Le Jour où Kennedy n’est pas mort, de R.J. Ellory

Éditions Sonatine, 2020
ISBN 9782355847950
432 p.
22 €
Three Bullets
Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
C’est l’une des histoires les plus connues au monde – et l’une des plus obscures. Le 22 novembre 1963, le cortège présidentiel de John F. Kennedy traverse Dealey Plaza. Lui et son épouse Jackie saluent la foule, quand soudain…
Quand soudain rien : le président ne mourra pas ce jour-là.
En revanche, peu après, le photojournaliste Mitch Newman apprend le suicide de son ex-fiancée, Jean Boyd, dans des circonstances inexpliquées. Le souvenir de cet amour chevillé au corps, Mitch tente de comprendre ce qui s’est passé. Découvrant que Jean enquêtait sur la famille Kennedy, il s’aventure peu à peu dans un monde aussi dangereux que complexe : le cœur sombre de la politique américaine.
Si John Fitzgerald Kennedy est devenu une icône quasi intouchable, il le doit en grande partie à sa mort. D’abord parce que les circonstances et les motivations de cet assassinat restent complexes et mystérieuses. Ensuite, parce que ce meurtre a jeté un voile sur tout le reste de l’existence du président américain.
Son parcours, ses choix, ses appuis, les luttes d’influence dont il a bénéficié (notamment de la part de son père), ses erreurs, ses choix politiques, ses relations sulfureuses, ses infidélités, ses problèmes de santé : quand on meurt le crâne explosé devant le monde entier sans avoir même pu terminer son premier mandat, difficile de se voir reprocher quoi que ce soit avec trop d’insistance. Nombre de faits sont connus, désormais avérés, mais son décès tragique prend toute la place.
Pour aborder tous ces sujets, le brillant romancier britannique R.J. Ellory, fin connaisseur des États-Unis dont il analyse les multiples facettes de livre en livre, a trouvé la solution idéale : annuler le crime. Effacer Dallas, le 22 novembre 1963. Et nous projeter l’année suivante, alors que s’annoncent les futures élections présidentielles en fin d’année et que se pose avec insistance la question d’un deuxième mandat pour Kennedy.
L’idée est simple et géniale : les quelques mois fictifs qu’Ellory ajoute à la vie de Kennedy ne changent rien à tout ce qui s’est passé avant, et que l’écrivain souhaite évoquer en détail, à sa manière habituelle, ultra-documentée et profondément humaine à la fois.
Car Le Jour où Kennedy n’est pas mort n’est pas une uchronie à proprement parler. Le fait que le président n’ait pas été assassiné à Dallas n’est pas le sujet du roman – même si le lecteur va passer de nombreuses pages dans l’ombre de ces événements, dont on découvre qu’ils ne se sont pas déroulés, certes, mais qu’ils auraient pu. Jolie et subtile façon d’altérer l’Histoire sans la bouleverser complètement.
Pour détricoter le mythe Kennedy, R.J. Ellory passe par la bande. Il recourt à la formidable finesse psychologique qui est l’une de ses marques de fabrique, et met en avant l’histoire de son personnage principal, ses propres tragédies personnelles, son humanité bouleversée, pour éclairer peu à peu les zones d’ombre de la présidence JFK.
S’il insiste parfois un peu trop sur la dévastation intérieure de son protagoniste, Ellory nous rend très vite attachant Mitch Newman, faisant de lui un homme avant d’être un journaliste – ses qualités d’investigation ne lui revenant que peu à peu, et de manière fastidieuse. Le portrait de Jean Boyd, son amour disparu, dans les pas de laquelle il fouine, permet en outre d’équilibrer l’humanité à l’œuvre dans le roman, grâce à son tempérament énergique et volontaire qui rend sa mort d’autant plus regrettable et suspecte.
L’enquête toute entière obéit d’ailleurs à une logique d’économie réaliste : à la manière d’un Wallander sous la plume de Mankell, Mitch avance à petits pas, rencontre beaucoup d’obstacles, peine à trouver des soutiens, des infos et des indices. Une stratégie narrative qui permet de distiller son propos, presque mine de rien, et de lever en douceur le voile sur le système Kennedy.
