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A première vue : la rentrée Gallimard 2016

Bon, cette année, promis, je ne vous refais pas le topo sur les éditions Gallimard et leurs rentrées littéraires pléthoriques dont la moitié au moins est à chaque fois sans intérêt ; je pense qu’à force, vous connaissez le refrain, et il ne change guère cette année : 13 romans français, 4 étrangers, c’est à peine moins que l’année dernière – et on n’en parle que des romans qui paraissent fin août, il y en a beaucoup d’autres en septembre (dont un Jean d’Ormesson, mais je saurai vous épargner).
Je vais sans doute m’attacher à être plus elliptique cette année que les précédentes, car cette rentrée 2016 me paraît à première vue dépourvue d’attraits majeurs. Comme je n’ai pas pour objectif de vous faire perdre votre temps, on va trancher dans le vif ! Et commencer par les étrangers, ça ira plus vite (façon de parler)…

Oz - JudasJE CHANTE UN BAISER : Judas, d’Amos Oz (lu)
A court d’argent et le coeur en berne après que sa petite amie l’a quitté, Shmuel décide d’abandonner son mémoire sur « Jésus dans la tradition juive ». Il accepte à la place une offre d’emploi atypique : homme de compagnie pour un vieil érudit infirme qui vit reclus dans sa maison, sous la houlette d’une femme aussi mystérieuse que séduisante… Mêlant avec art récit intime de personnages étranges et attachants, réflexions sur l’histoire d’Israël et un discours théologique passionnant, Amos Oz emballe un roman de facture parfaite et sert l’intelligence sur un plateau.

Von Schirach - TabouPORTRAIT DE L’ARTISTE EN TUEUR : Tabou, de Ferdinand von Schirach
Un célèbre photographe avoue un crime pour lequel on n’a ni corps, ni même d’identité formelle de la victime. Qu’est-ce qui l’a mené là ? Y a-t-il un rapport avec ses expérimentations artistiques audacieuses ? Dans la lignée de ses livres précédents, le romancier allemand élabore une réflexion sur la violence et le doute, le rapport entre vérité et réalité.

Stridsberg - BeckombergaÀ LA FOLIE : Beckomberga – Ode à ma famille, de Sara Stridsberg
Ouvert en 1932 près de Stockholm, Beckomberga a été conçu pour être un nouveau genre d’hôpital psychiatrique fondé sur l’idée de prendre soin de tous et de permettre aux fous d’être enfin libérés. Jackie y rend de nombreuses visites à son père Jim qui, tout au long de sa vie, n’a cessé d’exprimer son mal de vivre. Famille et folie, le thème de l’année 2016 ? Après En attendant Bojangles, mais dans un genre très différent, Sara Stridsberg propose en tout cas une nouvelle variation sur le sujet.

Clegg - Et toi, tu as eu une familleON THE ROAD : Et toi, tu as eu une famille ?, de Bill Clegg
Famille encore ! Cette fois, tout commence par un incendie dans lequel périssent plusieurs proches de June, dont sa fille Lolly qui devait se marier le lendemain du drame. Dévastée, June quitte la ville et erre à travers les Etats-Unis, sur les traces de ce qui la lie encore à sa fille, par-delà la mort. Dans le même temps, le roman se fait choral en laissant la parole à d’autres personnes affectées par l’incendie, dans une tentative de transcender l’horreur par l’espoir et le pardon.

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Appanah - Tropique de la violenceVOYAGE AU BOUT DE L’ENFER : Tropique de la violence, de Nathacha Appanah
A quinze ans, Moïse découvre que Marie, la femme qui l’a élevé, n’est pas sa mère. Révolté, il tombe sous la coupe d’une bande extrêmement dangereuse qui va faire de son quotidien un enfer… Nous sommes à Mayotte, minuscule département français perdu dans l’océan Indien, au large de Madagascar. Un bout de France ignoré, méprisé, étouffé par une immigration incontrôlable en provenance des Comores voisines, et où la violence et la misère vont de pair. La Mauricienne Nathacha Appanah en tire un roman qui devrait remuer les tripes.

Bello - AdaHER : Ada, d’Antoine Bello
Un policier de la Silicon Valley est chargé de retrouver une évadée d’un genre très particulier : il s’agit d’Ada, une intelligence artificielle révolutionnaire, dont la fonction est d’écrire en toute autonomie des romans à l’eau de rose. En menant son enquête, Frank Logan découvre pourtant que sa cible développe une sensibilité et des capacités si exceptionnelles qu’il en vient à douter du bien-fondé de sa mission…

Benacquista - RomanesqueBONNIE & CLYDE : Romanesque, de Tonino Benacquista
Un couple de Français en cavale à travers les États-Unis se réfugie dans un théâtre. La pièce à laquelle ils assistent, Les mariés malgré eux, se déroule au Moyen Age et raconte l’exil forcé d’un couple refusant de se soumettre aux lois de la communauté. Le destin des deux Français dans la salle et des personnages sur scène se répondent et se confondent, les lançant dans une vaste ronde dans le temps et l’espace, une quête épique où ils s’efforceront de vivre leur amour au grand jour…

