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À première vue : récapitulatif 2020

Je vous propose un petit outil qui pourrait s’avérer fort utile, si jamais vous cherchez à découvrir le programme d’un éditeur en particulier en cette rentrée littéraire 2020.

Vous trouverez donc ci-dessous la liste, dans l’ordre alphabétique, des éditeurs abordés cette année dans la rubrique « à première vue ». Pour en savoir plus sur leurs publications, il vous suffit de cliquer sur le nom qui vous intéresse.

Pour vous faciliter encore un peu plus la vie, je laisserai cet article épinglé en haut du blog durant quelque temps.

Actes Sud
Agullo
Albin Michel
Autrement
Aux Forges de Vulcain
Christian Bourgois
Delcourt
Fayard
Finitude
Flammarion
Gallimard
Gallmeister
Éditions du Globe
Grasset
Éditions de l’Iconoclaste
Julliard
Lattès
Liana Levi
Métailié
Éditions de Minuit
Éditions de l’Olivier
Le Passage
Philippe Rey
Plon
P.O.L.
Rivages
Éditions du Rouergue (la Brune)
Robert Laffont
Seuil
Stock
Sabine Wespieser
Verdier
Zoé
Zulma
Bonus :
Sonneur, Fosse aux Ours, Viviane Hamy, Tripode

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À première vue : la rentrée Delcourt 2020

logo delcourt


Intérêt global :

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On connaît bien sûr les éditions Delcourt pour leur monumental catalogue de bandes dessinées. Néanmoins, depuis deux ans, la maison s’est lancée en littérature, avec sérieux et diversité, en privilégiant pour le moment la littérature étrangère. Mais sans encore imposer sa patte ni sa présence de manière indiscutable au milieu d’une concurrence sévère.
Pour cette rentrée 2020, la maison pilotée par Emmanuelle Heurtebize propose deux titres, un en août et un en septembre.


William Melvin Kelley - Jazz à l'âmeJazz à l’âme, de William Kelvin Kelley
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Eric Moreau)

Dans le Sud des États-Unis, Ludlow Washington, né aveugle, vit une enfance chaotique et solitaire. Doté d’un talent indéniable, il est accueilli à bras ouverts dans le monde du jazz où Bud Rodney le prend sous son aile. Lassé de jouer le même répertoire, Ludlow s’installe à New York et crée un nouveau style d’avant-garde. Les démons de son enfance ne tardent pas à le rattraper.
Delcourt poursuit la réédition des livres de William Kelvin Kelley, romancier noir américain décédé en 2017 et dont l’œuvre, saluée à sa parution dans les années 60, a ensuite été largement oubliée.

Yu An - Porc braiséPorc braisé, de An Yu
(traduit de l’anglais (Chine) par Carine Chichereau)

À Pékin, Jia Jia retrouve le corps sans vie de son mari dans leur appartement luxueux. Ce dernier a laissé pour elle le mystérieux dessin d’un homme-poisson sur le lavabo. Perdue, elle déambule dans la ville où elle finit par se lier à Leo, un barman qui lui redonne foi en l’amour. À la recherche de sa vérité, elle entreprend un voyage vers le Tibet.
Première traduction de cette jeune auteure chinoise, dont c’est du reste le premier roman.


Un océan d’amour, de Lupano & Panaccione

Signé Bookfalo Kill

Un petit pêcheur part travailler sur l’océan sur son chalutier, comme tous les matins, alors que l’aube point à peine. Alors que la récolte est plus que maigre, un incident déroute le petit bateau et le laisse à la dérive. Pendant ce temps, la femme du petit pêcheur, bigoudène pur beurre, attend le retour de son homme. Le soir arrive, puis la nuit : pas de mari. Le lendemain, elle apprend l’incident et entreprend de partir à sa recherche en embarquant sur un énorme navire de croisière, où ses crêpes faites maison ne vont pas tarder à faire fureur. Et bien d’autres aventures attendent les deux compagnons éloignés…

Lupano & Panaccione - Un océan d'amourDifficile de parler d’une bande dessinée sans parole, dont tout passe de fait par le dessin. Tout semble alors reposer sur les épaules de l’illustrateur – ici, Grégory Panaccione, dont le travail merveilleux est exemplaire. Son sens des cadrages et du découpage, qui recourt souvent à de petites cases multipliant les mouvements et les actions des héros, est remarquable. Les couleurs, superbes, jouent souvent sur des unités de teinte variant subtilement au fil de l’album en fonction des situations (jour ou nuit, pays ou situations différents…) L’expressivité des personnages, enfin, est parfaitement réussie et transmet émotions et informations mieux que de longs discours, dans un style qui me fait penser à celui du réalisateur Sylvain Chomet (les Triplettes de Belleville).