Ellory n’entend pas révolutionner l’histoire du président américain. Le Jour où Kennedy n’est pas mort n’est pas un livre de révélation, qui balancerait de nouvelles grandes théories « révolutionnaires » sur l’assassinat de JFK. On peut tout de même y apprendre beaucoup de choses, et surtout entrer, avec fascination, dans les coulisses de la politique américaine. Une visite qui présente parfois des échos troublants avec des événements beaucoup plus récents – notamment lorsqu’il est question de résultats d’élections contestés…
Ce roman est en tout cas une nouvelle grande réussite à mettre à l’actif d’un romancier qui, pour être prolifique, reste toujours d’une pertinence à l’épreuve des balles (lui). Et un écrivain de formidable talent, dont le style à la fois riche et fluide est un régal constant de lecture.
Retrouvez les avis élogieux de Yvan sur son blog EmOtionS, de la chouette cousine The Cannibal Lecteur, de Pierre Faverolle sur Black Novel, mais aussi la jolie lettre de Stelphique à l’auteur… Entre autres !
Les assassins, de R.J. Ellory
Signé Bookfalo Kill
New York, la ville qui ne dort jamais. Les crimes y sont nombreux, plusieurs par jour. Rarement le fait d’un tueur en série néanmoins. Pourtant, cette fois, il semblerait que l’un d’entre eux soit à l’oeuvre. C’est en tout cas l’avis de John Costello, un enquêteur très discret du City Herald. Encyclopédie vivante sur le sujet (et pour cause, puisqu’il a survécu lui-même à l’assaut d’un serial killer lorsqu’il était adolescent), lui seul ou presque pouvait faire le lien entre ces meurtres pourtant si différents, commis à des endroits éloignés de la ville, sur des gens et selon des modes opératoires sans rapport entre eux.
Chargé de l’enquête sur deux de ces crimes, Ray Irving est un inspecteur compétent, pragmatique et méthodique avant tout. Il aura donc bien besoin de l’aide de Costello pour cerner et coincer l’un des criminels les plus implacables et insaisissables qui soient…
J’ai beau connaître R.J. Ellory, savoir de quoi il est capable, il arrive encore à me cueillir, façon uppercut au menton et K.O. pour le compte. Autant dire d’emblée que ses Assassins m’ont envoyé au tapis direct.
Et pourtant, il y avait moyen de se planter avec une histoire pareille. Quel motif est plus rebattu en littérature policière que celui des tueurs en série ? Entre les chefs d’œuvre du genre (Au-delà du mal de Shane Stevens, Le Silence des Agneaux de Thomas Harris, pour n’en citer que deux incontournables) et leurs incalculables avatars plus ou moins inspirés, face à la surenchère de nombreux auteurs ne reculant devant aucune horreur gratuite pour se démarquer des autres, pas facile de s’en sortir avec élégance et finesse.
Sauf qu’on parle de R.J. Ellory, bien sûr. L’Anglais qui connaît l’Amérique mieux que les Américains. Le romancier qui passe au crible les grandes figures et moments emblématiques du pays – CIA, Mafia, guerre du Vietnam, NYPD ou road movie – avec une telle intelligence que chacun de ses livres a des airs de référence absolue sur le sujet.
Pour se confronter à l’un des mythes les plus sombres et fascinants des USA, Ellory a choisi le contre-pied. Pour évoquer l’anormalité et l’amoralité des tueurs en série, il a pris le parti de la normalité et de l’honnêteté. Le cœur du roman, son point de vue central, c’est Ray Irving. Loin des superflics dotés de capacités quasi paranormales ou des héros aussi torturés que ceux qu’ils traquent, Irving est un policier certes dévoué à son métier, mais c’est avant tout un homme banal, dépassé par l’horreur à laquelle il doit mettre fin. Sa simplicité, sa normalité font penser à celles de Kurt Wallander. Et comme dans la série de Mankell, c’est le point fort des Assassins. Nous, lecteurs paisibles, cousins de ce Ray Irving si familier qu’il est un peu notre égal, nous vivons avec d’autant plus de sidération et de violence les actes ignobles et hors normes commis par le meurtrier. Certains passages m’ont angoissé comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps en lisant un roman !