Del Amo - Règne animalPORCO ROSSO : Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo
Au cours du XXe siècle, l’histoire d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. En deux époques, cinq générations traversent les grands bouleversements historiques, économiques et industriels. C’est déjà le quatrième roman du jeune Jean-Baptiste Del Amo (34 ans), qui revient ici avec un sujet sérieux et ambitieux – du genre qui doit mener à un prix littéraire…

Slimani - Chanson douceLA MAIN SUR LE BERCEAU : Chanson douce, de Leïla Slimani
Dans le jardin de l’ogre, le premier roman de Leïla Slimani – histoire d’une jeune femme, mariée et mère de famille, rongée par son addiction au sexe -, n’était pas passé inaperçu, loin de là. Son deuxième, qui relate l’emprise grandissante d’une nourrice dans la vie d’une famille, pourrait constituer une confirmation de son talent pour poser une situation de malaise et provoquer une réflexion sociétale stimulante.

Tuil - L'InsouciancePOST COITUM ANIMAL TRISTE : L’Insouciance, de Karine Tuil
En 2009, le lieutenant Romain Roller rentre d’Afghanistan après avoir vécu une liaison passionnée avec la journaliste et romancière Marion Decker. Comme il souffre d’un syndrome post-traumatique, son retour en France auprès de sa femme et de son fils se révèle difficile. Il continue à voir Marion, jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle est l’épouse du grand patron de presse François Vély… Il y a de l’ambition chez Karine Tuil, à voir si le résultat est à la hauteur.

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ÇA FAIT PAS UN PLI : Monsieur Origami, de Jean-Marc Ceci
Un jeune Japonais tombe amoureux d’une femme à peine entrevue, et quitte tout pour la retrouver. Il finit par échouer en Toscane, où il s’adonne en ermite à l’art du pliage japonais. Pour tous, il devient Monsieur Origami…

UNSUCCESS STORY : L’Autre qu’on adorait, de Catherine Cusset
A vingt ans, Thomas a tout pour réussir. Il mène des études brillantes, séduit les femmes et vit au rythme frénétique de Paris. Mais après avoir échoué à un concours que réussit son meilleur ami, et s’être fait larguer par sa petite amie, sa vie entame une trajectoire descendante que rien n’arrêtera… Think positive à la française.

ROMAN PAS X : Livre pour adultes, de Benoît Duteurtre
Inspiré par la mort de sa mère, Duteurtre annonce un livre à la croisée de l’autobiographie, de l’essai et de la fiction. Il ira croiser sans moi, son Ordinateur du Paradis m’ayant dissuadé de perdre à nouveau mon temps avec cet auteur.

NAISSANCE DES FANTÔMES : Crue, de Philippe Forest
Un homme marqué par le deuil revient dans la ville où il est né, où les constructions nouvelles chassent peu à peu les anciennes. Il rencontre un couple, s’envoie Madame et papote avec Monsieur qui affirme que des milliers de gens disparaissent. D’ailleurs, Monsieur et Madame disparaissent à leur tour. Puis la ville est envahie par les flots…

À L’EST D’EDEN : Nouvelle Jeunesse, de Nicolas Idier
Dans le Pékin contemporain, des jeunes vivent d’excès. Ils sont poètes, rockers ou amoureux, et incarnent la nouvelle jeunesse de cette ville en mutation.

UNE BELLE HISTOIRE : Les deux pigeons, d’Alexandre Postel
Théodore a pour anagramme Dorothée. Ça tombe bien, ce sont les prénoms des héros du troisième livre d’Alexandre Postel (intéressant mais imparfait dans L’Ascendant et Un homme effacé). Ils sont jeunes, ils sont amoureux, et se demandent comment mener leurs vies… C’est une romance d’aujourd’hui.

ENGAGEZ-VOUS RENGAGEZ-VOUS QU’ILS DISAIENT : Nos lieux communs, de Chloé Thomas
Sur les pas des étudiants d’extrême gauche, Bernard et Marie sont partis travailler en usine dans les années 1970. Bien des années plus tard, Jeanne recueille leurs témoignages et celui de leur fils, Pierre, pour tenter de comprendre leurs parcours. Premier roman.

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L’Homme posthume, de Jake Hinkson

Signé Bookfalo Kill

Elliot Stilling avait presque réussi sa tentative de suicide. Il a même été considéré comme mort durant trois minutes. Mais les médecins l’ont ramené à la vie malgré lui – les médecins, et aussi la vision d’une belle infirmière au poignet tatoué d’une étoile…
Amoureux, Elliot ? Pas si simple. En suivant Felicia le lendemain, il semblerait qu’il ait une autre idée en tête, celle de la protéger. Il ignore qu’elle en a peut-être vraiment besoin, lorsque surgissent dans son entourage deux frères aussi costauds qu’abrutis et dangereux, ainsi qu’un certain Stan The Man, truand vénéneux qui entraîne tout ce petit monde dans un étrange projet de braquage…

Hinkson - L'Homme posthumeL’année dernière, Jake Hinkson m’avait emballé avec son premier titre, L’Enfer de Church Street, qui inaugurait NéoNoir, la nouvelle collection de romans noirs contemporains des éditions Gallmeister. L’attente et l’espoir étaient donc au rendez-vous, forcément ; trop, sans doute.
En dépit d’un départ canon, et d’un rythme soutenu qui entraîne rapidement le lecteur vers la conclusion du livre, cet Homme posthume n’est ni aussi convaincant, ni aussi enthousiasmant que le précédent. L’intrigue ne tient qu’à un fil, tandis que les motivations et la construction des personnages manquent d’épaisseur.