Il serait cependant ingrat d’oublier le scénario de Wilfrid Lupano au seul profit des magnifiques images de Panaccione. Si celles-ci s’animent si bien, c’est qu’elles suivent une histoire qui commence tranquillement, dans la description d’un quotidien paisible, presque tristounet, pour mieux devenir virevoltante, pleine de rebondissements et de loufoquerie maîtrisée. On suit avec passion les péripéties des deux protagonistes, figures ordinaires que rien ne prédisposait à l’héroïsme, ce qui les rend d’autant plus attachants.

Sans oublier la mouette, bien entendu… mais je vous laisse faire la connaissance de cette sympathique bestiole en vous plongeant dans les deux cents pages de cette très jolie B.D. qui se dévore d’une traite, comme une bonne boîte de sardines !

Un océan d’amour, de Wilfrid Lupano (scénario) & Grégory Panaccione (dessin)
Editions Delcourt, coll. Mirages, 2014
ISBN 978-2-7560-6210-5
224 p., 24,95€


Métropolis t.1, de Lehman, de Caneva & Martinos

Signé Bookfalo Kill

Voilà le genre de projet ambitieux qui me plaît beaucoup, mélangeant avec audace et adresse les genres, les époques et les références, pour un résultat qui mêle le tout en une superbe réinvention.

Lehman, de Caneva & Martinos - Métropolis t.1Le premier volume de Métropolis, série de bande dessinée annoncée en quatre tomes paraissant au rythme d’un par semestre, pose rapidement les bases d’un thriller uchronique : nous sommes en 1935, la Première Guerre mondiale n’a pas eu lieu ; au contraire, l’Europe vit en paix depuis soixante-dix ans. La France et l’Allemagne, ex-ennemis héréditaires, partagent le même territoire, l’Interland, dont Métropolis est la capitale, gigantesque ville sans cesse en mutation, faite de gratte-ciels, de bâtiments et de monuments vertigineux.
Au cœur de la foule insouciante, l’inspecteur Gabriel Faune est l’un des rares à suspecter que les choses ne sont pas aussi idylliques. Alors, quand un attentat aveugle frappe soudain la cité, il n’est guère surpris de découvrir la trace d’une violence souterraine et terrifiante, qui pourrait bien ébranler toutes les bases de la civilisation…

L’histoire en elle-même est séduisante, elle le devient d’autant plus lorsqu’on y voit apparaître nombre de personnages réels, tels Freud, Aristide Briand, Winston Churchill, Louise Brooks, ou fictionnels, dont Hans Beckert et le commissaire Lohmann lancé à ses trousses. Les références culturelles, notamment cinématographiques (M le Maudit donc, et bien sûr Métropolis de Fritz Lang), loin d’être des gadgets, nourrissent autant la trame que le cadre de l’histoire, donnant à la cité imaginée par Serge Lehman, dessinée par Stéphane de Caneva et colorisée par Dimitris Martinos, une apparence à la fois historique et moderne, entre l’intemporel et le futuriste, labyrinthe qui crève le ciel et trempe profondément ses racines dans un mal encore indéfini mais très inquiétant.

Seule petite réserve personnelle, si les teintes un peu froides ou pastel des couleurs m’ont beaucoup plu, j’ai trouvé l’expressivité des personnages parfois un peu limitées, notamment sur certains gros plans. Rien de choquant néanmoins, cela relève plutôt du détail et c’est une remarque totalement subjective, pas technique.
Pour le reste, le récit est porté par un dynamisme discret mais intelligent, qui transparaît dans les nombreuses variations sur la taille et la disposition des cases, allant de suites « classiques » (six cases carrées par page) à des doubles pages envahies par une seule image en passant par des diagonales ou le passage en grisé pour des cases de souvenirs aux bords estompés. Du mouvement sans tomber dans la frénésie : le récit prend son temps pour avancer et laisse toute leur place aux détails.

Ce premier tome ayant posé beaucoup de questions et s’achevant sur un cliffhanger intriguant, j’attends donc la suite avec impatience ! Sans parler d’une envie toute neuve de m’intéresser aux autres projets scénarisés par Lehman, notamment Masqué et la Brigade Chimérique… à suivre !