Mais plus admirable encore, Ellory parvient à glisser dans l’ombre de ses pages sanglantes, en contrepoint indispensable, de l’humour, des esquisses de sentiments, d’amitié ou d’amour, qui enveloppent ses personnages d’une fragilité et d’une sincérité plus belles et fortes encore. Voilà un exploit que le romancier anglais reproduit de livre en livre, et qui fait le cœur et la valeur de toute son œuvre. R.J. Ellory, romancier humaniste ? C’est une évidence.
Néanmoins, Les Assassins est aussi un pur thriller, trippant et flippant, hanté par cette page d’histoire américaine si particulière, celle des tueurs en série. Ellory nous y plonge avec son érudition coutumière, grâce à une bonne idée de départ : celle de faire de son meurtrier un fin connaisseur des plus célèbres assassins du pays, dont il reproduit les agissements dans leurs moindres détails. Son Commémorateur n’est donc pas qu’un fou furieux de plus de la littérature policière, mais une sorte de synthèse effroyable de cette singularité criminelle propre aux USA, si difficile à comprendre.
Et il y aurait encore tant à dire… Mais ce serait finalement trop en dire, et faire perdre sa profondeur à un roman qui ne se défendra jamais mieux que par lui-même, porté par l’élégance littéraire et la puissance analytique de son auteur. R.J. Ellory est décidément un écrivain indispensable, et ses Assassins le démontrent une fois encore.
Les assassins, de R.J. Ellory
(The Anniversary Man, traduit de l’anglais par Clément Baude)
Éditions Sonatine, 2015
ISBN 978-2-35584-289-4
570 p., 22€
A première vue – la rentrée polar (1) : les poids lourds
A leur manière, sans compétition autre que celle de s’imposer entre les mains des lecteurs, les polars aussi font leur rentrée à partir de septembre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a du beau monde et des promesses intéressantes parmi les parutions annoncées.
Comme il est impossible de tout présenter, sous peine de faire exploser ce blog par un surplus d’informations, nous nous contenterons des sorties principales que nous avons repérées. A charge pour vous d’en ajouter !
(Attention : l’annonce, les visuels et les dates de ces sorties, précisées entre parenthèses, s’appuient sur le programme du logiciel professionnel Electre, et peuvent donc être soumis à variation.)
LES POIDS LOURDS
Psycho Killer, d’Anonyme : l’auteur de la tétralogie jubilatoire du Bourbon Kid (Le Livre Sans Nom, ses deux suites et son préquel), revient avec une histoire de crimes en série dans une ville du nom de B. Movie Hell… Atrocités joyeuses et références cinématographiques attendues ! (Sonatine, 10/10)
Sur la tombe, de Ken Bruen : une nouvelle enquête du sombre privé Jack Taylor, confronté à une bande décidée à nettoyer Galway de ceux qu’ils considèrent comme nuisibles. (Fayard, 16/10)
Déposer glaive et bouclier, de James Lee Burke : les éditions Rivages n’en finissent plus de nous faire lire Burke, au risque de l’overdose. Paru en 1971 et jamais traduit, ce roman est le premier d’une série consacrée aux Holland, une famille du Texas, dont les titres suivants sont sortis à la fin des années 2000. Ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées. (Rivages, 30/10)
L’Ecorchée, de Donato Carrisi : à la différence de beaucoup de lecteurs, je n’avais pas accroché au Chuchoteur, le premier titre du romancier italien dont celui-ci est la suite. On y retrouve donc Mila Vazquez, affectée au bureau des personnes disparues, et qui voit certaines d’entre elles réapparaître pour commettre des meurtres. (Calmann-Lévy, 16/10)
Pur, d’Antoine Chainas : l’auteur du terrifiant Versus n’avait rien publié depuis 2010, et sa dernière sortie, Une histoire d’amour radioactive, avait été décevante. On attend donc d’autant plus son retour. (Gallimard, Série Noire, 12/09)
