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À première vue : la rentrée Agullo 2021


Intérêt global :


Agullo a cinq ans !
L’occasion de mettre en lumière et de soutenir plus que jamais cette maison aussi sérieuse qu’aventureuse, grande exploratrice des littératures des pays de l’est (ils nous ainsi offert au premier trimestre la première traduction d’un polar croate, L’Eau rouge) et découvreuse de talents puissants en littérature policière. Dont l’un de leurs plus éminents représentants revient justement en septembre cette année, et on l’attend avec impatience (c’est peu de le dire !)


La Nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin

Sa trilogie Benlazar (La Guerre est une ruse, Prémices de la chute et La Fabrique de la terreur) a marqué les esprits, autant par la force implacable de sa narration que par la pertinence de sa réflexion sur les dérives extrémistes entre la fin du XXème siècle et le début du XXIème.
Le regard acéré de Frédéric Paulin se braque cette fois sur Gênes, en juin 2001, à l’occasion d’une réunion du G8 marquée par de terribles répressions policières contre les nombreux manifestants altermondialistes venus défendre une autre vision du monde.
Grosse promesse, énorme attente, l’un des rendez-vous incontournables de la rentrée pour moi.
(Et le titre est superbe.)

Le Saut d’Aaron, de Magdaléna Platzová
(traduit du tchèque par Barbora Faure)

Une équipe de tournage du XXIème siècle s’intéresse au destin de Berta Altmann, une artiste indépendante de l’entre-deux-guerres qui cherche sa voie de Vienne à Berlin en passant par Prague.
Un roman inspiré par Friedl Dicker-Brandeis, qui a enseigné l’art aux enfants dans le camp de Terezin avant de mourir à Auschwitz.


BILAN


Encore deux titres de la maison qui m’intéressent fortement… Ils sont forts chez Agullo !

Lecture certaine :
La Nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin

Lecture probable :
Le Saut d’Aaron, de Magdaléna Platzová

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Mathias et la Révolution, de Leslie Kaplan

Signé Bookfalo Kill

Obsédé par la Révolution française, Mathias parcourt les rues de Paris et aborde son sujet de prédilection avec tous ceux qu’il croise. La rumeur court que des émeutes éclatent en banlieue, peut-être à la suite d’un incident dans un hôpital. C’est toute la capitale qui bruit et s’émeut, qui rit et prend peur, attendant, espérant, craignant une nouvelle rébellion du peuple…

Kaplan - Mathias et la RévolutionEn découvrant à la fin que ce roman a d’abord fait l’objet l’année dernière d’une adaptation théâtrale, on ne s’étonne pas outre mesure. Privilégiant les dialogues, au point que la parole déborde parfois les marquages usuels (les tirets) qui la délimitent traditionnellement dans un roman, Mathias et la Révolution est une suite d’échanges vifs et passionnés qui traitent de politique, de société, de révolution, mais aussi de littérature. En ce sens, Leslie Kaplan fait montre d’une énergie communicative, et certains passages sont fort brillants, qui sollicitent l’intelligence et la réflexion du lecteur d’une manière stimulante, et offrent une mise en perspective de notre époque en opposant son reflet tourmenté à celui des tumultueuses dernières années du XVIIIème siècle.

Face à une forme aussi singulière, il ne faut évidemment pas s’attendre à un roman « classique », suivant une trame et allant d’un point A à un point Z en tirant tous les traits habituels entre ces deux extrémités. Certains personnages sont en errance, comme Mathias, d’autres surgissent à l’improviste (l’Académicien), et la seule chose qui lie le tout est la relecture des événements de la Révolution et des discours des acteurs de l’époque. De fait, la construction globale de l’ensemble demeure extrêmement floue, au point de paraître artificielle et de questionner l’intérêt de choisir une forme romanesque pour un tel texte. Mais d’ailleurs, est-ce un roman ? La couverture du livre ne le mentionne pas (alors que c’est en général le cas aux éditions P.O.L.), fournissant un élément de réponse à cette interrogation.

Mathias et la Révolution est un livre déconcertant, ce qui peut constituer à lui seul un argument pour s’y frotter, pour peu que l’idée de se confronter à une forme littéraire originale vous paraisse séduisante. Pour ma part, j’ai trouvé l’exercice intéressant, mais je crains de ne pas en conserver un grand souvenir.