Métropolis t.1
Scénario : Serge Lehman / Dessin : Stéphane de Caneva
Couleurs : Dimitris Martinos / Couverture : Benjamin Carré
Éditions Delcourt, 2014
ISBN 978-2-7560-4024-0
96p., 15,95€


Le Guide du mauvais père t.2, de Guy Delisle

Signé Bookfalo Kill

Delisle - Le guide du mauvais père t.2Quelques mots, rapidement, pour signaler la parution de la suite du Guide du mauvais père, toujours dans la collection Shampooing des éditions Delcourt.

Quelques mots, oui, cela suffira, car en fait, il n’y a pas grand-chose à dire de neuf sur ce deuxième volume. Guy Delisle retrouve son papa (plus ou moins) indigne, toujours aussi débordé, de mauvaise foi, à côté de ses pompes, toujours prêt à transférer ses propres angoisses ou à faire subir son imagination débordante à sa naïve progéniture.

N’ayant pas le premier tome sous la main, je ne peux vérifier, mais il me semble que les situations sont cette fois beaucoup plus gentillettes, moins hilarantes. Si tout est toujours réaliste et susceptible de parler à de nombreux parents, le décalage humoristique est moins fort ; du coup, on se contente de sourire tranquillement de temps en temps, mais on est sevré de véritables éclats de rire.

Un petit recueil léger sans surprise, donc, mais sympathique, cadeau clin d’œil toujours efficace pour les papas de tous âges !

Le Guide du mauvais père t.2, de Guy Delisle
Éditions Delcourt, coll. Shampooing, 2014
ISBN 978-2-7560-4777-5
190 p., 9,95€


Le Guide du mauvais père t.1, de Guy Delisle

Signé Bookfalo Kill

Delisle - Le Guide du mauvais père t.1Alors que vient de s’achever la série de six volumes tirés du blog de Bastien Vivès, les éditions Delcourt, soucieuses de ne pas tarir cet excellent filon, proposent dans le même petit format de leur collection Shampooing le premier opus du Guide du mauvais père. Le nom du dessinateur vous est peut-être familier : Guy Delisle s’est en effet fait remarquer ces dernières années pour les sérieuses et très réussies Chroniques birmanes et Chroniques de Jérusalem.

Si le ton change radicalement et s’allège, Delisle s’avère également très à l’aise avec le format strip inhérent à la collection. Le dessin reste simple, mais tout de même beaucoup plus élaboré que celui de Vivès, qui pratiquait le copier-coller sans parcimonie. Ici, les situations, le cadre, le décor et les attitudes des personnages changent à chaque « case ».

Côté humour, Delisle se démarque aussi. Loin de la méchanceté et des outrances assumées (et souvent hilarantes) de Vivès, il choisit de coller au quotidien en mettant en scène les relations père-enfants : petits mensonges, blagues douteuses, éducation revue et corrigée… Le tout au fil de situations familières et bien restituées : au hasard, comment gérer les histoires de petite souris ou de lapin de Pâques, comment recevoir les jolis dessins de ses enfants, comment apprendre le bricolage à son fils ou comment avoir réponse à tout grâce à Internet.
Le résultat est moins disparate que son collègue, l’humour plus cohérent, et chaque strip s’avère amusant, d’une manière légère mais toujours bien vue. Car le père version Delisle n’est pas si mauvais que ça, allez ! Souvent de mauvaise foi et pas toujours de bon conseil, mais très humain – et très proche de ce que sont bien des hommes. Bref, ça sent le vécu.

Avec une approche plus classique que celle de Vivès, sur le fond comme sur la forme, Guy Delisle réussit un premier tome parsemé de clins d’oeil réalistes qui feront rire les mamans… et les papas aussi, sans nul doute !

Le Guide du mauvais père t.1, de Guy Delisle
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2013
ISBN  978-2-7560-3873-5
191 p., 9,95€


La Bande dessinée, de Bastien Vivès

Signé Bookfalo Kill

Bon, maintenant, vous connaissez le principe, je ne vais donc pas m’étendre pendant des heures sur ce sixième et dernier opus de la série tirée du blog de Bastien Vivès. Sinon pour dire que je l’ai trouvée beaucoup plus sympathique et plus cohérent que le précédent sur La Guerre, constituant une conclusion logique et amusante à cette suite de publications.