A quelques secondes près, de Harlan Coben : une nouvelle histoire de Mickey Bolitar, le neveu de Myron, qui enquête à la fois sur la mort de son père et sur un crime dans lequel est impliquée son amie Rachel. Fleuve Noir décline dans sa collection pour adultes cette série destinée aux ados. (Fleuve Noir, 5/09)
Nu dans le jardin d’Eden, de Harry Crews : le deuxième roman de l’auteur américain disparu en 2012 n’avait jamais été traduit, alors qu’il le considérait comme son meilleur livre. Il se déroule à Garden Hill, un village abandonné à une douzaine de familles depuis la fermeture de la mine de phosphate qui avait assuré sa prospérité des années auparavant. Tandis que Fat Man, le propriétaire des terres, se laisse aller, quelques habitants envisagent une résurrection singulière des lieux grâce à Dolly, belle, débauchée et prête à tout… (Sonatine, 14/11)
Mauvaise étoile, de R.J. Ellory : le nouveau roman du brillantissime Britannique s’annonce comme un thriller encore différent du magnifique Seul le silence, ou de sa trilogie « institutionnelle » (Vendetta et la Mafia, Les anonymes et la CIA, Les Anges de New York et le NYPD) : pour échapper à la peine de mort, un psychopathe prend en otage deux adolescents guère plus recommandables que lui, et le trio se lance dans une cavale sanglante à travers le Texas des années 60… (Sonatine, 17/10)
Une vérité si délicate, de John Le Carré : un nouveau roman du maître de l’espionnage littéraire est toujours un événement. Toujours en phase avec son temps, il nous emmène cette fois dans une histoire d’enlèvement de djihadiste à Gibraltar en 2008… (Seuil, 17/10)
Le Mystère Fulcanelli, de Henri Loevenbruck : après Le Rasoir d’Ockham et les Cathédrales du vide, suite des aventures d’Ari Mackenzie. Avec ses thrillers haletants et intelligents sur l’ésotérisme, Loevenbruck écrase sans peine les gloubiboulgas insipides de Dan Brown. Au public, déjà nombreux à le suivre, de continuer à lui donner raison. (Flammarion, 2/10)
Les guetteurs, de Ian Rankin : après avoir mis à la retraite John Rebus, son enquêteur emblématique, le romancier suit Malcolm Fox, membre de la police des polices écossaise. D’une banale enquête sur l’abus de pouvoir d’un détective, Fox met au jour une affaire beaucoup plus sensible, qui touche aux plus hautes sphères du pouvoir… (Éditions du Masque, 11/09)
Puzzle, de Franck Thilliez : le mister Best-Seller du Nord délaisse Sharko et Lucie Hennebelle, ses héros récurrents, pour un one shot autour d’un jeu diabolique à échelle réelle, qui enferme ses candidats dans un asile psychiatrique désaffecté. Séduisant sur le papier, hélas décevant. (Fleuve Noir, 3/10)
The Main, de Trevanian : les éditions Gallmeister poursuivent la réédition des œuvres de cet écrivain aussi immense que mystérieux, disparu en 2005. Le titre fait référence à un boulevard de Montréal où se croisent prostituées, clochards, ouvriers et nouveaux immigrés. Le lieutenant Claude La Pointe, qui y officie depuis trente ans, enquête sur un meurtre commis au fond d’une ruelle. (Gallmeister, 3/10)
Dernier verre à Manhattan, de Don Winslow : le fantasque romancier américain délaisse plages et surfeurs de ses derniers romans pour nous ramener à New York en 1958 ; Walter Whiters, un ancien de la CIA devenu détective privé, se retrouve pris au piège d’une machination impliquant un sénateur et la fille de ce dernier, assassinée alors que Whiters était son garde du corps… (Seuil, 3/10)
Voilà pour les noms confirmés que nous avons retenus, rendez-vous dans un prochain post où nous nous intéresserons à un invité surprise de cette rentrée polar, ainsi qu’à quelques jolies promesses…