations le jour de sa disparition, en échange d’un rendez-vous secret. A la suite de quelques péripéties aussi dangereuses qu’imprévues, des individus menaçant s’intéressant de près aux travaux de la scientifique, Séraphin se retrouve involontairement embarqué avec son père sur la trace des rêves de sa mère…
Initialement paru en trois journaux prenant la forme de fac-similés de gazettes d’époque, Le Château des étoiles revient en format classique, gagnant en côté pratique ce qu’il perd fatalement en originalité. Mais la première partie de cette série qui comptera deux tomes (en tout cas pour l’année 1869) mérite à elle seule largement le détour pour se réjouir de la voir publiée de la sorte.
Alex Alice réussit ici une très jolie bande dessinée d’aventure, à la croisée de Jules Verne et de Hayao Miyazaki (rien que par le titre, difficile de ne pas penser au Château dans le ciel du maître japonais). De ces auteurs majeurs du genre, on retrouve chez le dessinateur-scénariste la fascination pour les nouvelles technologies, version steampunk, un art du récit rythmé et ébouriffant, et des personnages hauts en couleur. Il y ajoute des références historiques subtilement utilisées, faisant de l’expansion allemande sous la conduite de l’ombrageux Bismarck l’un des enjeux souterrains du récit, et de Louis II de Bavière, le roi fou au château insensé, un très beau héros…
Si certaines expressions de visage, notamment celles comiquement outrancières du jeune Hans, peuvent aussi évoquer de loin le même Miyazaki, le style visuel d’Alex Alice impose sa propre identité, beaucoup plus européenne, très loin du trait de l’illustre mangaka. Il n’en est pas moins très cinématographique, avec son montage rapide, ses nombreuses variations de plans qui alternent brèves cases d’action ou de transition, et de grandes planches décoratives, aussi belles que spectaculaires. Les couleurs pastel apportent des nuances élégantes, mélange de douceur nostalgique et d’ambiance rêveuse qui ne nuit en rien à l’action et à l’humour animant le récit à bon escient.
Bref, une B.D. assez classique mais réussie, qui plaira à des lecteurs de tous âges grâce à son mélange d’aventure et de documentation aussi intéressante qu’abordable. La suite paraîtra à nouveau en trois gazettes avant d’être publiée en un seul volume. On a hâte de savoir où le vent portera Séraphin et ses amis !
Le Château des étoiles – 1869 : la conquête de l’espace vol.1, d’Alex Alice
Éditions Rue de Sèvres, 2014
ISBN 978-2-36981-013-1
62 p., 13,50€
P.S. : Belle chronique également chez l’ami Fred sur 4 de couv‘ !
Urban, de Brunschwig & Ricci
Signé Bookfalo Kill
Le brillant scénariste Luc Brunschwig a le don de s’associer avec des dessinateurs virtuoses pour transcrire en images ses histoires aussi ambitieuses que complexes. Tandis que Cecil esquisse ses superbes crayonnés et nuances de gris pour Holmes (dont un quatrième tome est annoncé pour la fin d’année, youpi !!!), Roberto Ricci s’avère le metteur en scène idéal pour Urban, son odyssée d’anticipation.
A l’occasion de la parution du troisième tome de cette saga, je vous offre donc un billet pour Monplaisir, « le dernier endroit où ça rigole dans la galaxie ! », dixit Springy Fool, l’homme à tête de lapin, son créateur et animateur de génie.
Monplaisir, c’est la ville suprême des loisirs, le cadeau rutilant offert aux habitants humains qui travaillent dur et vivent souvent dans des conditions misérables dans les colonies spatiales où les hommes se sont retirés lorsque la Terre est devenue inhospitalière. Durant quinze jours par an, ces travailleurs acharnés ont donc le droit de s’y perdre et de ne plus vivre que pour le plaisir – à la hauteur de leurs moyens, car même le Paradis a ses hiérarchies…
Sur les innombrables écrans géants disposés partout dans la cité, cet énergumène de Springy Fool assure le show avec A.L.I.C.E., son intelligence artificielle révolutionnaire. En Big Brother froidement sexy, celle-ci contrôle aussi en sous-main la surveillance et la sécurité de la ville, en compagnie des Urban Interceptors, police d’élite chargée d’intercepter les pires criminels de la galaxie venus tenter leur chance à Monplaisir, dans des duels en forme de jeux mortels diffusés en direct.
C’est ce service d’exception que rejoint Zach, fils de modestes fermiers, un colosse un peu naïf, guidé par sa fascination pour Overtime, le super-héros de son enfance. Il rejoint les rangs alors qu’un sinistre assassin sème sur sa route les cadavres atrocement mutilés de jeunes filles, et qu’un tueur à gages décime un à un les Intercepteurs…
J’ai dévoré hier les trois premiers tomes d’Urban, et je reste sous le choc comme sous le charme. Sous le choc d’un récit formidablement ambitieux, qui ne recule devant aucun rebondissement, aussi terrible soit-il (et croyez-moi, de ce côté-là, vous allez être servis !) Dès les premières pages, on entre dans cette histoire comme si elle nous était déjà familière, et jamais on ne se perd dans ses ramifications pourtant complexes, à la suite de ses nombreux protagonistes tous aussi intéressants et potentiellement pleins de surprises plus ou moins bonnes.
Luc Brunschwig épate une nouvelle fois par sa maîtrise narrative et la profondeur de son histoire autant que de ses personnages. Chaque nouveau tome nous avance un peu plus loin dans l’univers terriblement ambivalent de Monplaisir, dévoilant certains mystères pour mieux en créer d’autres dans la foulée, avec une science du suspense époustouflante.
Sous le charme aussi, je le disais, grâce au dessin de Roberto Ricci. Transposée au cinéma, la science du cadrage de l’artiste italien donnerait à coup sûr un chef d’œuvre de réalisation virtuose, tant il sait trouver les meilleurs angles, même les plus extrêmes (ras du sol, plongées vertigineuses…) et multiplier les rapports de cadre, du plus étroit au plus large, pour faire vivre le foisonnement de Monplaisir, dont il campe l’architecture mégalomaniaque avec une profusion de détails qui flatte l’œil sans jamais le lasser.
Puis on sent qu’il se régale avec l’un des passages obligés du scénario de Brunschwig, sorte de Où est Charlie ? puissance mille : tous les invités de la ville doivent en effet se déguiser, ce qui donne une armée de clins d’œil réjouissants à nombre de héros mythiques, que je vous laisse le plaisir de débusquer dans la foule grouillante de la cité infernale.
Je m’arrête là, n’étant pas assez expert en bande dessinée pour saluer correctement les prouesses techniques et narratives de cette série (il faudrait aussi parler du superbe travail sur les couleurs et les nuances…) Je me contenterai de vous recommander instamment de plonger dans Urban. Si vous êtes amateurs d’excellentes B.D., à la fois distrayantes et intelligentes, et d’univers imaginaires ambitieux, vous ne serez pas déçus !
Urban, de Luc Brunschwig (scénario) & Roberto Ricci (dessin)
Éditions Futuropolis
Tome 1 : Les règles du jeu, 2011.
978-2-7548-0318-2, 56 p., 13,20€
Tome 2 : Ceux qui vont mourir…, 2013.
978-2-7548-0993-1, 56 p., 13,20€
Tome 3 : Que la lumière soit…, 2014.
978-2-7548-0995-5, 56 p., 13,50€