Vivès - La Bande dessinéeÉvidemment, le sujet est davantage fait pour lui également, même si je craignais de le voir tomber trop souvent dans la private joke. Dans l’ensemble, il n’en est rien, et le premier strip donne d’ailleurs le ton : une mère consulte un médecin car elle craint que son fils soit retardé ; le praticien la rassure plus ou moins en lui apprenant que sa maladie consiste à faire de la B.D., activité sans danger même si elle peut avoir de sérieuses conséquences sociales…
On est bien dans le ton Vivès, sarcastique et distancié, mais accessible à tous, y compris aux gens qui ne sont pas familiers avec les codes du petit monde de la bande dessinée. Les connaisseurs seront peut-être plus sensibles que les autres aux parodies de séances de dédicaces (« Dédicace 20 ans », « Belgique »), et encore, cela reste drôle sans connaître le contexte.

La Bande dessinée contient en outre plusieurs strips qui caricaturent joyeusement certains aspects du Neuvième Art. Ainsi des comics, dans les conseils d’écriture de Brad (« Comics » et « Le gag »), qui trouvent un écho irrésistible à la dernière page du livre (« Festiblog »), ou dans les aventures délirantes de Flashman. Même chose avec les obsessions thématiques de certains auteurs (« Guerre mondiale ») et la maniaquerie forcenée des collectionneurs (« Astérix »).

Le plus frappant dans ce volume, c’est le sens de l’auto-parodie dont fait preuve Bastien Vivès. Il se met régulièrement en scène, et souvent en horrible personnage, arrogant et méprisant (« Lausanne », « Littérature », « Interview blog »), quand il ne se moque pas carrément de son œuvre (« Dédicace 20 ans », « Ciné »). Il joue ainsi de son image de sale gosse, ce qui ne manquera pas d’exacerber l’agacement de ceux qui le détestent déjà, autant que le soutien de ses fans de plus en plus nombreux.
Bref, le garçon est malin !

La Bande dessinée, de Bastien Vivès
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2013
ISBN 978-2-7560-2992-4
188 p., 9,95€


La Guerre, de Bastien Vivès

Signé Bookfalo Kill

C’est peut-être le sujet. Ou bien alors c’est qu’on finit par se lasser du dispositif. Toujours est-il que ce cinquième volume des strips tirés du blog de Bastien Vivès est celui qui m’a le moins convaincu. Ou, pour le dire autrement, qui m’a le moins fait rire. En fait, c’est à peine s’il m’a fait sourire de temps en temps.

Certains strips ne sont carrément pas drôles, comme « Gens de la rue », où trois amis discutent de la misère – quel rapport avec la guerre, d’ailleurs ? Ou encore « I-Phone », où les bavardages superficielles, dans un restaurant, de deux filles sur Facebook sont interrompus par des militaires qui attaquent et tuent tout le monde (???)
Et je passe rapidement sur « GIGN » (un agent essaie de convaincre son chef de partir à l’assaut déguisé en femme) ou « Guerre des femmes » (les femmes prennent le pouvoir et les hommes ripostent par une guerre à grande échelle qui tourne au fiasco), qui jouent trop avec des clichés homophobes ou misogynes pour ne pas faire plus grincer des dents que rire.

Bien sûr, c’est Vivès, le sale gosse de la BD indé, et il y a avant tout dans ces choix de la provocation plus ou moins gratuite, pas du tout un discours. Je le trouve néanmoins plus intéressant et plus amusant dans des strips mieux pensés sur le plan dramaturgique, dont la série « César », où ces dignes et historiques personnages que sont César, Cléopâtre et Marc-Antoine ont tendance à parler d’une manière résolument moderne – décalage humoristique assuré.
Même dans le trash, certains strips sortent du lot, comme « Bambi » ou « ONU ». Et « Général » (un général veut repartir en guerre comme dans le temps et se cherche des ennemis) fait sourire également.

Néanmoins, si vous voulez découvrir l’art du strip humoristique à la sauce Vivès, je vous conseille plutôt La Famille ou L’Amour, qui restent nettement pour moi au-dessus du lot.

La Guerre, de Bastien Vivès
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2012
ISBN 978-2-7560-2991-7
192 p., 9,95€


La Blogosphère, de Bastien Vivès

Signé Bookfalo Kill

Bastien Vivès, quatrième !
Le sale gosse de la blogosphère B.D. revient avec un quatrième petit volume tiré de son blog, consacré cette fois à… la Blogosphère – ou comment le serpent se mord joyeusement la queue.