Mathias et la Révolution, de Leslie Kaplan
Éditions P.O.L, 2016
ISBN 978-2-8180-3722-5
254 p., 16,90€


Territoires, d’Olivier Norek

Signé Bookfalo Kill

Alors que la situation semblait autant sous contrôle qu’elle peut l’être dans le 93, trois caïds sont abattus à tour de rôle à Malceny. Leur seul point commun : ils verrouillaient le trafic de drogue local. Chargés d’enquêter sur l’un de ces trois meurtres, le capitaine Victor Coste et son équipe doivent aussi élucider le crime ultra-violent dont est victime quelques jours plus tard un adjoint de la terrible Andrea Vesperini, maire de Malceny.
Quand s’en mêlent un drôle de petit vieux, de sordides calculs politiciens, un psychopathe de poche, des rivalités inter-services malvenues et l’embrasement orchestré des cités, les affaires de Coste semblent vraiment mal embarquées…

Norek - TerritoiresLe résumé officiel de Territoires étant un peu trop bavard à mon goût, je l’ai élagué un peu afin d’en dire le moins possible. Car, pour le reste, le deuxième roman d’Olivier Norek se charge de tout, et en premier lieu de vous embarquer à un train d’enfer dans un polar époustouflant que vous aurez du mal à lâcher avant la fin.
Code 93, paru l’an dernier, était une réussite ultra-prometteuse. Mais je ne m’attendais pas à une claque pareille dès son second livre. Olivier Norek a lâché les chiens et totalement dilué son expérience de flic de terrain dans son talent de romancier. Autant, dans Code 93, il pouvait parfois donner l’impression de dresser au fil de son récit un inventaire (réjouissant) d’anecdotes personnelles, autant ici il est entièrement focalisé sur son intrigue et ne s’en laisse jamais distraire. Et s’il s’inspire de choses vécues, on n’a pas le temps de le remarquer.

La clef d’un bon polar, c’est le rythme ; que ce dernier soit rapide, modéré ou lent, peu importe du moment qu’il est maîtrisé. Une donnée fondamentale que Norek a parfaitement assimilée : Territoires est tendu comme un arc, bouillonnant d’énergie et d’intensité, sans jamais pour autant saouler le lecteur. A l’image d’un style fluide, d’une efficacité absolue, rien d’inutile ne dépasse de l’intrigue, ce qui ne l’empêche pas d’être complexe, foisonnante, de parler de notre monde avec acuité, et le romancier d’en dévoiler peu à peu les strates avec une aisance de vieux routard.
Parmi les nombreuses réussites du livre, il y a la manière dont Norek met en scène les cités de banlieue, notamment lorsqu’elles s’embrasent au cours de nuits successives d’émeutes qui rappellent forcément des scènes familières. Il parvient à rendre ces passages spectaculaires, haletants, hyper romanesques, en gardant un œil d’expert et une distance quasi documentaire. Quoique dans un style différent, je n’avais rien lu d’aussi convaincant sur le sujet depuis Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, le dernier roman de Thierry Jonquet. Et c’est l’un des plus grands compliments que je puisse faire.

Puis, surtout, on retrouve ici ce qui faisait la force des personnages de Code 93 : une volonté totale de crédibilité. Loin de ses illustres confrères français, les Grangé, Thilliez, Chattam et consorts, qui se complaisent à surcharger leurs héros de tous les drames possibles et imaginables, au mépris parfois de toute vraisemblance, Norek, fort de son expérience de terrain, campe des personnages normaux, capables d’aimer, d’avoir une vie de famille et de rentrer chez eux pour faire autre chose que se morfondre sur leurs dossiers en cours.
Bon sang, que ça fait du bien, cette simplicité ! Surtout qu’Olivier Norek l’étoffe avec beaucoup de chaleur et d’humour, ce qui rend ses héros d’autant plus justes et attachants – même lorsqu’ils sont complètement dingues, et à ce titre… ah non, je ne vous dirai rien de Bibz. Je vous laisse faire connaissance avec ce charmant jeune homme, c’est mieux. (Je peux juste vous dire qu’après l’avoir rencontré, vous ne regarderez plus votre four à micro-ondes de la même manière.)

Bref, Territoires est un très, très gros coup de cœur pour moi. Après la surprise Alain Gagnol il y a quelques jours (Un fantôme dans la tête) et l’ultra-confirmation Marin Ledun en début d’année (L’Homme qui a vu l’homme), voilà de quoi enrichir davantage une belle année de polar français. Et attendre sereinement la suite de l’œuvre d’Olivier Norek, dont j’espère sincèrement le décollage immédiat grâce à ce deuxième roman épatant. Alors à vous de jouer !

Territoires, d’Olivier Norek
  Éditions Michel Lafon, 2014
ISBN 978-2-7499-2212-6
392 p., 18,95€