Hinkson nous aspire dans une tranche de vie tragique, avec beaucoup d’énergie et sans rien céder à la noirceur des situations. Il revient aussi sur le terrain de la religion, mais sans l’esprit corrosif qui présidait au ton réjouissant, délicieusement sarcastique de L’Enfer de Church Street. L’Homme posthume est, en résumé, un peu trop superficiel pour marquer les esprits.
Dommage, mais j’attendrai le prochain Hinkson avec autant d’intérêt, car le garçon a vraiment un beau talent de conteur et une plume habile – joliment mise en valeur par la traduction toujours aussi inspirée de Sophie Aslanidès.

L’Homme posthume, de Jake Hinkson
(The Posthumous Man, traduit de l’américain par Sophie Aslanidès)
Editions Gallmeister, coll. NéoNoir, 2016
ISBN 978-2-35178-102-9
165 p., 15,50€


L’Enfer de Church Street, de Jake Hinkson

Signé Bookfalo Kill

Je venais de terminer la lecture du nouveau roman de Kazuo Ishiguro, Le Géant enfoui, et me demandais comment diable j’allais bien pouvoir le chroniquer (on en reparlera), quand j’ai ouvert ce bouquin. Et hop ! j’ai été aspiré. Impossible de faire autre chose que de le lire d’une traite, et de revenir aussitôt vers vous à présent pour vous le présenter, car c’est un pur régal.

Hinkson - L'Enfer de Church StreetAvec deux autres titres sortis simultanément, L’Enfer de Church Street inaugure en fanfare une nouvelle collection des excellentes éditions Gallmeister. L’objectif de Néonoir est en effet de remettre le plus pur roman noir américain au goût du jour, en publiant les oeuvres d’auteurs contemporains considérés comme de dignes héritiers de leurs prestigieux aînés (souvent parus chez Rivages ou dans la Série Noire période mythique), de Dashiell Hammett à Jim Thompson en passant par Ross MacDonald, Charles Willeford et j’en passe.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jake Hinkson est à la hauteur de la mission. Son premier roman est un concentré de noir, égayé néanmoins d’un ton souvent humoristique du meilleur effet.
Résumons, autant que faire se peut. Un homme pas vraiment recommandable, en fuite après avoir démonté la tronche de son contremaître, se retrouve vite aux abois. Planqué aux abords d’un restaurant, il repère un gros type près de sa voiture, proie facile qu’il décide de braquer. Sauf que le gros type, un dénommé Geoffrey Webb, s’avère un drôle de pèlerin que la vue d’un flingue braqué sur lui ne bouleverse pas plus que ça. Embarquant son agresseur dans sa voiture, il se met alors à lui raconter sa vie, une sale histoire plantée sur Church Street à Little Rock, Arkansas…

Pour ne pas trop en dire, ce serait dommage, je vais faire vite. La scène d’ouverture, ce braquage qui tourne court, est à l’image de l’ensemble du roman. Jake Hinkson pratique l’art du rebondissement inattendu avec une facilité d’autant plus réjouissante qu’il n’en rajoute jamais ; le récit prend des virages serrés sans jamais crisser des pneus, comme si tout y était parfaitement naturel (ce qui n’est pas souvent le cas). L’impact n’en est à chaque fois que plus fort.
Geoffrey Webb est un formidable anti-héros, dont le ton, mélange d’autodérision, d’hypocrisie flamboyante et de cynisme absolu, fait beaucoup pour la réussite du livre. Quant à l’histoire, encore une fois sans rien dévoiler, elle offre une plongée sournoise dans les secrets peu glorieux d’une petite ville et de ses familles, ainsi qu’un mitraillage à boulets rouges sur les impostures de la religion quand elle ne devient plus qu’une mascarade vide de sens. Quand on sait que Jake Hinkson a grandi dans un milieu religieux strict (et s’en est sorti, la preuve), on comprend mieux qu’il ait la dent dure à ce sujet, mais il le fait avec maîtrise, voire avec retenue, ce qui donne d’autant plus de densité à son propos.

L’Enfer de Church Street est donc un petit bijou de roman noir d’aujourd’hui, cruel et réjouissant, qui se dévore sans trêve, et fait honneur au nouveau projet éditorial d’Oliver Gallmeister. Un must, superbement traduit par Sophie Aslanides (magnifique traductrice de Craig Johnson, entre autres), à ne pas manquer !

L’Enfer de Church Street, de Jake Hinkson
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
  Éditions Gallmeister, 2015
ISBN 978-2-35178-087-9
236 p., 15€