Sans aucun respect (apparent) pour un exercice où il s’est fait connaître et où il est excelle, Vivès tire à boulets rouges sur les codes de la blogosphère, ses dérives, ses maniérismes et sa vanité occasionnelle. Pas très gentil, il ne rate pas une occasion de taquiner certains de ses collègues, dont Boulet, et surtout les filles (Margaux Motin dans « Vador 2 », Motin et Bagieu dans « Sorbonne »). Un strip complet, hilarant, présente d’ailleurs le mode d’emploi – hautement moqueur – pour réussir un bon « blog de fille ».
Le sommet du genre est atteint dans la suite de strips « Vador », où Bastien Vivès met en scène le Dark du même nom bien décidé à détruire la planète Festiblog… Il n’y a pas à dire, les parodies de Star Wars, ça marche quand même à tous les coups !

Sinon, le dessinateur passe à nouveau la thématique du livre sous le scan de son oeil critique : incompréhension entre générations (« Blog BD », « Facebook », « Fauteuil »), décalage avec les impératifs de la vie professionnelle (« Jimmy »)… Il évoque aussi les affres de la création (« Idée »), parfois sur le mode très ironique (« Chaussure », où Margaux Motin en prend encore pour son grade) ; ou encore, il part dans des délires certifiés Vivès, mettant en scène la Police des Blogs B.D. ou imaginant l’anéantissement futur de tout le Neuvième Art à cause de la blogosphère (« Sorbonne »).

Seule restriction éventuelle : comme dans le premier volume de la série, le Jeu vidéo, le discours est souvent référencé, et il faut sûrement connaître assez bien, soit le monde de l’édition, soit celui de la B.D., soit la blogosphère en elle-même, pour apprécier pleinement l’humour corrosif de Bastien Vivès.
Mais sinon, encore une fois, c’est du bon !

La Blogosphère, de Bastien Vivès
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2012
ISBN 978-2-7560-2990-0
192 p., 9,95€


L’Amour, de Bastien Vivès

Signé Bookfalo Kill

Aaaah, l’amour… Les mots doux, les petites attentions, les câlins, les regards pleins de tendresse, la joie de partager la vie de quelqu’un…
Oubliez tout ça. Vous êtes chez Bastien Vivès.

Après le petit monde des geeks (le Jeu vidéo) et les joies de la Famille, le blogueur-dessinateur s’attaque aux sentiments. Ou plutôt s’en prend aux sentiments, qui s’en prennent donc plein la tronche. Plus féroce et politiquement incorrect que jamais, Vivès repousse sans vergogne les limites du bon goût et de la décence. Pas de place pour le rose bonbon et les petits noms mignons : ici, quand on parle d’amour, on cause fantasmes ignobles, projets de sorties en boîtes échangistes et religions ; à la question rituelle « qu’est-ce que tu regardes en premier chez une fille ? », on a droit à une réponse façon écorché du Larousse médical ; une mère avoue à sa fille qu’elle a trompé son père… et ainsi de suite.
En prime, Bastien Vivès se met régulièrement en scène, et rarement de manière avantageuse, se moquant au passage de la B.D. et de son statut d’auteur.

Côté dessin, c’est le même principe que dans les deux précédents volumes : trait minimaliste et images copiées-collées de case en case. Pas de surprise ni de renouvellement, ce n’est pas le but, puisqu’il s’agit toujours de strips tirés du blog de l’auteur. Comme d’habitude, on aime ou pas – mais si on n’a pas aimé avant, on ne s’acharne pas et on passe son chemin, merci.

J’avoue tout de même que j’ai moins ri et plus souvent grimacé qu’avec la Famille. Mon côté fleur bleue, sûrement. L’ensemble est inégal, mais il y a néanmoins des bons moments, outranciers ou plus subtils, qui m’ont bien fait rigoler. D’autres, moins (« Emmerde »… pas compris l’intérêt du strip !)
Petite préférence personnelle pour le dernier strip, où Vivès revisite l’écriture du célèbre « Sonnet à Hélène » en faisant parler Pierre de Ronsard et ses potes façon gamins d’aujourd’hui : rire par décalage assuré !

Prochain rendez-vous de la série : la Blogosphère. Un sujet obsessionnel pour Bastien Vivès, qui devrait déboucher sur de nouvelles réjouissances. On s’en reparle !

L’Amour, de Bastien Vivès
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2012
ISBN 978-2-7560-2989-4
189 p., 9,95€


La Famille, de Bastien Vivès

Signé Bookfalo Kill

Same player, shoot again !

Après un très bon premier volume sur les jeux vidéo et surtout sur les joueurs (voir ma chronique), Bastien Vivès revient comme prévu avec un deuxième tome consacré à la famille. Je ne sais pas vous, mais pour ma part, la couverture m’a tout de suite fait tilter :

Cette bannière bleu-blanc-rouge encadrant le titre : la famille, serait-elle un pur hasard, ou bien une allusion extrêmement ironique à certaine devise du gouvernement français en d’autres temps (nauséabonds), le tristement célèbre « travail-famille-patrie » ?

Après lecture, j’ai tendance à croire que la deuxième option l’emporte. Car la famille de Vivès est tout sauf angélique, très éloignée du modèle de perfection rêvée par le sinistre Maréchal. D’entrée de jeu, un petit garçon demande à son père ce que c’est qu’une turlutte, et le géniteur de répondre sans détours, tout en proposant clopes et bières à son rejeton. Plus loin, une grand-mère pourrit littéralement d’insultes son petit-fils qui a le malheur de trouver les filles nulles.
Et tout est à l’avenant : discussions sexuelles trashs, pères machos ou qui s’emmerdent en famille, cadeaux d’anniversaire inattendus, problèmes de communication entre générations…

Vivès est parfois méchant mais souvent drôle ; féroce mais très observateur. Les dialogues, impeccables, font tout l’intérêt de ses strips, tandis que son dessin reste elliptique, minimaliste. Cela peut déplaire à certains lecteurs, qui trouvent l’auteur limite feignant sur le coup, mais moi, j’adhère et j’adore.
Et puis, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de dessins tirés d’un blog – et que dans ce registre, très représenté depuis quelque temps par les éditeurs de B.D. allant chercher sur le Net l’originalité qu’ils ne trouvent peut-être plus ailleurs, Bastien Vivès est largement au-dessus du lot.

Si vous avez fait du politiquement correct votre mode de pensée, ou bien si vous pensez que Jean-Marie Le Pen avait bien raison de vouloir renvoyer les femmes à leur place, c’est-à-dire à la cuisine, alors passez votre chemin. Sinon, foncez !

La Famille, de Bastien Vivès
Editions Delcourt, collection Shampooing, 2012
ISBN 978-2-7560-2859-0
189 p., 9,95€


Le jeu vidéo, de Bastien Vivès

Signé Bookfalo Kill

Une B.D. pour geeks, écrite par un geek sur les geeks : tel pourrait être le résumé du nouveau Bastien Vivès. Et, comme tout résumé, il serait un peu réducteur – même si…

Sans équivoque, le titre et son look « arcade » annoncent la couleur. Il est question de jeux vidéo (quelle surprise), et pas du petit jeu passe-temps pour gentils amateurs. Non, ici, on est dans le monde des gamers, les vrais des vrais, les purs et durs, avec leurs jeux de référence (surtout Street Fighter, mais pas que), leur langage, leurs vannes plus ou moins pourries et leur apparent hermétisme aux yeux du reste de l’univers. Ce qu’on appelle des geeks, donc.
Tout en admettant d’emblée en faire partie, Vivès ne se contente pas d’un hommage clin d’oeil à ce petit monde, et c’est tout l’intérêt de la chose. Organisées en longs strips, ces histoires déroulent successivement des attitudes et des situations souvent hilarantes : relations de couple qui virent à l’orage, conflits de génération (qui ne tournent pas forcément à l’avantage des plus jeunes et supposés plus « branchés »), ambiances surréalistes des salles de jeux où ça vanne à tout va… Sous l’humour et les réféfences, il n’est pas interdit de trouver, saisi sur le vif et sans prétention exagérée, un cliché sociologique d’une époque, dans laquelle le monde virtuel occupe une place de plus en plus importante.

Par ailleurs, ce qui fait l’originalité de la chose, au-delà de son seul sujet, c’est le dessin de Bastien Vivès. Son trait en noir et blanc, très simple en apparence, réduit les personnages et les décors à des esquisses néanmoins très parlantes, très expressives, en dépit du fait qu’elles sont souvent statiques. C’est efficace et en même temps très beau, et surtout totalement inhabituel pour des strips, dont les dessins sont souvent moins élégants.

Ce style offre un équilibre réussi à des dialogues enlevés, où l’usage sans modération de termes techniques de joueurs n’empêche pas trop la compréhension des histoires, car l’essentiel est évidemment ailleurs. Bon, j’imagine qu’il faut tout de même être un peu familier de l’univers des jeux vidéo… C’est tout juste mon cas – pas plus, n’ayant jamais pratiqué ni les consoles ni les jeux comme Street Fighter -, et j’ai vraiment lu avec plaisir ce petit volume.

Petit par la taille, bien sûr, puisque la collection Shampooing des éditions Delcourt a eu l’idée futée de publier le Jeu vidéo en format manga. Cela pourrait attirer des lecteurs plus jeunes que le panel habituel de Bastien Vivès, tout en étant parfaitement adapté au style strip et à un prix plutôt gentil (on notera le coup de frein juste avant le seuil psychologique des 10€… Malin !)

Pour finir, il faut savoir que Vivès a initialement publié ces dessins sur son blog, intitulé Comme quoi. Bonne nouvelle, Shampooing publiera d’autres recueils dans les semaines à venir selon le même principe. A venir : la famille, l’amour, la blogosphère… Tout un programme, que j’ai hâte de découvrir sous la jolie plume de cet auteur inspiré.

Le jeu vidéo, de Bastien Vivès
Editions Delcourt, collection Shampooing, 2012
ISBN 978-2-7560-2858-3
192 p., 9,95€

Bastien Vivès sera au Festival de bande desinée d’Angoulême, du 26 au 29 janvier 2012. Pour en savoir plus : http://www.bdangouleme.com/
Sinon, on parle en bien du Jeu vidéo ici : le blog BD de Madmoizelle, Bodoï
Et en moins bien là : Planète BD


3″, de Marc-Antoine Mathieu

Signé Bookfalo Kill

La première case est entièrement noire.
Au centre de la suivante, un point blanc.
Le point blanc grossit dans les sept cases suivantes, devient un ensemble de silhouettes humaines se découpant sur un mur blanc.
Au fil des cases, on continue à avancer, vers le visage d’un homme qui regarde par une fenêtre.
Dans l’oeil de l’homme se reflète un Smartphone.
On plonge dans l’objectif photo du Smartphone pour découvrir le visage de l’homme qui le tient – et un autre homme derrière lui, qui le tient en joue…

Et ainsi de suite jusqu’à la fin d’une BD hallucinante, époustouflante.
3″ est sous-titré Un zoom ludique par Marc-Antoine Mathieu. La précision éclaire le projet du dessinateur : raconter toute une histoire selon le principe visuel du zoom avant. Lequel zoom avant est continu du début à la fin, les images et les séquences s’enchaînant grâce à un savant jeu de miroirs et de reflets. Une ampoule électrique, un vase, une montre, une bague, une dent en or (!) ou la caméra d’un satellite (!!!) : autant d’objets réfléchissants qui permettent de réorienter le récit vers une autre séquence, sans rupture narrative.

En gros, cela donne ceci :

L’idée est géniale et le traitement brillantissime, d’autant plus que Mathieu se passe totalement de dialogues. Tout passe par le dessin – en noir et blanc, à la fois épuré et diablement inventif -, les cadrages, les enchaînements, les plus petits détails cachés dans les cases. L’effet est vertigineux, tant on se sent happé, aspiré par l’image.

Ce qui est encore plus fort, c’est que le dessinateur ne se cantonne pas à un simple exploit technique. Comme je le disais plus haut, il raconte une histoire, dont les multiples micro-épisodes se déroulent… en trois secondes. « Le temps pour la lumière de parcourir 900 000 km… »
Je vous en dirais bien davantage, mais : 1/ le dessinateur se charge de le faire lui-même au début de l’album ; 2/ ce serait entamer le plaisir de l’enquête, de la chasse aux indices…
A vous de jouer, donc !

Et pour prolonger l’expérience (et enfoncer le clou), Marc-Antoine Mathieu présente également son histoire en version numérique. A titre personnel, je ne suis pas sûr que cela apporte grand-chose, mais là encore, à vous de vous faire votre idée. C’est sur le site des éditions Delcourt
A voir également, la bande-annonce de la B.D.

3″, de Marc-Antoine Mathieu
Éditions Delcourt, 2011
ISBN 978-2-7560-2595-7
80 p., 14,95€